lundi 30 novembre 2020

"Seoul Copycat" de Lee Jong-Kwan

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L’histoire : Un inspecteur se réveille à l'hôpital, sous les yeux d'une collègue et de son chef. Il a réchappé de justesse à un incendie alors qu'il poursuivait un dangereux copycat. Ce dernier a déjà tué trois personnes, trois personnes suspectées d'avoir commis des crimes, trois personnes qui ont été assassinées comme elles avaient probablement elles-mêmes assassiné leurs victimes. Trois personnes qui étaient parvenues à échapper à la justice.

Quel est ce copycat qui pense pouvoir pallier les imperfections de la justice, pourrait-il lui-même appartenir au système judiciaire, ou à la police ?

Le copycat est un assassin qui tue en imitant d'autres criminels dont il a connu les modes d'action dans les médias. Généralement il est lui-même un tueur en série. Ce mimétisme peut aller jusqu'à copier des crimes fictifs décrits dans des livres, films ou séries.

La critique de Mr K : Chronique d’une sacrée claque aujourd’hui avec Seoul Copycat de Lee Jong-Kwan paru chez la jeune maison d’édition Matin Calme qui m’avait déjà diablement séduit avec le très bon Sang chaud de Kim Un-Su. À la confluence de plusieurs genre, entre thriller, policier et polar pour la caractérisation de certains personnages, ce récit enlevé de 250 pages propose une enquête resserrée assez jubilatoire dans son genre autour de quelques personnages charismatiques et une ambiance à couper au couteau.

Lee Suyin se réveille aveugle et amnésique sur un lit d’hôpital. Ce policier suivait la trace d’un copycat s’amusant à tuer ses victimes de la même dernière que ces dernières se sont débarrassées de leur propre victime. Suite à un incendie, le voila diminué et obligé de survivre comme enfermé dans son propre monde. Impossible pour lui de se rappeler de son nom et de sa vie. Seule certitude : il connaît le copycat et il est le seul à pouvoir révéler son identité. Han Jisu est à son chevet. Cette jeune femme solitaire et peu sûre d’elle est profileuse et dans son métier peu lui arrivent à la cheville. Entre les deux commence une drôle d’enquête entre entrevues dans la salle d’hôpital, retours sur les affaires copiées par le tueur et des révélations qui vont finir par pleuvoir et dérouter tout le monde, à commencer par le lecteur lui-même.

Tout commence de manière très classique. Le rythme est plutôt lent, on alterne le point de vue du héros en pleine convalescence qui ne doit se fier qu’à son ouïe et sa manière de penser. Malgré le fait qu’il soit très diminué, il a de la cervelle à revendre, beaucoup de questions aussi et avec l’aide de sa visiteuse, on essaie de retrouver la trace d’un imitateur pour le moins discret et insaisissable. Beaucoup de doutes habitent donc les deux collègues de circonstance, on revient sur les lieux des crimes originels, on ré-observe les données récoltées, on émet des hypothèses et surtout on essaie de comprendre les agissements de ce tueur peu commun. Pourtant, on sent bien que quelque chose cloche, on ne sait pas quoi mais le feeling ne trompe pas. Il manquait juste une pièce du puzzle...

Arrivé à la moitié de l’ouvrage, l’impact a lieu. Au détour d’une fin de chapitre, toutes les certitudes s’effondrent et l’emballement se produit. On se rend compte que manipulations et mensonges nous ont conduits sur des fausses pistes et les apparences s’avèrent trompeuses. Le jeu de dupe ne fait en fait que commencer, les nouvelles pistes elles aussi se révèlent fausses et c’est un véritable récit à tiroirs qui s’ouvre à nous. Moi qui suis habitué à ce genre de littérature et les effets qui y ont cours, je me suis fait avoir comme un bleu. C’est dire la fraîcheur et l’originalité de l’œuvre qui ménage parfaitement le suspens. On ne voit vraiment rien venir et on sort de cette lecture bluffé par la maestria narrative déployée.

Le traitement psychologique des personnages est un modèle du genre, tout en subtilité et méandres emberlificotés. Il faut aussi faire le tri de ce qui est de l’ordre du ressenti ou du fait, tout peut être entièrement relu quelque pages plus tard par un autre point de vue. C’est réjouissant d’intelligence et la structure du récit s’apparente à une architecture complexe mais aux fondations solides. Tout trouve finalement sa place et le climat instauré tout du long est électrisant. Rajoutez par dessus, une écriture accessible et trompeuse dans son apparente simplicité, et vous obtenez Seoul Copycat, un livre fascinant et déroutant à la fois. Les amateurs y trouveront plus que leur compte et ne doivent surtout pas passer à côté !


vendredi 10 avril 2020

"The Last Days of American Crime" de Rick Remender et Greg Tocchini

The Last days of American CrimeL’histoire : Marginaux contre État sécuritaire : voici l'histoire du "dernier crime américain !". Le gouvernement des États-Unis a prévenu : dans deux semaines, terrorisme et crime organisé seront éradiqués de la surface du globe. Un laps de temps nécessaire à Graham pour monter le cambriolage du siècle...
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La critique de Mr K : Petite incursion dans la Bdthèque de Nelfe aujourd’hui pour moi avec un triptyque bien hardboiled comme je les aime et que ma douce a bien apprécié en son temps même si elle a totalement oublié d’en faire la chronique ! The Last Days of American Crime de Rick Remender et Greg Tocchini propose un récit enlevé autour d’un casse qui pourrait rapporter gros sous fond de menace terroriste généralisée (médiatisée ?) et de basculement d’une démocratie dans l’autoritarisme. Cela ne vous rappelle rien ?

Graham est un malfrat des plus actifs mais il aimerait bien prendre sa retraite au soleil et donner un semblant d’espoir à sa vieille mère atteinte du syndrome d’Alzheimer. Pour cela, il compte profiter de la suppression par le gouvernement américain du papier-monnaie au profit de cartes chargées par des machines. Justement, Graham a trouvé le moyen d’en dérober une mais il ne peut réaliser ce coup seul, il va faire appel à un couple de jeunes truands dont la très belle Shelby. Commence alors un compte à rebours haletant avec son lot d’imprévus, d’effusion de sang et de punchlines bien senties !

