mercredi 4 mai 2022

"La Rivière à l’envers" tomes 1 et 2 de Jean-Claude Mourlevat

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L’histoire : Ainsi vous avez tout dans votre magasin ? demanda la jeune fille. Vraiment tout ? Tomek se trouva un peu embarrassé : Oui... enfin tout le nécessaire... Alors, dit la petite voix fragile, alors vous aurez peut-être... de l'eau de la rivière Qjar ? Tomek ignorait ce qu'était cette eau, et la jeune fille le vit bien : C'est l'eau qui empêche de mourir, vous ne le saviez pas ?

La critique de Mr K : Chronique d’un très beau diptyque de littérature jeunesse aujourd’hui avec La Rivière à l’envers de Jean-Claude Mourlevat, un ouvrage qui m’a été recommandé par un de mes jeunes élèves, une fois n’est pas coutume. Derrière cette quête de deux adolescents (un tome pour chacun des deux protagonistes avec des chassés croisés savoureux), on a affaire à un magnifique récit initiatique, profondément humaniste, qui nourrit l’imaginaire et la réflexion. J’ai littéralement dévoré ces deux volumes.

Tomek est un jeune orphelin qui vit dans un village bien tranquille où il tient l’épicerie de ses parents. Il est capable de vous fournir tout ce dont vous avez besoin et sa vie lui convient malgré des débuts difficiles. Lorsque Hannah va pousser la porte de son échoppe et lui demander quelque chose qu’il n’a pas (une eau miraculeuse qui prolonge la vie de la personne qui la boit), il décide de partir à son tour à la recherche de la rivière qui coule à l’envers à l’autre bout du monde connu. C’est le début d’une véritable odyssée où il traversera des lieux tantôt étonnants tantôt inquiétants. Il fera des rencontres marquantes et sera confronté à des épreuves qui le forgeront, le feront mûrir. Ce parcours trouve son miroir avec l’aventure d’Hannah contée dans le tome qui lui est consacrée et qui le complète parfaitement.

On s’attache directement à ses deux personnages touchants par leurs débuts chaotiques dans la vie, dans leur soif de savoir et leur courage à toute épreuve. Leur naïveté, leur foi dans leur quête les portent littéralement malgré leur jeune âge. On grandit avec eux, on frémit avec eux. Le voyage est loin d’être de tout repos avec son lot de fatigue, d’appréhension et de doutes. La parabole est rudement bien menée et l’on ne peut qu’y voir une métaphore de la vie, la construction de soi et les choix que l’on doit faire parfois même s’ils sont difficiles. L’amour, l’amitié, le dépassement de soi, le goût pour le rêve, sont autant de thématiques abordées avec talent et finesse.

On traverse les océans, on accoste sur des îles qui n’existent pas en traversant un arc en ciel, on marche dans une forêt qui provoque l’oubli de nos semblables, on parcourt les déserts arides, on se fraie un chemin dans des villes grouillantes d’activité, on discute au coin du feu, on se réveille d’un sommeil magique dans un village de parfumeurs hédonistes... L’aventure est belle, le dépaysement garanti et les leçons de sagesse universelles omniprésentes et fondatrices. Ici on magnifie l’expérience, le partage, la pondération et la Raison sans tomber dans l’écueil de la morale pesante et indigeste. Chacun y trouvera ce qu’il cherche et bien plus encore, quelque soit son âge d’ailleurs, bien des passages m’ont atteint et émus.

L’écriture est superbe. Très accessible, porteuse de sens toujours, très poétique aussi. On déguste les mots comme on s’abreuve d’un nectar. Ce roman nourrit, affranchit et rend heureux la personne qui le lit. Des qualités rares et ô combien précieuse dans ce monde si effrayant pour nos jeunes pousses. Des livres de choix, des indispensables à faire découvrir au plus grand nombre.

