"Le Passeur" de Stéphanie Coste
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L’histoire : À trente ans, Seyoum est devenu l’un des plus gros passeurs de la côte libyenne. Chaque jour, il remplit des embarcations de plus en plus précaires de désespérés qui veulent rejoindre l’Italie. Mais Seyoum, pris en étau entre les gardes-côtes corrompus et la concurrence féroce d’autres passeurs tout aussi cruels que lui, sait que ses jours sont comptés. C’est alors que, parmi les derniers candidats à la traversée, il croit apercevoir Mahida.
Dix ans plus tôt, Seyoum était encore capable d’aimer. Comment a-t-il perdu toute humanité ? Est-il encore temps de sauver quelque chose ?
La critique de Mr K : Lecture choc à nouveau aujourd’hui avec ce titre qui m’a été mis entre les mains par ma super collègue professeure-documentaliste qui m’a exhorté à le lire. Selon elle, c’est un des meilleurs ouvrages traitant du phénomène des migrants avec Eldorado de Gaudé que j’avais adoré. Il ne m’a pas fallu longtemps pour me plonger dedans et le dévorer. Effectivement cet ouvrage est absolument génial bien que rude dans son propos.
Tous les livres que j’ai pu lire sur le sujet abordaient jusque là l’histoire via les candidats à l’exil et leurs difficultés pour pouvoir s’enfuir et arriver en vie en Europe. Dans Le Passeur, Stéphanie Coste change de point de vue et adopte celui d’un passeur absolument abominable qui ne recule devant rien pour faire son business. Seyoum, d’origine Érythréenne, est polytoxicomane (il boit et mâche du khat) et gère un des réseaux de passeurs les plus importants de la côte libyenne. Son but : le fric, le fric, le fric… Plus rien ne semble avoir d’importance à part encaisser l’argent, gérer les chargements et traversées, et se défoncer une fois la nuit venue. Cruel, dur, le cœur vide, immoral et s’enrichissant sur la misère et l’espoir, ce personnage est vraiment repoussoir.
Le récit suit l’arrivée d’un nouveau contingent de candidats au départ que l’on entrepose en plein cagnard en attendant l’embarquement. Ils ont survécu au Sahara, aux marchands d’esclaves, ils ont bravé les autorités, il ne leur reste plus que la Méditerranée à franchir. Parmi eux, Seyoum reconnaît une personne qui a beaucoup compté dans son passé. Mahida était la femme qu’il aimait et qui devait partir avec lui loin de la guerre qui sévit régulièrement entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Les flash-back qui s’intercalent entre les phases du récit principal permettent de lever le voile sur Seyoum et explique son parcours sans pour autant l’excuser. C’est assez confondant et bien qu’attendu, le procédé est ultra-efficace et bouleversant.
L’ouvrage propose vraiment une immersion total dans ce monde si proche et si lointain à la fois. Cela fait froid dans le dos, l’auteure s’y entend pour décrire les choses de manière réaliste sans pour autant tomber dans la surenchère. C’est cela qui rend la lecture encore plus émouvante, on est dans le quotidien de ces négriers des temps modernes, on les côtoie au plus prêt et l’on comprend à qu'ils obéissent à des pulsions individualistes et immorales au détriment du respect de l’être humain. Il y a donc beaucoup de malheur en ces pages à commencer par les migrants que l’on traite comme des esclaves et à qui l’on promet monts et merveilles tout en sachant qu’une majorité nourrira les poissons à cause des embarcations de plus en plus fragiles sur lesquelles on les fait embarquer pour un prix toujours en inflation. Moins courant mais tout aussi passionnant, le personnage de Seyoum bien que terrible, donne à voir des réalités connexes, des données qui complètent un tableau déjà bien sombre.
Les courts chapitres et la langue profonde et accessible à la fois proposent une lecture aisée et captivante. Plus on avance, plus l’estomac se noue mais la réflexion est belle et cet écrit me semble tout à fait essentiel pour pouvoir appréhender au mieux un des plus grands scandales de notre siècle, la transformation de la Méditerranée en cimetière. C’est beau, mélancolique, sans espoir, assez unique en son genre. À lire absolument.