"Les Groseilles de novembre (Chronique de quelques détraquements dans la contrée des kratts)" d’Andrus Kivirähk
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L’histoire : Lire Andrus Kivirähk, c'est à chaque fois se donner la certitude que l'on va entrer de la façon la plus naturelle dans un monde proprement extraordinaire. "L'Homme qui savait la langue des serpents" (Le Tripode, 2013 - Grand Prix de l'Imaginaire 2014) nous avait habitués à l'idée d'une époque où il était encore possible d'épouser des ours, d'avoir pour meilleur ami une vipère royale ou encore de voler dans les airs à l'aide d'ossements humains. "Les Groseilles de novembre" démontre un peu plus les talents de conteur de l'écrivain.
Nous voici cette fois-ci immergés dans la vie quotidienne d'un village où tout pourrait sembler normal et où, très vite, plus rien ne l'est. Les seigneurs sont dupés par leurs serfs, des démons maraudent, des vaches magiques paissent sur les rivages, les morts reviennent, le diable tient ses comptes, une sorcière prépare ses filtres dans la forêt et, quotidiennement, les jeux de l'amour et du désir tirent les ficelles. À la fois drôle et cruel, le texte relève autant de la farce que de la chronique fantastique.
La critique de Mr K : Quelle claque mes amis, quelle claque ! Cet ouvrage qui s’apparente clairement à un OLNI m’a fait un effet fou. Oscillant constamment entre fantastique, chronique sociale et brûlot irrévérencieux, on se laisse porter naturellement par les personnages interlopes et bien plus encore qui peuplent ces pages et je peux vous dire que c’est totalement débridé. Pour autant, n’imaginez pas un ouvrage ésotérique, difficile d’accès et réservé à l’élite du lectorat, on est ici dans une pure lecture plaisir, totalement jubilatoire et inoubliable.
Les Groseilles de novembre (Chronique de quelques détraquements dans la contrée des kratts) d’Andrus Kivirähk nous immerge dans une petite localité estonienne à une période non précisée. On y côtoie des personnages très disparates. Les humains pour commencer sont clairement divisés en deux, la lutte des classes est ici bien bien réelle. Il y a ceux du manoir, les puissants distants qui vivent dans une aisance parfois relative tant les gens du peuple ont pour activité favorite de les dépouiller par tous les moyens possibles. On croise donc le régisseur du manoir, le granger du village (espèce de médecin et homme sage), le tavernier, l’idiot du village (un de mes personnages préférés), des mendiants âgés retors, des jeunes filles colériques et sûres d’elles et même une sorcière que chacun va visiter dans sa maison dans la forêt pour se voir donner un remède ou une potion pour telle ou telle "occasion".
Tout ce petit monde vit dans un isolement et un dénuement presque total. Cela attise la jalousie et les envies, dans ces pages on pille sans vergogne, on ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Cambriolage, vol, bagarres, empoisonnements voire meurtres sont donc légions dans la région et y vivre n’est vraiment pas de tout repos. L’ensemble est totalement loufoque, délicieusement morbide et l’on ne peut qu’accrocher à ce récit picaresque totalement fou. Surtout que vient se rajouter dessus une touche de fantastique qui rehausse encore le tout.
On croise ainsi le Diable sur les routes de campagne, créature en quête d’âme que la plupart des habitants ont déjà joué en prétendant lui donner leur sang (il s’agirait en fait du jus des fruits qui donnent son titre à l’ouvrage !). Satan prend cher ici même s’il finit toujours par gagner d’une manière ou d’une autre. La Peste aussi est redoutable, changeant de forme, se révélant séductrice ou alors purement animale. Les démons et les morts se baladent la nuit et le jour, discutent avec les vivants, les conseillent et les précipitent parfois vers le côté obscur. Et puis, il y les Kratts, ces démons familiers fabriqués à partir d’objets du quotidien en échange d’une âme et qui obéissent à toutes vos desideratas… Cet aspect folklorique est bien rendu, jamais ridicule, l’ensemble est cohérent et envoûtant. On se prend au jeu et l’on passe par tous les états tant l’auteur s’amuse avec ses protagonistes et ses lecteurs. Ne vous attendez à rien car de toute manière vous serez surpris, désarçonné et finalement épaté.
Vous l’avez compris, cette lecture fut de ces bonheurs intenses que l’on rencontre rarement. Les pages se tournent toutes seules grâce à une écriture d’une beauté folle. Légère, poétique, descriptive mais aussi vive et cadencée, on prend un plaisir monstre à suivre ce récit qu’un Jérôme Bosch n’aurait pas renié. Une vraiment très chouette découverte pour un auteur à suivre assurément. Je vais me pencher très vite sur d’autres titres de la bibliographie de l’auteur.