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mercredi 20 avril 2022

"Je suis le rêve des autres" de Christian Chavassieux

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L’histoire : À cause d'un rêve extraordinaire, un jeune garçon porte les espoirs de son village : il pourrait devenir un messager des esprits. Pour accomplir sa destinée, il doit se rendre jusqu’au lieu de sa possible consécration. Accompagné d’un vieil homme, ancien mercenaire au passé trouble, ils vont entreprendre un voyage à travers des contrées fabuleuses, fait de rencontres qui les rapprocheront dans la réalisation de leurs quêtes individuelles : l’accomplissement d’un destin non désiré pour le garçon et la possibilité ultime de rédemption pour le vieil homme.

La critique de Mr K : Chronique d’un livre merveilleux aujourd’hui, une lecture vraiment à part qui m’a immédiatement séduit et m’a relâché dans un état proche du Nirvana. Je suis le rêve des autres de Christian Chavassieux est un ouvrage hors norme, se situant à la confluence du récit initiatique, de la fable et du récit onirique. Enrobé dans une langue subtile et délicate, voila une expérience que je ne suis pas prêt d’oublier.

Un jeune garçon de neuf ans (Malou) fait une nuit un rêve étrange, tellement étrange et révélateur que la population décide de l’envoyer à l’autre bout du continent pour être testé. En effet, ce songe pourrait être la preuve qu’il est spécial, qu’il pourrait communiquer avec les esprits, devenir un "reliant", un personnage essentiel de la communauté. Pour l’accompagner dans ce périple, un vieil homme est désigné (Foladj). On devine son passé trouble et chargé d’expérience. Ces deux-là partent alors sur les routes et vivront des expériences qui les feront progresser chacun à leur manière et dans leur existence.

On se prend tout de suite d’affection pour les deux compagnons de route. Il y a très vite entre eux un lien spécial, une douceur, un rapport quasi filial qui prend aux tripes. La jeune âme est ingénue, portée par son destin potentiel et s’ouvre au monde en partant de son village. Il est constamment partagé entre sa soif inextinguible de découverte et la sourde angoisse qui résonne en lui : est-il un élu ? Son tuteur de voyage est au crépuscule de sa vie (mais toujours vigoureux), sa tâche est de veiller sur Malou, de l’écouter et de le conseiller avec cette question rituelle tous les soirs "Qu'as tu appris aujourd'hui ?". Patient, doux et attentif, il lui sera d’un grand secours. Foladj en parallèle lutte avec ses démons intérieurs, cet ancien guerrier n’assume toujours pas certains choix qui le tourmentent toujours. En protégeant Malou, en le guidant, il semble vouloir se racheter une conscience et combattre la culpabilité qui le ronge. Le voyage prend donc une dimension spirituelle fortement marquée.

L’importance n’est pas le but à atteindre mais la route qui y mène. Ce roman pourrait se résumer à ça. Un chapitre pour lancer l’histoire, un autre pour la dénouer à la toute fin. Le reste n’est que le récit des errances, partages, difficultés rencontrées au cours du chemin. Chaque petit événement, échange de paroles conduit à la réflexion des personnages (mais aussi du lecteur), leurs interactions prennent des allures de leçons universelles. Un repas au coin du feu, une altercation avec des inconnus, la maladie et le sommeil, l’appréhension du futur et le poids du passé sont autant de thématiques traitées avec finesse, douceur et une grande humanité. Sans compter les évocations de la Nature qui font souvent écho aux sentiments intérieurs des personnages et contribuent à l’envol du lecteur vers des contrées lointaines et proches à la fois.

Le tout est magnifié par une écriture à la fois accessible et poétique. On se laisse prendre par surprise dans un voyage littéraire d’une beauté rare, aux images marquantes et au rythme qui ne se dément jamais. Inventif dans sa forme, transcendant son sujet classique, Je suis le rêve des autres est un livre inoubliable que je ne peux que vous conseiller de découvrir à votre tour.

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lundi 24 janvier 2022

"Le Prince de la brume" de Carlos Ruiz Zafon

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L’histoire : 1943, Angleterre. Pour fuir la guerre, la famille Carver s'installe dans un village perdu sur la côte. Mais, à peine franchie la porte de la maison, des événements étranges se produisent...

