"Loin du noir océan" d'Astrid Monet
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L’histoire : "Dans cette nuit brûlante d’Espagne, au son tragique du flamenco, comme des cris et des pleurs, je sentis un cadenas s’ouvrir en moi. Lentement. Un songe inéluctable."
1985. Quelques années après sa naissance, le diagnostic tombe : Malone est atteint d’une maladie que la France apprend tout juste à connaître. Alors que ses parents et son frère, Sulyvane, sont démunis, il se bat avec dignité et s’accroche à un rêve : aller à Barcelone.
Dans la capitale catalane, il va suivre les traces d’une ombre pour se reconstruire.
La critique de Mr K : D’Astrid Monet, j’avais adoré Soleil de cendres paru chez Agullo en 2020, un ouvrage avec une héroïne très touchante, sur fond de crise apocalyptique et un style d’écriture superbe. Quel plaisir donc de retrouver l’auteure pour son dernier né sorti en début d’année chez Fayard. Loin du noir océan s’est révélé être à la hauteur de mes attentes et même plus. Quelle expérience de lecture encore une fois !
Astrid Monet nous propose un récit qui se déroule sur deux époques. D'un côté, on suit l'histoire à travers les yeux de Sulyvane, frère de Malone un jeune homme mort du Sida. Inconsolable, en colère face à un destin tragique et injuste, il part pour Barcelone sur les traces de son frère disparu. Ce dernier avait en effet sur sa table de chevet un guide de voyage sur la ville de Gaudi et rêvait d’y aller. Sulyvane s’y rend donc et erre sans but réel. Il s’interroge beaucoup, se met la tête à l’envers, fait des rencontres mais nul fil conducteur le guide, il se laisse aller sans espoir de remonter un jour à la surface.
Un chapitre sur deux, on revient aussi sur les origines du drame avec la naissance du jeune frère Malone dont on découvre assez vite qu’il est atteint d’hémophilie et à qui la maman va devoir faire des transfusions sanguines pour éviter le pire. Mais vous voyez les choses venir, nous sommes dans les années 80 et la famille va bien malgré elle se retrouver en première ligne dans le scandale du sang contaminé. On suit le parcours de Malone, de sa maman et du reste de la famille qui doivent faire face à la bêtise des médecins, le choc de la révélation de la condamnation de ce très jeune enfant à une mort lente et la progressive désagrégation de la cellule familiale.
Les deux fils tirés se complètent parfaitement, notre cœur saigne à l’évocation de ce grand frère perdu et en roue libre. Sulyvane craque, pleure, invective, se drogue, dort, se réveille, replonge dans les délices artificiels. Il fuit mais il s’explore aussi. Il va croiser quelques personnes lors de son périple barcelonais, des connaissances et des amis qui petit à petit l’aident à leur manière. Comment se reconstruire après une telle perte ? Le deuil est au cœur de cette partie du récit enlevée et juste à la fois avec une dissection habile et sensible des tourments de l’âme humaine face à la perte d’un être cher.
En parallèle, on suit le calvaire de la famille face au destin tragique de Malone. Petit être né sous la mauvaise étoile, malade mais toujours lumineux, je peux vous dire qu’on est extrêmement ému par lui durant toute la lecture. Le papa dépassé qui devient dépressif et alcoolique, la maman aimante et dévorante qui peu à peu dévisse sous le poids de ce qu’elle appelle sa double culpabilité, un grand frère qui devient adulte avant l’heure puis le début de la fin, le procès à préparer. L’ambiance est lourde, pesante, la famille ne va pas s’en relever on s’en doute. L’auteure nous fait lire un portrait réellement saisissant d’une famille lambda face à l’inenvisageable. C’est beau et cruel à la fois, on prend littéralement claque sur claque et on finit sur les genoux.
On retrouve la toujours aussi légère et subtile plume d’Astrid Monet. Elle porte l’art de la caractérisation des personnages à son summum, évoque nos faiblesses et nos espoirs comme personne et offre un ouvrage addictif comme jamais malgré un sujet difficile. Une grande et belle lecture que je vous encourage à entreprendre à votre tour au plus vite.