"Mascarade" de Robert Coover

L’histoire : Un penthouse tout en haut d'un gratte-ciel de Manhattan. S’y tiennent d’étranges festivités mais à quoi, ou à qui, tous ces convives piochés au hasard d’une Amérique aussi arrogante que ridicule, livrée à ses caprices et désirs les plus débridés, à ses lubies de grandeur et de pouvoir, de luxe et de stupre, doivent-ils l’honneur d’avoir été invités ?

La critique de Mr K : Sacrée lecture que celle de Mascarade de Robert Coover, un auteur que je découvrais pour l’occasion et dont il s’agit de l’ultime œuvre, parue peu après sa mort en version française en ce début d’année 2025. Livre somme, livre métaphore, on y entre sur la pointe des pieds et il faut accepter de se laisser cueillir et guider au milieu d’une fête qui bat son plein. Dans le genre interlope c’est brillant et jubilatoire à la fois.

Difficile de résumer une telle œuvre, à commencer par son choix osé de narration. On ne suit pas un protagoniste en particulier mais quasiment la totalité des convives déjantés de cette mystérieuse fête qui se tient dans un appartement au sommet d’un gratte-ciel. Du traiteur et ses employés aux participants, on passe de l’un à l’autre sans transition, rien ne signale ces bonds narratifs en terme de chapitrage, de changement de page. C’est assez désarçonnant au début quitte d’ailleurs à relire certaines pages pour mieux saisir le process.

Mais une fois le pli pris (au bout d’une trentaine de pages c’est bon), c’est l’éclate ! L’auteur se lâche vraiment et derrière ces figures et corps qui s’animent, c’est l’Amérique et le système mondial global qui sont disséqués, caricaturés, remis en cause et exposés sans fard. C’est donc à la fois très fun, totalement en roue libre mais aussi glacial par moments. La bêtise humaine y est exposée comme jamais ainsi que notre propension à l’individualisme et donc à l’apathie face aux désordres et à la cruauté du monde. En un appartement, un événement festif, Robert Coover balaie nombre de thématiques et réalités de notre époque décidément bien sombre.

Qui est le propriétaire de ce loft où ont été invités des gens de tout horizon ? Pourquoi d’ailleurs ne peut-on réellement s’en échapper ? Quid de cette nonne étrange qui semble totalement hors sujet dans ce lieu de débauche ? Tout se mêle sans réels liens de cause à effet et on se laisse emporter par le flot littéraire littéralement habité d’un auteur inspiré et inspirant. On ne comprend pas tout durant les deux tiers du roman puis une étincelle, un rai de lumière et une révélation finale met tout le monde d’accord et je peux vous dire qu’on est calmé !

Alors oui, c’est sûr, Mascarade se mérite, ce roman ne plaira pas à tout le monde mais franchement l’aventure vaut le détour. La langue est éblouissante dans son genre, le climax assez unique et les tenants et aboutissants de l’ensemble vertigineux. Une lecture à part et mémorable.