Avec leur nouvel ami Roland, Alicia et Max Carver vont peu à peu percer les secrets de la vieille demeure et apprendre l'existence d'un certain Caïn, surnommé le Prince de la Brume. Un personnage diabolique revenu s'acquitter d'une dette très ancienne...

Voilà les trois enfants lancés à la découverte d'épaves mystérieuses, de statuettes enchantées, de gamins ensorcelés... Une aventure extraordinaire qui changera leur vie à jamais.

La critique de Mr K : Chronique d’un beau cadeau d’anniversaire offert par ma douce aujourd’hui avec le premier tome de la trilogie jeunesse écrite par Carlos Ruiz Zafon, un de mes auteurs favoris. Le Prince de la brume est un beau conte noir qui oscille entre policier, fantastique et récit initiatique. Il ne m’a fallu guère plus qu’une journée pour le dévorer et l’apprécier.

L’action se déroule durant la seconde Guerre mondiale. La famille Carver, sous l’impulsion du père, déménage de la ville pour s’installer dans une cité de bord de mer pour échapper au conflit, les villes étant des cibles privilégiées. Du jour au lendemain, les voila partis. Ils emménagent dans une vieille maison donnant sur la mer, le père a déjà des pistes pour poursuivre son activité d’horloger. Les enfants découvrent les lieux. Très vite, un mystère semble planer sur cette maison dont l’Histoire a été marquée par un drame : la mort tragique par noyade du fils unique de la famille qui habitait précédemment là.

Max découvre ainsi à proximité un étrange jardin funéraire peuplé de statues de pierres qui changent de position au fil du temps qui passe. Un chat énigmatique s’attache dès leur arrivée à sa jeune sœur Alicia et Irina (l’aînée) traverse ce qui ressemble à une crise d’adolescence larvée. Ils font vite la connaissance de Roland, le petit-fils du gardien de phare de la localité qui cache un lourd secret qui serait lié à l’épave reposant dans la baie et qu’ils vont explorer lors de plongées dans les premiers après-midi qui suivent leur installation. Les choses vont s’accélérer suite à un accident plongeant Alicia dans le coma. Les parents restent à son chevet et les événements vont se précipiter.

Ce roman jeunesse s’attarde beaucoup sur les enfants et leur ressenti. On suit plus particulièrement Max, plutôt effacé et rêveur, il aime lire et observer. On s’attache très vite à lui et à sa petite famille. Il y a de la bienveillance et de la douceur dans ce foyer qui ne sera par épargné par les épreuves. Tous vont être confrontés à quelque chose qui les dépasse, quelque chose de terrifiant lié à une malédiction que le temps n’a pas fait disparaître. La tension monte vite, les esprits s’échauffent parfois, doivent se confronter à l’inconnu. Les liens vont se raffermir et l’enquête nécessaire va prendre de l’ampleur. Les révélations vont bientôt pleuvoir et mettre en lumière un pacte délétère dont les conséquences se font encore sentir.

La finesse psychologique donne lieu à une métaphore filée sur l’enfance, l’adolescence, la parentalité. La famille est au cœur d’un récit qui nous procure des émotions fortes, on est bien souvent touché en plein cœur et le roman remue bien les tripes. Zafon connaît son métier et une fois de plus distille une ambiance bien particulière, diffuse entre poésie et ambiance gothique qui marque le lecteur en profondeur. Les descriptions de la brume, des tempêtes successives qui s’abattent sur le village créent un climat idéal pour l’apparition du fantastique.

Cet aspect est très bien emmené d’ailleurs, plutôt diffus au départ, il explose à partir de la deuxième partie de l’histoire qui prend une toute autre dimension. Une fois le danger identifié, il se déchaîne et ne laissera personne indemne. Remarquablement écrit comme d’habitude avec cet auteur, l’histoire regorge de références, de zones d’ombres et favorise l’imagination du lecteur prisonnier de ces pages. On ressort heureux et comblé avec l’envie irrépressible de lire les deux tomes suivants dont je vous parlerai un peu plus tard... car Nelfe a bien fait les choses et les deux autres volumes faisaient aussi partie du cadeau !