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En parallèle, le pays est en ébullition car le gouvernement a décidé de révolutionner la lutte contre le crime face à la recrudescence d’attentats terroristes. Dans quinze jours, un signal sera émis qui agit sur les cerveaux et empêche quiconque de perpétrer volontairement une action illégale. La découverte de cette information sensible par le grand public met le feu aux poudres, des émeutes se déclenchent un peu partout, tout le monde semble vouloir toucher une dernière fois au vertige de la criminalité. L’ambiance est donc électrique et accompagne à merveille le récit principal.

Dans le genre rentre dedans, cette BD fait fort. Ça dépote sévère entre phrasé à la Audiard, bastons d’anthologie et exécutions sommaires graphiques. Les bad guys ont la part belle dans ce récit mené tambour battant, sans temps morts. On ne s‘ennuie pas une seconde et l’on se demande bien où tout cela va nous mener. Polar bien noir sur-vitaminé, volontiers anarchiste par moment (yes !), on prend une belle claque et mêmes si certains arcs narratifs sont attendus / prévisibles, les auteurs nous réservent de belles surprises et ça part parfois dans tous les sens. Dans le genre hardboiled, ça se pose là et l’ensemble est délectable à souhait si on est amateur. Les âmes sensibles passeront leur chemin par contre...

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Bien qu’ils soient tous repoussoirs, on apprécie beaucoup les personnages hauts en couleur qui peuplent ces pages. Tensions intérieures, trajectoires de vie tendues, relations complexes sont au menu avec parfois au détour de quelques planches, un espoir, une petite touche de douceur... jamais trop longue tout de même car un lourd fatum plombe tous les protagonistes et va faire le tri au fil des pages.

Ce triptyque est aussi un très bel objet en soi, de toute beauté, le style explosif et coloré fait merveille, sort de l’ordinaire pour un néo polar qui fera date et propose une expérience extrême. À découvrir au plus vite pour tous les amateurs du genre !

lundi 27 janvier 2020

"Sang chaud" de Kim Un-Su

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L’histoire : Huisu, homme de main pour la mafia de Busan, atteint la quarantaine avec pas mal de questions. Jusque-là, il n'a vécu que pour les coups tordus, la prison, les exécutions, tout ça pour se retrouver dans une chambre minable, seul, avec pour horizon des nuits passées à dilapider son argent au casino. il est temps de prendre certaines résolutions... avec un solide couteau de cuisine dans son poing serré.

La critique de Mr K : Vous aimez les polar bien noirs, servis bien frappés ? Ce roman est fait pour vous ! Sang chaud de Kim Un-Su est le premier ouvrage édité par la toute nouvelle maison d’édition Matin Calme, une équipe passionnée par l’Asie et tout particulièrement par la Corée du sud, un pays qui depuis quelques temps marque de son empreinte le paysage culturel (je pense notamment à la Palme d’or 2019 Parasite et surtout à Old Boy un de mes films culte). Les écrivains coréens percent encore peu en occident même si j’ai eu l’occasion d’en découvrir quelques-uns en lisant des ouvrages des éditions Picquier. Matin Calme propose, avec ce titre et ceux qui vont suivre dans le courant de l’année, d’explorer la face sombre entre polar et thriller d’un pays pas comme les autres et que je trouve pour ma part très attirant par le côté jusqu’au-boutiste des œuvres qu’il peut livrer. Ce n’est pas cet ouvrage qui me démentira...

On suit le parcours de Huisu, le bras droit d’un parrain de la mafia de la ville de Busan, la deuxième agglomération du pays. D’un naturel calme et pondéré, il gère l’hôtel de son patron, s'occupe des affaires de ce dernier, participe à quelques opérations à haut risque et se place en première ligne lors de négociations tendues. Depuis quelques temps, il se pose pas mal de questions existentielles. A quarante ans, sa vie ne lui convient plus vraiment. Sans réel domicile fixe, célibataire, il se sent non reconnu par son boss et songe clairement à mettre les voiles vers d’autres horizons avec en filigrane le rêve fou de se poser et peut-être de renouer avec son amour de jeunesse. Mais qu’il est dur de s’extirper du milieu surtout quand les événements se précipitent avec des tensions nouvelles qui apparaissent, une compétition de plus en plus rude entre caïds, une guerre de territoire qui n’en finit jamais et va faire voler en éclat les anciennes alliances et les amitiés.

Sang chaud propose une immersion totale dans le milieu du grand banditisme coréen. Véritable opéra en deux actes, ce récit nous conte une histoire certes classique mais qui surprendra tout de même les amateurs du genre par un ton et un univers géographique qui sort des sentiers battus. On retrouve la figure tutélaire des chefs que l’on doit respecter malgré leur intransigeance et leurs trahisons opportunistes, les seconds couteaux avides de pouvoir et d’argent, la main mise des criminels sur les populations et les institutions ainsi que la fulgurance de certaines opérations d’intimidation voir de conquête. On navigue constamment entre calme apparent, pas feutrés et explosions de violences intenses et brèves marquées du sceau coréen (l’arme blanche étant privilégiée, les meurtres se révèlent très graphiques et sanglants, miam !). Très cinématographique dans son écriture, ce roman emporte son lecteur par sa trame qui tantôt s’emballe et tantôt ralentit proposant de purs moments de plaisirs.

J’ai été totalement emballé dès les premiers chapitres. Kim Un-Su nous propose une brochette de personnages plus charismatiques les uns que les autres. Huisu est un modèle d’antihéros qui au fil du récit semble avoir un espace de liberté de plus en plus réduit malgré l’impression de force, de sérénité qu’il dégage et sur lequel de sourdes menaces s’accumulent. Bien malin sera celui qui réussira à deviner son sort final. Mais mon Dieu quelle tension accumulée ! La moindre scène devient dérangeante et pesante tant tout peut arriver à n’importe quel moment. À ce propos, ne vous attachez pas trop aux personnages, le casting a tendance à se faire trucider au fil des pages ! On croise nombre de personnalités étranges, déviantes et totalement perchées : un jeune malfrat totalement fou et capable du pire, un vieux tueur à gage amateur de barbecue (écrit pour moi celui là !), un ami d’enfance passé dans le camp ennemi dont il faut se méfier, des vieux de la vieille débonnaires dont l’apparence pourrait bien être trompeuse, une prostituée rangée des affaires qui tente de survivre dans la jungle phallocrate qui l’entoure... et une pléthore de seconds rôles qui donnent à voir un microcosme des plus inquiétants où parfois une étincelle d’espoir ou de bonheur scintille au milieu de la nuit. C’est toujours fugace mais cela permet de relâcher la pression un temps...

