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Le Capharnaüm Éclairé
3 août 2024

"Toutes les vies de Kazimira" de Svenja Leiber


L’histoire : Dans ce qu’on appelait jadis la Prusse-Orientale, les plages cachent un trésor : l’ambre jaune. Cet or marin, Kazimira passe ses journées à le chercher. Et quand la chance lui sourit, son mari en fait des bijoux qu’il revend aux commerçants juifs locaux.


Kazimira a de l’ambition. Plutôt que de rester à la maison avec les enfants, pourquoi ne pourrait-elle pas travailler elle aussi ? D’autant que la région est devenue prospère. Mais la richesse amène la convoitise, et avec elle le ressentiment et la violence. Le trésor brûle désormais les mains de tous ceux qui y touchent…

Plus d’un siècle plus tard, dans une petite ville côtière aujourd’hui russe, Nadia, arrière-arrière-petite fille de Kazimira, vend des bijoux en ambre. Elle n’a qu’une obsession, remonter l’histoire de sa famille pour mieux en éclairer les zones d’ombre et comprendre, enfin, qui elle est…

 

La critique de Mr K : Belle lecture que ce roman d’une saga familiale sur fond historique s’étirant du XIXème siècle à nos jours. Dans Toutes les vies de Kazimira, Svenja Leiber nous offre un récit dense et virevoltant, passionnant et éclairant dont il est difficile de s’extraire tant il est addictif.

 

On suit dans cet ouvrage des femmes sur quatre générations depuis les années 1870, époque industrielle entre toutes. Le focus s’opère au bord de la mer Baltique où l’on construit une mine d’ambre, ressource convoitée et apportant richesse à ses propriétaires. Mais cela attire aussi les convoitises et la lutte va s’avérer féroce. Voilà pour le contexte, le récit lui s’intéresse de près à Kazimira, une jeune femme ivre de liberté et qui souhaite sortir de la condition féminine que le patriarcat impose à son genre à l’époque. Elle ne veut pas d’enfants, souhaite profiter de sa vie et travailler comme un homme dans les mines. Mais cela lui est interdit. Elle en nourrit beaucoup de frustration et de ressentiment, quand elle deviendra mère malgré elle, le fossé va se creuser encore plus avec son mari. C’est les classes populaires qui sont évoquées à travers son destin, il suffit de voir dans quel dénuement ils vivent au départ, cette maison sans chauffage ni lumière, où l’on survit plus qu’on ne vit vraiment.

 

En parallèle, on suit l’ascension puis la chute des Hirschberg, riche famille juive des alentours chez qui Kazimira va filer régulièrement un coup de main et qui s’entend bien avec Henriette sa patronne. C’est l’occasion pour l’auteur de nous faire côtoyer le milieu des entrepreneurs, des classes sociales plus élevées avec luxe de détails sur leurs us et coutumes, les stratégies mises en place mais aussi les luttes intestines et la déchéance quand elle arrive est terrible. Sans compter leur judaïté qui attise la haine antisémite, monstre sommeillant mais toujours bien présent. Les affres de l’Histoire vont finalement se déchaîner donnant lieu à des scènes insoutenables et des réalités épouvantables très très bien retranscrites (la boucherie de 14-18, la politique du IIIème Reich et les massacres des déportées juives notamment).

 

Et puis, il y a aussi la quête d’identité de Nadia des décennies plus tard qui elle aussi travaille dans l’ambre et se retrouve confrontée à la concurrence chinoise qui tente d’inonder le marché avec leurs productions. Elle n’arrive pas à partir de cet endroit comme si un fil invisible la retenait. Peu à peu, elle va lever le voile sur le passé familial et trouver des réponses à des questions restées en suspens mais aussi des fêlures et des manques qu’elle ne faisait que ressentir.

 

Le démarrage est lent, il faut se donner le temps de prendre connaissance des différents protagonistes, des différentes époques. Le découpage est parfois désarçonnant mais passées les 100 premières pages tout s’imbrique parfaitement et les ponts se font naturellement dans l’esprit du lecteur. L’œuvre prend vraiment une toute autre dimension. L’étude historique se conjugue avec une réflexion profonde sur la condition féminine avec les combats intérieurs et extérieurs des héroïnes : la position sociale, l’apparence physique (coiffure, vêtements), la sexualité, la famille et l’indépendance des épousées. C’est fort, très moderne dans l’approche et en même temps très respectueux de vérité historique. La fiction sert magnifiquement l'Histoire et l’inverse est tout aussi vrai.

 

La langue est exigeante, il faut un temps d’adaptation. Il y a beaucoup de descriptions, le rythme s’en ressent mais pour autant cela contribue à l’édification d’un tableau saisissant. Quand les événements se précipitent tout a été planté pour pouvoir se régaler si je puis dire et l’on n'est pas déçu. On ressort de cette lecture ébranlé et ému, conscient d’avoir lu un roman à part et subtile. À lire.

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