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Le Capharnaüm Éclairé
17 avril 2025

"Rares ceux qui échappèrent à la guerre" de Frédéric Paulin

 

L’histoire : Beyrouth, 23 octobre 1983. Un attentat visant le poste Drakkar fait près de soixante victimes françaises, parmi lesquelles pourrait se trouver le fils du diplomate Philippe Kellermann. La France, directement visée, est désormais en guerre et le commandant Dixneuf se retrouve en première ligne.

Entre Beyrouth et Téhéran, après plusieurs nouvelles tentatives déjouées, Abdul Rasool al-Amine et les chefs du Hezbollah décident de changer de tactique, inaugurant une crise des otages qui occupera le paysage médiatique français pendant tout le reste des années 1980.

Mais alors que le pays n'en finit pas d'être endeuillé et que le monde politique se déchire quant à la conduite à tenir, les attentats signés Action directe se multiplient à Paris et en province.

 

La critique de Mr K : On peut dire que je l’attendais ce deuxième tome de la trilogie libanaise de Frédéric Paulin, initiée lors de la rentrée littéraire de septembre dernier par un excellent Nul ennemi comme un frère. On reprend l’histoire où on l’avait laissée lors du terrible attentat du Drakkar qui coûta la vie à de nombreuses personnes dont des soldats français. On retrouve tout le talent de l’auteur dans ce Rares ceux qui échappèrent à la guerre qui propose une immersion totale dans une époque trouble au cœur du Moyen-Orient mais aussi de la Mitterrandie récemment arrivée au pouvoir. C’est édifiant, effrayant mais aussi passionnant.

 

On retrouve donc avec un plaisir non feint les principaux protagonistes du tome précédent : Philippe Kellermann, conseiller d’ambassade qui désormais évolue au cœur du pouvoir ; Dixneuf, le barbouze qui enchaîne les théâtres des opérations mais se retrouve en délicatesse avec sa hiérarchie ; Michel, député franco-libanais du sud-est de la France qui grimpe les échelons du parti de Chirac ; Amine, qui inaugure avec son groupuscule intégriste la crise des otages qui va occuper le paysage médiatique français durant toutes les eighties. Je vous rappelle le principe narratif, ces personnages sont des inventions mais ils se mêlent parfaitement avec la réalité historique au cœur des événements qui émaillent un récit vif et tortueux comme les rapports de force et les changements de paradigmes de l’époque et des lieux. On couvre ici le début des années Mitterrand et croyez-moi, elles sont chargées au Liban et en France.

 

On navigue donc dans des sphères secrètes où la realpolitik règne en maître. Derrière les journaux d’informations, la vérité est parfois bien différente et des forces sous-jacentes travaillent. On s’immerge dans la politique étrangère de la France de l’époque par exemple avec les rapports complexes, pour ne pas dire compliqués, entre le Président, son ministre des affaires étrangères et les remontées qui leur sont faites par les agents sur place. Et il y a le positionnement de la France qui est scruté partout dans le monde, c’est encore une voix qui compte à l’époque. Alors, comme on dit, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs et certains dégâts collatéraux laissent le lecteur bouche bée.

 

On suit aussi la lente montée des extrêmes à commencer au Moyen-orient par le Hezbollah et sa stratégie des otages pour faire pression sur la France afin d'initier un début de dialogue avec l’Iran (la France fournit l’Irak de Saddam Hussein en armement dans le conflit irako-iranien). Folie galopante, intolérance religieuse et frustrations diverses sont au cœur des agissements d’individus en roue libre mais totalement organisés, en témoigne l’entrée en matière sanglante de l’ouvrage sur les événements du 23 octobre 1983. Dans tout cela, le Liban continue de souffrir, subit l’occupation israélienne au sud, ne compte plus les divisions entre territoires, populations et religions. C’est un véritable panier de crabes et l’on se demande comment l’ensemble de l’édifice tient en dehors du soutien de certaines grandes puissances qui au passage raflent la mise.

 

Les différents personnages évoluent beaucoup sur les quelques années qui nous sont données à lire. Leurs idéaux s’effritent, les tensions s’accumulent. La vie de famille est parfois touchée de plein fouet, on doit se réinventer malgré un contexte lourd et presque paranoïaque. J’ai trouvé la caractérisation de l’ensemble des protagonistes très bien gérée, à la fois précise, évocatrice et légère malgré des sujets graves et douloureux. On y croit, on s’immerge totalement dans l’époque et l’ensemble se mêle parfaitement avec les incursions d’événements historiques et d’échanges de personnages politiques de l’époque qui donnent à l’ensemble un aspect étude historique bluffant.

 

L’ensemble est remarquablement écrit mais ce n’est pas une surprise tant Frédéric Paulin maîtrise parfaitement l’écriture et la montée du suspens. Roman noir réaliste et sans concession, Rares ceux qui échappèrent à la guerre est la parfaite suite à Nul ennemi comme un frère , c’est jubilatoire, impressionnant et terriblement addictif. Il ne reste plus qu’à attendre août prochain pour avoir le fin mot de l’histoire avec la sortie programmée de l'ultime volume de la trilogie.

 

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- La Guerre est une ruse
- Prémices de la chute
- La Fabrique de la terreur
- La Nuit tombée sur nos âmes
- Nul ennemi comme un frère

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