Remarquablement écrit dans un style direct, incisif avec de beaux passages contemplatifs mettant à nu le cœur et les aspirations humaines, on prend uppercuts sur uppercuts lors de la lecture avec une histoire peuplée d’âmes damnées en quête d’amour, de reconnaissance et de toujours plus de pouvoir. C’est puissant, bouleversant parfois et surtout totalement addictif. Les 480 pages de l’ouvrage se lisent d‘une traite avec un plaisir de tous les instants. Les amateurs ne doivent surtout pas passer à côté, dans le genre c’est brillant. On en redemande !

mercredi 14 août 2019

"Le Bal des débris" de Thierry Jonquet

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L’histoire : Coucou, c'est nous qu'on est les vieux !
On croupit dans la cour de l'hospice, avec nos cannes et nos bérets, et nos copines les vieilles ! Les infirmiers sont adorables : ils nous font des niches ! Et pour Noël, comme on a été sages, on aura droit à un bal masqué !
Tout ça c'est bien joli, mais faudrait quand même voir à quitter cet enfer...

La critique de Mr K : Un petit tour auprès de Thierry Jonquet aujourd’hui avec le très court roman Le Bal des débris sorti en 1998. Il traînait dans ma PAL depuis un bout de temps ce qui en soit est un exploit quand on connaît mon amour immodéré pour cet auteur à la langue virtuose, maligne et aux scénarios sans pitié et engagés. Ergothérapeute un temps en hôpital avant de devenir écrivain à plein temps, Jonquet nous convie à lire un polar servi bien noir qui dépote ! Suivez le guide.

Frédo pousse des chariots dans un hôpital spécialisé dans la gériatrie. Payé au lance-pierre, pas des plus motivés par son activité, il traîne son ennui du haut de ses 24 ans. Il vit avec sa compagne, une pasionaria de la CGT dans un petit appartement sans prétention. Le quotidien morose des tâches rébarbatives va changer du tout au tout avec l’hospitalisation d’Alphonse, un monte-en-l’air reconverti en plombier zingueur. Ensemble, ils décident de monter le coup d’une vie. En effet à l’hôpital une vieille dame internée depuis peu fait appel à des agents de sécurité privés pour garder sa chambre H24. Il n’y a pas de fumée sans feu et très vite les deux compères découvrent que la riche veuve possède une parure de diamants fort alléchante... Bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu, ce serait trop facile... Et l’on peut compter sur Jonquet pour nous livrer une histoire bien retorse.

En 126 pages, l’auteur réussit le tour de force de nous tenir en haleine sans discontinuer. Après deux brefs chapitres introductifs qui permettent de se familiariser avec les principaux protagonistes, la machine se met en route et rien ne l’arrête jusqu’au dénouement. On est dans un cas d’école avec la trame classique d’une opération qui permettrait aux complices de changer de vie. Découverte de la cible, la rencontre entre les deux hommes qui se rapprochent, l’élaboration du plan, le déroulé qui déraille et finalement un acte final aussi étonnant que déroutant avec sa fin ironique qui m’a personnellement fait jubiler. On ne s’ennuie pas une seconde et l’on retrouve toute la science de Jonquet pour bien mener sa barque, faire interagir les différentes informations distillées au compte-goutte.

La patte littéraire est une fois de plus cruelle et sans concession. Il faut voir la description qu’il fait de l’assistance publique, des conditions de travail éprouvantes des personnels, le manque de considération de certains personnels envers leurs patients, la course au profit au détriment de la solidarité nationale... Le ton est cinglant et personne n’en sort réellement indemne. Bien engagé à gauche, on sent le vécu derrière la plume avec quelques descriptions fort réalistes du milieu hospitalier et son fonctionnement interne. Et puis, il y a les personnages principaux, êtres en déshérence qui souhaitent changer de vie et remettre les pendules à l’heure. Cela donne des portrait touchants qui donnent à voir des destinées parfois brisées ou en stand by. J’ai bien aimé aussi le portrait des pensionnaires de l’hospice qui oscillent entre folie, sénilité et parfois puérilité, avec des vieux de la vieille prêts à faire des conneries pour égayer leur existence. Loin d‘être irrévérencieux envers nos anciens, ce roman offre un regard distancié et ironique qui m’a parlé entre sourire et larme.

Se lisant d’une traite, Le Bal des débris fascine, hypnotise et relâche sa proie après quelques heures de plaisir intense. Très bien écrit car franc et direct dans son style, ne cherchant pas à épater la galerie mais plutôt à embarquer le lecteur dans une histoire à tiroirs, voila un bon polar qui ravira les fans et permettra à ceux qui ne connaissent pas encore Jonquet d’y faire leurs premiers pas avant d’attaquer le sérieux avec Moloch, Mygale ou encore Les Orpailleurs.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Les Orpailleurs
- Le Pauvre nouveau est arrivé !
Moloch
Mémoire en cage
La bête et la belle
La vie de ma mère !
Mygale

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lundi 6 mai 2019

"La Colombienne" de Wojciech Chmielarz

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L’histoire : La Colombie, plein été. Un groupe de Polonais choisis pour tourner une publicité Coca-Cola passe les vacances de sa vie dans un hôtel de luxe au bord de l'océan. Tous frais payés. Mais bientôt, le séjour vire au cauchemar : la pub est annulée, et la facture est salée... Pour rembourser leur dette et récupérer leur passeport, les touristes insouciants se voient proposer par les Colombiens une offre difficile à refuser. Et le paradis se transforme en enfer. Tout le monde ne reviendra pas de ce voyage...

Varsovie, un samedi à l'aube. Le corps d'un homme d'affaires est retrouvé pendu au pont de Gdansk – le ventre déchiré, les mains attachées derrière le dos et une cacahuète à la main. L'inspecteur Mortka, de retour à Varsovie après ses quelques mois de purgatoire, est chargé de l'enquête. Rapidement, le Kub flaire une sale histoire de blanchiment d'argent qui le mènera sur la piste de réseaux internationaux dont les tentacules s'immiscent jusqu'au cœur de la vie financière polonaise.

