"Bohème" de Mathieu Gaborit

L’histoire : Après la révolution industrielle, l'Europe a été submergée par une substance étrange et dangereuse, l'écryme. Reliées par un fragile réseau de traverses d'acier, seules quelques cités gouvernées par l'aristocratie capitaliste émergent dans cette mer corrosive. Mais sous le joug de la Propagande, la révolte gronde...

Quand un dirigeable porteur d'une précieuse cargaison clandestine s'échoue dans l'écryme, c'est Louise Kechelev, avocate-duelliste et fille de révolutionnaires praguois, qui est chargée de récupérer la cargaison. Dans la même zone, un régiment de hussards en mission de reconnaissance a été décimé par une mystérieuse crise de folie. Seul survivant, le commandant Léon Radurin doit fuir les foudres de la Propagande.

Pour Louise et Léon, c'est le début d'un voyage sans retour aux confins des traverses, où se murmure le nom d'une cité perdue : Bohème.

La critique de Mr K : Lecture steampunk aujourd’hui avec cet ouvrage de Mathieu Gaborit lu en un temps record et avec un plaisir non feint. À la fois fun et frontal, il possède une réelle profondeur dans les thématiques qu’il peut aborder et le dernier acte, bien mystique, a fini d’emporter mon adhésion. Un vrai petit bijou dans son genre.

L’ouvrage nous transporte donc dans une Europe post révolution industrielle où une étrange substance s’est répandue un peu partout. L’Écryme possède bien des mystères, charrie nombre de légendes, ceux qui s’y aventurent sans protection ne reviennent jamais. Les sociétés humaines se sont donc emmurées dans des cités reliées entre elles par des traverses d’acier, un ordre autoritaire règne sur tous et une société de classe broie les plus faibles et les plus fragiles.

Une révolte larvée commence cependant à se faire entendre. Contre les éléments de langage et la propagande déversée au quotidien, la petite musique marxisante commence à se faire entendre chez le petit peuple, ulcéré par l’oppression dont ils sont victimes. Parmi les membres éminents de cette rébellion en devenir, il y a notamment les parents imprimeurs de Louise, une avocat-duelliste (un métier pour le moins dangereux si vous devinez sa nature par le mot-valise qui le désigne) qui se retrouve embarquée bien malgré elle dans une mission qui va remettre en question ses croyances. En effet, elle doit se rendre dans la zone du dehors pour récupérer une marchandise contenue dans un dirigeable qui s’est écrasé. Il ne faudrait pas que les autorités mettent la main dessus !

Dans certains chapitres, on fait connaissance avec Léon un hussard du régime en place en cavale car il a vu quelque chose dont il n’aurait pas du prendre connaissance. Il est seul rescapé de son unité qui semble avoir subi une crise de folie collective dont personne n’est sorti sauf lui. Le lien se fait peu à peu avec l’Écryme mais le savoir est parfois condamnable surtout quand il ne va pas dans le sens de l‘idéologie dominante… Ces deux personnages vont bien finir par se croiser et l’ouvrage va prendre une direction complètement différente qui peut surprendre et divise clairement le récit en deux.

La première partie s’apparente à un récit initiatique avec deux personnages que le destin n’épargne pas et forge par la force des choses. D’ailleurs c’est très bien fait, fin dans l’évolution psychologique et très distrayant de par l’aspect vif du rythme et un auteur qui ne se prend pas au sérieux avec un second degré de bon aloi notamment dans certains situations parfois critiques pour les protagonistes. La deuxième partie s’élève vers les sphères politiques et mystiques. Il y a la Révolution, le combat contre le tsar et la volonté de rupture d’une partie de la population et en parallèle l’évocation de Bohème (Une cité ? Un être divin ? Une idée ?) qui rebattrait les cartes de manière encore plus radicale que la Révolution en marche, renvoyant dos à dos les deux camps antagonistes et plus généralement la connerie humaine. Cet aspect m’a beaucoup plu, l’auteur proposant un voyage sans concession dans ce monde chaotique dont doit cependant surgir un espoir même s’il peut apparaître comme fallacieux.

On se fait donc bien balader dans cette histoire au rythme endiablé, peuplé d’êtres charismatiques (pour ne pas dire iconiques, il paraît que c’est à la mode) et proposant une immersion d’une grande force dans un monde imaginaire des plus inquiétants. Je l’ai lu d’une traite et sans gène aucune, la langue est maîtrisée et séduisante, le plaisir de lire absolu. Une très belle lecture que je vous invite à effectuer à votre tour si le pitch de départ vous branche, vous ne serez pas déçus.