jeudi 17 décembre 2020

"Construire un feu" de Chabouté

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L’histoire : Un homme marche dans le Grand Nord canadien, vers une mine où d’autres sont déjà, à chercher l’or qui pourrait faire leur fortune et changer leur vie. Sous ce ciel sans soleil, il est accompagné de son chien-loup. Il fait probablement soixante degrés en dessous de zéro. Il connaît la région. Il sait faire un feu. Parviendra-t-il à atteindre sa destination ?

La critique de Mr K : Belle trouvaille une fois de plus avec cet ouvrage dégoté dans le CDI de mon bahut. Construire un feu de Chabouté est la libre adaptation de la nouvelle éponyme de Jack London, un de mes écrivains cultes qui m’a mené vers les joies de la lecture au début de ma vie de lecteur. Il est ici question de survie, de lutte contre les éléments et de nature humaine. Un triptyque traité de manière frontale et toute en beauté dont on ressort frappé et totalement émerveillé.

Avant de débuter l’ouvrage, j’ai relu la nouvelle de Jack London, ce qui m’a permis au passage de reprendre contact avec la langue si savoureuse d’un auteur dont j’ai lu l’intégrale (sous l’impulsion de ma grand-mère à l'époque) il y a déjà bien longtemps. Le texte est ultra-court (une dizaine de pages), il s’agit de la première version publiée par l’auteur. Il paraît qu’il y a d’autres versions plus ou moins enrichies qui depuis on fait leur apparition. Pas sûr donc que ce soit le meilleur matériel pour comparer avec l’adaptation de Chabouté mais on retrouve de nombreuses choses communes et également des différences notables notamment sur la fin qui est diamétralement opposée à celle de la nouvelle ! Ce n’est pas bien grave car la réussite est au rendez-vous dans la vision proposée par Chabouté.

Un homme et son chien errent dans le froid du Nord de l’Amérique. L’homme doit rejoindre un campement près d’une mine qui recèlerait un filon très intéressant. En ces temps de Ruée vers l’or, beaucoup d’aventuriers tentent leur chance dans ces grandes étendues sauvages que notre espèce n’a pas encore domestiquées. Il connaît son chemin, a de quoi manger et a prévu d’arriver le soir même. Rien ne va vraiment se passer comme prévu, il fait -60°C et les conditions empirent. Nous partageons alors son optimisme puis sa lente descente aux enfers. On l’avait pourtant prévenu, on ne doit jamais voyager seul dans cet endroit isolé où le danger guette le malheureux imprudent à chacun de ses pas.

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Cette BD est très contemplative. Il y a des planches entières où il n’y a pas un mot ou une phrase d’écrite. On s’imprègne des vastes paysages qui nous sont donnés à voir et qui sont de toute beauté. Forêts impénétrables, rivières gelées et montagnes inaccessibles ravissent les pupilles et nous plonge dans une nature impénétrable, redoutable par son aspect sauvage et son imprévisibilité. Le froid est au centre des préoccupations et l’on en ressentirait presque le souffle sur sa nuque à chaque page que l’on tourne. L’immersion est totale et l’appréhension grimpe au fil de l'histoire.

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Le narrateur ne nous épargne rien des pensées et soucis que rencontre le personnage principal. Parti avec de l’espérance plein le cœur, des rêves de gloire et de richesse, son esprit va déclinant au fil du jour qui défile et des difficultés rencontrées. Malgré une bonne préparation, la réalité le rattrape, par -60° les réflexes diminuent, la réflexion devient ardue et les réactions ne sont plus forcément les bonnes. Forcé de s’arrêter, il allume un feu (passage qui donne son nom à l’ouvrage). Ce rituel pourtant simple prend une tournure dramatique ici sous l’œil aiguisé du chien-loup qui accompagne son maître. Fatigue, engourdissement des sens et des membres sont décrits avec finesse et provoquent une empathie immédiate. L’angoisse monte crescendo...

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Récit d’aventure et de survie avant tout, cette histoire propose en filigrane une belle réflexion sur notre nature profonde, notre penchant pour l’hybris et l’idée qu’on peut triompher de la nature impunément. Ce récit cruel mais d’un réalisme de tous les instants est un bijou en la matière. Avec une économie de mots toujours bien choisis, des dessins à couper le souffle et un rythme languissant qui semble suivre les pulsions cardiaques de l’infortuné héros. On part ici pour un voyage à nul autre pareil et qui marque l’esprit à jamais. À découvrir absolument pour tous les amateurs d’aventure et de nature writing, en parallèle du texte original c’est encore mieux !


lundi 2 mars 2020

"Haut domaine" de Dan O'Brien

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L’histoire : Un enfant, un serviteur noir, un vieil excentrique et sa femme, deux déracinés...
Par la voix singulière de personnages bouleversés face à une nature qui les dépasse ou une existence qui les met au défi, dix nouvelles, lauréates de l’Iowa Short Fiction, comme autant d’hymnes discrets à la persévérance et au pouvoir rédempteur de l’amour pour les grands espaces et les hommes.

La critique de Mr K : Chronique à la saveur particulière aujourd’hui avec cet ouvrage qui m’a été offert à mon anniversaire par ma très chère Nelfe qui sait mieux que personne mon attachement aux recueils de nouvelles US contemporaine. Haut domaine de Dan O’Brien scelle ma rencontre avec un auteur que je n’avais pas pratiqué jusque là. Cette erreur est désormais réparée et quel bonheur que cette lecture aussi passionnante que source de plaisir. La Nature, les hommes, l’Amérique et une écriture limpide sont au rendez-vous d’un recueil qui trouvera une bonne place sur les étagères de notre bibliothèque.

