mardi 10 décembre 2019

"Récits barbares" de Gérard Manset

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L’histoire : Depuis longtemps déjà, Gérard Manset, le plus mystérieux des chanteurs-compositeurs, fascine et enchante. Comme il l'a pratiqué dans la musique et dans ses épopées lyriques, il offre avec ces Récits barbares des contes maîtrisés où terreur et féerie se répondent et se conjuguent. Edgar Poe, Maeterlinck et les surréalistes ne sont pas loin.

Il est question d'enfants et d'animaux, énigmatiques, propres à susciter de multiples interprétations. Tous ces récits sont autant de perles éclatantes reliées par un fil secret, qui tient à une langue savoureuse, onirique et précise à la fois.

Ils disent que l'enfant est notre double. Celui qui vient nous murmurer à l'oreille l'avenir du monde.

La critique de Mr K : C’est une bien étrange lecture que je vais vous présenter aujourd’hui avec ces Récits barbares de Gérard Manset. Je connais et apprécie beaucoup l’auteur-compositeur notamment pour son magistral album La Mort d’Orion aussi planant que mélancolique. Par contre, c’est la première fois que je le fréquentais en tant qu’écrivain et le voyage, bien que rempli d’embûches, vaut le détour.

Ce recueil se compose de six nouvelles d’environ 30 à 50 pages chacune, la dernière est cependant plus courte et se révèle être une mise en abîme des cinq précédentes. Au cœur de ces contes bien barrés, on retrouve à chaque fois une figure enfantine, une âme plus ou moins innocente qui va éprouver le monde dans sa complexité, sa bizarrerie et parfois sa cruauté. Ces récits mêlent éléments de fantaisie, fantastique pur, onirisme parfois, surréalisme à l’occasion et également même des éléments de récits de terreur. Le mix peut paraître improbable à première vue et cela se confirme durant toute la lecture avec une déstabilisation quasi constante du lecteur qui ne sait pas forcément à quoi se raccrocher... L’adhésion s’est faite pour moi de façon progressive, il a fallu s’accrocher, donner sa chance à certains récits qui m’ont paru de prime abord obscurs. Au final aucun n’est vraiment en deçà des autres même si chacun je pense y trouvera ce qu’il veut et même ce qu’il peut parfois !

Difficile de résumer les contes en eux-mêmes tant les histoires sont différentes de ce que l’on peut lire habituellement, on nage bien souvent en plein délire avec un imaginaire foisonnant et neuf. On rencontre des protagonistes pour le moins insolites voire déconcertants avec notamment une petite fille qui échange son corps avec sa meilleure amie qui s’avère être une biche, un petit garçon qui vient d’être acheté en guise d’animal de compagnie au marché par deux chimpanzés pour leur progéniture ou encore un prince accro aux fleurs et aux femmes qui crée un être hybride des deux passions qui l’animent... Ceci n’est qu’une infime partie du contenu de ce recueil qui réserve nombre de surprises dans le développement de ces intrigues dont on ne se doute jamais de la tournure qu’elles vont prendre.

Il faut en fait bien souvent accepter de se laisser porter, de laisser de côté notre sens commun et de s’ouvrir à une forme d’impressionnisme appliqué à l’écriture-lecture. Récits initiatiques, parfois mystiques, il est beaucoup question de l’enfance, de la candeur mais aussi de la découverte de l’autre. La vie et la mort sont abordées sans tabou dans des scènes qui peuvent à tout moment basculer dans le voyage intérieur mêlant sensations et réflexions intimes. Oui je sais, ça a l’air barré... Et vous savez quoi ? Ça l’est complètement ! Rajoutez dessus une écriture parfois ésotérique qui fera autant appel à votre compréhension qu’à votre ressenti profond et vous obtenez un ouvrage vraiment à part, qui certainement divisera ceux qui oseront le débuter. Une expérience à tenter pour les plus aventureux des lecteurs !


mercredi 4 décembre 2019

"L'Expérience" d'Alan Glynn

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L’histoire : Une mémoire inépuisable, des capacités démultipliées, que feriez-vous à la place de Ned Sweeney ?

New York, années 2000. Tout ce que Ray Sweeney, lobbyiste, sait de son grand-père Ned, c’est que ce dernier a mis fin à ses jours en sautant par la fenêtre d’un hôtel de Manhattan. Jusqu’à ce qu’il rencontre Clay Porter, ex-conseiller de Richard Nixon, qui semble avoir bien connu Ned. Et le vieil homme a une autre histoire à raconter : celle d'une drogue mystérieuse développée par la CIA, décuplant l’intelligence de ses utilisateurs.

New York, années 50. Simple employé dans une agence de publicité de Madison Avenue, Ned vit une expérience des plus particulières. Au contact d'une substance étrange, il est comme transporté au-dessus de ses capacités, il pénètre les arcanes de la haute société, rencontre Marlon Brando, Dylan Thomas et Marilyn Monroe, voit son horizon s’élargir de façon littéralement hallucinante. Mais combien de temps peut-il tenir un tel rythme, et à quel prix ?

La critique de Mr K : Belle expérience de lecture dont je vais vous parler aujourd’hui avec L’Expérience d’Alan Glynn sorti récemment aux éditions Sonatine qui décidément ont le don de proposer des ouvrages qui sortent des sentiers battus avec ici une petite merveille de suspens alternant révélations familiales, manipulations politiques et industrielles, et passages délirants au-delà des portes de la perception chères à Huxley. Accrochez-vous ça dépote !

D’un chapitre à l’autre, on alterne deux points de vue. Il y a tout d’abord Ray, un lobbyiste navigant dans les milieux de la politique qui au détour d’une rencontre va voir sa perception du passé familial changer. Son grand-père ne se serait pas suicidé et sa dramatique disparition serait liée à une substance hallucinogène aux effets incroyables. Piqué dans sa curiosité, il mène l’enquête, rencontre d’anciennes relations de son aïeul et va peu à peu toucher du doigt une vérité bien dérangeante.

