"Miettes (humour décalé)" de Stéphane Servant
L’histoire : "Au milieu de la cour, dans les couloirs du lycée, à l’arrêt de bus, c’est à qui sera le plus viril. Moi évidemment, avec mes bras comme des bretzels et mes livres, je suis hors circuit."
C’est la fête de fin d’année au lycée. Sur scène, seul face aux élèves, professeurs et parents, un adolescent prend la parole, comme un numéro de stand up. Avec beaucoup d’humour et d’intelligence, il raconte en une heure son histoire, celle d’un garçon rejeté, moqué, harcelé et agressé…
La critique de Mr K : Super découverte que ce nouvel emprunt effectué au CDI de mon établissement et que j’ai lu en une toute petite heure avec passion et une note d’angoisse vu les propos véhiculés. Dans Miettes (humour décalé), Stéphane Servant nous offre un remarquable micro-récit sous forme de monologue où un jeune homme de 17 ans se livre sans concession. La masculinité, la pression du groupe, le virilisme exacerbé, l’identité qu’on se forge, le poids de l’éducation sont au cœur d’une expérience de lecture forte et bouleversante.
Le héros anonyme prend la parole devant tout le lycée assemblé, élève de terminale plutôt discret, personne ne s’attend à ce qu’il va libérer. Et pourtant… Il en a gros sur le cœur et tout va sortir, déballage terrible et drôle parfois avec une multitude de flashback sur sa famille, son entourage, le lycée et la terrible sortie scolaire qui va tout faire basculer. Le numéro de stand up vire à l’introspection mais aussi à la dénonciation de tout ce qu’il subit au quotidien, laissant pantois le lecteur pris au piège par ces pages qui se tournent toutes seules.
Personne effacée, loin d’être dominante dans le groupe, le ver est déjà dans le fruit avec l’éducation reçue à la maison sous la coupe d’un paterfamilias tout puissant qui a des idées bien préconçues sur ce qu’est être un homme. Son fils n’est pas assez solide physiquement, trop sensible. C’est aussi ce que lui renvoie beaucoup de garçons de sa classe et affiliés. Le rapport de force, les apparences, la masculinité sont les signes d’un homme un vrai selon la masse. Notre personnage principal lui ne s’y retrouve pas et ne veut pas leur ressembler, ce qui le met en porte à faux avec le reste de ses camarades. Dès lors, les tracasseries débutent, s’accumulent, le fragilisant et le marquant dans son esprit mais aussi dans sa chair face à l’ignominie qui va se produire lors d’un séjour scolaire.
La forme du monologue convient parfaitement pour explorer les ressorts de la psyché humaine et Stéphane Servant sait s’y prendre pour disséquer son personnage principal et le contexte qui l’entoure. On peut dire qu’on en prend plein la tête. La langue simple, réaliste, très vivante nous plonge dans cette réalité sordide et décalée à la fois. La cruauté est présente à tous les étages dans les silences et les prises de position familiales, dans les rapports entre adolescents qui sont extrêmement rudes, injustes. Ou encore ces adultes qui prennent ou ne veulent pas prendre la mesure de certains phénomènes, montrant que le problème est sociétal et malheureusement très ancré dans les mœurs et les esprits. On en a parfois les larmes aux yeux, la gorge serrée et le bide qui vrille face à cette mise en cause forte et essentielle.
Malgré tout, cette lecture est une merveille, il faut dénoncer cette masculinité toxique qui pourrit la vie des femmes mais aussi de certains hommes. L’engrenage et sa logique sont très bien décrits, sans pathos, portes ouvertes et autres effets de manche. Un livre à faire découvrir au plus grand nombre, à partager et discuter avec nos jeunes (et il y a du boulot croyez moi !) car il en va de notre vivre ensemble et de la santé de la communauté. Un must-read.