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Le Capharnaüm Éclairé
15 août 2024

"Dans l'oeil du démon" de Jun'ichirô Tanizaki

 

L’histoire : Un écrivain reçoit un matin l'appel d'un ami, riche oisif animé d'une passion coupable pour le cinéma et les romans policiers, qui lui propose de venir assister à un meurtre.

Nous voilà entraînés avec lui dans le labyrinthe des bas-fonds de Tokyo et, furtivement glissés dans l'intervalle de deux masures, l’œil collé au nœud évidé d'un volet, découvrant en voyeurs... Mais devons-nous croire ce que voient nos yeux ?

 

La critique de Mr K : Tout d’abord un grand merci à Nelfe pour cette trouvaille qui m’a permis de découvrir un grand auteur japonais qui jusque là s’était refusé à moi. Tanizaki Jun’ichirô est considéré comme un maître écrivain et je dois avouer qu’après ma lecture de Dans l’œil du démon, je ne peux que m’incliner devant tant de talent. Lorgnant vers le mystère policier à la Conan Doyle, un climax délétère et décalé à la Poe, l’écriture subtile et délicate m’a conquis et m’a offert un moment de lecture rare et raffiné.

 

Le narrateur est un écrivain de seconde zone qui vivote de l’écriture de nouvelles qu’on lui commande. Marié et plutôt heureux, il traînaille avec Sonomura, un riche ami désœuvré qui se pique de mystères policiers. Ils discutent à bâtons rompus jusqu’à tard, boivent des coups et partagent nombre d’opinions et de goûts en commun. Ces deux là s’entendent comme larron en foire même si Sonomura est bien souvent borderline et que son ami doit le remettre sur les rails régulièrement.

 

Le roman débute sur le coup de fil de Sonomura au narrateur, il l’enjoint à venir au plus vite car il a des révélations à lui faire. Il est au courant d’un futur crime qui se devrait se commettre dans la nuit à venir ! Le narrateur, tout d’abord abasourdi, trouve un prétexte à donner à sa femme pour quitter le foyer et rejoint son ami dans l’idée de le faire redescendre sur terre, tablant sur un énième délire de sa part. Très vite cependant, il est intrigué par cette histoire de message caché découvert lors d’une pièce de théâtre entre trois individus et un rendez-vous secret donné dans un quartier pour tuer quelqu'un.

 

Je n’en dis pas plus pour ne pas déflorer une intrigue à tiroir entre faux-semblants, déductions à l’alambiqué et révélations déstabilisantes. On sent bien en tout cas l’admiration de l’auteur pour les classiques du policier et du mystère avec de nombreuses références et mises en abyme. Une grand partie du récit s’attarde sur les discussions entre les deux hommes à propos de cette hypothétique scène de crime et les forces en présence. Ils confrontent leurs regards, leurs analyses et déductions en partant parfois loin, très loin. Il y a clairement un côté Conan Doyle dans la façon d’agencer les raisonnements, de voir un simple détail prendre une grande importance avec toujours la possibilité de se faire retourner la tête. Moi qui ai adoré lire l’intégrale de Doyle à mes débuts de lecteur, j’ai forcément hautement apprécié le style.

 

Et il y aussi ce basculement dans l’étrange, l’interlope, avec la scène que les deux amis vont contempler dans cette maison reculée où doit avoir lieu le meurtre. Nous suivons avec eux, à travers un minuscule œilleton de volet, une scène bizarre mêlant décalage, tension et érotisme version nippone. On retient notre souffle, on contemple les corps, on essaie d’imaginer ce qui se passe vraiment sans se rendre compte vraiment de la réalité des choses. Une menace sourde semble planer sur ces moments hors du temps, le debriefing des deux amis rentrés chez Sonomura n’arrange rien mais la femme de la pièce le fascine et il souhaite la rencontrer malgré son côté mortifère. La mort, le sexe… Thanatos, Eros… tous les ingrédient sont réunis pour fournir une trame bien dense et alambiquée.

 

L’auteur s’y connaît pour distiller une ambiance sombre et étrange, l’inconnu pouvant surgir de n’importe où et à n’importe quel moment. On se régale des contours et détours empruntés par les esprits des deux amis, la révélation finale bien qu’attendue fait son petit effet et l’écriture est d’une beauté stupéfiante. Une bien belle lecture que je vous conseille d’entreprendre au plus vite.

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