En parallèle, on suit l’histoire de Ned, le fameux grand-père disparu, publiciste qui suite à une soirée particulièrement chargée se retrouve en possession d’une mystérieuse drogue aux capacités plus qu’épatante : elle permet au sujet de dépasser ses capacités intellectuelles et de devenir en quelque sorte un surhomme. Malheureusement pour lui, l’addiction est rapide et des hommes lui courent après avec des intentions pas des plus claires. C’est le début d’une fuite en avant qui ne peut que se terminer mal et mettre à jour des arrangements que la morale réprouve et qui pourtant régissent la vie politique et publique des États-Unis de l’époque (et encore d’aujourd’hui j’imagine...).

La gestion des deux destins croisés est un modèle du genre, l’un complète l’autre à la manière d’un puzzle que deux joueurs différents complètent à tour de rôle, livrant peu à peu des indices sur la nature des forces en présence qui pourtant avancent masquées. Derrière le drame familial et la quête des origines, l'ouvrage se livre à une dissection sans fard des dysfonctionnements de la démocratie américaine avec les politiques et leurs liens ténus avec certains lobbys, les mensonges d’État pour cacher des réalités peu amènes ou encore des arrangements entre puissants pour gonfler leur chiffre d’affaire. Dissimulation et destruction de preuves, services de polices aux ordres, chantages meurtriers, humiliations et isolements forcés sont autant de ficelles usitées par des forces obscures pour qui une vie humaine a peu de poids face à des intérêts parfois colossaux.

Malheureux pions plongés dans une partie qui les dépassent, les deux personnages principaux sont très touchants et très souvent au bord de la perdition (surtout Ned). Très fouillés, confrontés à leur passé mais aussi à des perspectives futures tour à tour effrayantes ou prometteuses, on nage en pleine paranoïa et délire parfois notamment lors des scènes où les protagonistes sont sous l’influence de la fameuse drogue. Cela donne des moments vertigineux où le génie se dispute à la folie, où les barrières s’effondrent entre l’individu lambda et celui qui pourrait changer la face du monde.

Tout cela est remarquablement mis en scène par une langue ciselée et élégante qui fait mouche, accroche le lecteur et emporte le lecteur dans une Amérique pas si lointaine que ça (on ose imaginer les tractations en cours entre l’administration Trump et certaines puissances financières US). Malgré une tension de tous les instants, un fil directeur qui ne laisse pas de place au doute (on connaît la fin du grand-père dès le départ), on ne peut s’empêcher de tourner les pages, poussé par un sens de la narration d’une rare efficacité et une immersion totale dans un background d’une grande richesse. L'Expérience est typiquement le genre de lecture qui ne prend pas ses lecteurs pour des imbéciles, suscite évasion et réflexion, et au final procure un plaisir de lire exceptionnel. À découvrir absolument !

mardi 26 novembre 2019

"Askja" de Ian Manook

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L’histoire : Dans le désert de cendre de l'Askja, au coeur de l'Islande, le corps d'une jeune femme assassinée reste introuvable.

Près de Reykjavik, des traces de sang et une bouteille de vodka brisée au fond d'un cratère, mais là non plus, pas le moindre cadavre. Et dans les deux cas, des suspects à la mémoire défaillante.

Ces crimes rappellent à l'inspecteur Kornelius Jakobson, de la police criminelle de Reykjavik, le fiasco judiciaire et policier qui a secoué l'Islande au milieu des années 70 : deux crimes sans cadavres, sans indices matériels, sans témoins, que des présumés coupables finissent par avouer sans pourtant en avoir le moindre souvenir.

La critique de Mr K : Ayant beaucoup aimé le précédent opus de Ian Manook, c’est avec une joie non feinte que j’entamai la lecture d’Askja pour retrouver notamment l’enquêteur Kornelius Jakobson, personnage atypique, souvent en roue libre et totalement attachant qui cette fois ci se retrouve face à un crime sans cadavre ! Le postulat de départ va le mener sur les pistes d’une machination de grande ampleur et le confronter à un passé plus que douloureux...

Comme dans son précédent thriller (voir chronique de Heimaey), l’auteur ne perd pas de temps en exposition. Perdu en pleine lande islandaise, Kornelius a été appelé par un jeune homme qui dit avoir filmé avec son drone un cadavre de jeune femme nue. Preuve photographique à l’appui, il maintient sa déposition alors qu’arrivé sur place il n’y a plus rien à part quelques traces de sang ! Intrigué, Kornelius commence son enquête, l’occasion de recroiser des personnages déjà ébauchés dans le précédent volume avec notamment Ida, médecin légiste avec qui il vit une relation complexe (pour ne pas dire compliquée), Botty, une jeune enquêtrice qu’il a contribué à former lors de ses classes, ou encore Komsy et Spinoza, un duo de flics drolatique qui nous assènent régulièrement quelques citations philosophiques bien placées. On retrouve, à l’instar d’une enquête du commissaire Adamsberg chez Vargas, l’impression de retrouver une sorte de famille avec ses fêlures, ses non-dits et ici de beaux pétages de plombs.

Kornelius reste Kornelius, mi homme mi troll, sa stature gigantesque, sa force quasi surhumaine, son aplomb ne peuvent masquer durablement un cœur d’or, doublé d’une incapacité chronique à parler aux autres et à alléger son fardeau. Au delà de l’enquête qu’il poursuit et qui pourrait bien le mener à sa perte, le récit le mettra aux prises avec son passé et notamment la relation tendue qu’il a avec son paternel, un ancien des forces spéciales au passé nébuleux. Et puis, il y a toujours sa relation difficile avec les femmes, incapable de se livrer, il passe clairement à côté de son histoire avec Ida, le déroulé de l’enquête et les circonstance vont encore plus ternir le tableau et amener des développements qui m’ont profondément ému. Ben oui, je suis comme ça, quand j’aime un perso, je vis littéralement ce qu’il vit lui-même et je peux vous dire que la fin de l’ouvrage n’est pas tendre avec lui. Qui sait ce que lui réserve l’auteur pour la suite...

L’enquête au premier abord ne semble pas très poussée. On visite plutôt les lieux les uns après les autres, alternant petites révélations et affinement des relations entre les personnages principaux. C’est bien mené, très régulier dans le rythme qui ne désemplit pas mais on se demande où tout cela va nous amener. À mi parcours, les banderilles plantées, l’auteur lâche les chevaux. Beaucoup de fausses pistes sont levées, Kornelius tombe littéralement de Charybde en Sylla, l’affaire de meurtre prend une toute autre ampleur et met en cause des personnes publiques qui cachent bien des choses. C’est l’occasion de descriptions bien senties sur le système politico-judiciaire islandais (que je ne connaissais pas du tout) et sur les collusions qui peuvent exister, la raison d’État et le développement du pays notamment. Je peux vous dire qu’on râle et que l’on tombe des nues par rapport à certaines figures rencontrées précédemment. L’effet est là en tout cas, l’attirance augmente et il est impossible de relâcher le volume avant d’avoir lu le fin mot de l’histoire.

