"Prière pour disparaître" de Socorro Acioli
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L’histoire : "On m’a présentée comme Aparecida. Florice a expliqué qu’ils m’avaient déterrée à Almofala et j’ai paniqué, j’ai fait tomber un verre qui s’est brisé dans l’évier. Fernando a précisé que nous pouvions parler sans crainte des Ressuscités tant que nous étions entre nous, la famille et moi. Jorge est de la famille. Et il a dit que ça ne valait pas la peine de souffrir pour ce mystère immense, cette résurrection dans un autre pays, il n’y avait pas grand-chose à ressasser, c’était comme ça."
Non loin du petit village d’Almofala au Portugal, une femme sort de terre. Un couple, qui semblait l’attendre depuis longtemps, recueille la pauvresse. Couverte de blessures, semblant avoir affronté la mort, uniquement vêtue d’un collier de coquillages, sans aucune mémoire de son passé.
Au fil de son enquête à la recherche de son identité, elle apprend qu’elle fait partie des Ressuscités, des personnes qui apparaissent à différents endroits de la planète. On fait alors appel à Félix Ventura, Vendeur de Passés pour personnes en quête d'une nouvelle vie. Felix essaie d’en savoir le plus possible sur Aparecida, et bien vite, dans les rêves de cette dernière, se manifestent le Brésil, un homme mystérieux, une église ensevelie, des hippocampes et des chamanes…
La critique de Mr K : Les éditions Tropismes nous offrent à nouveau une pure merveille avec cet ouvrage brésilien sorti récemment et qui m’a littéralement envoûté. Sublime roman sur la quête de soi et l'amour qui nous porte tous dans l'existence, Prière pour disparaître de Socorro Acioli fait partie des merveilleuses lectures de mon année se situant à la croisée des genres entre fable, fantastique et récit initiatique. Quel talent !
Dans un petit village du Portugal, une jeune femme renaît à la vie. Sortant littéralement de terre, nue et chauve, portant seulement un collier de coquillages et s’exprimant avec un fort accent brésilien, elle est recueillie par un vieux couple qui semblait l’attendre. Amnésique et déboussolée, elle doit réapprendre à vivre et on lui explique assez vite qu’elle fait partie des Ressuscités, des êtres humains qui réapparaissent aléatoirement dans les quatre coins du globe et à qui il semble qu’on ait donné une seconde chance. La révélation a de quoi renverser les esprits les plus forts mais l’inconnue (Aparecida) se laisse aider et commence une nouvelle existence. Mais des visions et des rêves obscurs la ramènent sans arrêt à son ancienne vie sans qu’elle puisse se raccrocher à quelque chose de tangible et d’intelligible. La quête ne fait que commencer.
- Vous continuerez de m’intriguer jusqu’à ma mort, Aparecida.
- Moi ? Après toutes les choses que vous avez vues ?
- Oui. Je resterai intrigué par cette femme qui a parcouru un si long chemin sous terre, qui est ressortie vivante, qui porte des cicatrices profondes et qui parle avec les morts.
Ce roman est avant tout un très beau portrait de femme. Bien que parcellaire et énigmatique, il force l’admiration et provoque une forte attirance pour elle. On a beau se baser sur pas grand-chose, Aparecida possède cette flamme, ce magnétisme qui font les grands personnages de la littérature. L’auteure dans la première partie nous met à son niveau, l’immersion n’en est que plus grande et l’on partage ses doutes, ses aspirations mais aussi ses inquiétudes. On veut comme elle en savoir plus et on se demande bien où tout cela va nous mener. On n'est pas déçu avec une trame jouant avec nos attentes, trois actes qui déploient un don rare pour la narration et un amour des personnage prégnant.
La deuxième partie voit Jorge (le mari d’Aparecida) retrouver la trace de son ancienne vie, l’occasion pour nous lecteurs d’en découvrir un peu plus sur elle. Il rencontrera notamment un homme qui ne s’est jamais remis de sa disparition et qui lui racontera l’idylle qu’il a vécue avec elle, donnant au passage au lecteur des pages parmi les plus belles qui nous parlent d’amour et de passion. J’ai adoré, j’ai été véritablement transporté par les propos et les évocations données à lire.
Il se dégage une étrange ambiance de ce texte. L’aspect fantastique de cette réapparition fait entrer cette histoire de changement de vie dans une dimension décalée, apportant aux différents protagonistes un symbolisme et une profondeur insoupçonnée et renversante. Il est beaucoup question d’amour, l’amour de soi et le respect de soi, l’amour de l’autre celui qui fait grandir et épanouit, l’amour universel enfin avec cette conscience que nous devrions tous avoir que nous appartenons à un grand tout. Pour autant, ne vous laissez pas abuser par l’envolée de ma phrase précédente, nous ne sommes pas face à une œuvre ésotérique et perchée. On revient ici à l’essentiel.
Il y a un aspect mystique avec des images qui marquent comme celle de cette église ensablée suite au déchaînements des éléments, les croyances des Tremembés peuple indigène du Brésil, ces images qui vont mener l’héroïne de l’autre côté de l’océan pour retrouver la femme qu’elle fut, les êtres qu’elle a pu côtoyer et qui pour certains l’attendent encore d’une certaine manière. Le souffle est puissant, l’expérience totale car on touche ici à la métaphysique, au sens de l’existence et à des questionnements très profonds sur la nature humaine tout ceci de manière accessible, lisible et humaniste à travers de belles images, de belles personnes et une soif de vie inextinguible.
Le tout est magnifié par la langue inventive, poétique et précise d’une auteure à part. Bravo d’ailleurs au traducteur qui a su reconstituer cette singularité langagière. On flirte ici constamment avec l’invisible, les émotions sont à fleur de mot et l’indicible devient exprimable. C’est bluffant et totalement jubilatoire, c’est intelligent, mené de main de maître et l’on finit la lecture profondément ému et troublé. Un grand et beau moment de lecture, ne passez pas à côté.