"Le Journal d'un manoeuvre" de Thierry Metz
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L’histoire : "C'est que vivre a quelque chose de terriblement élémentaire. Chaque matin l'âme se réveille toute nue, et le travail, la douleur, les gens, l'absence sont debout, bras croisés, à l'attendre avec un dur regard d'exterminateur. Mais chaque soir, quand la fatigue ne l'a pas anesthésié, Thierry Metz note la part respirable des heures qu'il a traversées. Ce que nous pouvions prendre pour un univers de médiocrité banale se trouve être une merveille. Elle ne nous retient pas par la manche comme font les vendeurs forains. Elle parle à mi-voix et l'entende qui veut. Elle dit : Qui que tu sois, tes instants ne contiennent rien d'autre, mais ils sont des miracles".
La critique de Mr K : Deuxième incursion dans la liste des ouvrages potentiels que l’on peut faire étudier à nos Terminales BAC pro suite au changement du programme limitatif de français avec comme thématique retenue "le temps". Appartenant au genre poétique, Le Journal d’un manœuvre de Thierry Metz propose un voyage à nul autre pareil dans le milieu des chantiers du bâtiment au rythme d’un phrasé unique, décalé et hautement contemplatif. Le voyage fut chargé en émotions et source d’un grand plaisir de lecture.
C’est un journal pas comme les autres que nous propose l’auteur, poète qui cimente les mots autour de son expérience dans le bâtiment. Métier physique, exigeant, il lui inspire de belles pages de poésie pure, en prose, où les mots se répondent. Le voila propulsé manœuvre via une société d’intérim. Muni d’une pioche et d’une brouette, il est avant tout chargé de creuser la terre et de l’évacuer. Au fil du temps, il s’occupera d’autres tâches. Le travail reste éreintant mais aussi épanouissant d’une certaine manière à travers les expériences qu’il va en retirer.
La vie de chantier est très bien retranscrite à travers ces courts chapitres qui se lisent d’une seule traite. L’aspect physique, la fatigue qui transcende les frontières que l’on croyait s’être fixées, la nécessité de gagner sa vie et les pauses bienvenues du week-end avec ses proches. Ces pages c’est aussi de belles rencontres avec des collègues avec qui on se rapproche (aaaah ! Manuel, Antoine, Ahmed...) , des discussions à bâtons rompus mais aussi des silence évocateurs, la mixité des cultures qui se rencontrent le temps d’une construction, le partage d’un repas, d’une clope… C’est le temps qu'il fait, les doutes qui s’expriment mais aussi la sublimation d’un mur ou d’un paysage lorsque le soleil et la chaleur se penche dessus.
Ce livre est une merveille d’écriture, prose du soir lorsque l’on rentre harassé à la maison après une journée bien chargée. Le phrasé est simple, accessible mais extrêmement dense dans le sens qui s’en dégage. Il en ressort un humanisme qui suinte de toutes ces pages, un panorama évocateur et un portrait intime d’une force incroyable. L’œuvre prend encore plus de sens lorsque l’on connaît la fin tragique de son auteur qui a décidé de mettre fin à ses jours. L’émotion nous étreint de la première à la dernière page et nul doute que la lecture de certains passages ne manquera pas d’émouvoir le plus récalcitrant à la lecture de mes élèves de BAC Pro.
Un ouvrage essentiel à sa manière et une superbe découverte. N’hésitez pas, tentez l’expérience, vous ne serez pas déçus.