"Seul le silence" de R.J. Ellory
L'histoire : Joseph a douze ans lorsqu'il découvre dans son village de Géorgie le corps d'une fillette assassinée. Une des premières victimes d'une longue série de crimes. Des années plus tard, alors que l'affaire semble enfin élucidée, Joseph s'installe à New York. Mais, de nouveau, les meurtres d'enfants se multiplient... Pour exorciser ses démons, Joseph part à la recherche de ce tueur qui le hante.
La critique Nelfesque : Gros coup de coeur pour ce roman à l'image de celui que j'ai eu pour "Le petit copain" de Donna Tartt. Même noirceur, même fatalité dans le destin des personnages, même sensation ouatée et même empathie.
Ce roman est présenté comme un thriller. Certes la toile de fond est une série de meurtres sanglants, malsains, abominables, mais il ne faut pas s'attendre à un polar palpitant. En effet ce n'est pas sur le suspens que se base R.J. Ellory mais sur les ambiances et la vie de Joseph, son parcours, ses souffrances... Ayant lu quelques avis, je savais que je ne m'attelais pas à un thriller pur et dur, ça tombe bien, j'avais envie de ce genre de lecture et je n'ai pas du tout été déçue. Bien au contraire !
On suit l'itinéraire de Joseph, de ses 12 ans à l'âge adulte, avec passion. J'ai eu beaucoup de mal à fermer mon livre (souvent le sommeil l'emportant sur mon envie de poursuivre) et quand j'ai eu lu la dernière page, j'étais un peu triste de l'avoir achevé. Ce roman se ressent plus qu'il ne se lit, la souffrance et la culpabilité qu'éprouve cet enfant sont palpables et très touchantes. La vie de Joseph, plus souvent faite de bas que de hauts, est tragique tout en étant réaliste. L'écriture de R.J. Ellory est simple et efficace et de ce fait, on s'installe peu à peu dans une ambiance noire et oppressante où l'envie de connaître le fin mot de l'histoire passe au second plan, tant on éprouve de l'empathie pour le personnage de Joseph. On s'attache à son personnage et on souffre avec lui.
L'histoire commence dans les premières années de la seconde guerre mondiale, nous sommes en plein cœur de l'Amérique, dans un village paumé où chaque habitant se connaît et où les rumeurs vont bon train. Commence alors une chronique de la vie ordinaire, les meurtres en plus, mêlant étude sociale et ressenti personnel. J'avais titré mon billet sur "Le petit copain", "De la souffrance de n'être qu'un enfant". Cette phrase irait très bien également à "Seul le silence". Incompréhension, colère, peur enfantine, deuil... tout cela est mêlé avec brio dans ce roman.
Nous avons là les ingrédients parfaits pour moi : une histoire se déroulant dans une période historique qui me passionne, en milieu rural, avec des personnages touchants, tout en finesse et en pudeur. Ce premier roman de R.J. Ellory traduit en France est époustouflant.
La critique de Mr K (edit du 12/10/23) : Depuis le temps que Nelfe me conseillait de découvrir R. J. Ellory et notamment Seul le silence, c’est désormais chose faite à l’occasion d’un nouveau rendez-vous IG que nous nous sommes donnés et où chacun doit conseiller à l’autre un ouvrage qu’il a particulièrement aimé. Quelle claque que ce roman ! Avec ses plus de 600 pages qui s’avalent d’un coup, j’ai été complètement et durablement sous l’emprise de cette histoire d’une noirceur étouffante et de l’écriture sublime de l’auteur. Je ne vais pas m’en remettre !
Dans une localité rurale un peu paumée du sud-est des États-Unis, un serial killer sadique sévit. Les cadavres de petites filles abusées et découpées en morceaux se multiplient et un jour c’est le jeune narrateur Joseph (12 ans au début du roman) qui découvre une victime. Le traumatisme est forcément terrible et l’on suit son quotidien à lui, l’enfant sans histoire qui vit seul avec sa mère, son père étant mort précocement. Il est hanté par ses souvenirs, par cette menace insidieuse qui rode, il culpabilise même de par sa nature anxieuse. Heureusement il y a la professeur qui l’encourage dans les études, Joseph a un don, il sait écrire, il a la plume alerte et un style à la Steinbeck qui fait mouche.
Cependant, les ténèbres ne le quittent jamais vraiment, le malheur semble prendre un malin plaisir a frapper à sa porte de manière régulière, le sort s’acharne. Les meurtres perdurent, les esprits s’affolent et toutes les éclaircies qui pourraient embellir son existence semblent vouées à l’échec souvent dans des drames qui abattraient directement n’importe lequel d’entre nous. L’exil semble être alors la solution mais on ne peut jamais vraiment échapper à son passé. Il va en vivre des épreuves Joseph, rien ne lui sera épargné dans cette existence qui s’apparente clairement à un chemin de croix.
Ce roman est avant tout une plongée dans les abysses de l’esprit humain avec la complexité des sentiments et émotions qu’on éprouve dans une vie. On s’attache immédiatement à Joseph, un garçon marqué très jeune par le sort. Timide et en retrait, il forme avec sa mère un couple indissociable que la mort du père a définitivement soudé. Très sensible, à l’écoute des autres, Joseph est une véritable éponge et les événements tragiques que traversent la bourgade le touchent en plein cœur, le pétrissent et vont modeler l’adulte qu’il va devenir. Ces transformations psychiques sont très bien rendues via ses réflexions internes et ses interactions sociales entre amitiés, amours et rapports filiaux avec le shérif du crû et un vieil ami de la famille.
Tous les personnages principaux sont d’ailleurs logés à la même enseigne, tous sont remarquablement ciselés, détaillés et disséqués sans que l’on tombe jamais dans la lourdeur, le cliché ou la facilité. On va donc de surprise en surprise avec des rebondissements que l’on ne voit pas venir, des révélations qui font mouche et une trame générale qui ne fait que s’enrichir avec une ramification dense et complexe. Entre ombre et lumière, chacun fait avant tout ce qu’il peut et cela donne à l’ouvrage une dimension quasi universelle sur certains aspects d’une existence humaine : la famille, la notion de morale, de jugement, de quête du bonheur ou encore le sens de la vie avec la fameuse question qui revient souvent "Et si j’avais fait ou décidé ceci, qu’est ce que cela aurait changé à ma vie" ?
La reconstitution du microcosme rural est très bien conduite, on se balade avec Joseph entre école, ferme, centre ville, la station essence du secteur. On subit les bruits et rumeurs, on tremble quand la nuit tombe et que l’on sait qu’un assassin monstrueux rode. La sensation d’étouffement ne va que s’accentuant au fil des semaines, mois et années qu’Ellory déroulent avec une maestria narrative qui ne se dément jamais. Ellory plante idéalement le décor, nous fait nous sentir membre de la communauté (y compris quand l’action se déplace sur New York et Brooklyn). C’est enveloppant et diablement séduisant tout en accompagnant le tout d’un suspens insoutenable notamment sur l’identité du fameux tueur que personnellement je n’ai pas vu venir avant les quarante dernières pages.
À aucun moment le roman ne s’essouffle, à aucun moment la tension ne redescend, on est littéralement emporté par ce souffle mortifère qui accompagne Joseph. Seul le silence est ce genre de livre où rien n’est laissé au hasard, qui fournit un plaisir de lecture incroyable entre bonheur et souffrance tant on est pris par l’histoire et séduit par les protagonistes. Un grand coup de cœur pour ma part et un énorme merci à ma douce Nelfe qui décidément a bon goût. Elle m’a épousé tout de même !