"Un Monde plus-que-parfait" d'Emmanuel Brault
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L’histoire : À quoi sert un banc public ? À trouver, par exemple, une annonce qui peut vous donner la chance d’embarquer pour Pandore, une nouvelle terre à coloniser. C’est ce qui arrive à Alfred qui y voit une formidable invitation à fuir un quotidien bien morne.
Sur le papier, c’est beau comme dans un rêve… sauf qu’il lui faudra prendre des décisions vraiment radicales pour partir !
La critique de Mr K : Emmanuel Brault nous revient pour cette rentrée littéraire 2024 avec son dernier né qui paraît une fois de plus chez Mu. J’adore cet auteur qui avec deux romans, Walter Kurtz était à pied et Tous les hommes, s’est installé dans mon top dix de mes auteurs de SF français préférés. Il propose à chaque fois une intrigue unique en son genre et une langue d’une portée poétique incroyable toujours au service du plaisir de lire. Un Monde plus-que-parfait s’inscrit dans la même lignée et je l’ai lu d’une traite avec le sourire aux lèvres de bout en bout. Propos engagé, langue novatrice et des personnages complètement branques, voici la recette d’un ouvrage plus que réussi !
Dans un futur pas si lointain, l’humanité vit dans un monde parfait où le rêve a été banni. Fini les divagations et les espoirs, on est dans une ère matérialiste à 100%. L’utilisation du subjonctif est prohibée ainsi que les mots polysémiques, les questionnements et l’alcool (allez savoir pourquoi, sic). Le monde n’est que platitude, les gens ne jurent que par les écrans et chacun cherche le point G de son partenaire ! Le paraître est de mise ainsi que l’individualisme forcené. Tout manquement vous fait passer pour un original, un révolutionnaire voire quelqu’un de dangereux.
Alfred, marié deux enfants et un chien, ne se reconnaît pas dans cette société. Adepte des belles formules, ayant une bonne descente, il se sent à l’étroit dans son costume de mari, de père et d’employé. Il cueille ici ou là quelques moments de liberté et semble s’en contenter. Il s’ennuie, supporte de moins en moins ses proches et va même dans des bars clandestins pour se livrer à ses "vices" (bons mots et alcool). Tout change le jour où il rencontre Pauline, une jeune femme avec qui le coup de foudre est immédiat, et découvre une annonce lui promettant de partir ailleurs, la colonie Pandore. Seule condition, partir nécessite des sacrifices et s’il veut changer de vie, il va devoir éliminer toutes sa famille (le chien y compris !).
Vous pressentez sans doute déjà dès la lecture de ce postulat qu’on s’oriente vers une lecture complètement folle. Et c’est le cas ! J’ai retrouvé l’impression de décalage constant que l’on peut retrouver chez Boris Vian dans sa période L’Automne à Pékin et L’Écume des jours. On enchaîne au départ les situations ubuesques qui découlent des nouvelles règles qui régissent la terre, les personnages sont tous plus étranges les uns que les autres. Alfred le rêveur complètement à côté de ses pompes, sa femme obnubilée par son plaisir personnel qui court après son point G (comme tout le monde dans cette dystopie), son fils adolescent "entélé" comme un crétin et sa fille de 14 ans enceinte qui se trouve trop grosse. Cela semble prêter à rire mais je vous assure que c’est navrant dans sa lecture même si le cynisme et l’ironie dans le ton font passer la pilule. Que ce monde est étouffant et veule ! Le langage lui-même est modifié, limite la liberté de pensée et altère les comportements sociaux. C’est flippant et en même temps très bien vu, en adéquation avec les modifications comportementales que l’on peut déjà observer chez les gens qui nous côtoient au niveau de l'utilisation compulsive de leurs écrans. Espérons qu’on n’évolue pas vers ce qu’on peut lire dans ce livre...
Très frais dans sa lecture avec une langue imaginative, vivante, très évocatrice, on s’émerveille devant les figures novatrices et la destinée de chacun. C’est franchement barré, exagéré et en même temps ça nous parle de nous comme jamais. La critique est acerbe et porte sur de nombreux sujets au cœur de nos existences : la famille, l’individualisme forcené, le carcan sociétal et la quête éperdue de liberté et d’amour. Ce roman est en tout point parfait et la fin nous laisse avec un sourire vissé aux oreilles malgré un contenu des plus explicite et thrash. J’ai adoré !