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé:
- L'Ombre du vent
- Le Jeu de l'ange
- Marina
- Le Prisonnier du ciel

dimanche 12 septembre 2021

"Le Signe de la Lune" d'Enrique Bonet et José Luis Munuera

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L’histoire : Une petite ville d'Espagne, dans les années 1920. Isolés, les habitants de cette campagne, proche d'une immense forêt, vivent encore avec les croyances d'un monde ancien. C'est ici que vit Artemisa, une jeune fille qui développe une attirance inexplicable pour la lune. C'est aussi dans cette forêt qu'un drame va se nouer...

La critique de Mr K : Très belle lecture que celle de ce conte fantastique servi bien noir par un duo d’auteur que je découvrais par la même occasion. Dans Le Signe de la Lune, Enrique Bonet et José-Luis Munuera nous proposent une histoire quasi intemporelle au centre de laquelle on retrouve des enfants confrontés à un monde cruel où la Nature a encore son mot à dire au cœur d’un récit initiatique au propos profond.

Aldea est un petit coin perdu au milieu de nulle part. Isolés de tout, les habitants vivent repliés sur eux-même dans un système féodal où peurs et croyances ancestrales règnent encore sur les esprits. L’intrigue se centre sur les enfants du village et plus particulièrement sur Artemis, une jeune fille fascinée par la lune qui va pénétrer avec son petit frère dans la forêt mystérieuse qui borde le village. Un drame va survenir et va avoir des conséquences irrémédiables sur le microcosme d’Aldea, traversant le temps et se répercutant bien des années après.

J’ai été de suite charmé par le graphisme et l’ambiance dégagée dans ces pages. Les planches sont magnifiques, les dessins sont mis en valeur par un noir et blanc qui transmet à merveille émotions et symbolique projetée par cette œuvre très poétique. Il y a de minuscules touches de couleur à l’occasion (que je vous laisse découvrir lors de votre future lecture) pour appuyer le propos et rajouter une dimension psychologique supplémentaire. Découpage rythmé avec des phases plus contemplatives, le récit se lit vite et bien, nous plongeant dans un univers fantastico-réaliste de bon aloi.

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Très classique dans sa gestion des personnages, des antagonistes mis en exergue (trop diront certains), on est rarement surpris quand on pratique la lecture depuis un certain temps. Cela n’enlève rien au plaisir de lire ces pages qui emportent le lecteur sans qu’il puisse résister. J’ai aimé l’évocation de l’enfance, des rivalités et amitiés fortes inhérentes à cet âge béni où parfois des drames profonds se jouent. Beaucoup de personnages sortent du lot avec une Artémis au charme différencié, un Brindille que l’on aime pour son courage et son abnégation face à des abrutis finis qui pensent avoir tous les droits. Et même, l’opposant principal que l’on déteste au départ réserve son lot de surprises et à défaut de rédemption, on peut appréhender davantage son parcours. Beaucoup d’archétypes donc mais bien gérés, qui se complètent les uns les autres et permettent d’instaurer une histoire universelle qui trouve une résonance en nous.

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L’histoire très réaliste par moment dans sa gestion des personnages, les rapports sociaux, les règles de la communauté, vire ensuite au fantastique au bout d’un moment (c’est léger tout de même) et avec une certaine réussite. Le glissement est très progressif et distille une aura de mystère sur un conte qui prend une toute autre allure quand l’impensable se déroule. Je n’en dévoilerai pas plus mais sachez qu’un bond dans le temps a alors lieu et nous retrouvons les mêmes personnages des années plus tard pour ce qui s’apparente à un règlement de compte improvisé et où les choses seront plus ou moins réglées, les mystères dévoilés...

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Le Signe de la Lune fut donc une bonne lecture qui, à défaut d’être originale en soi, a le mérite de proposer des planches très belles esthétiquement parlant et universelles dans leurs propos. Le récit initiatique fera réfléchir nombre d’entre vous si tant est que vous n’êtes pas un(e) habitué(e) du genre et quoiqu'il arrive, vous passerez un bon moment.

