"New York cannibals" de Boucq et Charyn
L’histoire : New York, 1990. Pavel tient toujours son salon de tatouage. Sa protégée, Azami, est devenue policière et culturiste. Lors d'une intervention, elle découvre un bébé abandonné dans une poubelle. Incapable d'enfanter à cause des traitements qu'elle a infligés à son corps, elle décide d'adopter l'enfant.
Pour le protéger, elle va remonter la piste d'un trafic de bébés, et découvrir qu'il semble lié à un mystérieux gang de femmes qui dévorent leurs ennemis. Étrangement, les fantômes du goulag dans lequel Pavel a grandi semblent être à l'origine de ces atrocités. Comme si l'univers, les codes et la violence du goulag avaient pris pour nouveau territoire les rues de New York.
La critique de Mr K : Bonne lecture que cette bande dessinée prêtée une fois de plus par l’ami Franck. Boucq et Charyn avec New York cannibals s’amusent à la lisière de plusieurs genres. Étude intimiste d’une jeune femme déconcertante, aspect historique dans les flash-back qu’elle propose sur le passé d’un des deux protagonistes et enfin BD policière avec la mise à jour d’un terrible trafic, les auteurs ne sacrifient aucune facette au détriment des autres, l’alchimie est parfaite et l’expérience se révèle marquante.
Azami est une jeune femme flic dans le New York des nineties. Elle a un physique peu commun gonflé aux stéroïdes, elle est culturiste. Elle vit encore chez son père adoptif, Pavel, tatoueur de son état, rescapé du goulag qui vit avec les fantômes de son passé mais semble avoir acquis une certaine sérénité. Cependant cet équilibre est fragile, lors d’une opération, Azami va récupérer un nourrisson dans une poubelle et se met dans l’idée de l’adopter. Elle a toujours eu un fort désir d’enfant sans que cela puisse se concrétiser, elle est devenue stérile suite à sa consommation excessive d’anabolisants. Elle n’en délaisse pas pour autant l’enquête et finit par découvrir que derrière cet événement se cache un trafic d’enfants et l’existence d’une secte sanguinaire cannibale en plein New York ! En parallèle, Pavel est approché par une ancienne et séduisante connaissance surgie de son passé et qui souhaite, au nom d’une mystérieuse agence d’État, qu'il utilise ses talents de dessinateur. Notre héros sent l’embrouille et il a raison. Les deux lignes narratives vont se rejoindre vous l’imaginez bien…
Ce tome fait suite à Little tulip publié 20 ans auparavant. Je ne l’ai pas lu mais cela ne m’a pas gêné dans ma lecture. Tout est compréhensible et les deux histoires peuvent se lire séparément. On ne perd pas trop de temps en exposition, en quelques planches on fait donc connaissance avec un duo qui détone, le père adoptif et sa fille de cœur. Il y a beaucoup de tendresse et de pudeur entre eux, dans leurs rapports. Ils vivent chichement mais ça leur suffit. Ils aiment leurs métiers respectifs et se racontent leurs journées le soir, la vie coule, tout simplement.
La précipitation des événements va bousculer les lignes et faire ressurgir chez Pavel des souvenirs qu'il aurait voulu laisser enfouis. Lui, l’ex prisonnier du goulag recroise tout d’abord un amour de jeunesse devenue maîtresse de la manipulation suite à son parcours chaotique. Le lien entre les deux est distendu, à géométrie variable. Comment se fait-il d’ailleurs qu’elle ait conservé toute sa beauté d’antan ? Il y a quelque chose de pas très catholique là dedans… Surtout que derrière la secte qu’Azami va pister, se trouve une autre personne issue du passé de son père adoptif, quelqu’un, vous l’imaginez, de peu recommandable ne reculant devant rien pour maintenir son emprise sur ses affiliés. On vire ici dans le fantastique avec son lot de cérémonie flirtant avec le vaudou, le mythe de la jeunesse éternelle et derrière tout cela des enjeux de pouvoir et d’influence qui remontent haut dans la hiérarchie sociétale.
On alterne donc passages intimistes et enquête policière. La violence et la tension peuplent ces planches qui se tournent toutes seules malgré parfois une certaine appréhension. On est immédiatement conquis par le duo et on se demande bien ce qui va leur arriver. Quelques passages peuvent même être qualifiés de métaphysique, d’initiatique car derrière certains échanges ou événements, on ne peut que penser aux grandes phases d’une vie humaine ou de sa disparition. Cela donne un supplément d‘âme à une BD déjà pleine de qualités.
En effet, le dessin est de toute beauté, le rythme maîtrisé à souhait entre accélérations qu’on ne voit pas venir et passages plus tranquilles où l’on approfondit les personnages et les situations. Les quelques 150 pages sont vite parcourues avec un appétit qui ne se dément jamais et l’on referme cette BD avec une pointe de regret de ne pas en avoir lu davantage. Une belle lecture que je ne peux que vous conseiller.