"Courir" de Jean Echenoz
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L’histoire : On a dû insister pour qu'Emile se mette à courir. Mais quand il commence, il ne s'arrête plus. Il ne cesse plus d'accélérer. Voici l'homme qui va courir le plus vite sur la Terre.
La critique de Mr K : Lecture estivale mais lecture travail que le livre que je vais vous présenter aujourd’hui. Le programme limitatif de français en Terminal BAC pro a changé pour la rentrée 2024 et le thème retenu après celui du jeu est celui du temps. Vaste sujet, n’est-ce pas ? Adjointes au programme, figurent huit œuvres parmi lesquelles il faut en choisir une pour l’étudier avec nos élèves. J’ai fait acheter toutes les œuvres par ma super professeure documentaliste et j’en ai retenu trois que j'ai lues durant cet été. J’ai donc commencé par Courir de Jean Echenoz, une biographie romancée du génie de l’athlétisme Émile Zatopek. Force est de constater que l’auteur magnifie son sujet et offre un roman qui se dévore tant il se révèle passionnant.
Émile Zatopek, un nom qui ravit tous les amateurs de sport et d’athlétisme en particulier. Une légende de la course de fond qui a accumulé les records sur diverses distances et inventé une façon de s’entraîner. J’avais de lui une image floue, des souvenirs de comparaisons faites lors de retransmissions de JO à la télé mais finalement, je ne connaissais pas grand-chose de lui. Cet ouvrage revient donc sur une grande partie de sa vie depuis son adolescence jusqu’à son déclin sportif et la déchéance qu’il a subi de la part des autorités de son pays.
Émile est un gars gentil qui vit dans une petite ville tchécoslovaque. Membre d’une famille nombreuse, il suit un parcours lambda et est destiné à travailler dans une usine de chaussures. Il vient à la course à pieds un peu par hasard, son père tente de l’en dissuader mais le démon le possède déjà. Il va finir par rentrer dans une académie militaire suite à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est accueilli à bras ouverts car déjà il fait parler de lui à travers ses exploits sur quelques courses locales. Au fil du temps, le jeune homme devient un véritable phénomène, sa manière de courir est hors norme, il s’entraîne étrangement et il grimace énormément lors de ses courses. Et pourtant, il bat les records avec une facilité déconcertante et sa renommée traverse les frontières malgré le rideau de fer qui s’est étendu à travers l’Europe. C’est le début d’une ascension fulgurante sur le plan sportif mais aussi au niveau social dans le cadre de l’armée et de l’État Tchécoslovaque, pays satellite de l’URSS stalinienne puis khrouchtchevienne.
L’auteur nous rend Émile éminemment sympathique dès le départ et on se prend d’affection pour lui immédiatement. D’un caractère doux, parfois naïf, au fil de son ascension sportive, on va le découvrir bosseur, engagé, perfectionniste mais aussi angoissé. Cela donne de très belles pages sur ses exploits sportifs, sur la corrélation entre l’esprit et le corps sans pour autant tomber dans l’hagiographie car tout est souvent remis en cause par le contexte ou les rencontres faites. On rentre aussi dans son intimité avec la rencontre puis le mariage avec sa championne de femme Dana qui lance le javelot. La vie de Zatopek est dense, riche en honneurs. Mais comme bien souvent, le déclin signifiera aussi l’ostracisme notamment quand il va remettre en cause le bien fondé du pouvoir en place, Émile sera isolé puis envoyé à la mine où sa santé ne s’en remettra jamais. Et pourtant, là encore, il ne se plaint pas et assume comme toujours il le fera durant sa vie. Lui la bonté incarné, le défenseur des idéaux olympiques qui sera récompensé bien des années plus tard quand le mur de Berlin sera tombé.
En filigrane de ce destin exceptionnel donc, c’est la grande Histoire qui se déroule avec tout d’abord l’évocation de la Seconde Guerre mondiale, l’occupation allemande et la débâcle des nazis lors de l’adolescence d’Émile. Mais c’est surtout, La Guerre Froide qui est brillamment évoquée ensuite avec la main mise communiste sur l’État, la censure, la répression et l’obligation de chacun de se conformer aux désidératas du parti. Zatopek, membre de l’armée, en fera l’expérience et devra au final plier l’échine. Cet aspect est peut-être celui qui m’est apparu comme le moins percutant. En compulsant ensuite la fiche wiki et en croisant avec des articles sur Zatopek, on se rend compte que l’auteur n’a pas trop axé son roman sur l’aspect opposant ou du moins réfractaire au pouvoir d’Émile. Il est bon donc de compléter sa lecture avec quelques recherches perso pour avoir une idée complète du personnage.
"Courir" se lit d’une traite avec la langue si accessible et immersive d’un Jean Echenoz que l’on sent passionné par son sujet. Le plaisir de lire ne se dément jamais et clairement, on passe un excellent moment. Il y a de grandes chance que ce soit cet ouvrage que j’étudie cette année en classe avec mes Terminales BAC Pro.