La critique de Mr K : C’est à mon tour aujourd’hui de chroniquer une enquête de l’inspecteur Mortkar après Nelfe qui vous avait parlé de La Ferme aux poupées, il y a quelques mois au moment de sa sortie en librairie. Elle avait apprécié l’ouvrage, j’ai donc décidé de lire La Colombienne car je trouvais la quatrième de couverture intrigante et puis, avec Agullo je ne me suis jamais trompé ! Au final, j’ai adoré cet ouvrage et je compte bien rattraper mon retard par la suite et lire les deux opus précédents.

Dans un prologue saisissant, Wojciech Chmierlarz nous conte la mésaventure catastrophique d’un groupe de polonais arnaqué par des trafiquants de drogue colombiens. Ils se retrouvent piégés et obligés de participer aux activités illicites de leurs ravisseurs. Mais très vite, on laisse de côté ces pauvres touristes pour enquêter à Varsovie sur le meurtre sordide d’un homme d’affaire. Retrouvé pendu, les tripes à l’air sur un pont enjambant la Vistule (rivière traversant la capitale polonaise), l’homme n’avait pas d’ennemis connus et semblait mener une vie des plus monotone. L’inspecteur Mortkar (aka le Kub) en compagnie de la Sèche, une nouvelle partenaire haute en couleur dont il hérite, commence à fouiner, croise les affaires et va tomber de Charybde en Sylla avec une enquête plus tortueuse qu’elle n’en a l’air au premier regard. Milieux de la haute finance, mafia sud américaine, psychopathe misogyne, ombres du passé et fantômes du présent vont se dresser sur sa route.

Au rayon policier, on est servi. J’ai été conquis dès les premiers chapitres avec des postulats narratifs qui ne laissent aucune chance au lecteur de s’échapper. Difficile au départ d’ailleurs de faire le lien entre des touristes séquestrés, un assassinat spectaculaire et une série de suicides de femmes... De chapitre en chapitre, on avance prudemment en compagnie de Mortkar car les apparences plus que jamais sont trompeuses. Indices, fausses pistes, vérités révélées au compte-gouttes sont au programme d’une enquête plus que plaisante à lire et qui fait la part belle aux surprises. Moi qui suis un habitué du genre, je me suis bien fait balader (ce qui n’est pas pour me déplaire) ! Et puis, il y a cette pression lancinante qui pèse sur le héros notamment avec le procureur chargé de l’enquête et son chef direct. Face à cette obligation de résultats, Mortkar doit parfois jouer avec les limites et s’affranchir de toute morale.

Bien que classique dans sa caractérisation, j’ai adoré découvrir cet inspecteur polonais cassé par la vie. Divorcé, ne voyant presque plus ses enfants (malgré le fait qu’il conserve un bon lien avec leur mère), en roue libre et dans l’angoisse de la découverte d’une maladie grave (conséquence d’un acte commis dans le volume précédent qu’il faudra que je lise), on ne le sent pas au mieux pour réussir à démêler les fils de l’intrigue. Mais il a ce flair particulier, une technique rodée et une volonté de fer qui le poussent toujours plus loin. En cela, il est bien secondé avec La Sèche, un personnage féminin atypique rebelle (mais par pour autant caricatural) qui a sa propre carapace pour se protéger du machisme ambiant et révèle de sacrées qualités au fil de l’enquête. C’est une relation particulière qui se crée entre les deux policiers, mélange subtile de méfiance et d’admiration, je pense qu’on sera amené à suivre cette évolution dans un futur volume.

L’ouvrage explore donc une Pologne interlope où la corruption est présente dans les hautes sphères où certains se croient tout permis du fait de leur position (toute ressemblance avec certaines réalités françaises seraient fortuites évidemment) avec des liens inavouables avec le crime organisé international, le blanchiment d’argent sale, le monde de la finance et en filigrane une vengeance inextinguible qui chamboule tout. Toujours crédible, sans en faire trop mais avec de très bons effets tout de même, on en prend plein la tête avec ce roman navigant en eaux troubles et proposant une expérience de lecture addictive.

En effet, La Colombienne est le genre de roman qui se lit tout seul et sans aucune difficulté. Le style est limpide, accessible et suffisamment fin pour proposer un rythme élevé constant, des situations prenantes, des personnages aussi charismatiques que fouillés et un plaisir de lecture renouvelé à chaque chapitre. Un très bon livre policier qui comblera les amateurs et donne envie de poursuivre l’expérience en lisant les deux ouvrages précédents déjà sortis chez Agullo.

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mardi 5 mars 2019

"Requiem" de Tony Cavanaugh

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L'histoire : Quelques mots prononcés dans la panique au téléphone : "Darian, il faut que tu viennes. Tu es le seul à pouvoir nous aider. Il y a tant de corps !" ... puis plus rien. L'appel vient d'Ida, une jeune fille que Darian Richards, ex-flic des homicides de Melbourne, a sauvé quelques mois plus tôt d'une sale affaire. Si Richards a décidé d'abandonner un métier trop éprouvant pour ceux qui, comme lui, prennent les choses trop à cœur, il ne peut pas laisser Ida sans réponse. Son appel de détresse ayant été localisé, Darian gagne la Gold Coast, région des plages d'Australie, où les étudiants se retrouvent pour fêter la fin de leurs examens. Il est alors loin de se douter que la disparition d'Ida n'est presque qu'un détail dans une enquête qui va bientôt se transformer en véritable cauchemar.

La critique de Mr K : On peut dire que je l'attendais cet ouvrage, troisième aventure de Darian Richards, héros récurrent des romans de Tony Cavanaugh que l'on surnomme le Michaël Connelly australien. Requiem s'inscrit dans la lignée de L'Affaire Isobel Vine et de La Promesse, deux ouvrages puissants, sans concession et redoutablement addictifs. C'est donc avec grande impatience que je débutai ma lecture et je peux vous dire que je n'ai pas été déçu !