Spécialiste du nature-writing, éleveur de bisons et fauconnier, professeur de littérature et d’écologie, cet auteur aux multiples casquettes nous propose ici dix nouvelles mettant en scène des personnages confrontés à une Nature grandiose qui les dépasse ou à un défi de l’existence. On alterne des récits plus ou moins courts qui proposent des histoires très réalistes et très humaines livrant des destinées à la croisée des chemins, face à des choix cruciaux qui pourraient bien changer leur vie à tout jamais. Au cœur des histoires, les rapports humains, le lien ténu qui relie notre espèce au reste du règne naturel et l’Amérique dans toute sa diversité entre splendeur et décadence.

Ces courts récits nous proposent de suivre tour à tour un père et son fils éleveurs d’oiseaux dont la relation est entachée par un tabou autour de la mère qui a quitté le foyer familial. Dans l’histoire suivante un fils doit briser le lien familial et partir de chez lui. Dans une autre, deux copains loin de chez eux partent à la chasse aux phoques en imaginant ce que cela donnera, ils se plantent complètement... Le texte suivant, nous permet de suivre un homme parti à la pêche suite à une violente dispute avec sa femme. Puis, on assiste à une expédition de secours en haute montagne qui révèle les liens tissés entre trois personnages durant une tempête dantesque. Plus tard, on lit une chronique de voisinage qui nous raconte l’histoire d’un domaine agricole, un autre texte nous permet de vivre de l’intérieur la migration d’oies sauvages. Autres textes, autres ambiances avec le déménagement d’un piano par deux potes dont l’un divorce, un homme qui veut défendre coûte que coûte son terrain menacé par un ordre d’expropriation, et enfin un texte où un vieux serviteur relate le changement de main d’un grand domaine. Toutes ces nouvelles se sont révélées très bien tournées et menées de main de maître, pas de réel maillon faible dans cette compilation de textes percutants et passionnants.

Dan O’Brien excelle vraiment dans ces descriptions de la nature et leur mise en relation avec les histoires qu’il nous raconte. Il ne tombe jamais dans la simplicité ou le remplissage, la douce mélodie des mots est un écrin de toute beauté pour replacer l’homme au cœur d’une Nature aussi superbe que parfois dangereuse. Le bruissement du vent dans les arbres, le vol d’oiseaux sauvages, la danse des truites arc-en-ciel dans un fleuve tumultueux, le déchaînement des éléments ou encore le mystère enveloppant des forêts impénétrables hanteront longtemps mon esprit tant, durant la lecture, les images se figent durablement et provoquent une immersion totale. Il en va de même avec des personnages du commun qui prennent une densité surprenante grâce à l’écriture aussi simple qu’évocatrice qui caractérise cet écrivain dont la réputation n’est pas usurpée. Passion, amour, échec, filiation douloureuse, esprit de résistance mais aussi grand abattement sont au cœur de ces vies d’américains moyens à qui la vie ne fait pas de cadeau et qui tentent de faire face malgré tout. L’humanité s’aborde au fil des mots, de manière brute mais avec une force incroyable qui m’a totalement conquis.

Merci chérie pour ce cadeau, c’est très bien vu ! Dans le genre, peu d’auteurs peuvent se vanter de conjuguer efficacité et talent de narration aussi pointilleux que porteur de sens et de plaisir. À lire absolument pour tous les amateurs du genre !

samedi 18 janvier 2020

"Allegheny River" de Matthew Neill Null

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L’histoire : Dans Allegheny River, animaux et humains cohabitent au fil du temps, dans un équilibre précaire, au sein d’une nature ravagée par la main de l’homme. Tour à tour épique et intimiste, c’est un univers de violence et de majesté qui prend vie sous la plume lyrique et puissante de ce jeune écrivain. Ce livre, récompensé par le prix Mary McCarthy, acquiert une dimension universelle, car si le monde qui y est décrit peut nous sembler lointain, une chose est certaine : il s’agit bien du nôtre.

Singulières et puissantes, ces nouvelles, ancrées dans la région des Appalaches, résonnent d’une inquiétante actualité.

La critique de Mr K : Allegheny River de Matthew Neill Null est ma première incursion en 2020 dans la très belle collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel que je pratique désormais depuis un certain temps avec un bonheur de lecture toujours renouvelé. Cet auteur m’avait totalement conquis avec Le Miel du lion, un roman noir au souffle puissant qui lorgnait vers Jack London, un de mes auteurs préférés lors de mes jeunes années lecture. Matthew Neill Null nous revient avec un recueil de huit nouvelles ayant comme fil conducteur les hommes et leur rapport à la nature. Ce fut une lecture express, intense et assez magistrale. Décidément ce jeune auteur est plus que doué !

Huit nouvelles, huit situations différentes se situant dans un décor, un cadre semblable : la Pennsylvanie avec les montagnes, la rivière éponyme, des milieux ruraux isolés où les communautés humaines existantes se retrouvent d’une manière ou d’une autre seules face à l’ordre naturel avec des rapports de force sans compromis où tantôt la nature ou les hommes l’emportent. Ces nouvelles se composent de très beaux passages sur la faune, la flore, les petites splendeurs quotidiennes que la Nature nous offre et des focus sur des humains en proie aux désirs et tiraillements liés à notre espèce.