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mercredi 4 novembre 2020

"La Quête du Graal" présentée et établie par Albert Béguin et Yves Bonnefoy

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Le contenu : La Quête du Graal est une œuvre de littérature spirituelle, dont tous les détails "signifient" et servent à la transmission d'un certain message. Mais ce roman est en même temps un authentique chef-d'œuvre littéraire, l'un des plus beaux de tout le Moyen Age. Il n'a rien d'une prédication ou d'un récit seulement édifiant ; les sermons mêmes des ermites qui périodiquement instruisent les héros et leur expliquent leurs songes ou leurs aventures ne rompent pas la trame de l'invention romanesque. Ce développement des symboles est nécessaire à une œuvre dont toute l'imagination est orientée vers une intelligence des signes cachés dans les événements, les rencontres et les rêves.

La critique de Mr K : Les Légendes arthuriennes ont nourri mon imaginaire de jeune lecteur très tôt, à travers divers formats, relectures et réécritures. Que de souvenirs ! C’est donc sans vraiment hésiter que j’ai adopté cet ouvrage lors d’un chinage. La Quête du Graal est ici présentée et établie par Albert Béguin et Yves Bonnefoy. Plus que jamais il se dégage la dimension spirituelle de ce récit qui a traversé les temps et procure toujours autant de joie à son lecteur.

Le Graal ! Ce vase mythique qui a recueilli le sang du Christ, quête ultime pour le chevalier parfait qui trouvera les honneurs, la gloire et une forme de rédemption. On suit au fil des chapitres les pérégrinations des chevaliers de la Table Ronde et c’est avec un plaisir non dissimulé que l’on retrouve Galaad, Lancelot, Perceval ou encore Bohort à la recherche de cet objet O combien sacré ! Aventures multiples, chevauchées fantastiques mais aussi repos et conseils mystico-religieux sont au RDV. Quand l’alliance du romanesque et de la spiritualité s’allient à ce niveau là, l’expérience ne peut qu’être inoubliable même si comme moi vous êtes athée.

Ermites et prêtres sont très présents dans le récit, ils instruisent les héros, leur expliquent leurs visions et rêves, transmettant au passage des notions de l’idéal chrétien et l’on comprend que cette série d’histoires sert aussi un rôle d’édification de l’âme et de la foi chrétienne, de la construction de soi en suivant un idéal de perfection normé. Il faut asseoir l’autorité et l’influence de l’Église face à la montée de l’humanisme à l’époque, du coup les tenants de la religion christianisent certaines légendes païennes, la légende du Graal en est l’exemple parfait. Ce côté évangélisateur choquera sans doute certains, je le trouve pour moi très instructif et révélateur de la propension des autorités religieuses à exercer le contrôle par tous les moyens possibles et souvent en bipolarisant le monde.

Évidemment, l’ensemble date, ça peut paraître désuet à nous lecteurs du XXIème siècle mais il émane un charme incroyable de l’ensemble, une magie unique qui nous emporte loin de notre quotidien dans une époque fantasmagorique où les mythes et légendes sont des réalités palpables. La narration est ici sèche, rapide, enchevêtrée entre les différents personnages. On voyage beaucoup dans des lieux parfois interlopes, les symboles émaillent ces quêtes dont la plupart vont s’avérer vaines. Les aventures s’enchaînent tout autant que les réflexions intérieures et les avancées spirituelles, le tout tendant vers la révélation finale faites à Galaad, fils de Lancelot et chevalier parfait.

Volontiers ésotérique dans ces propos parfois, l’ouvrage vaut vraiment le détour pour tous les passionnés du mythe arthurien. Facile d’accès en terme de langue, on se plait à décrypter messages cachés et paraboles, et l’on ne boude pas son plaisir face aux péripéties nombreuses auxquelles vont devoir faire face nos chevaliers errants. À noter les excellentes préfaces (que j’ai lu après ma lecture) qui donnent un éclairage intéressant à l’ensemble et permettent de lever les zones d’ombres qui peuvent persister dans l’esprit du lecteur. Un incontournable dans son genre que je ne peux que vous conseiller !

