"L'homme à l'envers" de Fred Vargas
L'histoire: Laisser les loups vivre en liberté dans le Mercantour, c'était une bonne idée, dans l'air du temps. Ce n'était pas celle des bergers et, quelques mois plus tard, la révolte gronde.
Mais est-ce bien un loup qui tue les brebis autour du village de Saint-Victor? Les superstitions resurgissent, un bruit se propage: ce n'est pas une bête, c'est un loup-garou... Lorsqu'une éleveuse est retrouvée égorgée dans sa bergerie, la rumeur tourne à la psychose. À Paris, le commissaire Adamsberg guette les nouvelles de la Bête du Marcantour: "Comme des tisons, mon gars, comme des tisons ça fait, les yeux du loup, la nuit".
La critique de Mr K: Ca faisait un petit bout de temps que cet auteur m'intéressait et me faisait de l'oeil. Les 40 premières lignes du chapitre 2 ont été le sujet du DNB technologique il y a déjà quelques années et je l'utilise souvent lors de DNB blanc pour mes loupiots, régulièrement à la Fnac je tombe sur les oeuvres de cette archéologue-écrivain et je remets à plus tard l'achat d'un volume, enfin mes parents m'en avait déjà parlé au détour d'une conversation à propos de nos lectures respectives... Tout ça pour dire que c'est mon premier Vargas! Et franchement, si j'avais su, j'aurai fréquenté cet auteur bien plus tôt.
Ce livre s'apparente à un road-movie campagnard (roman picaresque comme disait mon vieux prof de français de Lycée, Mr B) oscillant constamment entre suspens et moments de franche rigolade. Il est surtout prétexte à la présentation et à la mise en action de personnages hauts en couleur. Il y a Adamsberg, pas très présent d'ailleurs au début, personnage étrange, au charisme puissant et aux manières délicates mais fermes (nombre de blogueurs vantent ses mérites, il a ses fans!). Camille, une ex, qui s'est éxilée en pleine cambrousse et dont le plus grand plaisir est de se plonger dans les catalogues d'outillage professionnel pour "s'évader" et parfois se ressourcer. Lawrence, son amant canadien au phrasé minimaliste, amoureux de la nature, spécialiste des grizzlis, expatrié en France pour étudier les loups du Mercantour. Soliman, fils adoptif d'une éleveuse sauvagement assassinée, d'origine africaine, amateur des définitons du dictionnaire et conteur hors-pair de petites sagesses africaines de son crû! Exemple:
- Avant, commença Soliman, aux commencements du monde, les hommes ne faisaient pas la cuisine.
- Ah merde, dit le Veilleux.
- Et c'était comme ça pour toutes les bêtes de la terre.
- Oui, coupa le Veilleux en versant le vin. Adam et Eve ont couché ensemble, et ensuite ils ont dû trimer et se faire à manger toute la vie.
- Pas du tout, dit Soliman. Ce n'est pas ça l'histoire.[...] Partout, la nourriture était à portée de leur main, continuait Soliman. Mais l'homme prenait tout pour lui et les crocodiles se plaignaient de sa voracité égoïste. Pour en avoir le coeur net, le dieu du marais puant pris la forme d'un crocodile et s'en alla contrôler la situation par lui-même. Après avoir souffert la faim pendant trois jours, le dieu du marais convoqua l'homme et lui dit: "Dorénavant, l'Homme, tu seras partageux". "Que dalle", lui répondit l'Homme. "J'en ai rien à branler des autres". Alors le dieu du marais entra dans une terrible colère et ôta à l'homme le goût du sang, de la chair fraîche et de la viande crue. À dater de ce jour, l'homme dut faire la cuire tout ce qu'il portait à sa bouche. Ca lui prit beaucoup de temps et les crocodiles eurent la paix dans leur royaume de la viande crue.
- Pourquoi pas, dit Camille.
- Alors l'homme humilié d'être devenu la seule créature à manger cuit, repassa tout le boulot à la femme. Sauf moi, Soliman Melchior, parce que je suis resté bon, parce que je suis resté noir, et ensuite parce que je n'ai pas de femme.
Mais mon personnage préféré reste sans conteste et de loin: le Veilleux! Berger d'un âge certain et collaborateur fidèle de la première victime, il décide avec Soliman et Camille de "coller au cul" du meurtrier pour retrouver le responsable de la mort de sa patronne. Ce personnage est dantesque: stoïque, inquiétant, gâteux mais curieux, tolérant mais aussi plein de principes (il faut lire le passage où il dérouille à l'aide de sa vieille pétoire trois motards lepénistes s'en prenant à Soliman et Camille!)... Il inspire le respect et en même temps le rire, tellement il est décalé par rapport aux autres personnages et représente la vieille France paisible et traditionnelle mais à la fois accueillante.
On passe vraiment un excellent moment en compagnie de tous ces énergumènes, c'est mon premier road-movie en bétaillère mené tambour battant! Loin de se moquer du monde paysan et de la ruralité, on est plus dans une immersion picaresque à vocation humoristique et naturaliste. Ca se dévore, ca se déguste et ca se digère très bien! un bon livre que je vous conseille chaudement!