vendredi 2 septembre 2022

"La Remplaçante" de Sophie Adriansen et Mathou

Le RemplaçanteL'histoire : Marketa et Clovis, amoureux fous, attendent un bébé. Mais l'accouchement signe la fin du conte de fées. La naissance de Zoé ne s'est pas passée comme Marketa l'imaginait, et l'instinct maternel tarde à se manifester. Tandis qu'elle ne reconnaît plus son corps, Marketa se sent perdre pied face à ce bébé si vulnérable dont elle a désormais la responsabilité. Réussira-t-elle à se sentir mère ? A aimer son bébé ? A cesser de penser qu'une remplaçante ferait mieux qu'elle ?

La critique Nelfesque : J'ai découvert "La Remplaçante" lors de sa sortie en librairie, il y a 1 an et demi. Tout comme pour "Nouvelle mère" de Cécile Doherty-Bigara, dont j'ai mis en ligne la chronique il y a quelques jours, je souhaite laisser ici une trace de cette lecture éprouvante mais également salvatrice et originale de par son traitement. (A l'époque, on en a parlé surtout sur mon IG).

On parle de plus en plus de la difficulté maternelle et c'est une bonne chose tant c'est un état qui peut plonger les personnes concernées dans un état de détresse profonde. Ce roman graphique de Sophie Adriansen et Mathou est le fruit d'une étroite collaboration et rend bien compte de toute l'ambivalence que l'on peut ressentir à la naissance d'un enfant. Je l'attendais avec beaucoup d'impatience et l'appréhendais à la fois. Un sujet difficile mais dont il faut parler encore et toujours pour le bien-être mental de toutes.

la remplaçante 2

Forcément, cet ouvrage me parle... J'ai fait une DPP qui m'a collé au train longtemps, très longtemps, trop longtemps. Aujourd'hui encore, je suis fragile sur certains points et ça ne changera peut-être jamais. J'ai accouché en février 2020 et contexte covid mis à part et problèmes familiaux qui rajoutent de la difficulté sur la difficulté, j'ai retrouvé ici bien des problématiques auxquelles j'ai été confrontée moi-même. Accouchement difficile ou traumatisant, mise en place de l'allaitement douloureux, impression d'être à côté de ses pompes, étrangère à soi-même et en décalage total avec son entourage : voici autant d'épreuves qui nous sont livrées ici et qui permettront à certains de comprendre ce qui se joue à ce moment là pour une jeune maman.

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Ce témoignage est un témoignage de plus, touchant et libérateur. Ce n'est pas un copier-coller de ma propre histoire, ni de celle de quiconque puisque la maternité est propre à chacune, les accouchements sont tous différents également et je m'attendais à être beaucoup plus émue que cela car ce sujet est très sensible pour moi. Ce ne fut pas le cas, même si j'ai eu les yeux humides à l'évocation de certains points, ce que je prends comme une étape franchie sur le chemin de ma maternité. Pour les autres, c'est un ouvrage à lire pour comprendre, pour aider mieux, aider différemment, ne pas juger. Il faut parfois du temps pour se rencontrer, la bienveillance est indispensable. Un jour les nuages se dissipent et c'est beau.

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Le format BD est très intéressant car il permet à ceux qui ne seraient pas allés vers un ouvrage écrit pur (roman, essai, témoignage...) de jeter un œil sur cette problématique, s'y intéresser d'une façon plus ludique et je l'espère se montrer plus bienveillants ensuite. J'aime ce choix qui rend ce sujet si important accessible à tous. Mathou aux pinceaux sait à merveille faire passer les émotions de Marketa et nous rendre ce début d'aventure familiale vivante. Quant à Sophie Adriansen, c'est un sujet qu'elle connaît bien, pour avoir vécu elle-même la difficulté maternelle, et elle sait une fois de plus décrire comme personne toute la complexité des femmes en nous montrant à la fois que nous sommes toutes dans le même bateau. Merci à elles deux pour cette prise de parole salvatrice. On voit de plus en plus d'échanges sur ce sujet et ça fait du bien.

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On ne peut pas imaginer l'ampleur de cette souffrance éprouvée tant qu'on ne la pas vécu soi-même. "La Remplaçante" est un ouvrage qui éclaire, touche profondément et force l'empathie. C'est aussi un excellent rappel lorsque plus tard tout semble aller sur des roulettes. C'est pas plus mal de revenir à la source, histoire de... Comme un grand "Bravo ma fille, tu es sortie de ça !" Un ouvrage à lire donc quelque soit sa place dans une maternité, quelque soit son état psychique. Il questionne et apaise de façon intelligente et accessible. Un grand OUI !


vendredi 26 août 2022

"Nouvelle mère" de Cécile Doherty-Bigara

nouvelle mère

Le contenu : Que restera-t-il de ces premières années où je suis devenue mère ?