Rajoutez là-dessus les codes du thriller / polar respectés à la lettre, des descriptions toujours plus somptueuses d‘un pays fascinant et que je rêve de visiter, une écriture qui va à l’essentiel sans pour autant tomber dans la facilité et vous obtenez un sacré page-turner qui mettra vos sens en ébullition. À lire absolument quand on est amateur du genre !

dimanche 17 novembre 2019

"Oublie les femmes, Maurice" de Florent Jaga

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L’histoire : Nuit noire. Les phares éclairent ma caisse. Les portes claquent. Quatre types descendent, arme à la main. J'ai juste eu le temps de me libérer pour grimper dans l'arbre. J'observe la manœuvre, perché au milieu du feuillage. J'ai la vessie qui tremble. Pourvu qu'ils ne lèvent pas la tête. Oublie les femmes, Maurice, et respire encore ces collants pour tromper ta peur.

Entre désillusions et espoirs ténus, l'amour est fragile chez Florent Jaga. Les souvenirs se ravivent pour mieux s'estomper. Les chemins paraissent s'éloigner, puis, contre toute attente, se rejoignent. Plein d'humanité et de tendresse envers ses personnages, Florent Jaga observe les points de bascule avec autant de lucidité que d'empathie. Oublie les femme, Florent ? Non, surtout pas !

La critique de Mr K : Retour sur une lecture enthousiasmante aujourd’hui avec le superbe recueil de nouvelles Oublie les femmes, Maurice de Florent Jaga, un livre sorti très récemment chez l’éditeur belge Quadrature spécialisé dans ce type de littérature trop souvent boudée par les lecteurs. Étant moi-même amateur de nouvelles, Florent Jaga ayant obtenu le prix Télérama du texte court, on partait sur de bonnes bases surtout qu’ici l’auteur aborde le thème universel des relations hommes / femmes à travers de multiples textes plus ou moins longs où il conjugue talent unique de caractérisation des personnages, langue incisive et histoires qui prennent aux tripes.

On ne s’ennuie pas une seconde avec toute une série de situations allant de la banalité apparente aux réactions, événements intimes les plus cocasses voir les plus thrash. Le ton diverge donc beaucoup d’un texte à l’autre, comédie, drame, étrangeté se mêlent pour donner un recueil équilibré et plus que plaisant à lire. La preuve en est qu’il ne fallut qu’une soirée et un après-midi pour dévorer les 14 nouvelles d’un ouvrage qui fera date à mes yeux.

Tour à tour, on croise un serial noceur prit à son propre piège, un homme perclus d’habitudes qui pète un plomb quand sa femme fait les courses à sa place (ma préférée), un voyeur observant un couple étonnant, une femme observant par sa baie vitrée un curieux voisin, un curé et une pécheresse qui se rencontrent et échangent, une ex qui débarque à l’improviste chez un homme et tente de réanimer un temps l’ancien volcan que l’on croyait trop vieux -sic-, un couple en perte de vitesse allant à la plage pour faire le vide. On assiste aussi à une réception collé-montée organisée par une femme ambitieuse, un couple usé par la vie qui se déchire à distance et finira par se retrouver dans une mort inattendue, un autre couple opèrant une fuite en avant motorisée et pleine d’émotion, un autre couple allant vivre une St Valentin coquine qui pourrait bien raviver la flamme, deux voisins discutant avec en arrière fond une grosse tentation de suicide, un autre voyeur nous parle aussi de sa collection de pin-up et enfin, un mec en cavale rencontre dans son sillage une femme séduisante qui l'appelle à l’aide. Ces situations sont très variées peut-être mais au final, ce sont des scénettes d’une grande humanité qui se dégustent les unes après les autres avec un plaisir renouvelé.

On sent très vite l’amour profond de Florent Jaga pour ses personnages. Il y a une délicatesse, une finesse d’écriture qui amènent à apprécier tous les cabossés de la vie qu’il nous propose de découvrir. Sentiments et émotions sont décrits avec justesse, sans chichis et avec une fraîcheur incroyable. Allant de quatre à une dizaine de pages, l’auteur avec une économie de mots qui ne se dément jamais parvient à nous asséner ses histoires sans qu’il y ait la moindre échappatoire. On est littéralement happé par chaque récit et on n’a qu’une envie, poursuivre son chemin de lecture et découvrir d’autres destins dont il décortique les tenants et les aboutissants. Amour, amitié, espoir, déception, rancune, haine même parfois, libido en berne ou au contraire passion brûlante sont passés en revue avec à chaque fois une efficacité renversante. C’est bien simple, aucun récit ne m’a semblé faible ou en retrait. Bien sûr trois / quatre sortent du lot mais les autres sont loin d’être en reste et l’on passe vraiment un très agréable moment.

Écrits 100% crédibles, restant dans la sphère de l’intimité, avec à l’occasion un soupçon d’érotisme bien placé et très appréciable (on parle des relations amoureuses tout de même !), l’écriture est à la fois légère, exigeante et glisse toute seule ravissant à la fois les amateurs de belles formules et de contenu riche. Voilà un recueil de nouvelles vraiment exceptionnel dont le souvenir perdurera longtemps et que je vous conseille de découvrir au plus vite. Dans son domaine, Florent Jaga est un des auteurs les plus doués de sa génération, à suivre de très très près !

mardi 5 novembre 2019

"Je te suivrai en Sibérie" d'Irène Frain

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L’histoire : Pauline est de ces femmes qui brisent les obstacles. Risque-tout, elle quitte sa Lorraine natale à la fin de l’épopée napoléonienne pour rejoindre Moscou où, simple vendeuse de mode, elle est courtisée par un richissime aristocrate. Ivan Annenkov est un fervent admirateur de la France des Lumières et un farouche adversaire du servage. Il appartient à une société secrète qui rêve de renverser le tsar. Le complot échoue, les décembristes sont déportés en Sibérie. Ivan serait mort dans l’oubli le plus total si Pauline, comme sept autres femmes de condamnés, n’avait décidé de le rejoindre.

