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Le Capharnaüm Éclairé
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6 juin 2025

"La Dissonance" de Shaun Hamill

 

L’histoire : Quand ils étaient adolescents, dans la petite ville de Clegg, au Texas, Athena, Erin et Peter ont appris à maîtriser la Dissonance, une magie qui exploite les émotions négatives – isolement, colère, mal-être, jalousie… Hal, leur ami, s’est quant à lui découvert capable de se projeter dans un lieu a priori inaccessible : le Temple de la Douleur. Puis un drame les a séparés et les trois survivants se sont dispersés à travers le pays. Sans doute pour oublier, passer à autre chose. Vingt ans plus tard, prisonniers de vies banales, les voilà invités à retourner à Clegg pour clore le chapitre le plus douloureux de leur existence. La Dissonance leur permettra-t-elle d’éviter une nouvelle tragédie ou, au contraire, accélérera-t-elle l’inévitable ?

 

La critique de Mr K : Superbe lecture que ce roman dense de plus de 600 pages addictif à souhait. Vous prenez le film Les Goonies, la série Stranger Things et la trilogie Ça de Stephen King, vous mélangez le tout avec le talent d’un bon écrivain et vous obtenez La Dissonance de Shaun Hamill, un petit bijou de roman initiatique et fantastique comme on en lit rarement.

 

L’ouvrage se déroule à différentes époques à Clegg, une petite ville lambda du Texas. Tout prend racine dans les années 90 autour de quatre jeunes amis qui vont se découvrir un lien avec La Dissonance, une magie très ancienne qui leur donne des pouvoirs extraordinaires. Seul l’un d’entre eux ne répond pas à cet appel mais possède un rôle mystérieux, il peut en effet rejoindre instantanément un étrange lieu connu sous le nom de temple de la douleur. A eux quatre, ils forment un coven dirigé et conseillé d’une main de fer mais bienveillante par le professeur Marsh, vieil érudit habitant une demeure ancienne qui devient le deuxième foyer des héros. Mais une sourde menace pèse sur eux et va bousculer leurs existences, les séparant de manière définitive ou presque… Des dizaines d’années plus tard, à l’occasion de la commémoration d’un anniversaire tragique, ils vont être confrontés à leur passé et devoir affronter leurs peurs les plus intimes.

 

Ce livre nous parle de manière remarquable de l’adolescence et l’aspect initiatique de cet âge où l’on se cherche et où l’on flirte avec les limites. Les premiers amours ou émois avec son lot de questionnements alambiqués, les hésitations et les fêlures qui sont le propre des relations humaines, la confusion entre amour et amitié, les premières impressions comme la chaleur d’un corps désiré, des esprits qui se mêlent ou s’opposent de manière franche… cela donne lieu à de belles pages de discussions entre rires, larmes, colères autour de thématiques fortes et forcément des passages marquants, aussi à l’occasion des flashback troublants sur notre propre expérience d’adolescent. Franchement top !

 

Chaque personnage porte son fardeau : Athéna est handicapée avec une jambe qui la fait constamment souffrir et elle souffre d’une blessure d’amour toujours pas cicatrisée ; Hal est devenu toxicomane et nourrit un sentiment de culpabilité dont il ne peut plus se défaire depuis le décès de sa mère (c’est lui qui n’a d'affinités avec la Dissonance) ; Erin a perdu l’amour de sa vie et n’a jamais réussi à s’en remettre ; le professeur Marsh est un paria dans la communauté de la Dissonance et défend des idées et des positions en marge… Les allers-retours constants entre les périodes soulignent tous ces points, les nourrissent et nous emportent dans une constellation de sentiments contradictoires ultra-réalistes malgré l’aspect fantastique du roman.

 

Au cœur du récit donc, on trouve la fameuse Dissonance, une magie antédiluvienne basée sur les éléments et un ésotérisme profond et qui, quand on la maîtrise, peut tout permettre ou presque. Il faut d’abord apprendre un langage, des signes particuliers avant de se lancer dans des rituels à double tranchant où la moindre erreur peut être fatale. Manipulation de l’espace, du temps, rencontre avec des êtres féeriques, des puissances occultes à l’œuvre et qui semblent manipuler les uns et les autres comme des pions sur des échiquiers, des espaces parallèles où se jouent le sort des personnages, des ponts construits avec la culture chrétienne avec notamment les notions d’Enfer et d’âmes… On est souvent transporté ailleurs dans tous les sens du terme avec au passage des images folles, inédites et l’impression d’entrer dans un univers à part, à la fois passionnant mais aussi flippant. Le background est donc très réussi, cohérent.

 

L’auteur en profite pour lancer quelques petits piques bienvenue au passage sur les États-Unis actuels à l’occasion notamment de discriminations faites aux minorités. Ainsi, les parents d’Athéna lui disent à de nombreuses reprises de se méfier des policiers lors des contrôles d’identité et de ne pas se rebeller même si certains propos ou méthodes employés sont injustes. La Police fait clairement peur et l’on retrouve ici une réalité partagée depuis trop longtemps (cf affaire George Floyd notamment). D’autres passages font référence à cette Amérique fracturée, repliée sur elle-même et très éloignée au final des idéaux des pères fondateurs. On se distrait beaucoup avec cet ouvrage mais on réfléchit et on nourrit aussi sa pensée.

 

Les différentes périodes s’entrelaçant entre les aventures des adolescents et leur retour sur place quand ils approchent de la cinquantaine donnent une trame riche et tortueuse mais jamais hermétique, tout s’enclenche et se complète parfaitement. Le rythme segmenté est très bien construit, maintenant un suspens constant et entretenant à la perfection les attentes et les espoirs du lecteur. Le ton passe allégrement du léger au dramatique, limite épique à l’occasion. C’est parfois thrash avec du gore bien saisi mais jamais gratuit, des pertes irréparables voire massives (attendez de lire ce qui se passe au lycée -sic-) mais aussi tendre et intimiste entre certains protagonistes où tout se joue parfois dans les non-dits, un regard, un ressenti.

 

L’ensemble dégage une puissance évocatrice peu commune magnifiée par une écriture accessible et exigeante à la fois. Ce fut un pur bonheur de lecture, un ouvrage à lire absolument pour tous les amateurs du genre et même les autres.

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