"Cette vie" de Melatu Uche Okorie
L’histoire : Cette vie. Celle des femmes migrantes dans une Irlande que l`on ne voit jamais... Le foyer, la queue pour obtenir des produits de première nécessité, le racisme quotidien, l`injustice et les absurdités d`un système. Mais aussi la nostalgie constante du pays...
Ce texte, une galerie de portraits de Melatu Uche Okorie donne, avec une grande qualité littéraire, un accès au quotidien de femmes coincées dans un espace-temps perdu entre le Nigéria et l`Irlande. Des femmes en exil qui ne veulent pas se contenter de survivre et qui aspirent à vivre, à comprendre le monde qui les entoure et y inscrire leur empreinte.
L`autrice est est née au Nigéria et a passé huit années dans un centre de rétention en Irlande dans l’attente d’un statut de réfugiée. Elle a commencé à écrire durant cette période.
La critique de Mr K : Datant de 2018, ce recueil de nouvelles est sorti il y a peu en France. Dans Cette vie, l’auteure irlandaise d’origine nigériane Melatu Uche Okorie nous raconte la destinée étrange et parfois dramatique de femmes en exil attendant de pouvoir rentrer légalement en Irlande, dans un espace et un temps décalé mais aussi la difficulté de se faire accepter une fois l’épreuve des centres de rétention passée. Les nouvelles sont puissantes mais ne représentent que la moitié de l’ouvrage, le reste étant constitué de dossiers et d’éléments biographiques. Je m’attendais à plus de matière...
Ces trois courts textes ont été écrits dans le fameux centre de rétention où l’auteure a passé plus de dix ans en attente de sa régularisation. Une des nouvelles parle de cet enfermement et du quotidien très rude qu’il suppose. L’attente qui s’étend allonge le temps et les perceptions, les distributions irrégulières d’argent, de produits d’hygiène, de nourriture rajoutent en plus l’angoisse de manquer du nécessaire pour simplement survivre. Ces conditions de vie inhumaines, en Europe, dans l’Union Européenne. On ne peut qu’être saisi de honte devant cet état des lieux implacable, témoignage à hauteur d'une femme qui jamais ne baisse les bras. Une attitude courageuse et admirable entre toutes.
Une autre nouvelle voit la narratrice proposer à la lecture un texte rédigé dans un atelier d'écriture. On pourrait s’attendre à de la bienveillance dans ce genre de lieu et pourtant... ce n’est que récriminations à peine voilées et jugements péremptoires. Car racisée, elle doit accepter ce qu’on lui dit, qu’on l’infantilise, que face aux sachants elle n’a qu’à fermer sa bouche. Le regard des autres, le racisme ordinaire explosent dans ces quelques pages et donnent à réfléchir sur nos modèles d’intégration. Et dans ce domaine, la France n’a certainement pas de leçon à donner.
Le dernier texte se déroule au Nigéria où une femme attend des jumeaux, ce qui porte malheur dans ce pays. Elle ne maîtrise rien, la superstition l’emporte sur sa liberté et la fuite semble être la seule solution envisageable. La figure et l’identité de la femme sont au cœur du texte et renvoie irrémédiablement aux deux autres écrits leur répondant, les complétant. On devine dès lors le calvaire qu’a pu vivre l’auteure avant de finalement avoir été naturalisée irlandaise.
Ces trois textes sont écrits de manière abrupte, sans trop de fioriture, dans un langage oralisant proche du créole parfois mais la traductrice explique en avant propos que malgré tous ses efforts, elle n’a pas réussi à retransmettre avec la plus juste des fidélités l’intention première de l’auteur. Pour autant, on se retrouve vraiment immergé dans ces lieux et moments, l’aspect cosmopolite des camps de rétention est assez bluffant avec ces idiomes, ces tensions et dans les inégalités criantes de nos systèmes soit disant vertueux. J’ai trouvé l’exercice réussi.
Là où le bât blesse, c’est qu’aussi forte que soient l’empathie provoquée et la vision proposée, il ne s'agit seulement que de trois tout petits textes. Alors, je comprends l’envie de contextualiser, d’expliciter le propos, mais au final, de l’auteure, nous avons peu de matière entre les mains. Je suis donc ressorti quelque peu frustré, j’aurais hautement apprécié qu’on délaie un peu les apports extérieurs et que l’on poursuive davantage l’immersion avec d’autres textes de l’auteure, qu’on n’en apprenne plus et que l’expérience soit totale. Un bilan en demi teinte donc...