La petite bande, qui deviendra légendaire, soutient si bien les conjurés qu’ils relèvent la tête et fondent, derrière les murs de leur prison, une mini-république à la française...

La critique de Mr K : Attention petite bombe littéraire ! D’Irène Frain, je n’avais lu que Le Nabab et il y a fort longtemps au sortir de l’adolescence, ma mère appréciant l’auteure et me l’ayant conseillé. J’avais aimé le souffle romanesque et la langue si inventive et accessible d’une auteure que je n’ai depuis plus recroisée. L’occasion fait le larron et voila Je te suivrai en Sibérie qui se retrouve entre mes mains promettant une histoire mêlant grande histoire et passion amoureuse, un diptyque ô combien séduisant pour l’amateur de lecture que je suis. Contrat pleinement rempli pour une lecture express et prenante comme jamais.

Irène Frain décide avec ce vrai-faux roman de suivre les pas de Pauline, une française du XIXème siècle au parcours de vie incroyable. Tout ce qui est relaté ici est véridique et a été vérifié par l’auteure qui a suivi les traces de cette femme amoureuse d’un aristocrate russe déchu suite au démantèlement d’un groupuscule voulant la chute du Tsar (les fameux décembristes qui marqueront l’Histoire russe et auxquels on voue encore un culte aujourd’hui en Russie). On suit donc Irène Frain dans son périple à travers la Russie, ses rencontres et ses découvertes. On alterne avec la vie de Pauline, romancée pour l’occasion mais toujours relatée avec un souci de justesse et de coller au plus près de la réalité historique que l’auteure recouvre grâce à ses recherches, ses visites et la lecture de nombreux documents. Le mélange loin d‘être indigeste ou rebutant fonctionne pleinement et l’on se prend rapidement d’affection pour cette jeune femme intrépide.

Bien que d’extraction modeste, Pauline connaît donc un destin hors du commun. Enfance difficile, parents absents, elle doit se débrouiller vite toute seule. De fil en aiguille, se spécialisant dans la couture - sic -, elle sera amenée à travailler en Russie où une rencontre fera tout basculer. Volontaire, n’ayant pas la langue dans sa poche, courageuse entre toutes, elle va vivre une histoire d’amour intense et complexe. Beaucoup auraient baissé les bras lorsque l’homme aimé est emprisonné dans la Sibérie froide et inhospitalière. Elle non, elle n’hésite pas et part à l’autre bout du monde pour rester auprès de son bel Ivan et ils ne se quitteront jamais malgré l’adversité et la rancune tenace d’un monarque obsédé par son pouvoir. Pauline force le respect, sans effets de manche, ni stratagèmes littéraires surfaits, Irène Frain nous fait un portrait sensible et extrêmement poignant d’une femme que les éléments de l’Histoire ballottent en tous sens mais qui ne lâche jamais prise.

Débrouille, amitié (c’est un groupe de huit femmes soudées qui se constitue assez vite en Sibérie), soudoiements occasionnels pour améliorer l’ordinaire ou passer des messages, déménagements à répétition, grossesses multiples (oui cela paraît étonnant mais des rapprochement ont lieu entre l’épousée et son mari emprisonné), conditions de vie difficiles sont passés en revue au gré du déroulement de cette vie éprouvante mais pas gâchée pour autant. Malgré les difficultés, Pauline ne renonce jamais à sa quête de bonheur, elle ne passe pas loin de la catastrophe par moment mais sa rage de vivre l’emporte et mène finalement à une fin d’existence relativement plus apaisée même si la réhabilitation ne sera jamais complète pour les décembristes et leurs familles.

L’âme russe habite ce livre, la détermination de Pauline en est un bel exemple ainsi que le caractère bien trempé d’Ivan et de ses compagnons. Abnégation, une certaine forme de fierté aussi habitent ces pages mais aussi la notion de soumission à l’ordre établi se mêlent et donnent à lire des destinées prenantes et jusqu’au-boutistes parfois. Les férus d’Histoire y trouveront aussi leur compte avec de belles évocations du régime tsariste, d’événements clefs du XIXème siècle russe (méconnus en France car peu ou pas étudiés en cours), le tout romancé avec talent tout en respectant la matière. On croise aussi des figures du monde littéraire de l’époque avec notamment Dostoievski ou encore Dumas qui révèle à l’occasion un aspect désagréable de sa personnalité. C’est aussi l’occasion pour l’auteure de faire des allers-retours avec le présent, les souvenirs et traces restantes dans tel ou tel lieu, sous telle ou telle forme. Le voyage en cela devient véritablement passionnant et au fil des rencontres, l’histoire se densifie et prend une tournure vraiment puissante.

Je te suivrai en Sibérie fut donc un superbe voyage littéraire présentant une démarche singulière et passionnante de la part d’une auteure qui a toujours le don d’emporter ses lecteurs avec une langue bouleversante et d’une intensité impressionnante. Histoire d’amour renversante, destin hors du commun et bien réel, la Russie, son Histoire et ses contradiction sont au menu de cette lecture qui fera date dans mon esprit et que je vous encourage à entreprendre au plus vite.


jeudi 24 octobre 2019

"Danses du destin" de Michel Vittoz

Danses du destinL’histoire : J'ai tiré, il est tombé dans le caniveau. Je me souviens du bruit. Sourd. Un sac de terre sur le pavé. Je ne savais même pas qui c'était. Après je lui ai encore donné des coups de pied. La haine. Je ne croyais pas que c'était possible, haïr à ce point. Haïr un inconnu qu'on vient de tuer. Haïr un mort. Je ne sais pas combien de fois il aurait fallu que je le tue pour cesser de le haïr. Mes coups de pied l'ont fait rouler jusqu'au bord du quai. Il est tombé dans le canal entre deux bateaux. Je l'ai vu disparaître dans l'eau noire.

Je tue mon père sans le savoir. Tu veux comprendre pourquoi. Elle, Il devait la tuer. Nous n'en savons pas plus. Vous non plus. Ils se demandent ce qui a bien pu se passer.