Un commis voyageur qui démarche une famille de rednecks pour leur vendre une charrue miraculeuse, un chasseur vivant en ermite avec sa femme au fin fond des bois, une nouvelle présentant l’évolution du rapport entre les ours et les hommes dans un comté, un accident de rafting qui rappelle aux hommes la nature indomptable des éléments, une équipe de chercheurs étudiant les poissons qui font une rencontre révélatrice, une histoire d’amour entre un jeune garçon et une internée de force dans une île-hospice en temps d’épidémie, un oncle qui fait une mauvaise blague à ses deux nièces ou encore une partie de chasse qui apprendra bien des chose au protagoniste principal... voila autant de situations éclairantes sur l’humain et ses velléités.

C’est avec un plaisir sans faille que l’on enchaîne ces courts récits qui mêlent les émotions contradictoires et transportent le lecteur au cœur d’une certaine Amérique. Matthew Neill Null n’a pas son pareil pour planter un décor, tout particulièrement quand la Nature y est prégnante. Les descriptions dynamiques fourmillent de détails. On est dans un naturalisme qui touche en plein cœur car accompagné par une poésie de tous les instants (quel beau travail de traduction !). Renouvellement de la narration, des figures de style aériennes et enlevées, une grande beauté s’échappe de ces pages. On s’arrête, le sourire aux lèvres, au bord du remous tumultueux d’une rivière qui réserve bien des surprises, on accompagne la danse gracieuse d’un poisson remontant le courant, on gambade en forêt avec les seigneurs des forêts que sont les ours ou les cerfs, on explore des grottes séculaires regorgeant de merveilles naturelles, ou tout simplement, on s’allonge sous les frondaisons pour écouter le doux bruissement des branches et des feuilles au gré de la brise frémissante.

Mais le tableau est loin d’être idyllique, la lecture s’avère aussi belle qu’âpre avec un sous-texte bien cruel qui nous rappelle la réalité sombre de notre époque mais qui a débuté bien avant (certains des récits se déroulent au XIXème siècle). Dénaturalisation et disparition des milieux naturels, les espèces menacées par la surexploitation humaine et l’artificialisation des lieux, la cruauté des hommes et leur égocentrisme assassin sont autant d’uppercuts assénés par l’auteur avec finesse à son lecteur captif. Je peux vous dire que l’on passe par tous les états et que l’on ne sort pas indemne d’un tel ouvrage. Lumineux et ténébreux, vifs et contemplatifs, les récits composant Allegheny River se complètent à merveille, donnent à voir des trésors de sagesse et imposent une fois de plus la nécessité de conserver notre monde, si beau et si menacé à la fois. Une grande claque littéraire.

mercredi 10 octobre 2018

"Petit traité sur l'immensité du monde" de Sylvain Tesson

petit traitéL'histoire : Pour ralentir la fuite du temps, Sylvain Tesson parcourt le monde à pied, à cheval, à vélo ou en canot. Dans les steppes d'Asie centrale, au Tibet, dans les forêts françaises ou à Paris, il marche, chevauche, escalade aussi les monuments à mains nues.
Pour mieux embrasser la terre, il passe une nuit au sommet de Notre-Dame de Paris, bivouaque dans un arbre ou sous un pont, construit des cabanes.
Cet amoureux des reliefs poursuit le merveilleux et l'enchantement. Dans nos sociétés de communication, il en appelle à un nouveau nomadisme, à un vagabondage joyeux.
Ce Petit traité sur l'immensité du monde est un précis de désobéissance naturaliste, une philosophie de poche buissonnière, un récit romantique contre l'ordre établi.

La critique Nelfesque : Sylvain Tesson est quelqu'un que j'aime beaucoup. Autant pour ses écrits, ses réflexions, ses essais, son travail d'écrivain que pour l'homme qu'il est tout simplement. Il m'apaise, me donne à réfléchir et ses phrases résonnent incroyablement en moi.

Le lire n'est pas forcément chose aisée. Il est fortement conseillé de se poser, de se préparer à un moment d'introspection quand on ouvre un livre de cet auteur. Parfois, j'ai besoin de relire ses phrases plusieurs fois pour m'en imprégner, chacune étant fortement travaillée, mais ce qu'il dit est d'une telle justesse... Sylvain Tesson n'est pas homme à livrer ses sentiments de façons brutes et certains trouveront que cela manque de spontanéité. Ce n'est pas faux. Cependant, pour qui adhère à sa plume et à sa façon de voir les choses, il va directement à l'âme du lecteur. Personnellement, ça me touche et je n'aborde pas cet auteur comme n'importe quel autre. Il a vraiment une place à part. Je ressors de ses écrits un peu moins con qu'avant (c'est déjà pas mal), en entamant ou poursuivant une réflexion qui a du sens.

Bon mais trêve de blabla, parlons un peu de ce "Petit traité sur l'immensité du monde".

Comme toujours, les propos de Tesson sont ici très justes. Il nous livre ses pensées sur ses voyages, ses marches, son rapport à la nature. L'ouvrage est court (166 pages seulement) et on aborde différents types d'errance. Chaque chapitre traite une réflexion, revient sur une expérience, tire des leçons et on avance pas à pas. Déconcertant par moment car différent des autres ouvrages que j'ai pu lire de Tesson, ici on survole plus les choses. Cela est dû au format court et à une approche qui fait plus penser à la nouvelle qu'à l'ouvrage que l'on dévore de bout en bout. A déguster donc, en livre de chevet, un peu comme un ouvrage de développement personnel qui aide à y voir plus clair. Les propos perdent de leur impact si on lit avidement les chapitres les uns après les autres, nous noyant quelque peu dans des expériences sans lien apparent, si ce n'est ce besoin de vivre d'une façon opposée à la politique libérale et le monde capitaliste et consumériste que l'on nous sert chaque jour jusqu'à la nausée.

