"La Croisière bleue" de Laurent Genefort
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L’histoire : En ce début de XXe siècle où règne l'antigravité, camions, voitures, navires parcourent le ciel. Les majestueux transatlantiques traversent mers et océans puis, une fois la côte atteinte, sont remorqués par des locomotives et se transforment en paquebots transcontinentaux.
En 1923, lorsque l'Agénor appareille et que débute la croisière bleue, la quête de nouveaux gisements de cavorite exacerbe les luttes entre grandes puissances. À bord de l'Agénor, le transcontinental reliant l'Europe aux confins de l'Asie, un meurtre inexplicable a lieu. Gaspard, agent du Deuxième Bureau français, est chargé de l'enquête. Il ne tarde pas à découvrir que la victime est un espion anglais et que les puissances qui se cachent derrière cet assassinat pourraient bien faire couler l'Agénor et, dans son sillage, le monde ancien tout entier.
La critique de Mr K : Voyage en terres dystopiques aujourd’hui avec cet ouvrage de Laurent Genefort qui fait suite au très réussi Les Temps ultramodernes que j’avais beaucoup apprécié. La Croisière bleue revient donc dans des années 30 transformées par la découverte de la cavorite, un métal qui a modifié notre rapport à la physique élémentaire et fait évoluer l’humanité en dehors de ses frontières terrestres. Le présent recueil s’apparente à un regroupement de nouvelles, courts textes type faits divers et même à la fin à un traité scientifique sur la dite cavorite. Œuvre dense, multiforme et jubilatoire, j’ai passé à nouveau un excellent moment.
Autant le précédent volume était porteur d’espoir et montrait les formidables progrès effectués par l’humanité grâce à la découverte de la cavorite, autant ce recueil se place sous le sceau du crépuscule. Il flotte en effet comme une ambiance de fin du monde avec un métal qui atteint ses limites et dont les propriétés s’estompent, des puissances qui s’affrontent et une tension palpable au niveau international, des espoirs de colonisations qui se heurtent à une réalité du terrain difficile et une menace terrible qui plane sur la planète Terre dans l’ultime nouvelle.
Au cœur de l’ouvrage, cinq nouvelles pour cinq points de vue qui se complètent. De différentes longueurs et tonalités, Laurent Genefort lève le voile sur une humanité qui se porte mal, donnant à certains textes un aspect quasi prophétique et offrant une réflexion grave sur le devenir de notre espèce. Dans Le facteur Pégase, le ton doux et attachant porte cette histoire d’un facteur passionné qui va construire un temple de cavorite et se heurter à l’incompréhension de ses pairs humains. La nouvelle éponyme La Croisière bleue lorgne clairement du côté d’Agatha Christie avec une enquête à l’ancienne qui met en lumière les luttes entre puissances, le navire se révélera être un véritable nid d’espions. La conclusion surprenante et délirante m’a bien plu. Sous forme épistolaire, Cinquante hectares sur Mars est la reproduction de lettres envoyées par un néo-colon martien qui a gagné un lot de cinquante hectares sur le nouveau paradis rouge qui n’a de paradis que le nom. Une fois sur place, il se rend vite compte de la réalité des choses et des difficultés qui l’attendent. La déception est grande et des révélations terribles sont au rendez-vous. Le Sisyphe cosmique continue dans la même veine avec un récit d’exploration spatiale, celle de Mercure sur laquelle les hommes voudraient bien s’installer. Mais la réalité va vite rattraper l’équipage et la fin diabolique à souhait m’a conquis. Enfin l’ultime nouvelle, À la poursuite de l’anticavorium met en scène une comète qui se rapproche de notre monde et pourrait bien le détruire. On suit les atermoiements des sociétés humaines et les recherches mises en œuvre pour éviter le pire. Mais est-ce seulement possible ? La fin est sans ambiguïté à ce sujet.
Entre ces grands textes, on retrouve toute une série de micro-récits et d’extraits fictifs de journaux de l’époque qui traitent de tout plein d’éléments liés à ce monde uchronique. Rubrique des chiens écrasés, réflexions philosophiques, historiettes aux tons divers, ils offrent une densité de bon aloi à un univers parfaitement construit et illustré par un auteur passionné par son background. La fin de l’ouvrage s’apparente à un ouvrage scientifique sur la cavorite elle-même, ce qui rajoute à l’ensemble un aspect réaliste assez décalé et saisissant.
L’univers des Temps ultramodernes s’élargit donc ici entre approfondissement et décadence. C’est un vrai régal à lire car c’est dépaysant, très changeant. Selon les textes, on passe d’un lieu à un autre, à différents protagonistes, différentes forme de textes ce qui ajoute une expérience supplémentaire à la lecture. L’ensemble dégage une créativité folle pour un exercice littéraire de haute volée. Rajoutez là-dessus la plume exigeante et toujours accessible de l’auteur et vous obtenez un petit bijou d’uchronie steampunk que je ne peux que vous conseiller.
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Mémoria
- Les Opéras de l'espace
- Une Porte sur l'éther
- Points chauds
- Omale (Intégrale volume 1)
- Les Temps ultramodernes