La critique de Mr K : Chronique d’un ouvrage différent aujourd’hui, Danses du destin de Michel Vittoz appartient à cette catégorie d’ouvrage qui marquent durablement leur lecteur : une trame basique à portée universelle et une forme narrative éclatée jouant ici sur les pronoms personnels qui amorcent chaque début de chapitre comme une indication du point de vue adopté. La surprise initiale se meut très vite en la découverte d’une construction narrative originale qui porte le récit et lui donne une force insoupçonnée. Suivez le guide !

Sachez tout d’abord que cet ouvrage est la suite d’un livre que Michel Vittoz a publié il y a déjà bien des années. Ne l’ayant pas lu, je partais avec une petite appréhension que la suite de ma lecture a rapidement levé. Rassurez-vous donc, on peut tout a fait lire Danses du destin indépendamment et en retirer la substantifique moelle.

Tout commence par une course poursuite entre un malfrat et un policier qui se termine en drame. Le policier passe l’arme à gauche, le meurtrier s’échappe et se rend compte qu’il a tué sans le savoir son géniteur qu’il croyait mort depuis bien longtemps ! Commence une lente et profonde introspection matinée de références à Oedipe et à la psychanalyse qui y est liée. Tuer le père... En parallèle, nous suivons divers personnages qui de prime abord ne semblent pas reliés à la trame principale : un tueur à gage rend visite à une petite mamie esseulée, le Serpent une huile de la République Française qui agit dans l’ombre des puissants depuis des décennies ou encore un jeune flic plongé dans une enquête tortueuse. Des liens apparaissent, des faisceaux de présomption aussi et au final tout s’emboîte et emporte l’adhésion admirative du lecteur.

Il faut dire que l’auteur s’y entend pour proposer des personnages attachants et complexes. Chacun voit ici ses motivations les plus intimes remonter à la surface et livrées sur un plateau. Il souffle sur ces pages une certaine urgence, une dramaturgie intense qui prend à la gorge. Relations familiales, sociales et politiques sont décortiquées au-delà des apparences et des poncifs. En cela il se dégage une profonde humanité de ce récit dans ce qu’elle a parfois de beau mais souvent aussi de cruel et d’inique. On parcourt ces lignes avec une impression de malaise qui va grandissante, on réfléchit et on ne peut que constater les béances existantes dans certaines vies, tronquées, gâchées ou tout simplement touchées par un fatum annihilant.

La grande Histoire fait son apparition assez rapidement avec notamment l’évocation du passé trouble de certains protagonistes. La Seconde Guerre mondiale avec l’épisode de l’occupation allemande et le fractionnement en deux de la société française entre collabos et résistants est très subtilement évoquée à travers l’évocation du passé des plus âgés des protagonistes. Héros et salauds se côtoient, traversent parfois les barrières de la morale et leurs errances ont des retombées bien des années plus tard. Cela rajoute une profondeur à la trame, nourrit la perception que l’on a des personnages et invite à la révision des horizons d’écriture que l’on avait pu construire auparavant. C’est judicieux et totalement addictif surtout que l’auteur revenant au temps présent se permet entre deux phases de narration pure de distiller quelques messages de bon aloi en total cohérence avec ma perception de la société avec notamment la collusion médias / pouvoir et un message social clinique mais plein de vérité.

Cet ouvrage est donc bien plus qu’un simple roman fait de regret, de haine, de revanche et de règlement de comptes. Servi bien noir, sans réelle lueur d’espoir, il se lit avec une facilité déconcertante. La langue est gouleyante sans être exigeante. Il faut simplement s’adapter à l’organisation déstructurée des chapitres, faire le lien entre pronoms personnels et personnages, prendre patience et laissé le récit venir à soi et même se laisser interpeller par l'auteur qui n'hésite pas dans certains passages à nous interpeller directement ! Une fois les trente premières pages parcourues, on commence à saisir la logique adoptée et l’ensemble fascine. Très difficile à relâcher par la suite, on finit sa lecture heureux et quelque peu ébranlé par la teneur de l’ensemble. C'est typiquement le genre d’ouvrage que j’adore et que je ne saurais que trop vous conseiller.

mercredi 16 octobre 2019

"Lucky man" de Jamel Brinkley

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L’histoire : Un adolescent cherche par tous les moyens à se prouver qu’il est devenu un homme, quitte à mettre en danger son petit frère influençable ; le temps d’une excursion avec le centre aéré, un gamin des quartiers pauvres découvre la réalité des classes sociales ; à l’occasion d’un stage de capoeira, deux frères tentent de renouer et d’oublier la violence de leur passé familial...

La critique de Mr K : Retour sur une lecture marquante aujourd’hui avec le recueil de nouvelles Lucky man de Jamel Brinkley, sorti récemment dans la collection Terres d’Amérique d’Albin Michel. Ce n’est pas encore cette fois-ci que cette belle collection redescendra dans mon estime tant j’ai été emporté par le style singulier d’un auteur au devenir radieux, des textes incisifs et une évocation de la question raciale abordée sans détour et une finesse qui ne se dément jamais.

Neuf nouvelles composent cet ouvrage et aucune ne sort vraiment du lot, toutes se valent et apportent leur pierre à l’édifice que veut ériger l’auteur : parler des afro-américains, leur statut, leurs sentiments, aspirations et barrières mentales. C’est donc à travers une petite foule de personnages dans des moments clef de leurs vies respectives ou dans une routine bien installée que Jamel Brinkley aborde une question plus que sensible depuis bien des décennies et plus encore depuis l’accession au pouvoir suprême de Donald Trump.

Entre autre, on suit deux jeunes blacks qui se rendent à une fête et tentent de séduire deux filles blanches, ce qui n’est pas chose facile quand on sait que les clichés et les appréhensions ont la vie dure, un adolescent et son jeune frère zonent et vont aller assister à un défilé bien particulier quitte à mettre en danger le plus jeune des deux. Dans une autre nouvelle, un jeune garçon issu d'un quartier difficile part en centre aéré dans un quartier bien différent du sien, ce sera l’occasion d’apprentissages qu’il ne soupçonnait pas. Deux frères dans une autre historiette ne sont unis que par la pratique de la capoeira, une rencontre va leur permettre de briser le silence et de révéler des choses sur leur passé commun tumultueux. Ou encore dans une autre nouvelle, sous couvert de nous décrire le quotidien d’un petit bar de quartier, Jamel Brinkley nous révèle une histoire d’amour poignante et les effets néfastes de la solitude. Je ne déflorerai pas les autres récits pour vous garder la surprise tout en sachant que chacun des neuf textes part d’une situation presque banale pour délivrer un message à la portée beaucoup plus universelle.