Je ne veux pas les oublier. Ces premières années, ces cicatrices dans mon cœur, le début de l’apprentissage. J’étais bien là. Ça s’est vraiment passé. J’aime cette femme, celle qui a traversé tout ça. Elle mérite tout sauf l’oubli. Elle mérite que tout le monde regarde. Que tout le monde sache.

La critique Nelfesque : "Nouvelle mère" est un ouvrage que j'ai lu il y a plus d'un an. Au printemps 2021. Oui ça date... Pour autant je m'en souviens encore très bien aujourd'hui et il me semble important qu'il en reste une trace ici. Pour donner de la visibilité à un livre qui peut aider de nombreuses mères et de nombreuses personnes de leur entourage à comprendre ce qui se passe en elles, ce qui se joue. Ce témoignage est libérateur, il nous unit les unes aux autres et délie les langues (preuve en est les nombreux échanges provoqués par ma publication Instagram de l'époque où spontanément de nombreuses femmes sont venues m'encourager, me porter (Merci encore à elles. Nous sommes une chaîne. Nous sommes une.)). Aujourd'hui encore, cet ouvrage de Cécile Doherty-Bigara est dans le tiroir de ma table de chevet et il m'arrive d'en relire certains passages qui me reboostent par leur bienveillance et ces mots si justes.

Il ne s'agit pas ici d'un guide, d'un bouquin de coaching ou d'une recette miracle. Tant mieux, j'ai tendance à m'éloigner de ce type d'ouvrage. C'est un partage de cœur à cœur. Un baume à passer sur les blessures psychologiques. Des mots qui se posent sur nos maux, nous relèvent et nous aident à avancer. Un pas après l'autre.

Au moment de lire ce livre, ce n'était pas simple pour moi, psychologiquement parlant (et physiquement non plus). Ma fille avait 10 mois, perçait sa première dent, les nuits pouvaient être épouvantables. Jouer à pile ou face chaque soir n'aide pas vraiment à se reposer. Le moral en prend un coup. Bref, j'avais connu mieux (mais aussi pire... ceux qui me suivent ailleurs le savent) !

C'était donc le moment "idéal" pour commencer "Nouvelle mère". Un témoignage libérateur et féministe sur la maternité, c'est ce qu'il me fallait ! Parce que ce n'est pas facile d'être jeune maman, ce n'est pas facile de changer. Quand on n'aime pas se plaindre, on ravale tout cela mais il faut le dire : on en chie grave ! J'ai aujourd'hui 40 ans, j'ai eu ma louloute assez tard, ça joue aussi mais pas seulement. Il y a des bons moments et il y en a des moins bons. Il faut savoir le dire. Le dire pour que ça s'entende, pour que ça rentre dans la tête de tout le monde et aussi dans celles des jeunes mères qui pensent devoir être parfaites. Moi la première, avant de l'être, je n'avais pas conscience que la maternité pouvait avoir de telles répercussions "invisibles"...

Par son témoignage, Cécile Doherty-Bigara pose une nouvelle pierre à l'édifice de la connaissance de soi, de la connaissance de l'autre. Elle nous fait part des changements qui ont eu lieu en elle lors de sa maternité naissante. Comment elle a perçu ce qui l'entourait, comment elle s'est mise en retrait pour donner le meilleur à son enfant, comment elle s'est oubliée. En partageant cela elle se questionne également sur les raisons de cette nouvelle vision de la vie, d'elle-même et des autres. Qu'attendons-nous réellement de notre entourage ? Quelle place nous laissons-nous à ce moment-là ? Quelle place nous laisse la société, qu'attend-elle de nous et pourquoi ? Quel poids pèse sur nos épaules ? Sommes-nous réellement en train de vivre tout ce qui nous entoure ou nous mettons-nous en mode survie ? Toutes ces questions nous font réfléchir et l'éclairage de l'auteure est une véritable lueur apaisante qui au fil du temps gagne en intensité.

Il m'a fallu du temps pour avoir une vie "en dehors" de ma fille (encore aujourd'hui j'ai du mal mais ça a évolué). A l'époque de cette lecture, je n'en avais plus, à part gérer ma fille (et ses dents)... La lecture ? Cette passion qui m'animait jusque là était, elle aussi, reléguée au second (voire 3ème, 4ème, 5ème) plan. Pour autant, j'ai senti que cette lecture là était essentielle. Comme un aimant... Je me suis plongée dans ces pages et ce fut une grande bouffée d'oxygène.

