"Sacré bleu" de Christopher Moore
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L’histoire : 1890. Vincent Van Gogh est assassiné à Auvers-sur-Oise par un mystérieux dealer de bleu, "l'Homme-aux-Couleurs". Toulouse-Lautrec mène l'enquête. Il enrôle son ami Lucien Lessard, peintre-boulanger de la butte Montmartre. Mais Lucien n'a qu'une obsession : brosser le portrait de Juliette, muse magnétique, qui vient de lui offrir un tube de bleu très rare...
Renoir, Pissarro, Toulouse-Lautrec, Monet, Manet, les frères Van Gogh, Gauguin sont victimes d'un piège qui n'est peut-être que celui de l'inspiration. Comment savoir ? Surtout lorsque la muse sort du cadre pour asséner de façon peu académique ses considérations sur l'art et la manière.
La critique de Mr K : Quelle claque mes amis, quelle claque ! Mais pouvait-il en être autrement avec Christopher Moore qui m’avait littéralement ébloui avec L’Agneau un de mes trois romans préférés tout styles confondus (à lire absolument !). Après la vie secrète de Jésus, le voila qui s’attaque à la naissance de l’art moderne, au cœur du XIXème siècle bouillonnant à Paris avec un ouvrage entre chronique sociale, érotisme et policier… le tout saupoudré d’une touche fantastique. L’ensemble est absolument stupéfiant et jubilatoire pour un plaisir de lire incroyable.
Vincent Van Gogh ne s’est pas suicidé. L’ouvrage s’ouvre sur les ultimes moments de sa vie, le peintre se faisant tirer dessus par un mystérieux petit être difforme, connu sous le surnom de "l’Homme aux couleurs". Ce dernier gravite depuis longtemps autour des artistes, leur vendant les couleurs dont ils ont besoin pour leur peinture dont un bleu ultra-marin unique, couleur la plus difficile à recréer à partir d’éléments naturels. La mort du peintre est un choc pour beaucoup.
L’auteur nous invite à Montmartre à suivre Lucien Lessard, un boulanger-peintre formé par les plus grands, son père étant féru d’art pictural sans avoir lui-même pratiqué. Il aide à la maison et pratique la peinture depuis peu grâce au retour providentiel de Juliette, sa muse qui l’avait quitté sans prétexte aucun. Le voila reparti dans une frénésie de peinture, en oubliant ses amis et même ses obligations, passant ses jours et ses nuits dans son atelier en compagnie de sa douce entre séances de pose, ivresse et stupre (sacré programme quand même !). La maman, certains artistes de Montmartre et Toulouse-Lautrec plus particulièrement s’en inquiètent. Il semblerait que quelque chose rode autour des artistes en vogue qui ont tendance à disparaître bien jeunes avec pour souvent comme cause la syphilis vu leurs mœurs dissolus… Mais il se pourrait bien que l’explication soit toute autre, que ces événements s’inscrivent dans un projet, un process bien plus grand…
Je reste volontairement très vague car l’intrigue le mérite amplement. Attendez-vous à être secoué tant ce roman est dense et passionnant à la fois. On est à la croisée du genre avec comme fil rouge, une intrigue clairement à suspens, policière, avec cette enquête menée tambour battant (et bouteille à la main) par un Toulouse Lautrec aussi truculent que perspicace. Ce qui s’apparente donc à des disparitions impromptues ou naturelles va donner lieu à des révélations surprenantes qui s‘entremêlent avec la vérité historique. C’est là que réside l’aspect jubilatoire dont je parlais en introduction, on s’amuse beaucoup à reconnaître des moments de vie réels et l’insertion des éléments imaginaires voire fantastiques que le facétieux Christopher Moore dispose ici ou là.
Peuplé de multiples personnages tous mieux croqués les uns que les autres, on profite au passage pour visiter le Paris des années 1890 dans un monde des arts en pleine effervescence, un esprit libertaire et anticonformiste plane et donne naissance à des mouvements artistiques qui vont changer la face du monde. La vie des pauvres gens, la misère et la crasse, les mondes interlopes, les bordels et cabarets mais aussi les beaux quartiers n’ont pas de secrets pour un auteur soucieux de réalisme. L’immersion est totale, plus vraie que nature et moi qui adore cette période, je dois avouer que j’ai été comblé par cette évocation tant dans les descriptions, les réalités historiques et artistiques mises en avant et la mise en mot des dialogues très souvent savoureuse.
L’auteur nous livre de très belles pages dans son écriture envoûtante et enveloppante à souhait. L’érotisme larvé est séduisant, le corps et les esprits se mêlent avec volupté et finesse, le fantastique surgit au détour d’un mot et d’une phrase bouleversant les croyances établies et élargissant les champs de la perception, le suspens ne se dément jamais, la tension monte jusqu’à un dernier acte parfaitement millimétré et dosé. Ce livre est un bijou de construction, de malice aussi, Moore se jouant des codes et proposant une lecture aussi addictive que novatrice. Un chef d’œuvre et je pèse mes mots !