La réussite principale de ce recueil est sa capacité à proposer un regard neuf sur une question traitée à de multiples reprises. Pas de poncifs accumulés ici mais plutôt l’exploration quasi chirurgicale par moment des âmes qui peuplent cet ouvrage. L’amour, le travail, la famille, les relations entre communautés sont au cœurs des tourments et espoirs abordés dans Lucky man. Qu’ils soient jeunes ou vieux, les personnages noirs sont confrontés ici à des incompréhensions, des soucis purement humains sur lesquels se rajoutent bien souvent les conflits interraciaux qui émeuvent régulièrement le spectateur attentif de la vie américaine que je suis. Par le biais d’une écriture d’une grande finesse, Jamel Brinkley arrive à nous faire partager toutes les pensées et interrogations de personnages dont on arrive à cerner la mentalité et la personnalité en simplement quelques pages. Il faut un don pour écrire une bonne nouvelle, ici on a affaire à un maître en la matière qui conjugue langue concise et caractérisation au cordeau. On ploie très vite face à l’avalanche d’émotions qui surgissent de ces pages et nous prennent en otage. Ce qui est étonnant c’est que malgré des sujets parfois graves, des dysfonctionnements sociétaux mis en lumière, on ressort avec un sourire aux lèvres avec dans sa tête un petit espoir qu’un jour les choses évolueront. C’est sans doute le fruit des dialogues parfois plein de sagesse qui émergent des nouvelles et nourrissent la réflexion du lecteur.

J’ai aimé aussi le fait que toutes ces nouvelles se déroulent à New York, une ville que j’ai pu visiter en solo il y a maintenant pas mal d’année et qui m’avait fasciné par son caractère cosmopolite, culturel mais concentrant aussi la fracture sociale prégnante aux USA (entre le Bronx et Manhattan il y a un monde !). Le livre rend hommage à ces quartiers déshérités où l’on s’entraide comme on peut, où les crispations s’accumulent aussi... La ville en elle-même est un personnage à part entière et même si elle se fait discrète en terme de descriptions pures (l’auteur s’attardant surtout sur les interactions entre protagonistes), on sent sa présence, son poids aussi. Certains s’en échapperont, d’autres y trouvent une forme de rédemption, d’autres encore lui sont enchaînés... Le lien en tout cas est ténu et apporte son lot de détails qui parlent et enrichissent le message et les personnages qui leur sont accolés.

Lucky man est donc une très grande réussite servie par une langue d‘une grand souplesse, évocatrice comme jamais, profondément attachée aux humains qu’elle dépeint et portée par un message fort et éclairant. Titillant l’imagination et suscitant moult questionnements, voila un ouvrage à côté duquel il ne faut pas passer quand on est amateur de short stories à la mode US.

mercredi 9 octobre 2019

"Pyongyang 1071" de Jacky Schwartzmann

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L’histoire : Marathon. Corée du Nord. Rien à voir, a priori. Et pourtant, le marathon de Pyongyang existe, et il n’est ouvert qu’aux étrangers. Jacky Schwartzmann a dépassé ses limites en parcourant 42 kilomètres dans l’un des pays les plus fermés au monde. Son dossard : le n°1071.

Rien n’était gagné. Il a fallu passer l’étape de l’inscription, celle de la sélection, puis se préparer au marathon et à un voyage dans la dernière dictature communiste à l’œuvre. Savoir que l’on sera guidé, désorienté, mais aussi très entouré.

La critique de Mr K : Chronique d’une déception aujourd’hui avec Pyongyang 1071 de Jacky Schwartzmann sorti il y a peu aux éditions Paulsen. J’affectionne tout particulièrement cette dernière pour ses propositions décalées et son ouverture sur le monde. J’ai ainsi adoré La Mer des cosmonautes de Cédric Gras et Briser la glace de Julien Blanc-Gras. Cet ouvrage promet beaucoup quand on prend connaissance de la quatrième de couverture, un ton léger pour un sujet détonant : la Corée du nord. J’étais plus qu’enthousiaste à l’idée de lire les pérégrinations de l’auteur dans la dernière dictature communiste du globe, pays secret, inquiétant et trop souvent fantasmé. Malheureusement, ma lecture bien que rapide n’a pas répondu à mes attentes et l’auteur m’a même agacé plus d’une fois !

Le principe de base est excellent : l’auteur décide de participer à un marathon en Corée du Nord, organisé et encadré par les autorités bien évidemment. Pour le coup, l’occasion est trop belle, on n’a en effet pas l’occasion d’aller dans le pays le plus fermé du monde tous les jours ! Passée l’étape des interrogations et de la préparation, le voila parti pour Pékin puis la Corée du Nord. Mélangeant réflexions et descriptions, il participera à l’épreuve (et fera d’ailleurs un très bon résultat) et visitera certains hauts lieux symboliques du pouvoir, le tout surveillé de près par un régime obsédé par l’ordre, l’obéissance et l’ennemi américain.

La première partie de l’ouvrage traite donc de l’annonce du projet et de sa préparation. Ce qui est intéressant au départ devient assez vite barbant, l’auteur lorgnant parfois vers l’auto-satisfaction et le nombrilisme. L’humour ne désamorce pas vraiment la chose, rendant les propos tantôt pédants, tantôt horripilants. Ne vous trompez pas, j’aime beaucoup le cynisme, quand il est utilisé avec tact et assorti de réflexions sur l’humain, je suis plus que preneur en fan inconditionnel de Pierre Desproges que je suis. Ce qui devait être le début d’une formidable aventure en terres dictatoriales se transforme en énumération de lieux communs et en manuel de préparation du parfait marathonien. Il faut donc attendre la page 71 (sur 185 tout de même !) pour que le narrateur décolle enfin pour Pékin...