Voilà ce qu'est le "Petit traité sur l'immensité du monde" de Sylvain Tesson. Une marche à contre-courant de l'urbanisation quasi omniprésente, de l'asphalte et du béton. Une ode à la découverte, à la marche, à la connexion ou la reconnexion à la nature et à ce que nous sommes vraiment. Certains choisissent de partir sur les routes pour comprendre ce qui leur échappe, retrouver leur élément. Comme ce fut le cas par le passé avec les grandes découvertes et les expéditions vers l'inconnu. Tesson nous livre ici un essai d'une grande poésie à travers les grandes étendues sauvages, au sommet d'un arbre ou d'une cathédrale. Toujours en fuite et en quête. Un état d'esprit.

Livra'deux pour pal'Addict

J'ai lu cet ouvrage dans le cadre du challenge "Livra'deux pour pal'Addict".

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mardi 3 juillet 2018

"Désolations" de David Vann

DésolationsL'histoire : Sur les rives d’un lac glaciaire au cœur de la péninsule de Kenai, en Alaska, Irene et Gary ont construit leur vie, élevé deux enfants aujourd’hui adultes. Mais après trente années d’une vie sans éclat, Gary est déterminé à bâtir sur un îlot désolé la cabane dont il a toujours rêvé. Irene se résout à l’accompagner en dépit des inexplicables maux de tête qui l’assaillent et ne lui laissent aucun répit. Entraînée malgré elle dans l’obsession de son mari, elle le voit peu à peu s’enliser dans ce projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de vie de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s’annonce un hiver précoce et violent qui rendra l’îlot encore plus inaccessible.

La critique Nelfesque : Rien ne vaut la lecture d'un roman se déroulant en Alaska en période de canicule ! Et côté "glaçant", "Désolations" en a sous le pied !

Nous suivons ici l'histoire d'Irene et Gary, en couple depuis de nombreuses années et ayant succombé peu à peu aux habitudes du quotidien. Habitudes confortables par moment mais aussi pesantes, Gary a envie de changement et s'enfonce de plus en plus dans son obsession : construire une cabane sur une île déserte. Simple passe-temps à la base, cette envie de changement va se muer au fil des pages en une folie égoïste, une obsession malsaine. Gary ne construit pas une cabane pour le plaisir, il veut transformer sa vie et celle de sa femme de A à Z.

Dans cette course effrénée, Irene suit. Irene a toujours suivi. Mais cette fois-ci, elle déclenche des symptômes qui lui font prendre conscience que quelque chose ne va pas, que tout ne se déroule pas normalement, qu'il y a danger aujourd'hui. A mesure que son mari s'enferme dans sa monomanie, l'obligeant à la suivre dans des conditions météorologiques extrêmes et dangereuses, Irene devient folle. Elle souffre physiquement, son corps se met en alerte. Un mal de tête terrible empire de jour en jour jusqu'à la rendre incapable de tout mouvement, jusqu'à lui faire voir des choses qu'elles n'avaient jamais envisagées, jusqu'à lui faire prendre conscience que sa vie actuelle est bien éloignée de ce qu'elle avait toujours pensé. C'est dans un état second qu'une sorte de claire voyance va lui apparaître...

Sous la plume de David Vann, toujours aussi brillant pour aller fouiller au plus profond de l'âme humaine, ce couple à la dérive nous happe dans un tourbillon angoissant. Jusqu'où iront-ils ? Quel sera l'élément déclencheur qui fera basculer cette histoire dans le drame ? Chaque page se lit sur le fil du rasoir. Mieux vaut être averti, cet ouvrage est sombre et pesant. Il nous amène à nous poser des questions, à assister impuissant à un naufrage inévitable. L'espoir n'a pas beaucoup de place ici et que ce soit avec les personnages d'Irene et Gary ou ceux de leurs enfants et époux, une chape de plomb et un constat sans appel concernant le mariage s'abattent sur le lecteur.

Libre à chacun ensuite de penser ce qu'il veut du mariage mais le moins que l'on puisse dire c'est que David Vann ici, avec son talent, convaincrait n'importe qui qu'un macchabée est sur le point de se relever. Les situations qu'il dépeint pourrait dégoûter n'importe qui de s'unir à un autre être tant chaque couple présent dans "Désolations", avec son parcours de vie bien distinct, court à la catastrophe.

Un roman glaçant, pointu, extrêmement ciselé et bien écrit qui non content de nous bluffer par la force de ses mots et ses propositions, nous fait basculer dans un état second proche de l'hypnose. Littéralement en apnée de la première à la dernière page, il m'a fallu plusieurs semaines pour bien le digérer et poser des mots sur les sensations que j'ai ressenties pendant ma lecture. Un roman qui laisse des marques ! A lire avec le moral !

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- "Dernier jour sur terre"
- "Sukkwan Island"
- "Goat Mountain"


mardi 23 mai 2017

"Conséquences" de Darren Williams

consequencesL'histoire : 1969. Angel Rock est une petite localité du sud de l’Australie, austère et abandonnée du monde. Le village a été durement touché par la crise, l’industrie du bois peine à le maintenir en vie. Nature hostile, conditions de vie difficiles, familles isolées, c’est dans ce contexte douloureux qu’un drame s’abat sur la communauté : Tom Ferry, 13 ans, et son petit frère Flynn disparaissent dans le bush, aux abords du village. Une battue est organisée pour les retrouver, en vain.
Sydney, quelques semaines plus tard. Une adolescente en fugue originaire d’Angel Rock est retrouvée morte dans une maison abandonnée. Le suicide ne fait aucun doute pour les autorités. Mais Gibson, un policier sombre et tourmenté, décide, de poursuivre ses investigations.
Défiant sa hiérarchie, il gagne Angel Rock où il va mener une enquête qui, bien vite va tourner à l’obsession. Dans cette petite communauté où rien ne s’oublie mais où rien ne se dit jamais, Gibson devra affronter le poids du passé, le sien et celui du village, pour mettre à jour des secrets enfouis depuis trop longtemps.

