"Sa majesté du carnage - Journal d'Ukraine" de Philippe Lobjois
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L’histoire : "La guerre est un voyage dans le temps, dans un monde où tout est possible, le plus grand courage comme la plus grande cruauté.
Sur ce territoire règne un monstre plurimillénaire qui surgit là où l'on ne l'attend pas. Un phénomène qui déchire le quotidien quand les hommes sont fatigués de vivre. Sa majesté du Carnage."
La critique de Mr K : Nouvelle claque avec cet ouvrage qui fait partie lui aussi de la rentrée littéraire 2025. Livre documentaire écrit par Philippe Lobjois, journaliste reporter qui a travaillé sur de nombreux conflits durant sa carrière (notamment au Liban et en ex-Yougoslavie), Sa Majesté du carnage est une immersion sans fard dans l’enfer de la guerre en Ukraine déclenchée par Poutine en février 2022. L’auteur couvre l’événement depuis le début pour le journal Ouest France notamment et, dans ce récit, il témoigne de ce qu’il a pu voir, entendre et constater sur les lieux. Nombre de détails sont intéressants et méconnus par rapport à ce que nous servent les médias. Bien que terrible par ce qu’il aborde, j’ai vraiment beaucoup aimé ce livre.
Il suit globalement un ordre chronologique même s’il n’est pas question ici de "raconter la guerre" dans tous ses détails, on a affaire ici à des focus, des gros plans sur certains aspects du conflit. Philippe Lobjois nous raconte ainsi sa rencontre avec les brigades de pompiers secouristes qui agissent sur le théâtre des opérations. Il va près du front rencontrer les soldats ukrainiens et même certaines unités spéciales avant qu’elles partent en action sur des territoires à haute tension (le passage sur le Donbass est terrible). La découverte des massacres perpétrés par les russes lors de la toute première offensive vers Kiev (on se souvient tous des corps dans la ville de banlieue de Buchka), Philippe Lobjois y était. Il nous raconte aussi la course contre la montre des combattants qui changent perpétuellement de position. Il est question de courage, de patriotisme mais aussi de la folie russe et de leur propension à sacrifier un nombre incroyable de soldats pour ne pas perdre la face. Les combattants ukrainiens n’en reviennent pas, cela relève parfois du tir aux pigeons, ils comparent même les troupes russes / de Wagner à des zombis tant les corps s’entassent. On a beau le savoir, de lire ces lignes, ça fait quelque chose et l’on se dit qu’en Russie, rien n’est prêt à changer tant la propagande et la force sont les deux outils majeurs du pouvoir.
On croise aussi une spécialiste du comportement animal qui intervient auprès des animaux abandonnés mais aussi finalement auprès des humains. Les traumatismes sont nombreux. On rentre dans des restaurants éventrés, on visite des appartement dévastés qui servent de position aux snipers, on surveille les allers et venus des drones, des missiles, on part en quête de nourriture, on compte ses munitions. On progresse à petit pas mais on recule aussi beaucoup, la menace russe, insidieuse, est là. C’est vraiment un combat de vie et de mort, l’ogre russe n’a qu’une envie : détruire la fierté Ukrainienne et sa culture (destructions systématiques des bibliothèques et services culturels des villes prises). Il faut "russifier", techniques de terreur et d’occupation récurrente depuis Staline (et même avant sous les tsars il me semble). C’est affreusement triste et écœurant surtout si comme moi, on apprécie la littérature russe et le patrimoine culturel de ce grand pays désormais aux mains d’un boucher. On croise bien d’autres éléments ou protagonistes dans cet ouvrage, je vous laisse le soin de les découvrir lors de votre propre lecture.
Philippe Lobjois nous parle donc de la guerre sous tous ses aspects. Militaire, économique, psychologique grâce à sa science journalistique, sa manière de se faire confier des choses, à rechercher la vérité quitte parfois à confronter ses prélèvements avec d’autres sources. Le processus est louable et fort instructif notamment quand on a affaire à de nombreuses personnes traumatisées. Il nous livre aussi quelques pages sublimes sur la nature de la guerre en elle-même, sa récurrence dans l’Histoire, ce monstre avide de sang et d’âmes qui ne semble jamais assouvir ses besoins. Au milieu de tout cela, restent les journalistes, pris systématiquement pour cible avec un égrenage de noms qui fait froid dans le dos, des partenaires (les fameux fixeurs) qui risquent leur vie et offrent des services vitaux pour exercer le métier de l’information. Le retour en Occident est rude parfois pour l’homme de terrain qui se retrouve confronté à la bêtise de ses contemporains, les rumeurs et fake news des réseaux sociaux, l’insouciance et l’indifférence face à ce danger bien réel à l’Est. L’auteur ne mâche pas ses mots, ça fait du bien.
Au départ, il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer au style d’écriture. On est clairement dans un travail de journaliste, on ne cherche pas vraiment le beau, le style est même heurté. Mais une fois une dizaine de pages tournées, on ne peut plus s’échapper, l’addiction est là. Le sujet passionnant et brûlant à la fois, on se laisse emporter sans aucun effort et l’on ressort de cette lecture profondément ébranlé mais aussi plus riche qu’en y entrant. Un témoignage unique, il ne peut vous laisser indifférent.