Pour le coup, le livre prend un peu d‘ampleur car commence pour l’auteur une expérience hors norme qui le voit confronté aux tracasseries douanières, un marathon éprouvant physiquement puis la série de visites organisées par le pouvoir pour ses visiteurs occidentaux. Pour tout vous avouer, je n’ai rien trouvé de transcendant dans cette partie non plus, il n’y a pas de révélations fracassantes ou de réelle découverte pour celui ou celle qui s‘intéressait déjà au sujet auparavant. Ben oui, il n’y a personne dans les rues, ben oui un pouvoir dictatorial s’autocongratule dans des lieux et des cérémonies démesurés et souvent kitschs, ben oui les visiteurs étrangers ne peuvent rencontrer de vrais gens du peuple, ben oui on est constamment surveillé... Gardant son ton cynique, j’ai trouvé l’entreprise assez vaine, assez plate en terme de critique et surtout très prétentieuse. Il faut croire que cet auteur et moi ne sommes pas faits pour nous entendre...

C’est d’autant plus décevant que je connais nombre de blogueurs qui ont apprécié l’ouvrage vantant son humour et son propos. Personnellement, je suis totalement passé à côté et je ne suis pas près de repratiquer cet auteur. À chacun, je pense, de se faire sa propre opinion...

mercredi 2 octobre 2019

"Bête noire" d'Anthony Neil Smith

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L’histoire : L’agent du FBI Franklin Rome a juré la perte de Billy Lafitte, ex-shérif adjoint dans le Minnesota. À n’importe quel prix. Il est vrai que, pour un homme de loi, l’existence de Billy ressemble à une insulte perpétuelle. Celui-ci a en effet à peu près tous les vices imaginables. Aussi, après quelques tracas avec sa hiérarchie, Billy a-t-il quitté les forces de l’ordre pour entrer dans un groupe de bikers, comme on entre en religion. Là, sous les ordres de l’impitoyable Steel God, il peut enfin mener une existence à peu près tranquille. Mais s’il pense avoir tiré un trait sur son passé, celui-ci le rattrape lorsque l’agent Rome décide de s’en prendre à son ex-femme et à ses enfants. Tragique erreur: il ne fait pas bon chercher Billy Lafitte. Et l’affrontement entre les deux hommes promet d’être impitoyable.

La critique de Mr K : Il y a peu, je vous parlais de ma découverte fulgurante de Lune Noire d’Anthony Neil Smith, premier volume d’une tétralogie en cours d’éditions chez Sonatine. C’est avec un plaisir non feint que j’entamai la lecture de la suite des aventures déjantées de Billy Laffite avec Bête noire tout juste sorti à l’occasion de la rentrée littéraire. Le premier tome était déjà bien barré, je peux déjà vous dire que l’auteur pousse le curseur encore plus loin avec un roman encore plus thrash entre humour féroce, humains en pleine perdition et scènes ultra-violentes saisissantes. N’ayez pas peur, ça fait un bien fou !

Billy s’est fait la malle et ça ne convient pas du tout à l’agent Rome qui ne souhaite qu’une chose : le retrouver et lui régler son compte. Manque de pot, Billy Lafitte est un malin et il a totalement disparu de la circulation en rejoignant un groupe de bikers dealers de meth en tant que bras droit du boss. Rome ne reculant devant rien décide de faire pression sur l’ex femme de Billy pour le faire sortir de son trou... Mais voila, il y a des choses auxquelles on ne doit pas toucher au risque de s’en mordre les doigts... Un duel à distance commence entre deux hommes que la rage et la colère consument, gare aux dégâts collatéraux !

Ce fut une lecture prenante à souhait. Il ne m’a pas fallu bien longtemps pour lire les 380 pages de ce recueil qui fait la part belle à la noirceur sans aucun espoir de rédemption. Au delà de la traque et des problèmes existentiels des deux ennemis, il ne se passe pas vraiment grand chose mais ce n’est pas grave. Au contraire, ce focus étouffant garde captif le lecteur, obnubilé par les destins brisés qui lui sont livrés en pâture. Perdez tout espoir en débutant ce recueil, vous croyiez que Lune noire portait bien son nom, sa suite est encore plus extrême et totalement désaxée. À commencer par deux personnages antagonistes totalement cramés de la tête (surtout l’agent Rome quand même) à qui il arrive bien des mésaventures avec notamment un Billy qui les accumule vraiment, je crois d’ailleurs que dans ce domaine il mérite une palme. Quiproquo, enchaînements de situations délirantes, incidents entraînant des réactions disproportionnées... autant d’événements qui feraient passer le plus poissard de vos potes pour quelqu’un de chanceux ! J’en rirais presque en écrivant cette chronique si au final ce Billy ne nous touchait pas tout de même profondément. Il veut maîtriser mais n’y arrive pas, il cherche la rédemption mais s’enfonce encore plus. Et dire que ce n’est que le deuxième volume et que deux autres sont à découvrir !

Dans Bête noire, on rentre un peu plus dans l’intimité de Rome que l’on adore détester. Mais derrière tout être pourri jusqu’à la moelle se cachent des fêlures que Neil Smith explore ici à vif, à commencer par ses rapports déviants entre son personnage principal et sa femme (il y a des passages totalement délirants). On navigue avec lui aux confins de la folie, lui l’agent prometteur rétrogradé suite à ses errements dans le premier volume cache son jeu à ses supérieurs mais continue d’enquêter sur Billy. Nul autre que lui ne doit le retrouver, on n’est pas loin du personnage psychopathe de la mère de Lula dans le film de Lynch (à voir absolument si ce n’est déjà fait !). Rajoutez à ce vautour un couple de jeunes flics amoureux et têtes brûlées, une prostituée très possessive et impulsive, des bouseux prêts à faire n’importe quoi pour une récompense et le binôme scrupuleux de Rome et vous obtenez une galerie de personnages bien harboiled navigant sur les eaux d’un Frank Miller des grands jours. Neil Smith d’ailleurs renvoie dos à dos femmes et hommes tout autant perchés les uns que les autres dans un récit haut en couleur qui ne décélère jamais.