La critique Nelfesque : Voici un roman Sonatine qui n'est pas une nouveauté et qu'il serait dommage de laisser de côté. Sorti en 2012, je suis tombée dessus lors d'un chinage de plus il y a déjà 2 ans ! Raaa mais non le temps passe trop viiite ! Il était plus que temps que je mette le nez dedans...

Présenté comme un thriller, j'aurai plus tendance à le classer en roman noir. Si vous aimez les thrillers trépidants, si pour vous il est primordial qu'il se passe une action saisissante toutes les 2 pages ou que chaque chapitre ait une accroche de dingue pour continuer la lecture, passez votre chemin. "Conséquences" n'est pas du tout un page-turner et vous risqueriez d'être déçu si vous l'abordiez ainsi.

Nous sommes ici dans l'Australie profonde. Celle des grands espaces vierges de la présence des hommes, celle des petites bourgades où tout le monde se connaît, celle où l'on peut rencontrer un puissant kangourou au détour d'un chemin, celle où l'on peut se perdre et où le moindre déglingué type "La Colline à des yeux" peut s'en donner à coeur joie. La nature tient une place importante, apportant son lot d'anxiété et d'oppression malgré la magnificence de ses paysages.

C'est dans cette petite ville d'Angel Rock que Tom et son petit frère Flynn vont disparaître un soir d'été alors qu'ils rentraient seuls à la maison. Le lecteur suit alors les recherches, le désarroi des petits, la chute psychologique de leur mère. Darren Williams avec une écriture pure et touchant au coeur, nous emmène alors dans une quête de la vérité, dans le tréfonds de ses personnages, dans la tête de laissés pour compte qui sont sans doute plus humains que le commun des mortels. C'est beau, touchant et passionnant pour qui aime ce type d'ouvrages.

Non-dits, alcoolisme, misère sociale, rumeurs conduisent ici à une tragédie. Celle de la disparition des enfants ? Celle de leur mort ? Celle de révélations sur le passé de certains habitants d'Angel Rock ? Darren Williams hypnotise littéralement son lecteur et le plonge dans un univers poisseux et malsain où l'adolescence et ses affres conditionnent toute la vie des futurs adultes. "Conséquences" est un roman sur le temps qui passe, sur les souffrances propres à chacun, qui n'est pas dénué de surprises et laisse le lecteur au bord des larmes en fin de lecture. Une belle découverte !

jeudi 2 mars 2017

"Premier de cordée" de Roger Frison-Roche

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L'histoire : Premier de cordée parle d’un jeune homme, Pierre Servettaz, qui vit à Chamonix dans les années 1930-1940. Le garçon aimerait exercer la même profession que son père : guide de haute montagne. Mais son père refuse qu'il prenne autant de risques. Il est donc en formation d'hôtelier et ne pratique la montagne qu'en tant que loisir. Quand un jour lors d’une escalade son père est foudroyé au du Dru, Pierre décide d'aller récupérer le corps de son père : accompagné de ses amis il se lance donc dans une escalade périlleuse. S'acharnant contre tout bon sens, il fait une terrible chute dans laquelle il manque de laisser sa vie.

La critique de Mr K : Une petite Madeleine de Proust en chronique aujourd’hui avec une re-lecture exaltante et émouvante, celle de Premier de cordée de Frison-Roche, un des premiers livres marquants que j’ai pu lire pré-adolescent. Conseillé par ma professeur de français de l’époque, je l’avais goutté et apprécié comme jamais, l’ouvrage faisant notamment écho à mon amour des vacances d’été à la montagnes (ma grand-mère était pyrénéenne et j’y passais beaucoup de temps entre grimpette, randonnée et bons repas) et donnait à voir de manière précise et imagée le petit monde des guides de haute montagne et la vie à Chamonix au siècle dernier. C’est avec un plaisir sans nom que j’ai refait le voyage en compagnie de Frison-Roche, le résultat est toujours le même : une superbe lecture.

Nous suivons plus ou moins le destin de Pierre, fils d’un guide renommé de la région de Chamonix qui va trouver la mort tragiquement suite à un orage d’une rare violence. La première partie de l’ouvrage s’attelle à nous décrire ce choc à travers les yeux du fils meurtri, de la victime elle-même (expliquant les raisons qui ont pu le pousser à pratiquer l’alpinisme malgré un temps déplorable) et des gens du crû formant une communauté très soudée. Un autre accident va intervenir et mettre en péril les velléités de Pierre à suivre les traces de son père et la deuxième partie du roman s’attache à sa rééducation et sa guérison pour pouvoir à son tour devenir guide. Ce livre est magique pour bien des raisons.

Tout d’abord, c’est un vrai roman d’aventure un peu à l’ancienne où l’on suit au plus près les personnages dans leur quête d’absolu avec cette bivalence étrange envers le milieu montagneux à la fois attirant et angoissant. Les parties narratives dédiées aux "courses" (randos + alpinisme avec touristes) sont d’un réalisme terrible, l’auteur collant au plus près de ses personnages, n’omettant aucun détail technique / psychologique qu’il insère avec talent dans la tête du lecteur qui se retrouve quasi parti-prenant de l’expédition. L’amateur de récit de voyage que je suis a été servi avec des scènes merveilleuses d’ouverture à la Nature mais aussi des phases de tension saisissantes qui mettent mal à l’aise et donnent irrémédiablement envie de lire la suite. J’avais beau l’avoir déjà lu, j’ai redécouvert quelques aspects du récit et j'ai réagi tout aussi bien que lors de ma première lecture.

