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Le Capharnaüm Éclairé
22 mai 2025

"Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov

 

L’histoire : Varlam Chalamov a passé dix-sept ans de sa vie (de 1937 à 1954) au Goulag, à la Kolyma, une presqu’île de l’est de la Sibérie. Dans les récits qu’il en rapporte, le texte est avant tout matière : il est corps, pain, sépulture. À l’inverse, la matière du camp, les objets, la nature, le corps des détenus, sont en eux-mêmes un texte, car le réel s’inscrit en eux.

Le camp aura servi à l’écrivain de laboratoire pour capter la langue des choses. Il est, dit Chalamov, une école négative de la vie. Aucun homme ne devrait voir ce qui s’y passe, ni même le savoir. Il s’agit en fait d’une connaissance essentielle, une connaissance de l’être, de l’état ultime de l’homme, mais acquise à un prix trop élevé. C’est un savoir que l’art, désormais, ne saurait éluder.

 

La critique de Mr K : Rendez-vous avec l’Histoire aujourd’hui avec ce témoignage réédité il y a peu dans la collection poche de chez Verdier. Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov est un document exceptionnel sur l’appareil répressif soviétique en pleine Guerre Froide : la Kolyma. Il ne s’agit pas de la version exhaustive mais plus des extraits compilés qui tiennent dans un peu plus de 150 pages. Effet garanti en tout cas avec un ouvrage qui prend aux tripes dont l’aspect immersif indéniable contribue à saisir au plus près une réalité malheureusement trop souvent oubliée et qui a toujours cours aujourd’hui dans la Russie de Poutine dans une indifférence presque totale (une pensée spéciale pour Alexei Navalny).

 

Lors de sa seconde arrestation, Chalamov est condamné à cinq ans de bagne. Il est envoyé en Kolyma, dans l’extrême-orient soviétique où le territoire regorge de richesses (métaux divers, or…) et dont il faut optimiser l’exploitation et quoi de mieux que des condamnés de droit commun ou opposants politiques pour travailler là-bas et au passage "casser" toutes velléités de contestation. C’est le domaine d’Édouard Pétrovitch Berzine, fidèle d’entre les fidèles de Staline, qui organise cette "ruée vers l’or" à la sauce soviétique et qui causera plusieurs centaines de milliers de mort. C’est le monde impitoyable du goulag, un monde froid, clos où nul espoir ne peut subsister. Chaque jour des listes de prisonniers à fusiller sont établies pour faire de la place et miraculeusement Chalamov s’en sortira.

 

Ce témoignage est véritablement saisissant. On a beau se douter de ce que l’on va y trouver, on ne peut que frémir face aux conditions d’existence (voire de non-existence) réservées à Chalamov et ses pairs. La faim omniprésente qui dévore les personnes de l’intérieur et les transforme en fauves, la fatigue chronique poussée à l’extrême et les taches harassantes dont on sait qu’elle peuvent (doivent) tuer les exécutants. Tout est fait pour nier l’humanité et l’identité des prisonniers. Comment résister dans ces conditions ? À quoi peut-on se raccrocher ? Un écrit, un souvenir, une saveur oubliée, une vague inclinaison humaine d’un gardien… Difficile voire impossible de garder son sang froid et toute sa tête dans cet univers fini et mortifère.

 

On côtoie donc au plus près la mort et la souffrance. La plume documentaire fait mouche à chaque texte, par petites touches parfois, de simples évocations ou alors des descriptions parfois difficilement soutenables. J’ai aimé l’écriture de Chalamov qui se distingue par son aspect poétique, très imagé, qui ne donne pas toutes les clefs de compréhension immédiatement. Cette lecture est exigeante, demande que l’on s’y consacre à 100% malgré sa noirceur et la désespérance profonde qui l’accompagne de bout en bout. On ressort éprouvé, rincé mais enrichi. Une grande lecture au service du Devoir de mémoire.

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Commentaires
A
Une lecture qui doit être éprouvante, en effet. Comme ce qu'ont vécu ces personnes.
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M
C'est absolument terrifiant mais ô combien nécessaire, surtout vu les actus actuelles...
M
Il est dans ma PAL, je vais l'y extraire et la lettre en avant ;)
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M
Tu fais bien, un ouvrage nécessaire plus que jamais
M
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F
Bonjour! Je l'ai dans ma pile à lire, celui-ci... mais dans sa version intégrale (1500 pages environ, un puissant objet tout jaune)! Il faudra que je prenne le temps... Bonne fin de semaine!
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M
La version intégrale est gigantesque en effet, sans doute que je complèterai la présente lecture par sa version complète.
E
Je ne connaissais pas ce roman, c'est une découverte. Merci, je vais me renseigner.
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M
C'est plus un témoignage qu'un roman, c'est ce qui fait aussi sa force.
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