"Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute" de Maurice G. Dantec
L'histoire:
« On n'avait pas des masses d'alternatives, Karen et moi, quand on a décidé de voler l'État qui essayait de nous voler nos vies. »
Dans Comme le Fantôme..., il est question du parcours d'un couple aux allures de Bonnie & Clyde lancé dans une série de braquages. Le narrateur et sa compagne, Karen, échappés d'un centre d'étude médical, sont tous deux atteints d'une maladie génétique dont les effets alternant états euphoriques et crises d'angoisse condamnent ses victimes à vivre dans un état maniaco-dépressif quasi-permanent.
Le virus présente toutefois ses avantages, car il entraîne une sorte de lucidité extrasensorielle permettant de percevoir le monde et ses vérités invisibles, et d'assimiler ce qui demeure caché au commun des mortels. Surprise : ce « neurovirus » va les faire entrer en contact avec les astronautes de la Station Mir, en pleine dérive et sur le point de flamber dans l'atmosphère, ainsi qu'avec le fantôme du jazzman Albert Ayler qui s'est donné pour but de les sauver...
La critique de Mr K
Dernière parution d'un de mes auteurs fétiches, je ne pouvais décemment pas faire l'impasse sur cette grosse sortie littéraire de ce début d'année. Bien qu'à succès, Dantec reste à part dans le paysage littéraire français. Autodidacte, auteur de déclarations sulfureuses dans les médias mais surtout avant tout un génie de l'écriture à mes yeux.
Ce nouveau roman (certaines mauvaises langues diront "nouvelle") est un road-movie mettant en scène un couple en cavale. Ses « héros » voient donc les vérités du monde que les autres ignorent grâce à un virus aux effets hallucinogènes, comparable à une drogue aux effets permanents. Mais ce jeune couple souffre de cette condition car un État répressif opposé à toute forme d'évasion par des psychotropes (même involontaire) les étudie en milieu clos à des fins militaires, et seule une fuite en avant leur permet d'échapper à un système oppressant qu'ils détestent. Paradoxalement, des éclairs de lucidité dus à leur maladie, cause inépuisable de déprime et d'extase, représentent un outil formidable pour la conception des plans complexes qu'ils élaborent en vue d'exploiter le système pour financer leur voyage vers un ailleurs plus paisible : leur malédiction est donc aussi une bénédiction.
Tout cela est fort intéressant mais cela ne suffit pas à raconter une histoire, me direz-vous. C'est ici que Dantec va faire évoluer son récit d'une manière surprenante en mêlant la Station Mir et le fameux jazzman du titre à son intrigue. On se demande bien pourquoi, tout en se réjouissant d'être étonné par cette histoire relativement classique pour un Dantec, sans trop en dévoiler, sachez simplement qu'il amalgame, comme à son habitude, technologie et spiritualité pour ficeler une intrigue parfaitement dans la continuité de son œuvre, où fuite en avant et abus de drogues dans un cadre cyberpunk mènent ses personnages vers une révélation mystique.
Comme le Fantôme... ne demeurera pas un Dantec majeur (difficile de faire aussi bien que Les racines du mal ou Babylon babies); pourtant, au final, on passe un bon moment, peut-être un peu frustré par une intrigue qui, en fin de compte, se résume au postulat de son titre, malgré son background scientifique et spirituel assez fouillé. Pas indispensable mais à lire, en attendant la prochaine œuvre d'un auteur qui, même en mode croisière, reste toujours intéressant à suivre.