"Le gambit des étoiles" de Gérard Klein
L’histoire : Un aventurier du futur se trouve lancé malgré lui à travers l'espace : mission dangereuse et semée de pièges ! Entre le pouvoir de Bételgeuse et la résistance de certaines planètes, Jerg Algan découvrira-t-il le secret des légendaires Citadelles Noires ?
Qui l'attend aux frontières de la Galaxie ? Et le mystérieux échiquier de soixante-quatre cases dont il a fait son guide est-il une bonne carte de l'univers ?
La critique de Mr K : Chronique d’un petit classique de la SF aujourd’hui avec cet ouvrage écrit en 1955 et réédité dans la présente édition en 1985. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse de Gérard Klein, une sommité de la SF française que je redécouvrais à l’occasion de cette trouvaille faite en début d’année à Emmaüs. Le Gambit des étoiles est un roman initiatique d’une rare puissance et qui n’a pas pris une ride. Bien qu’estampillé jeunesse, il est complexe, complètement barré et source de nombreuses réflexions. Je ne suis d’ailleurs pas persuadé qu’en 2024 on le sortirait dans une collection dédiée aux plus jeunes…
Algan est un aventurier du futur qui a exploré notre planète de long en large. Il vivote tranquillement sans rien demander à personne. Entre deux expéditions, il se pose dans les bas fonds et expérimente le zotl, une drogue hallucinogène qui lui laisse entrevoir un Paradis rêvé. L’action se déroule plus de 500 ans après notre ère, l’homme ayant essaimé l’espace et conquis nombre de planètes et galaxies sous l’égide de Betelgeuse, gouvernement central de la diaspora humaine. Chacun se méfie de la police psychologique, bras armé du pouvoir aux méthodes musclées fascisantes.
Dès le premier chapitre, le récit démarre. Algan se voit aborder par un étrange personnage qui lui offre quelques doses de zotl. Notre héros ne sait pas dire non, il aurait dû… Il se réveille dans une pièce étrange et se rend compte qu’il a été recruté de force. En effet, profitant de son état second, son interlocuteur lui a fait signé un contrat avec le gouvernement, un document stipulant qu’il doit partir dans l’espace pour explorer de nouveaux mondes. La pilule est dure à avaler mais il n’a pas le choix. Lui qui ne souhaitait pas découvrir le grand vide intersidéral va devoir se résigner.
Commence alors un étrange entraînement sur un siège aux capacités hors norme, des séances qui s’apparentent quasiment à de la torture où l’on teste et éprouve ses capacités physiques et mentales. Le sujet est prometteur, on le lui répète et quand on le sent prêt, le voila propulsé dans l’espace en compagnie de compagnons de voyages. Très vite, il va mettre les pieds dans un système où lors d’un chinage, il va mettre la main sur un échiquier gravé d’étranges symboles. Personne ne peut vraiment le renseigner sur son origine mais il y a anguille sur roche, le simple jeu pourrait bien refermer un mystère qui pourrait bouleverser l’ordre établi et modifier à jamais la destinée de l’humanité. Notre héros va aller de découverte en découverte et aboutir à une décision finale assez unique dans la littérature de genre.
Le personnage d’Algan est assez délectable. Le simple aventurier revêche du départ va lentement céder la place à un être complexe à la symbolique forte. On pense fortement à Jodorowsky en lisant cet ouvrage avec ce fin mélange de recherche de soi via des expériences mystiques et artificielles, aventures à sensations dans des décors fabuleux et une portée philosophique certaine avec en sous texte la lutte pour le pouvoir et l’éternel affrontement entre l’individualisme et l’intérêt commun. La structure de développement d’Algan est plutôt classique, la montée en puissance reste cependant confondante avec un personnage qui se transforme en quelque chose de grand qui le dépasse, le transcende et lui donne un rôle clef à jouer.
L’auteur soigne énormément le contexte avec de longs passages descriptifs sur l’Histoire de la conquête de l’espace avec moult détails techniques sur les mode des propulsions, les différents vaisseaux, le voyage spatial et son effet sur le temps, les mondes qui se créent un peu partout, les différentes forces qui s’opposent et les mœurs parfois très étranges sur certaines planètes. Cela donne des pages vertigineuses avec des scènes dantesques où l’on explore les abîmes d’une cité, où l’on entrevoit les machines à illusions embarquées sur les vaisseaux au long cours pour empêcher les équipages de devenir fous, les formes de vie extraterrestre, des mondes où les lois physiques sont très différentes des nôtres. L’immersion est totale, souvent jubilatoire et contrebalance les moments totalement planant où le héros sous l’effet du zolt va lever le voile sur la nature de l’échiquier et sur l’être humain. On est dans la métaphysique pure avec des questionnements sur notre origine et les buts que l’on poursuit. C’est brillamment emmené avec le souci de laisser le lecteur se faire son opinion tout en ne le prenant pas pour un imbécile en proposant des raisonnements poussés.
Comme dit plus haut, l’écriture n’a pas pris une ride, cela se lit très vite et très bien. Accessible et exigeante à la fois lors de passages plus techniques, la langue fait merveille et sert remarquablement la trame riche et addictive. Ce fut un pur plaisir de lecture, avis aux amateurs !