"T'as vrillé" de Joanne Richoux

L’histoire : Danaël, dix-sept ans, cheveux longs, peau ravagée, jean large, pompes défoncées, se morfond dans sa cambrousse brumeuse, où c’est l’hiver dix mois sur douze et où les silos à grains ont des airs de fusées. Sa rencontre avec Florine, gothique, insaisissable, le bouleverse. D’abord vue de loin et puis un rapprochement décisif le jour d’une colle. Échange d’écouteurs. Une chanson de Nirvana. Connexion. Illumination. C’est l’histoire d’un aveuglement et d’une désillusion. Danaël se fait des films dans sa tête et vrille quand il comprend que ses sentiments sont à sens unique. Il est prêt à tout pour posséder Florine.

La critique de Mr K : Tout petit livre mais énorme claque que ma nouvelle incursion dans la collection "d’une seule voix" de chez Actes Sud. T’as vrillé de Joanne Richoux, c’est l’histoire d’une première fois, d’un amour qui se révèle être à sens unique et qui va déboucher sur un dénouement pour le moins tragique. Lu d’une seul traite, on peut dire que cette lecture laisse des traces.

L’action se déroule dans un trou paumé de France où il fait froid quasiment toute l’année et où l’on bad quand on est ado tant il n’y a rien à faire. Quand Danaël rencontre Florine, une gothique fort séduisante, il s’envole intérieurement. Enfin, il se passe quelque chose ! Il est direct in love, ils commencent à se fréquenter et bientôt arrive la première expérience sexuelle pour chacun d’entre eux. Pour le jeune homme, c’est l’amour, le vrai…

Malheureusement pour lui, cet amour n’est pas partagé. Pour Florine, c’était une histoire sympa mais pas mémorable. Elle veut passer à autre chose. C’est le choc pour Danaël qui ne comprend pas et n’accepte pas cet état de fait. Complètement obnubilé par elle, il va dépasser les bornes et plonger dans la folie jusqu’à commettre un acte irréparable.

Comme d’habitude dans cette collection, l’auteure nous met dans la peau du personnage qui se parle en un long monologue. Rien ne nous échappe donc des pensées intimes de Danaël qui sous bien des rapports est un garçon lambda. Quand l’histoire avec Florine s’amorce, on le sent sensible et transporté. Mais très vite, cet aspect de sa personnalité devient inquiétant, malaisant. Il y a beaucoup de violence dans l’expression de son désir, l’amour est avant tout ici possessif et Florine, être libertaire par essence, va subir les foudres de son ex amoureux qui a perdu définitivement les pédales.

Ce roman interroge bien et intelligemment le rapport à l’autre dans la relation amoureuse chez les ados. Dans un monde ultra-connecté où les crushs se font à distance, où l’on parle, fantasme beaucoup, il est difficile de gérer une relation IRL (In Real Life) et ce titre explore bien les difficultés de certains garçons à considérer leur ami(e) comme une personne et non comme un objet, quelque chose qu’on a acquis et que l’on ne perdra jamais.

Il est donc question de rapport de force, de confrontation directe mais aussi et surtout de la lente déliquescence d’un esprit malade de jalousie et de désir possessif. C’est assez frontal et déstabilisant mais d’une force et d'une clarté rare. La langue est une pure merveille, ciselée, évocatrice et thrash à la fois. Les pages se tournent toutes seules et l’on finit cette histoire sur les genoux face à un dénouement qui noue l’estomac. Une très très bonne expérience donc, quoique éprouvante.