Les personnages sont très bien ficelés. On reste dans du classique avec des figures éprouvées de la narration romanesque mais on éprouve tout de même beaucoup d’empathie pour ce jeune orphelin de père qui voit du jour au lendemain la terre s’ouvrir sous ses pieds et l’empêcher de réaliser son rêve. On soutient toute sa bande d’amis qui essait tant bien que mal de lui faire remonter la pente et de lui redonner envie de vivre, on se plaît à suivre la douce vie de ce village campagnard et montagnard avec ses rites et ses habitudes ancestrales (le combat de vache pour désigner la reine du troupeau, le fonctionnement d’une maison d’hôte, l’organisation du métier de guide, les techniques d’agriculture…) Modèle de civilisation bien expliqué grâce à la langue merveilleusement précise et accessible d’un auteur naturaliste et amoureux de ces lieux.

Et puis, il y a la montagne et la Nature. C’est un pied intégral de replonger dans les nombreuses descriptions qui émaillent le texte. Loin de l’alourdir, il en renforce le sens et la vision. Tant de beauté déployée entre les printemps fleuris et les hivers glaciaux et dangereux pour l’homme. La nature transcende son apparence mais aussi la vie des hommes qui ont choisi une existence quasi monacale pour certains (les gardiens de cabane). On en prend vraiment plein les yeux et on ressort plus riche, l’esprit peuplé d’images incroyables comme celles des massifs montagneux émergents de la brume, du temps changeant qu’il faut surveiller et qui donne lieu à de spectaculaires tableaux visuels et parfois auditifs, de la nature en expansion prodigue à l’occasion de bienfaits. Ce livre est donc un bel hommage rendu aux espaces montagnards, l’inspiration qu’ils peuvent provoquer et la pureté qu’il peut s’en dégager.

Il se dégage un charme désuet de ce récit, cela se voit dans la manière d’écrire et se ressent dans le monde qui nous est donné à voir, peuplé parfois de visions naïves, la plus grande étant cette solidarité à toute épreuve qui se dégage de ces pages alors que je suis loin de partager cet optimisme béat. Loin pour autant de rabrouer mon enthousiasme, cet aspect suranné donne un cachet et une profondeur intéressante au livre, lui font conserver une aura intacte et une puissance évocatrice toujours aussi impressionnante. Un sacrée lecture que je ne peux que vous conseiller.

mercredi 1 février 2017

"Dans les forêts de Sibérie" de Sylvain Tesson

Dans-les-forêts-de-SibérieL'histoire : Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.
Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché d'être heureux.
Je crois y être parvenu.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie.
Et si la liberté consistait à posséder le temps ?
Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures ?
Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.

La critique Nelfesque : Voici un livre que j'avais dans ma PAL depuis déjà un petit bout de temps. Il avait croisé ma route lors de notre Lune de miel à Saint-Malo il y a 2 ans et j'attendais le bon moment pour l'ouvrir. J'ai toujours vu "Dans les forêts de Sibérie" comme un ouvrage qu'il fallait pouvoir apprécier et il se dégage de sa 4ème de couverture une certaine aura. J'avais besoin de sentir l'instant pour le lire et ce moment est arrivé il y a quelques jours. Un froid extrême sur nos terres bretonnes (hey -8° c'est déjà très froid), l'hiver bien installé, je pris mon plaid doudou et mon chat et je me lançais donc dans ce témoignage de Sylvain Tesson comme on rentre en religion, avec respect et avide de découvertes spirituelles.

Sylvain Tesson, à l'aube de ses 40 ans a décidé de partir loin, très loin, pendant 6 mois de sa vie. Partir, il connaît, il a déjà effectué bon nombre de voyages, mais cette fois ci, c'est pour un voyage immobile qu'il souhaitait quitter la France. Le voici donc installé près du lac Baïkal, en pleines forêts de Sibérie, à expérimenter la solitude, le silence et la nature et en ressortir changé.

Je me suis retrouvée dans le personnage de Sylvain Tesson, dans son ras le bol de la vie moderne, dans sa quête du bonheur et de la simplicité, dans son côté authentique et proche de la nature. La liberté, un concept bien flou et galvaudé à notre époque. Aussi une question très occidentale et réservée aux petits privilégiés que nous sommes et qui peuvent se payer le luxe de se poser des questions existentielles telles que celle ci. Maladie de notre temps, névrose de bobos, la vie parfois nous parait fade ou du moins incomplète. Nous nous sentons incomplets... Sylvain Tesson, par son expérience, veut se sentir vivant et va l'être. Tout n'est pas rose, tout n'est pas noir mais la proximité de la nature lui permet d'ouvrir les portes de sa perception sans drogues (mais avec pas mal de vodka) et de coucher sur le papier des pensées sur notre façon de vivre, sur sa vie personnelle et sur la notion de besoins, terme que nous utilisons à tort et à travers.

J'ai été particulièrement touchée par cette impulsion qui l'a mené en Sibérie, par ses réflexions, par ses doutes et ses peurs. Je l'ai envié dans sa démarche pourtant simple (partir) mais si difficile à entreprendre (partir) quand nous traînons nos habitudes sociales tels des boulets que nous nous créons nous-même. A la lecture de "Dans les forêts de Sibérie", difficile de ne pas se poser la question : pourrais-je partir moi aussi et me découvrir ? Peut-on réellement savoir qui nous sommes en restant enfermés dans nos habitudes ?