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mercredi 2 septembre 2020

"Petit blanc" de Nicolas Cartelet

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L’histoire : Dans l'espoir d'y trouver meilleure fortune qu'en France, Albert Villeneuve s'embarque pour un long voyage vers les colonies avec sa femme et sa fille. Il accoste seul à Sainte-Madeleine, son moral et ses espoirs noyés loin derrière lui.

Commence alors une nouvelle vie, faite d'alcool, de mensonges et de frustrations. Piégé sur cette île devenue prison, Albert fuit la folie vengeresse du sergent Arpagon. Sur la route du café, il cherchera la paix intérieure.

La critique de Mr K : Chronique d’une lecture qui s’est révélée différente des autres, de ce genre qui marque durablement le lecteur tant on est emporté par le récit mais aussi la langue poétique et parfois brutale d’un auteur à découvrir absolument. Petit Blanc de Nicolas Cartelet ressort à l’occasion de cette rentrée littéraire 2020 avec de nouveaux oripeaux dont la sublime couverture de Kevin Deneufchatel à qui l’on devait déjà celles de Walter Kurtz était à pied et Le Livre jaune récemment lus et chroniqués au Capharnaüm éclairé. Superbe conte crépusculaire traitant du deuil et des espoirs qu’on se doit de nourrir pour continuer à vivre après une perte irréparable, voici un ouvrage qui fera date à mes yeux.

Albert Villeneuve part avec femme et enfant (Marthe et Louise) pour le nouveau monde. Recommencer sa vie, tenter sa chance et s’enrichir nourrissent les rêves les plus fous de milliers de ses contemporains qui traversent l’océan avec la bénédiction de l’État pour émigrer et s’installer dans les colonies nouvellement créées comme cultivateurs-fermiers (notamment le sacro-saint café). Le retour à la réalité va être cruel pour notre héros, la traversée se déroule dans des conditions épouvantables et comme une bonne partie des passagers, sa famille est décimée par une mystérieuse maladie. Il débarque donc seul et totalement désemparé sur l’île de Sainte Madeleine.

N’étant plus que l’ombre de lui-même, il tente sa chance auprès des autorités pour obtenir un lopin de terre à cultiver mais on lui dit à chaque fois de revenir plus tard. Gagné par la dépression, il commence à sombrer. Ayant décroché entre temps un petit emploi de mineur, sa paie lui sert exclusivement à épancher son penchant pour l'alcool de plus en plus prononcé. Son existence se résume à trimer puis à se défouler au bar avec son lot de bagarres et d’élucubrations avinées. Le rhum n’est plus que son seul horizon et sa déchéance devient totale. D’ailleurs, on lui fait bien comprendre qu’il ne pourra plus jamais prétendre à obtenir une terre au nom du royaume de France, le voila propulsé au plus bas de l’échelle sociale. Suite à une altercation qui tourne mal avec un dépositaire de l’ordre public, le voila obligé de se réfugier dans la forêt où il va faire une rencontre qui pourrait bien changer le fil de son existence.

L’addiction est immédiate avec ce roman qui démarre sur les chapeaux de roue. En un chapitre à peine, le sort de Marthe et Louise est scellé et l’on accompagne alors Albert dans sa chute. Collant au plus près de son protagoniste principal, l’auteur ne nous épargne rien de ses affres et souffrance. Il n’est quasiment que cela, noyé dans les brumes de l’alcool et la folie qui le guette. Ne pouvant compter sur quasiment personne, entouré d'êtres intéressés et veules (les patrons des estaminets qu’il fréquente notamment), il n’est plus que le spectateur de sa vie qui lui échappe inexorablement. On ne peut qu’être touché par cet être sur qui le sort semble s’acharner, incapable de faire son deuil, accompagné par les spectres de ses chères disparues. C’est saisissant de tristesse et de noirceur.