Darian coule des jours peinards dans sa petite cabane de pêcheur perdue au milieu de nul part à pêcher et observer les oiseaux. Elle est bel et bien derrière lui sa carrière d'avant, quand il était le chef d'une brigade criminelle réputée comme la plus efficace du pays. Bon, il avait fait une entorse à son règlement intérieur le temps de deux enquêtes précédentes mais promis, on ne l'y reprendrait plus... C'est du moins ce qu'il pensait jusqu'à ce qu'une ancienne connaissance ne l'appelle en lui laissant un message pas rassurant. Ni une ni deux, voila toutes ses bonnes résolutions balayées et il part à nouveau sur la route, direction la Golden Coast, haut lieu de perdition pour les étudiants en fin de cycle qui viennent s'y lâcher une fois les examens derrière eux. Le souci, c'est que les disparitions puis les cadavres s'accumulent... Darian aura besoin de tout son talent, de ses relations et d'un peu de chance pour pouvoir démêler une affaire qui, au fur et à mesure qu'elle se creuse, s'avère infernale.

D'entrée de jeu, on retrouve le charme d'un antihéros pas comme les autres. Au bout d'un chapitre, impossible de ne pas succomber au style rugueux de Darian qui une fois de plus va jouer au justicier durant plus de 300 pages, se jouant des règlements et lois en vigueur. Borderline mais pas tant que ça, en roue libre mais toujours avec un minimum de maîtrise, on aime à le suivre dans son enquête qui sous ses aspects classiques va révéler un monde interlope qui côtoie le nôtre sans que l'on ne s'en rende compte. Jouant au chat et à la souris avec les flics (cela donne de doux moments bien délectables), se rapprochant au plus près de ses ennemis, il garde une sorte de flegme et de distance qui laissent à penser que rien ne peut lui arriver. Dans les faits, il est déjà bien démoli, a perdu toutes se illusions mais il brille toujours au fond de lui cette petite étincelle de vie, d'espoir qui le font aller de l'avant. Vous l'avez compris, le personnage garde tout son charisme et l'on s'y attache immédiatement sans avoir l'impression d'avoir déjà tout lu sur le sujet.

On retrouve avec plaisir le personnage de Maria, une flic ambitieuse qui est toujours dans les pattes de Darian (elle sort avec un de ses meilleurs potes, ça aide!) et à qui il en fait voir des vertes et des pas mûres ; et puis, il y a Isosceles, un de ses comparses geek qui est capable de réaliser tout un tas d'opération high tech comme s'il bossait pour la défense (peut-être le fait-il d'ailleurs). Ces trois là s’entendent ou non selon les circonstances, donnant lieu à des scénettes tantôt drolatiques, tantôt plus tendues, au cœur d'une enquête qui peu à peu donne à voir un réseau mafieux peu ragoûtant. D'ailleurs, intercalés entre deux narrations basée sur Darian, on apprend à connaître un personnage féminin et sa trajectoire dramatique jusqu'au moment présent. On comprend bien vite qu'elle est au centre de l'histoire et qu'elle détient les clefs pour résoudre l'affaire. Que ce soit pour elle comme pour les autres, Cavanaugh livre une fois de plus des portraits nuancés, pleins de fougues qui électrisent le lecteur et ne lui laissent aucune chance de s'échapper.

Dans ce volume, l'auteur délaisse les grands espaces vides qui étaient plus au centre des deux romans précédents. On découvre dans Requiem, la côte touristique australienne avec son urbanisation folle, ses soirées déjantées et cette jeunesse dorée qui s'oublie dans un tourbillon de surf, de strass, de beat et d'alcool. Le contraste avec le vieux loup solitaire Darian est saisissant et même bien cynique. Il laisse traîner son regard sur ces faits entre amusement et dégoût sans pour autant tomber dans le syndrome du vieux con aigri. Cette balade urbaine est une bonne expérience littéraire qui rejoint pas mal par moment mes aspirations profondes à plus de tranquillité et un détachement parfois nécessaire du monde hyper-connecté qui nous aliène.

On passe donc un excellent moment avec ce roman, entre histoire bien ficelée, personnages au charme irrésistible et écriture toujours aussi prenante et précise. Descriptions au couteau, dialogues impeccables nous accompagnent tout du long pour un plaisir de lecture optimum qui n'a qu'un seul défaut : celui de se terminer trop vite ! Vivement le prochain !

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jeudi 21 février 2019

"Happy !" de Grant Morrison et Darick Robertson

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L’histoire : Nick Sax voit tout en noir : sa vie, sa ville, son boulot de tueur, après des années comme flic respecté, puis corrompu. Un contrat qui tourne mal l’envoie à l’hôpital, et c’est la fuite en avant : la mafia aux trousses, les ex-collègues juste derrière, et un tueur d’enfants qui sème la terreur. Et son costume de père Noël, qui va bien avec la saison froide qui gèle les rues ajoute à l’atroce farce morbide dans laquelle baigne un Sax au bout du rouleau. Jusqu’au moment ou un petit cheval volant tout bleu se présente: il est seul à le voir, et cette apparition propose de règler presque tous ses problèmes...

La critique de Mr K : Chronique d’un comics qui dépote aujourd’hui avec Happy ! de Grant Morrison et Darick Robertson, œuvre hardboiled par excellence qui ne plaira pas à tout le monde. Thématiques déviantes et ultra violence assumée sont au programme d’un récit survitaminé qui m’a de suite séduit par son côté jusqu’au-boutiste sans concession. Lorgnant vers la série des Sin City de master Miller, j’ai littéralement dévoré ce court volume de 112 pages qui restera longtemps gravé dans ma mémoire.

Au centre de l’histoire, on retrouve Nick Sax, un ex flic ripou converti en tueur à gage. Lors d’un contrat, les choses ne vont pas se dérouler comme prévu et notre antihéros devient une cible, rôle auquel il n’est pas habitué. La mafia toute puissante de New York et la police métropolitaine sont désormais à ses trousses, le chasseur devient proie. Comme si cela ne suffisait pas, le voila en proie à ce qu’il prend tout d’abord pour une hallucination: une petite licorne bleue volante lui apparaît et lui annonce qu’il est le seul à pouvoir la voir et qu’il a une mission: sauver une petite fille nommée Haley, prisonnière d’un tueur d’enfant grimé en père Noël. Commence alors un voyage initiatique pour cet homme dont la vie s’est transformée en enfer depuis bien longtemps et qui a peut-être une ultime occasion de redonner du sens à son existence.

