"L'Astragale" d'Albertine Sarrazin
L’histoire : Il n'y a qu'un mur entre Anne et la liberté. Elle le saute en pleine nuit, se reçoit mal : une douleur fulgurante transperce sa cheville, elle vient d'en briser un ose au nom mélodieux : l'astragale. Le premier bon Samaritain qui passe n'ose pas l'emmener : le haut mur est celui d'une prison, et Anne et une "mineure en cavale" ; mais il fait signe à un autre automobiliste, et ce Samaritain-là comprend très bien. Julien est du même bord qu'Anne. Il s'occupera de tout : de trouver un refuge et des vêtements, de payer sa pension chez ses hôtes, de régler les frais d'hôpital et d'opération.
Pour qui rêve de liberté, il est dur de sautiller sur des béquilles ou de clopiner péniblement de planque en planque. Plus encore d'attendre Julien, sur un lit d'hôpital ou dans des chambres de rencontre. Anne reprendra la chemin aventureux qui la conduira à nouveau derrière le haut mur - et par-delà, jusqu'à la gloire littéraire, lorsqu'elle rassemblera les innombrables feuillets écrits en cellule, et qui racontent son histoire.
La critique de Mr K : Nouvelle chronique d’un ouvrage désignée par ma chère Nelfe dans le cadre de notre défi interne #piochedanslautrecapharnaum avec une lecture qui l’avait marquée dans sa jeunesse. L’Astragale d’Albertine Sarrazin se lit d’une traite et avec un plaisir non feint. Récit d’Amour et de cavale, il est surtout une histoire vraie, une histoire de femme libre ayant soif de vie. Ma lecture fut à la fois prenante, renversante et bouleversante.
On démarre direct à l’évasion de l’auteure-narratrice de la maison d’arrêt pour mineures où elle est emprisonnée pour un hold-up. Elle saute le mur et se brise l’astragrale. La voila rampant au bord de la nationale, un camionneur refuse de la prendre à son bord par peur de poursuites. La vie d’Albertine bascule avec la rencontre avec Julien, automobiliste qui la recueille juste après, un gars à embrouilles mais qui a le cœur sur la main. Il la cache chez sa mère et ils vont tomber mutuellement amoureux. De planque en planque avec en toile de fond la nécessité de réparer de ce qui a été brisé, tant physiquement que mentalement, on suit effaré ce destin hors du commun.
Ce roman dégage une force incroyable à commencer par une vie trépidante, loin des sentiers battus. Délinquante et forte tête mais pas que, la narratrice n’y va pas par quatre chemins. Il y a de l’instinct de survie inné chez elle et ses mots nous l'impriment durablement dans le crâne. Grâce à sa langue légère, gouailleuse, souvent poétique, elle nous entretient de sa condition de femme, de fugitive et d’amoureuse. C’est beau, puissant et ça n’a pas pris une ride malgré des formulations parfois surannées mais pleines de vie, de fougue. Directe, impertinente, insoumise, attachante, Albertine est surtout une femme libre dans tout ce que ça implique de brillant mais aussi de souffrance. On a le cœur au bord des lèvres quand s’achève le récit sur une ultime révélation.
Malgré un quotidien pas rose, des perspectives très souvent limitées, Albertine ne baisse pas les bras. Elle doit tenir, supporter les logeurs qu’elle n’apprécie guère, parfois vendre son corps pour avoir suffisamment d’argent pour subsister mais elle est fidèle à son amour, à ses valeurs aussi. Par des flashback, elle revient sur son passé tourmenté, sur les amis perdus mais aussi sur son goût pour les mots et l’écriture. L’écrivaine est en train d’éclore, cet ouvrage en est la preuve. Partie bien trop tôt lors d’une intervention médicale pourtant bénigne, elle aurait pu tellement marquer encore davantage le paysage littéraire français. Son Julien portera l’héritage et ressortira des textes pour pouvoir les proposer aux lecteurs.
Superbe lecture donc que cet ouvrage conseillé par ma douce, je suis ravi de la découverte et j’ai bien envie de poursuivre mon exploration de la courte bibliographie de l’auteure. Belle rencontre vraiment que je vous invite très fortement à faire à votre tour.