"La Grande Révolution" de Paul Scheerbart
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L’histoire : Paul Scheerbart imagine la société qui peuple la face visible de la lune, et notamment ses nombreuses galeries souterraines de roches de couleurs et de textures variées. Les Luniens lisent dans de grandes bibliothèques, se reproduisent par parthénogénèse dans les grottes de mort, fument des champignons magiques dans des grottes-fumoir. Ils ne connaissent pas la faim, l'air suffit à leur subsistance ; ils ne connaissent pas la guerre, l'amitié règne entre leurs peuples.
Dans la plupart des cratères, ils ont installé des télescopes tournés vers la terre. L'observation de nos mœurs, et surtout de notre violence récurrente, est en effet la grande affaire de cette société.
La critique de Mr K : C’est un livre étonnant à plus d’un titre que je vous propose de découvrir aujourd’hui, un livre vieux de plus de 100 ans et traduit pour la première fois en français. Paul Scheerbart est un auteur allemand mythique, pacifiste forcené, qui a laissé une grande marque dans la littérature de son pays avec plus de 200 contes, nouvelles et divers récits dans des genres très différents. Paru en 1902, La Grande Révolution est une belle utopie extra-terrestre qui met en exergue la violence du genre humain. Délirant, planant et engagé, voici un ouvrage qui n’a pas perdu une once de sa vérité et de son charme. Je l’ai littéralement dévoré !
Les Luniens vivent tranquillement sur leur astre, leur communauté est pacifique et ils vivent tous en osmose. Les disputes n’existent pas et les désaccords se règlent par l’échange et le débat, de manière pondérée mais non exempte de profondeur. Vivant dans un monde coloré, eux-même traduisent leurs émotions par une pigmentation changeante de leur peau, la mort n’est pas une fin en soi et le désir sexuel n’existe pas car ils se reproduisent par parthénogénèse (division de la gamète femelle sans fécondation). Zéro tension ou presque donc et une certaine forme d’hédonisme président à leur mode de vie.
Ils ont par contre une grande passion pour l’être humain, leur principale occupation est de nous observer avec la multitude de téléscopes qui essaiment la surface visible de la Lune. Ils s’interrogent sur nos us et coutumes, notre ambivalence mais surtout sur la violence inhérente à notre espèce. D’ailleurs, certains luniens commencent à se lasser de ce triste spectacle, un clan se forme qui souhaiterait que les Luniens s’intéressent désormais exclusivement aux étoiles et aux potentiels mondes lointains. C’est le cœur du récit qui s’annonce avec l’éternelle querelle entre les Anciens et les Modernes, ce qui donne lieu à son lot de scènes de discussion, d’opposition tout en explorant la société si particulière des luniens.
L’ouvrage se lit d’une traite malgré son grand âge. Le parti pris est très intéressant et totalement novateur à cette époque. On se plaît à se contempler à travers le regard étonné et brut des luniens et le constat est sans appel. Il ne fait pas bon vivre sur Terre où règnent le chacun pour soi et la barbarie. J’ai aimé la naïveté des luniens et leur société utopique est une vision rafraîchissante que l’on lit rarement en littérature de genre. Certains détails sont datés mais il en ressort un charme suranné qui fait son effet et offre une lecture dépaysante, limite psychédélique par moment et hautement métaphysique surtout. On y parle de la vie, de son sens et des nécessaires remises en question qui jalonnent une vie qu’elle soit humaine ou lunienne d’ailleurs.
L’écriture est d’une pureté sans fard, c’est beau. Accessible, faussement simple, la nuance est de mise sur tous les propos tenus, la caractérisation des personnages. La balade sidérale est assez sidérante et l’on ressort conscient d’avoir lu une œuvre à part qui plaira à tous les amateurs de SF avant-gardiste. Une très belle découverte.