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La couleur est donnée dès les premières planches, le cauchemar est en marche. Plongé dans un monde interlope, le lecteur est directement au prise avec la lie de l’humanité. Il y a peu ou pas d’espoir dans cette ville livrée au crime organisé qui s’appuie sur le pouvoir en place pour asseoir son emprise. Policiers corrompus, mafieux cruels aux méthodes vicieuses et sans pitié sont au menu. Pas de fioriture, la violence est partout présente, à commencer par le langage ordurier qui s’échappe de chaque bulle avec des personnages qui semblent n’avoir rien à perdre et donnent libre court à tous leurs instincts. Ça prend à la gorge, écœure même parfois avec des cases fourmillant de détails peu ragoûtants. Ce n’est pas pour rien que la motion "pour public averti" a été apposée sur la quatrième de couverture.

Mêlant personnages de polar, approche fantastique parfois avec le personnage de la licorne, c’est un drôle de mélange qui nous est proposé un peu à la manière du cinéma Grindhouse remis au goût du jour par Tarantino et Rodriguez il y a quelques temps. Protagonistes caractérisés en quelques pages, limites caricaturaux (le genre comics à ses codes), rien ne nous est épargné de leurs vicissitudes. Ainsi Nick Sax est au trente sixième dessous ayant perdu tout ses repères moraux et subsistant par ses aptitudes au meurtres et à la loi du talion. Gunfight, trahisons, coups de pokers sont sa vie qui semble lui échapper malgré sa très grande assurance et un humour cynique dévastateur. Il faut dire que ses adversaires ne sont pas fins et sont d’une extrême cruauté. L’argent roi, les réseaux criminels sont explorés en profondeur avec une fenêtre sur ce que l’humanité peut faire de pire avec notamment le trafic d’être humain, la pédopornographie et la corruption généralisée qui gangrène une société malade de ses vices. Le parrain inaccessible vous fera trembler ainsi que ses hommes de main impitoyables aux méthodes extrémistes.

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Seule éclaircie dans ce monde déviant, la mystérieuse licorne dont la nature est très vite révélée et ouvre le récit vers des horizons peut-être meilleurs. Là encore, le choix en revient à Nick qui va devoir s'engager comme jamais auparavant et peut-être toucher à la rédemption. La confrontation entre l’homme brisé et cet être imaginaire va bousculer les lignes, alterner confrontation brutale et révélations plus touchantes sur le passé du héros. On reste dans du classique mais quand les recettes fonctionnent, il n’y a pas de raison de s’en priver. J’ai retrouvé, à plusieurs reprises, des arcs narratifs propres au personnage Marv de la série Sin City évoquée précédemment. Cet aspect du récit le sort du simple déballage de violence pour entrer dans une trame plus ouverte sur les possibilités d’évolution d’un personnage pourri jusqu’à la moelle. Intéressante, la fin achève le récit en apothéose de façon attendue mais logique.

L’ouvrage en lui-même est un bijou en terme de forme. Dessins léchés, action brute de décoffrage et passages plus intimistes s’alternent et offrent une immersion totale dans un univers borderline qui séduit autant qu’il choque. Moi qui aime être bousculé, j’ai été servi et j’en redemanderai presque tant l’ouvrage se lit vite et bien. Une sacrée expérience que je recommande à tous les amateurs de sensations fortes et de récits extrêmes. Une série a été adaptée pour la télévision (sans doute de manière plus soft), je m’en vais la regarder dans les semaines à venir.

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jeudi 15 novembre 2018

"Lord Gwynplaine" de Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal

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L'histoire : La quarantaine, visage grave et regard de velours, qui est le mystérieux lord Bradley Gwynplaine ? On l’aurait vu à Toulouse, en 1993, dans la peau d’un capitaine accusé de complicité d’acte terroriste. En Guyane, derrière la muraille infranchissable d’une prison infâme où la justice l’avait envoyé croupir. À Medellin, au fin fond d’une hacienda où serait enfoui un trésor appartenant à l’abbé Esteban Pablo Vargas Uribbe. Et à Paris, dans l’ombre du procureur Villedieu, un parvenu prêt à sacrifier sa famille pour sa carrière... Est-ce le même homme ? Tandis que les cadavres s’accumulent, avec la précision d’une vengeance savamment orchestrée, une vérité implacable se fait jour : le chemin le plus court vers la liberté est la foi absolue dans la justice suprême.

La critique de Mr K : On ne présente plus Pouy et Raynal, deux des plus grands auteurs de polar français que j'aime tout particulièrement. Que ce soit dans leurs incursions poulpesques ou dans leurs œuvres plus personnelles, j'apprécie leur engagement marqué à gauche, leur style vif et incisif, leur maîtrise du récit et l'aspect souvent tortueux des trames mises en place. Imaginez donc mon bonheur d'apprendre la sortie de Lord Gwynplaine, ouvrage écrit à quatre mains, relecture moderne du Monte-Christo de Dumas mettant à l'honneur la vengeance d'un paria sur les pourris qui ont cru pouvoir le réduire à néant ! Je m'attendais à une lecture jubilatoire, je n'ai pas été déçu ! J'ai littéralement dévoré ce gros volume de 568 pages qui ne m'a jamais donné l'occasion de m'échapper...

Erwan Le Dantec était au mauvais endroit au mauvais moment, du moins le semble-t-il ! Pilote d'avion mêlé sans le savoir dans des opérations pas très claires, le voilà du jour au lendemain arrêté et embastillé dans le secret le plus total. Envoyé dans un camp isolé dans l'enfer guyanais par d'obscurs commanditaires, il va rester enfermer quinze ans loin de toute civilisation, dans un confort des plus spartiates avec pour seul contact humain, la compagnie d'un mystérieux prisonnier ancien compagnon de route de Pablo Escobar. Les deux hommes sympathisent assez vite, de fil en aiguille se noue entre eux une amitié forte et le colombien va forger un nouvel Erwan. En plus de la promesse de trouver un trésor incalculable, il le façonne, nourrit son intelligence et va le changer définitivement. Erwann en est bien vite convaincu, il finira par sortir et la vengeance est un plat qui se mange froid. Quand arrive la délivrance, après un changement de nom et de visage, le voilà prêt à l'aide de comparses bien choisis à exercer sa vengeance. Elle sera impitoyable...