Ça triche, ça tronche, ça dessoude, ça se lance des réparties de fou et on en redemande tant le style de l’auteur fait merveille avec une écriture sans concession qui ne se contente pas d’assembler les poncifs d’un genre trop souvent caricatural... Non ici, on réinvente la noirceur, on défouraille dans la bonne humeur malgré un dégoût qui parfois monte à certaines pages. Lecture extrême qui peut rendre blême, on aime côtoyer ses âmes perdues qui pourtant nous attirent, nous hypnotisent comme une ampoule attire irrémédiablement les créatures éphémères qui finissent par consumer leurs ailes sur l’objet tant convoité. Vivement la suite !

mardi 24 septembre 2019

"inKARMAtions" de Pierre Bordage

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L’histoire : Opposés dans un affrontement qui semble sans fin, karmacharis et rachkas s’affrontent depuis la nuit des temps. Dans l’ombre, le souverain des abîmes et ses sbires, les rakchas, s’acharnent à précipiter l’humanité dans le néant tandis que les seigneurs du Karma veillent à sa survie et envoient leurs karmacharis pour intervenir dans les affaires humaines lorsque la trame karmique est déséquilibrée, qu’elle menace d’entraîner l’humanité et la Création tout entière à sa perte. Un conflit qui nous entraîne à travers le temps : passé, présent ou futur, moyen-âge, préhistoire, antiquité, colonisation spatiale, guerres futures, XXe siècle...

Mais le souverain des abîmes semble avoir trouvé le moyen de porter un coup fatal à l’humanité et d’obscurcir la légendaire clairvoyance des Seigneurs du Karma dont le Vimana lui-même semble gangrené de l’intérieur. Les Sages du Conseil, les administrateurs du Vimana, ne seraient-ils pas les premiers alliés du souverain des abîmes et de ses démons ?

La critique de Mr K : Celaa faisait un petit bout de temps que je n’avais pas lu Pierre Bordage. Il faut dire qu’il est un de mes auteurs favoris de SF française et que je commence à avoir presque tout lu de son œuvre. Heureusement le bonhomme est du genre productif et voila que pour la rentrée littéraire 2019, il sort un nouvel opus : "inKARMAtions" aux éditions Leha. Quelle joie ! Quel bonheur ! Surtout quand le livre est très réussi entre récit prenant et réflexions métaphysiques disséminées au fil des pages. C’est sûr, c’est bien du Bordage !

Sous fond de lutte plurimillénaire entre deux factions rivales se joue ni plus ni moins le devenir de l’humanité ! Entre ceux qui protègent la trame karmique (karmacharis) et ceux qui cherchent à l’interrompre (rakchas) le combat est rude et défie les lois de l’espace et du temps. Le lecteur est introduit à un moment clef de ce combat titanesque, en effet il semble que le camp des karmacharis soit infiltré par des agents doubles qui sapent les principes même du karma, les Sages du conseil semblent dépassés et les Seigneurs du Karma sont clairement menacés. Face à cette menace, les lignes vont devoir bouger, des destins vont se croiser et se réaliser sans laisser aucun temps mort pour le lecteur emporté dans un récit épique et terriblement addictif.

Comme c’est souvent le cas chez lui, on suit à travers les chapitres qui se succèdent plusieurs personnages que rien ne semble relier entre eux. Le procédé est classique mais fonctionne très bien ici. Ainsi, on suit Alyane, une jeune karmacharis, qui enchaîne les missions avec succès mais n’arrive pas à se remettre de la mise au ban de son ordre de son amoureux secret. On n’a pas le droit à l’amour quand on doit protéger le flux karmique. Au fil de ses pérégrination, elle va découvrir la face caché de l’ordre et devoir prendre de grandes décisions qui pourraient bien mettre à mal toutes ses certitudes. Il y a Lumik, un membre inférieur de l’ordre qui va faire une rencontre qui va changer son existence, l’élevant à un grade dont il ne rêvait même pas. Et puis, il y a Joaquim, un ex basketteur NBA, qui a vu sa vie s’écrouler et qui survit dans une Amérique devenue folle en 2045. Chacun creuse son trou, progresse et finit par se voir révéler une vérité impensable.

On retrouve une fois de plus ici tout le talent de Bordage pour nous proposer des personnages consistants et attachants. Certes, le vieux briscard que je suis n’est plus vraiment surpris, on retrouve des archétypes qui peuplent régulièrement l’œuvre du maître mais c’est toujours un vrai plaisir de suivre ces trajectoires torturées qui nous apprennent beaucoup sur le genre humain, nos limites, nos faiblesses mais surtout nos possibilités cachées. Bien que clairement SF, l’ouvrage fait la part belle aux affres de la condition humaine qui au final est la thématique centrale de "inKARMAtions" s’achèvant sur des chapitres très clairs en la matière et ambitieux par leur portée symbolique. L’Amour, la jalousie, l’amitié, la foi sont au coeur d’un récit haut en couleur dont le rythme ne se dément jamais.

On connaît le goût de Bordage pour la spiritualité, lui qui était même rentré au séminaire un temps. On n'est pas déçu ici avec une variation autour du bouddhisme avec la notion de karma, de vies successives qui ici ne sont que des passages d’un corps à un autre, d’âmes conscientes de ce fait et dont le destin est de servir le flux karmique. Loin de tomber dans un préchi précha imbuvable, Bordage dresse un univers cohérent où la foi est centrale et non aliénante. Cependant les apparences sont trompeuses, il ne faut pas s’égarer en chemin car gare aux embûches et à la montée du Seigneur des abysses qui ferait bien main basse sur le monde et exterminerait bien l’humanité au passage. Certes cette dernière le mérite mais il ne faut pas pousser non plus !

Composé de 450 pages, ce roman se lit avec délice. Le style fait une fois de plus merveille et l’on ne sent pas le temps passer tant on se plaît à suivre les aventures échevelées de nos héros dans un futur glaçant où le danger est multiforme. Fable initiatique sur la foi, dénonciation d’un autoritarisme larvé dans nos démocraties malades, histoire de la quête d’un amour impossible et de paix intérieure, voila un roman puissant qui fera le bonheur des amateurs du genre.

Autres ouvrages de Bordage chroniqués au Capharnaüm éclairé :
- Le Jour où la guerre s'arrêta
- Le Feu de Dieu
Atlantis : les fils du rayon d'or

Hier je vous donnerai de mes nouvelles
Chroniques des ombres
Les Dames blanches
Graine d'immortels
Nouvelle vie et autres récits
Dernières nouvelles de la Terre
Griots célestes
L'Evangile du Serpent
Porteurs d'âmes
Ceux qui sauront
Les derniers hommes
Orcheron
Abzalon
Wang

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