"La cité aux murs incertains" d'Haruki Murakami
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L’histoire : Tu dis : "La Cité est entourée de hauts murs et il est très difficile d'y pénétrer. Mais encore plus difficile d'en sortir.
- Comment pourrais-je y entrer, alors ?
- Il suffit que tu le désires."
La jeune fille a parlé de la Cité à son amoureux. Elle lui a dit qu'il ne pourrait s'y rendre que s'il voulait connaître son vrai moi. Et puis la jeune fille a disparu.
Alors l'amoureux est parti à sa recherche dans la Cité. Comme tous les habitants, il a perdu son ombre. Il est devenu liseur de rêves dans une bibliothèque.
Il n'a pas trouvé la jeune fille. Mais il n'a jamais cessé de la chercher...
La critique de Mr K : Ce mois de janvier 2025 sonne le retour d’Haruki Murakami avec son dernier né La Cité aux murs incertains. Vous savez comme je porte dans mon cœur une affection toute particulière pour cet écrivain qui m’émeut toujours à chaque lecture, me procure une rêverie et un plaisir de lire sans borne. Ce titre ne fait pas exception, il se classe même dans mon trio de tête de ses plus beaux ouvrages. Vous l’avez compris cette lecture fut exceptionnelle.
L’ouvrage est divisé en trois parties et l’on comprend bien vite qu’elles correspondent à des étapes d’un parcours initiatique, le parcours d’une vie. Tout débute par une rencontre entre deux êtres anonymes comme d’ailleurs tous les protagonistes du récit. Le héros narrateur est un jeune homme évaporé, introverti qui mène une vie banale, sans relief mais cela semble lui suffire. Il rencontre un jour une jeune fille et c’est le coup de foudre. Ils se sont littéralement rencontrés, reconnus, séduits l’un l’autre. Débute une idylle magique et platonique, entre promenades, contemplation, échanges épistolaires et discussions autour d’une mystérieuse citée cernée de murs. Mais un jour, l’aimée disparaît laissant le narrateur-héros l’esprit rempli de questions. Débute alors pour lui l’attente.
Sans trop en dire sur la suite, sachez qu’il va finir par se retrouver dans cette fameuse cité, un endroit étrange peuplé d’êtres effacés et de créatures mythiques, avant d'en partir mené par son ombre. Qu’il va ensuite partir loin de Tokyo pour trouver un nouveau sens à sa vie au milieu des livres, rencontrer des personnes qui vont le guider dans sa quête dont une tenancière de bar taiseuse et magnétique ainsi qu’un jeune garçon inadapté, solitaire et amateur de lecture. Dans un rythme lent, un délayage prononcé et une science de la narration elliptique dont il a le secret, Murakami nous livre une réflexion intense et doucereuse à la fois sur le sens de la vie. Brillant.
On retrouve le goût de l’auteur pour les personnages qui affichent un détachement très nippon, baignant dans une ambiance de réalisme magique. On tâtonne lors de cette lecture, il faut se laisser guider par les images qui s‘enchaînent et les dialogues souvent savoureux qui nous sont livrés. Il y a un symbolisme de tous les instants et chaque promenade ou déambulation impromptue, chaque repas préparé avec soin (yum yum, cette sauce à la palourde), chaque tâche ménagère du quotidien revêt presque de l'existentiel. C’est totalement fou quand on y pense cette propension et capacité de l’auteur à éclairer le sens de l’existence via la banalité. Le lecteur est happé dans cet univers si familier et si étrange à la fois, l’anonymat évoqué précédemment donne d’ailleurs un caractère universel à un ouvrage dense, riche et jubilatoire à sa manière.
Il est donc question de nombreux aspects de notre existence avec une grande part consacrée à l’amour, la rencontre, la séparation et la révélation à l’autre avec des scènes de rencontres et d’échanges d’une profondeur et d'une sensibilité à fleur de mot. Plus d’une fois, j’ai été ému, touché par ces êtres qui se cherchent, se trouvent ou se croisent, se heurtent aussi parfois à cause d’un fatum ou d’un événement qui change la donne. La solitude est donc forcément elle aussi explorée, abordée de manière différente selon les protagonistes entre lâcher-prise, autodiscipline pour ne pas sombrer et petites victoires du quotidien qui font progresser le personnage. Mais c'est aussi parfois les prisons mentales qu’on édifie pour fuir une réalité qu’on ne veut pas affronter. L’ouvrage parle également de la Mort et du deuil dans des pages d’une infinie sagesse où la résilience prend différentes formes. Étonnant aussi le fait que les vivants et les morts peuvent communiquer, parler et progresser de concert !
Et puis enfin, il y a la lecture au cœur du récit avec une bibliothèque de province perdue au milieu de nulle part avec sa pièce carrée mystérieuse, ses lecteurs compulsifs et les plaisirs inouïs éprouvés lors de la rencontre avec des mots, des récits, un auteur. Récit gigogne, La cité aux murs incertains est une ode à l’acte de lire au sens noble, un acte formateur, émancipateur, enrichissant et jouissif. Hymne à la richesse intérieur, à l’empathie et à la contemplation, la douce mélancolie qui se dégage de ce livre possède un parfum, une saveur à nulle autre pareille portée par l’écriture majestueuse et poétique d’un auteur au sommet de sa forme. Il est plus que temps que le Prix Nobel de littérature lui soit remis, il apporte tellement à son public, il le mérite.
Un ouvrage magistral et unique, à lire absolument.
Également lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- "1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
- "1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
- "1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
- "Kafka sur le rivage"
- "La Ballade de l'impossible"
- "Sommeil"
- "La Course au mouton sauvage"
- "L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
- "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
- "Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"
- "Danse, danse, danse"
- "Saules aveugles, femme endormie"
- "Abandonner un chat"
- "T"