"Le Dernier Combat de Loretta Thurwar" de Nana Kwame Adjei-Brenyah
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L’histoire : Ce roman imagine un monde où les condamnés purgent leur peine en participant à un programme de télé-réalité dans lequel ils se livrent une lutte à mort sous les yeux des spectateurs.
Si, au bout de trois ans, l'un d'eux est encore en vie, il est libéré. Star de l'émission, Loretta Thurwar est en passe de réaliser l'exploit. Mais elle doit d'abord déjouer les pièges les producteurs.
La critique de Mr K : C’est encore une très bonne lecture que je vais vous présenter aujourd’hui avec le retour en édition de l’auteur Nana Kwame Adjei-Brenyah qui m’avait marqué et dérouté avec son très bon recueil de nouvelles Friday Black paru en 2021. Il revient cette année avec une dystopie bien dérangeante, Le Dernier Combat de Loretta Thurwar, une œuvre incandescente et furieuse à sa manière, un ouvrage qui exagère à peine les évolutions récentes que l’on peut constater. Cette lecture fait vraiment froid dans le dos mais se révèle essentielle.
Dans un futur pas si éloigné, les condamnés à mort ou à perpétuité ont la possibilité de participer à un programme de télé-réalité au succès très important Chain-Gang All-Stars. Suivi par des millions de spectateurs et de streamers. Déchaînant les passions, il propose une version moderne des jeux du cirque en organisant des combats à mort entre les participants (le système carcéral a été depuis longtemps privatisé et il y a de l’argent, beaucoup d’argent à la clef). Si l’un d’entre eux survit au bout de trois ans d’épreuves, il est gracié. La Loretta qui donne son nom à l’ouvrage enchaîne les victoires et se rapproche de cet objectif ultime, plus que quelques combats et le Graal est à portée de main. Mais c’est sans compter les manœuvres de la production qui va tout faire pour la piéger et au passage accroître ses bénéfices.
L’ouvrage est immédiatement prenant, dès le premier chapitre, l’auteur y imprime une tension qui ne baissera jamais d’intensité jusqu’à la dernière page. La caractérisation des personnage est basique, elle sera complétée au fil des chapitres et des événements. Très vite on plonge dans le bruit et la fureur avec des scènes de combat aussi violentes que symboliques. On apprend à connaître l’héroïne, une taiseuse impitoyable qui cache son jeu et n’est pas dupe de tout ce qui se joue autour d’elle et même au-delà. On rencontre aussi les membres de sa chaîne, genre d’équipe sponsorisée par telle ou telle société carcérale où chacun combat pour sa pomme mais jamais les uns contre les autres. Il règne une drôle d’ambiance entre eux et malgré l’appartenance à la même "écurie" des tensions sont palpables mais aussi des arrangements, de belles amitiés voire de l’amour.
On croise aussi d’autres personnes sur certains chapitres notamment des hauts responsables qui tirent les ficelles de ce jeu de massacre à grande échelle, concluent des accords commerciaux, pipent parfois les dés et surtout amassent des fortunes en toute impunité. Glaçants aussi les passages où l’on suit des spectateurs avides de spectacle sanguinaire mais aussi de retournements de situation, de nouvelles croustillantes sur la vie intime des condamnés. L’apathie semble généralisée, on se réjouit, s’excite devant le spectacle offert, les frontières morales entre le Bien et le Mal semblent définitivement brouillées. On ne peut que penser à certains jeunes (et moins jeunes d’ailleurs) de 2025 qui streament des heures durant parfois devant des contenus à la limite du licite et surtout de l’humanité. On prend clairement ici claque sur claque.
Le récit avançant, notre estomac se noue, l’inquiétude nous fige dans un rapport entre addiction et dégoût, l’expérience proposée est extrêmement éprouvante. Au delà, d’un récit dystopique très bien troussé, cet ouvrage est avant tout à mes yeux une critique sans fard du capitalisme ultra-libéral en vogue, des pratiques honteuses de certaines industries du divertissement, de la privatisation du judiciaire (des effets effroyables se déroulent déjà dans certains établissements privés américains). L’auteur aborde aussi le traitement réservé aux Noirs notamment en terme de justice, la place des femmes et les injustices qui en découlent, la bêtise humaine en général et notre espèce qui se laisse manipuler et recherche avant tout son plaisir personnel tout en fermant les yeux sur les horreurs qui l’entourent. Ce roman a vraiment une saveur particulière et il fait clairement écho aux développement récents du monde avec le retour de l’Agent Orange à la tête des États-Unis, des démocraties qui lorgnent de plus en plus vers l’autoritarisme ou encore un génocide en direct dont on tait le nom pour ne pas froisser de puissants alliés. L’écœurement n’est pas loin.
Le style est direct, franc et satirique. L'ouvrage se lit vraiment tout seul malgré un sujet rude et des passages effroyables. On passe malgré tout un excellent moment, on touche certaines vérités du doigt et ça fait du bien. Un excellent ouvrage à découvrir absolument, un vrai éclair de lucidité pour un constat sans concession. Top !