Au delà des considérations personnelles de l'auteur et des réflexions que cela engendre chez lui sur nos vies en société, Sylvain Tesson est ici au plus près de la nature, dépendant d'elle, devant la respecter, l'apprécier et la craindre pour ce qu'elle est. Pendant 6 mois, elle le nourrit, lui donne à voir quotidiennement des paysages somptueux, le fait vivre en communion avec elle mais elle est aussi dangereuse et l'auteur en a bien conscience et n'est pas parti dans son refuge tel un conquérant. Quand les températures atteignent les -30°, personnellement, je ne sais pas comment il fait... Mais le monsieur a de l'expérience, c'est un aficionados de la montagne et il est déjà bien averti des risques qu'il peut prendre.

Dans un décor à couper le souffle, Sylvain Tesson nous donne à voir une expérience initiatique exceptionnelle et couche sur papier 6 mois de réflexions quotidiennes sur la vie avec un cheminement de pensée posé et étayé. "Dans les forêts de Sibérie" est un ouvrage à part sur lequel on peut revenir plusieurs fois pour y trouver ce dont on a besoin. A défaut de tenter soi-même l'expérience, par la plume de Sylvain Tesson, simple, moderne et qui laisse voir une certaine érudition et culture, le lecteur parcourt plus de 5000 km et vit dans une isba de bois comme si il y était. De quoi alimenter son imaginaire et faire carburer sa cervelle. Un excellent livre de chevet !

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mercredi 4 janvier 2017

"Les Animaux" de Christian Kiefer

LesAnimauxKieferL’histoire : Niché au fin fond de l’Idaho, au cœur d’une nature sauvage, le refuge de Bill Reed recueille les animaux blessés. Ce dernier y vit parmi les rapaces, les loups, les pumas et même un ours. Connu en ville comme le "sauveur" des bêtes, Bill est un homme à l’existence paisible, qui va bientôt épouser une vétérinaire de la région.

Mais le retour inattendu d’un ami d’enfance fraîchement sorti de prison pourrait bien ternir sa réputation. Rick est en effet le seul à connaître le passé de Bill, dont il a partagé la jeunesse violente et délinquante.

Pour préserver sa vie, bâtie sur un mensonge, Bill est prêt à tout. Au fur et à mesure que la confrontation entre les deux hommes approche, inéluctable, l’épaisse forêt qui entoure le refuge, jadis rassurante, se fait de plus en plus menaçante...

La critique de Mr K : Quelle claque magistrale pour ce roman tout juste sorti en ce début d’année ! 2017 commence sous les meilleurs auspices avec Les Animaux de Christian Kiefer, un tout jeune auteur américain qui propose avec ce roman noir se déroulant dans les grands espaces sauvages de l’Idaho un style éblouissant et propose une expérience de lecture hors norme. Je ne m’en suis toujours pas remis !

Bill Reed s’occupe d’un refuge pour bêtes sauvages perdu dans les bois dont il a hérité de son oncle. Ayant connu une adolescence difficile, il avait décidé de changer de vie et s’est rebâti auprès de cet homme amoureux de la nature. Depuis, il est devenu un homme responsable, apprécié de tous, participant à la vie collective de la commune et s’apprête à demander en mariage Grâce, la charmante vétérinaire du secteur. Mais c’est souvent quand la vie semble vous avoir totalement souri qu’un passé enterré refait surface. Rick, un ancien compagnon de virée réapparaît et semble avoir beaucoup de choses à lui reprocher. Petit à petit la tension monte entre flashback sur un passé révolu et une tempête de neige qui approche, durant laquelle d’anciens comptes devront être rendus et des amitiés seront éprouvées à la lumière de vérités pas forcément bonnes à entendre.

Le procédé de narration bien que classique est intéressant. L’auteur change d’époque entre chaque chapitre. Ainsi nous suivons Bill en 1996, temps principal de l’action pendant qu’il s’occupe de ses animaux et compte fleurette à Grâce. Proche de la nature, solide dans sa tête, altruiste (il a embauché deux jeunes pour s’occuper des enclos sans qu’ils aient la moindre qualification), on accroche direct avec cet homme proche de la nature qui semble bien sous tout rapport. En parallèle, on suit dans les flashback insérés ses rapports avec son grand frère trop vite disparu, sa rencontre avec Rick et les premières conneries qu’ils commettent ensemble. Peu à peu, se forme dans la tête du lecteur un Bill beaucoup plus trouble, au passé inavoué et une relation particulière se dessine avec ce fameux Rick. A sa manière, ce dernier remplace le grand frère disparu et leur amitié ne semble pas connaître de limites. C’est sans compter l’évolution de chacun et les aléas du destin qui vont jouer aux quilles avec ces deux existences menant Rick en prison et Bill à se créer une nouvelle vie.

Très très vite la tension est palpable. Elle fait écho à la nature sauvage magnifiée par l’écriture de Christian Kiefer. Les descriptions sont à couper le souffle et donnent à voir une autre Amérique, moins médiatique et plus intimiste. Une Amérique du self made man, ou chacun peut espérer repartir de zéro et où la vie de pionnier existe encore (Bill et son refuge m’ont un peu fait cet effet là). Les passages avec les fameux animaux sont touchants au possible avec notamment l’évocation de ce grizzli aveugle de plus de 35 ans, ce loup à trois pattes ou encore ce puma borgne. Derrière ces histoires variées et le rapport très spécial que Bill a créé avec chacun d’entre eux, c’est une grande ode aux éclopés de la vie à laquelle nous sommes conviés. Car l’humain est au centre de ce récit avec toutes ses contradictions, ses espoirs et ses déceptions. C’est poignant et terrifiant à la fois, la fin vient nous cueillir littéralement dans une scène finale impressionnante à souhait et grandiose dans les sous-entendus qu’elle impose à l’esprit.

