"Alim le tanneur" Intégrale de Lupano, Augustin et Penloup

L’histoire : Dans l'empire de Jésameth, être un hors-caste, c'est n'être pas tout à fait un homme. Alim est de ceux-là.

Tanneur de profession, il a la charge de recycler les corps sans vie des sirènes tueuses qui viennent s'échouer sur les plages de la cité impériale. Mais le destin redistribue parfois les rôles.

Un soir pas comme les autres, l'océan vient confier au plus humble des hommes le plus grand des secrets.

La critique de Mr K : Très bonne pioche que cette tétralogie dégotée lors du désherbage d’une médiathèque du secteur. Série BD oscillant entre aventure, récit initiatique et réflexion à peine voilée sur les vicissitudes des sociétés humaines, Alim le Tanneur de Lupano, Augustin et Penloup se lit avec un plaisir rare et prolongé.

Jésameth, un empire théocratique où le clergé gouverne sans partage et avec autorité sur une société divisée en castes. Alim fait partie des privilégiés, il est un intouchable et comme ses pairs, il est corvéable à loisir. Tanneur de profession, son rôle consiste notamment à récupérer sur la grève les cadavres de sirènes dont il se servira pour fabriquer des tissus et les revendre ensuite à de riches privilégiés. Père célibataire d’une petite fille vive et éveillé (Bul), vivant en compagnie de son beau père excentrique, la vie reste douce malgré l’injustice et les rites sanguinaires qui ponctuent les victoires de l’Empire sur les royaumes païens environnants.

Tout bascule lorsque les autorités s’en prenne à Bul dont le seul crime est d’expérimenter et de rêver. Enfermés en vue d’être exécutés pour l’exemple, le père, la fille et le beau père vont s’enfuir et s’éloigner au maximum d’une société qui ne les accepte plus. Le voyage va être long, la menace sourde et insidieuse va les poursuivre et le temps va passer de tome en tome…

J’ai tout de suite été embarqué par l’histoire grâce tout d’abord au charisme des personnages. Cette tétralogie allie à la fois humour et rudesse, on balance constamment entre les deux (surtout dans le tome 1) et les héros sont forts sympathiques. On ne peut que prendre fait et cause pour Alif, veuf courage, qui fait tout pour garantir un bel avenir à sa fille qui se révèle être un sacré numéro. Le beau père complète le trio, ces trois là s’entendent à merveille malgré des récriminations et de bonnes prises de bec par moment.

Les détenteurs du pouvoir sont quant à eux machiavéliques mais non dénués de finesse. Ordre monacal, chef de guerre sanguinaire et politiciens véreux donnent le ton d’un monde pourri jusqu’à la moelle où la manipulation du peuple est au centre de tout et où les tractations vont bon train pour conserver ou prendre le pouvoir. Cela tranche avec l’aspect parfois enfantin des passages avec Alif, dans les tours d’ivoire on ne recule devant aucune trahison, crime ou massacre pour étendre son emprise.

L’action se déplace au fil des tomes, on voit du pays, on rencontre de nouvelles peuplades. Alif et sa petite famille cherchent la paix et à plusieurs reprises pensent l’avoir trouvé. Mais ils sont toujours rattrapés d’une manière et d’une autre par l'ordre de Jésameth. Le tome 3 en ça est une rupture avec une séparation lourde et une nouvelle quête pour Alif que le sort n’épargne pas. Les auteurs mènent vraiment la vie dure à leurs lecteurs, on passe par toutes les émotions. Ce qui s’apparente au départ à une série BD de plus, se détache du lot par sa finesse psychologique, sa portée critique sur les intégristes de tout bord et son jusqu’au boutisme bien pensé.

De surcroît, cette bande dessinée est très belle, les planches claquent les yeux, le rythme haletant maintient constamment l’intérêt et l’on referme le dernier tome avec l’impression d’avoir lu une véritable œuvre d’art. Engagée, distrayante et esthétiquement parfaite, cette tétralogie est à découvrir assurément.