Il n'y a clairement pas tromperie sur la marchandise ici. Vous voulez du polar servi bien noir au rythme haletant ? Vous serez comblé. Divisé en deux parties distinctes, on ne s'ennuie pas une seconde. Le début nous conte la descente en enfer d'un innocent pris dans un engrenage qui le dépasse. La narration étant placée au plus prêt du protagoniste principal, on éprouve très vite une empathie totale pour lui et la révolte cède très vite le pas à la colère. Il faut dire que les conjurés (que nous suivons aussi en parallèle) ont tout pour déplaire : veules, suffisants, amoraux et cupides ; ils sont tout ce que le capitalisme triomphant produit de pire en terme d'inhumanité, de corruption et d'intérêts particuliers délétères. Pendant son séjour en Amérique du Sud, Erwan le jeune naïf va se muer en Lord Gwynplaine, un être nouveau d'une froideur et d'une détermination implacable. Belle réussite que cette transformation qui cristallise l’intérêt du lecteur et donne à voir la manière dont on peut changer un homme lambda en une espèce de monstre hybride de colère et de tristesse. Très romantique dans son traitement (trop diront certains, moi j'ai adoré !), cette figure dramatique plane au dessus de toute la deuxième partie de l'ouvrage.

Cette dernière s'apparente au tissage d'une immense toile d'araignée où vont se débattre ses victimes. Oh, je vous rassure, on ne les plaint pas à un seul moment. Il est intéressant au fil de la lecture de mettre en perspective les différentes actions de Gwynplaine qui agit sur toute une série de leviers pour avancer ses pions, toucher les points faibles de ses adversaires et finalement porter l'estocade finale. Tellement préoccupés par leurs soucis d'argent, de luttes de pouvoir ou de famille (coucheries, jalousies, mariages arrangés...), ils ne se rendent pas compte des manipulations opérées à leur insu. Quand les pièges s'enclenchent, à la manière d'un effet domino, le feu d'artifice peut commencer et bien peu de personnages en sortiront indemnes. Bien assisté par des seconds couteaux efficaces et fidèles, Lord Gwynplaine opère une vengeance terriblement méthodique.

Expérience sans temps mort, on aime suivre cette histoire haute en couleur où les péripéties nombreuses sont émaillées de passages à l'ironie féroce dénonçant les dérives de nos sociétés actuelles (Bienvenue en Macronie ! Avec aussi quelques références bien senties sur les années Mitterrand et Chirac). Ça démâte sévère et ça fait du bien ! Certes certaines ficelles sont un peu grosses, j'ai pu relever quelques incohérences et un côté parfois un peu too much dans le traitement de Lord Gwynplaine lui-même, mais quel pied de voir les punitions tombées après un long jeu du chat et de la souris ! On reconnaît tout le talent d'écriture des deux auteurs réunis. Le style simple, concis mais néanmoins exigeant donne un réalisme et un dynamisme qui ne se dément jamais lors de cette lecture prenante et diablement excitante.

Et puis, faire référence à un de mes livres préféré de Hugo dès le titre du livre n'est pas étranger à mon engouement pour ce dernier (revient Victor, la France est devenue folle !). Le lien se fait facilement avec ce que l'on peut vivre en ce moment et cette lecture provoque une forme de jouissance intellectuelle fort délectable qui défoule et enrobe l'âme. Alors oui, on ne révolutionne pas le genre avec Lord Gwynplaine mais on prend un sacré plaisir et on en redemande ! À lire absolument si vous aimez le genre et tout particulièrement si ces deux auteurs vous manquaient...

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dimanche 9 septembre 2018

"La Ferme aux poupées" de Wojciech Chmielarz

La Ferme aux poupéesL'histoire : L'inspecteur Mortka, dit le Kub, a été envoyé à Krotowice, petite ville perdue dans les montagnes. Officiellement, il est là pour un échange de compétences avec la police locale.
Officieusement, il y est pour se mettre au vert après une sale affaire. S'il pense être tranquille et avoir le temps de réfléchir à l'état de sa vie personnelle, il se trompe lourdement. Quand Marta, onze ans, disparaît, un pédophile est rapidement arrêté, qui reconnaît le viol et le meurtre de la petite. Mais l'enquête est loin d'être terminée : les vieilles mines d'uranium du coin cachent bien des secrets... et peut-être quelques cadavres.
Il faudra tout le flair du Kub pour traquer des trafiquants dont la cruauté dépasse l'entendement.

La critique Nelfesque : Déjà présent dans "Pyromane" du même auteur, on retrouve ici le Kub, inspecteur originaire de Varsovie et envoyé à Krotowice, placard pour flics dans les montagnes. On retrouve cet inspecteur ou, comme moi, on le découvre. Je n'avais pas lu l'ouvrage précédent et rassurez-vous, cela n'est pas du tout gênant pour s'aventurer dans "La Ferme aux poupées".

Assez classique dans son approche, il n'y a pas de mystère, nous sommes ici dans un pur polar. Ça se lit tout seul, le déroulement est fluide, les personnages sentent à plein nez les flics pur jus. Pas de grosses surprises sous le soleil mais pour qui aime le genre, on prend pas mal de plaisir à suivre l'enquête.

Dans "La Ferme aux poupées", on est plongé dans une petite ville de Pologne. Ici point de frénésie, c'est la montagne et ses petites affaires loin de la grande ville de Varsovie. Et pourtant, avec une population raciste envers les Roms, Wojciech Chmielarz met le doigt sur une question de société. Sans jugement mais à travers le regard de son héros, cette banalisation écoeure le lecteur et fait planer sur ces pages une atmosphère poisseuse.

Contrairement à ce que la 4ème de couverture pourrait laisser entendre, il n'y a rien de gore dans ce roman. Les scènes sont dures parce que les faits sont inimaginables mais tout est dans la suggestion. Pas de descriptions de 15 pages pour présenter l'horreur avec moult détails, elle prend place dans nos têtes et notre imagination. Âmes sensibles s'abstenir toutefois car l'ambiance est noire et glauque (et oui nous sommes dans un polar).