Les Animaux est donc un bonheur de tous les instants où la maestria langagière déployée (écriture simple et universelle à l’américaine) se conjugue avec une finesse des descriptions incroyable tant au niveau de la psychologie des personnages (et ceci pour tous les protagonistes que l’on croise) que du background. Impossible de relâcher cet ouvrage dans ces conditions, emportés que nous sommes par un souffle novateur et qui prend littéralement aux tripes. Une sacrée expérience qu’il vous faut à votre tour tenter, ce livre est une vraie petite bombe. Un des meilleurs que j’ai pu lire en tout cas dans la collection "Terres d’Amérique" de chez Albin Michel. Courrez-y !

mardi 15 novembre 2016

"Butcher's Crossing" de John Williams

butchers-crossingL'histoire : Dans les années 1870, persuadé que seul un rapprochement avec la nature peut donner un sens à sa vie, le jeune Will décide de quitter le confort d’Harvard pour tenter la grande aventure dans l’Ouest sauvage. Parvenu à Butcher’s Crossing, une bourgade du Kansas, il se lie d’amitié avec un chasseur qui lui confie son secret : il est le seul à savoir où se trouve un des derniers troupeaux de bisons, caché dans une vallée inexplorée des montagnes du Colorado. Will accepte de participer à l’expédition, convaincu de toucher au but de sa quête. Le lent voyage, semé d’embûches, est éprouvant et périlleux mais la vallée ressemble effectivement à un paradis plein de promesses.

La critique Nelfesque : Quand l'envie d'évasion se fait sentir, quand on a l'impression d'étouffer dans nos vies, un bon roman des grands espaces s'impose ! Avec "Butcher's Crossing", le lecteur fait un bond dans le temps. Nous voici au XIXème siècle, dans le grand Ouest sauvage américain, à une époque où les chercheurs d'or et les trappeurs gagnaient leur vie, souvent solitaires, en ne ménageant pas leurs peines. Will est un jeune citadin qui ne connaît rien de la vie. Ses mains sont douces et c'est un homme délicat et attentionné. Il veut vivre une expérience hors du commun et pour cela abandonne ses études à Harvard et se rend à Butcher's Crossing dans le but de partir à l'aventure. Les éditions Piranha nous propose ici un western tombé dans l'oubli depuis plus de 50 ans et qui emporte tout sur son passage, même le lecteur le plus récalcitrant au genre !

Car John Williams nous offre bien ici un western mais pas n'importe lequel. Point de caricatures, d'indiens et de voleurs, de postures présentes dans la majorité des films des années 60. Disons le tout net, si il faut un exemple pour confirmer la règle : je n'aime pas les westerns et celui ci m'a passionnée. "Butcher's Crossing" fait la part belle aux grands espaces, aux découvertes, à l'aventure et aux liens qui existent entre les hommes. Point de manichéisme ou de machisme sous-jacent ici mais une lecture intense qui prend le lecteur par surprise et l'emmène dans des contrées physiques et psychologiques loin des faux semblants et des apparences. Une lecture qui prend aux tripes et un parallèle entre psychologie des personnages et phénomènes naturels saisissant. La nature accompagne littéralement l'histoire et en éclaire même tout un pan. L'écriture de Williams est magistrale et absorbe complètement le lecteur, a tel point qu'il finit par cheminer au côté de Will et son équipe comme un seul homme.

Will accompagné de Miller, chef d'expédition, Charley son second et Schneider, écorcheur, vont partir dans les montagnes pour chasser le bison. Miller est un chasseur aguerri, il connaît bien la région et affirme que de belles bêtes sont présentes à profusion dans les hauteurs. Avec l'argent de Will et ses compétences, ils pourront ensemble vivre le rêve d'aventure du jeune homme et ramener à Butcher's Crossing le plus grand nombre de peaux de qualité que la ville n'a jamais connu. Ils se lancent alors dans une expédition folle basée sur des souvenirs datant de plus de 10 ans. On retrouve, par certains aspects, l'approche et l'écriture de David Vann dans "Goat Mountain" et les visuels de "The Revenant" reviennent en mémoire. C'est particulier et il faut se laisse embarquer mais une fois hypnotisé par la plume de Williams, on est complètement plongé dans l'histoire et on sent une menace sourde et inéluctable planer sur l'expédition. Un sentiment qui ne lâchera plus le lecteur...

Quand l'homme et la nature ne font plus qu'un, quand les battements de coeur d'un chasseur s'accordent sur ceux des bêtes qu'il convoite, quand orgueil et fierté prennent le pas sur la raison, "Butcher's Crossing" mène ses personnages aux confins de la folie et rappelle aux lecteurs l'âpreté de la vie. Tout comme Will, il est alors ramené aux choses essentielles. Une belle leçon de vie et un très beau moment de lecture, comme une communion. 

Une aventure avec un grand A, faite de découvertes et de moments de doute, une aventure humaine mais aussi et surtout une aventure en soi-même pour un final des plus prenants et émouvants. Et si en plus vous êtes un amoureux de nature, n'hésitez plus et lisez ce roman. Vraiment très bon !