La grossesse et l'enfantement est un passage bouleversant de nos vies de femme. Même celles qui ont eu un accouchement "de rêve" font face à un chamboulement psychique avec la maternité. Il est important de garder en tête, lorsque l'on a une nouvelle mère dans notre entourage ou lorsqu'on en est une nous-même, que ce tsunami d'émotions et de changements dans le corps et au fond de l'âme n'est pas sans conséquences sur la façon d'être, de ressentir les choses et de les vivre. Les injonctions n'ont pas leur place ici, la bienveillance est plus que jamais de mise pour assurer le bien-être ou la sauvegarde des jeunes mamans. Car oui, bien que cela puisse paraître étonnant, on peut couler face à cet évènement de la vie. Il faut arrêter de véhiculer cette légende urbaine de la grossesse épanouie, de l'accouchement amnésique et de la maternité sans turbulences... Ce n'est pas aider les futures mères et celles qui le sont déjà !

Merci à Cécile Doherty-Bigara de diffuser cette vision des premiers mois avec un bébé. Cette réalité pour beaucoup d'entre nous. "Nouvelle mère" est un livre que tout le monde devrait lire, mères ou non, pères, grands-parents, amis... Soyez bienveillants envers vous-même et envers les autres ! Et quand le besoin s'en fait sentir, ne surtout pas hésiter à le relire pour un petit update salvateur. Sans modération.

vendredi 19 août 2022

"Fille" de Camille Laurens

filleL'histoire :

FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen. "Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles", répond-il. Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

La critique Nelfesque : J'ai une fille. Depuis 2 ans et demi, j'ai une fille. La place de la femme dans la société et la représentation de ce qu'est d'être une fille tous les jours, depuis l'enfance, sont des questions sur lesquelles j'ai toujours été sensible. Malgré les moeurs qui changent, les mentalités qui évoluent, les lignes qui bougent, ce sujet est toujours central... C'est pour cette raison que j'ai eu très envie de découvrir "Fille" de Camille Laurens.

Fin des années 50, très tôt Laurence comprends, à travers le langage et l'éducation de ses parents que la position des filles est inférieure à celle des garçons. Cette expérience se prolonge à l'école, au cours de danse, à la bibliothèque, partout où le langage impose la dominante du genre masculin.

Camille Laurens nous raconte ici toutes les femmes, des "filles" qui comme Laurence sont rabaissées à le rester par le poids des mots, le choix des tournures de phrase, les habitudes de langage. Ces femmes qui désirent ardemment se relever, dresser la tête et avancer fièrement malgré la société patriarcale, les convenances, les règles érigées par les hommes et les religions. Des vies réduites à peau de chagrin, aux miettes qu'on veut bien leur laisser et encore si elles se montrent reconnaissantes, arborent un joli sourire, "mouche ton nez, dis merci au monsieur". Il y a beaucoup de finesse dans ces pages mais aussi beaucoup de violence. Suivre cette femme de son enfance à son parcours de mère, avec ses claques en pleine figure, ses difficultés, ses réussites, ses soubresauts, ses tâtonnements, c'est un peu voir coucher sur papier nos propres vies de filles, de femmes. Avec toute la souffrance que cela implique. Laurence est notre mère, notre grand-mère, notre tante, notre sœur, nous-même. Nous sommes toutes la fille de quelqu'un, quelque soit notre histoire, quelque soit notre parcours. Il y a un bout de nous toutes dans ce roman.

Le jour où Laurence devient mère à son tour, elle espère un garçon. Pour éviter à un autre être qu'elle-même d'endurer tout ce cirque. C'est pourtant à une fille qu'elle va donner naissance, Alice. Un garçon "manqué" (encore une vilaine expression) que Laurence tente de canaliser, de dresser en "fille". Elle veut lui mettre des robes, faire pousser ses cheveux, lui offrir des poupées. Alice préfère les pantalons, n'aime ni les cheveux longs ni les poupées. Ressembler à un garçon, voilà ce qu'elle veut. Pouvoir être elle-même surtout. Laurence va apprendre avec elle à déconstruire son éducation, à enterrer son père misogyne et dévastateur, à se questionner sur ce qui est essentiel dans la vie. Quand la mère apprend de son enfant sur sa propre identité de femme, cela donne des passages d'une force incroyable.

Voici la vie d'une femme, confrontée à la mutation de la société française de ces 40 dernières années. Ni plus ni moins et pourtant tout. Un superbe roman servi par une écriture incroyable. Chaque jour qui passe façonne l'adulte que sera notre enfant demain. "Fille" met cela en lumière, nous fait sauter au visage l'importance et le poids de cette tâche. On ressort totalement chamboulé de cette lecture. Le genre de lecture qu'il faut prêter, transmettre, offrir. Pour que le message circule, que les mentalités évoluent, que le combat continue d'être mené. Inlassablement.

Posté par Nelfe à 15:37 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
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