Commençant avec l'enlèvement d'une petite fille, on rentre tout de suite dans le vif du sujet. L'auteur ne tergiverse pas 3h en descriptions et caractérisations et accroche immédiatement le lecteur. Un rythme de thriller qui donne envie de poursuivre sa lecture. Puis on s'attache plus au personnage de Mortka, dit le Kub, fraîchement installé dans un studio miteux après avoir perdu femme et enfants. En pleine crise existentielle, il ne sait pas si il doit quitter la police, comment se rapprocher de ses fils... C'est le bordel dans sa tête autant sur le plan personnel que professionnel. Être consultant pour la police locale devrait lui permettre de faire le point... Devrait...

Une petite fille disparaît. Une autre avant elle. Et Mortka se retrouve plongé dans la Pologne populaire, gangrenée par le racisme. La petite est retrouvée dans une mine d'uranium entourée de cadavres et là commence réellement l'enquête, une enquête inhabituelle dans cette petite bourgade plus familière des faits divers, brouilles de voisinage et autres rubriques de chiens écrasés. Mortka va devoir affronter un mur, celui des habitants qui s'unissent, voyant en lui un fouineur. Quand la poussière est mise sous le tapis, qui a envie de la voir en sortir ? Mensonges et manipulations vont se retrouver sur son chemin.

Dans "La Ferme au poupées", le suspens est présent, personne n'est épargné et les révélations sont surprenantes. La tension est palpable, l'ambiance dans laquelle évolue le Kub aussi. Un personnage normal, pas le sur-homme, pas le flic infaillible et super doué, un homme avec des doutes, un passé, des fêlures mais pugnace et téméraire. Le gage de bons moments de lecture.

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mercredi 18 octobre 2017

"La Seine est pleine de revolvers" de Jean-Pierre Ferrière

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L’histoire : Marion et Fanny sont les meilleures amies du monde. Entre elles, pas de secret ! Leur mariage ? Un désastre confortable. Leurs rêves d’enfants ? Un tombeau de regrets. Et leur mari ? De simples obstacles, dont la disparition précoce ne les chagrinerait pas plus que ça...

Justement, ne devrait-on pas toujours pouvoir compter sur sa meilleure amie ? Aussi bien en cas de coup dur, de chagrin d’amour... que d’assassinat ?

Des brasseries parisiennes au Casino de Cannes, entre les deux femmes va se mettre en place une mécanique meurtrière... capable de changer la plus solide des amitiés en polar renversant. Et quand le rideau tombera, quelles que soient les coupables, une chose est sûre : la Seine sera pleine de revolvers.

La critique de Mr K : Nouvelle réédition réussie chez French Pulp éditions avec La Seine est pleine de revolvers de Jean-Pierre Ferrière, auteur connu, prolifique et apprécié des amateurs de polar qui a officié dans la deuxième partie du XXème siècle. Pour ma part, c’est ma première incursion chez lui et je suis tombé littéralement sous le charme entre intrigue diabolique, style fluide et un suspens terrible maintenu jusqu’au dernier chapitre.

Deux copines de lycée se sont retrouvées au hasard d’un après-midi de soldes. Ce hasard heureux leur rappelle des souvenirs de jeunesse, très vite elles se présentent leurs maris et c’est partie pour la grande amitié. Durant cinq ans, ils passent leur temps ensemble. Week-end et vacances se font à quatre entre sorties culturelles, sport et soirées bien arrangées. Malgré quelques rumeurs salaces, pas un nuage dans cette relation collective fusionnelle. Et puis survient un événement dramatique qui bouleverse l’ordre établi et dans l’esprit des deux femmes l’idée germe de se débarrasser de leurs maris respectifs. Elles fomentent un plan quasiment parfait et passent à l’acte. Comme toujours, c’est un minuscule grain de sable qui va enrayer la mécanique infernale mise en place par l’auteur qui va se faire un plaisir de torturer ses personnages et retourner l’estomac du lecteur qui tombe de Charybde en Scylla.

Très vite, le décor planté, l’action démarre dare-dare. À première vue, rien ne prédestinait Marion, une actrice ratée bourgeoise, et Fanny, une traductrice effacée, à commettre un crime. Mais la jalousie, la culpabilité, l’appât du gain et la vengeance guident leurs pas avec une Marion déchaînée qui s’inspire de ce qu’elle peut croiser dans sa vie de comédienne pour créer le double meurtre parfait. On suit avec étonnement et fascination la mise en place du piège, on n’aimerait pas être à la place de Vincent et Edouard ! La mayonnaise prend très vite avec un auteur qui n’a pas son pareil pour décrire les affres des âmes humaines avec notamment deux beaux portraits de femmes blessées qui vont céder à leurs pulsions criminelles et des enquêteurs doués mais dont l’action est contrée par l’absence de preuves tangibles. Puis, au bout d’un moment, les personnages secondaires prennent une importance autre et renversent la situation établie pour le plus grand plaisir du lecteur.

On passe régulièrement d’un point de vue à un autre ce qui rajoute un soupçon de perversité à l’ensemble : la confection du plan, la consolidation des alibis, l’élaboration de fausses pistes, l’enquête policière qui semble tourner court et puis très vite, des révélations fracassantes qui vont changer la donne. Sous ses allures très classiques, l’histoire réserve bien des méandres tortueux à ses personnages et je dois avouer que Jean-Pierre Ferrière m’a surpris plus d‘une fois. Les événements s’accélérant, on commence à soupçonner un peu tout le monde et l’on se demande bien qui va avoir le dernier mot. Suspens, crime, sexe et introspections déviantes peuplent ce livre qui ne laisse pas une seconde de répit et se dévore en moins de temps qu’il faut pour le dire !

Bien que classique dans sa forme mais non dénué de charme bien au contraire, l’écriture est un bijou de simplicité et procure une évasion immédiate. Malgré quelques scories en terme d’impression (mots doublés et fautes de frappes, une dizaine en tout), le contenu est d‘un bel acabit et l’on passe un excellent moment, prisonnier d’un suspens haletant qui procure un plaisir sadique certain. J’adhère totalement et je ne peux que vous conseiller de tenter l’expérience La Seine est pleine de revolvers si le genre vous plaît.