La deuxième partie de l’ouvrage va voir s’ouvrir des horizons nouveaux avec les contacts qu’Albert va nouer puis entretenir avec des autochtones. Il va partager du temps avec eux, s’ouvrir à leur culture et leur conception de la vie, découvrir une bonté qu’il croyait à jamais évanouie de sa vie. Mais comme chez les Blancs, il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie et les mésaventures d’Albert ne sont pas terminées. En quête de rédemption, la seconde partie s’apparente clairement à un voyage mystique, initiatique qui malheureusement ne se terminera pas forcément de la meilleure des façons. Belle métaphore de la condition humaine, de la dureté de l’existence et de l’avanie du genre humain qui se retrouve partout quelque soit notre culture ou notre couleur de peau. Car s’il y a bien une critique féroce du colonialisme, cet ouvrage est aussi un portrait sans fard de notre tendance à en vouloir toujours plus et à la malveillance. On n’en sort pas indemne, je vous le dis !

La plume de Nicolas Cartelet est d’une beauté à couper le souffle. Poétique, acérée, mêlant réalisme et parfois fantastique teinté de merveilleux (voire cauchemardesque !), Petit blanc est un roman dans lequel on se plonge littéralement et qui nous accompagne longtemps après sa lecture. Un voyage inoubliable que je vous invite à entreprendre à votre tour au plus vite, on touche au sublime ici !

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vendredi 31 juillet 2020

"Histoires ou contes du temps passé" de Charles Perrault

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L’histoire : ""Miracle de culture", comme on l’a dit des Fables de La Fontaine, les Contes de Perrault sont aussi un miracle de savant style naïf, le chef-d’œuvre qui résume, mieux encore que les beaux Mémoires du principal collaborateur de Colbert, l’essentiel de ses convictions et la juste fierté d’une existence entièrement consacrée aux belles-lettres, aux beaux-arts, et à l’État royal." Marc Fumaroli
Ce volume contient : Griselidis – Peau d’Âne – Les Souhaits ridicules – La Belle au bois dormant – Le Petit Chaperon rouge – La Barbe bleue – Le Maître Chat ou le Chat Botté – Les Fées – Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre – Riquet à la Houppe – Le Petit Poucet.

La critique de Mr K : Retour en enfance (ou presque) aujourd’hui avec ma chronique des Histoires ou Contes du temps passé de Charles Perrault, lus ici dans leur version originale. C’est une première pour moi même si j’en connaissais déjà la teneur grâce à une lecture universitaire fort intéressante : La Psychanalyse des contes de fée de Bruno Bettelheim. On est donc bien loin des versions édulcorées que l’on nous sert à la sauce Disney ou dans les recueils de contes standardisés qui pullulent dans les éditions jeunesse. Non, un conte à la base est avant tout une histoire servant à éduquer et notamment via le mécanisme de la peur et de l’appréhension. C’est aussi un texte destiné à tout public (Perrault disaient d‘eux qu’ils les écrivaient aussi pour les adultes) d’où mon grand intérêt à l’idée de lire la matière originelle. Que j’ai bien fait !

Je ne vous ferai pas l’injure de vous résumer chacun des contes, on les connaît quasiment tous. L’ouvrage en lui-même est divisé en deux parties (après une introduction très longue et pour le coup fastidieuse à lire). Ça a commencé par une découverte pour ma part, la constatation que les trois premiers contes sont versifiés. Griselidis (une histoire que je ne connaissais pas), Peau d’âne et Les Souhaits ridicules sont très agréables à lire, surtout à voix haute (Little K du haut de ses cinq mois n’a pas tout compris mais avait l’air d’apprécier). La musicalité du texte est impressionnante et sert remarquablement ces récits qui conjuguent fantaisie et moralité assénée comme un couperet. On commence fort avec deux premiers textes parfois très cruels (voire déviants) avec un prince retors qui ne prend pas réellement conscience de la chance incroyable qu’il a, faisant subir des épreuves terribles à son épouse et un père incestueux qui provoque la fuite de sa fille. Les Souhaits ridicules est une petite histoire plus légère qui permet de faire retomber le soufflé. Beau démarrage avec ces textes séduisants à souhait.

Vient ensuite le temps des textes en prose dont vous retrouvez la liste sur la quatrième de couverture reproduite plus haut. On est en terrain connu et c’est un plaisir renouvelé de relire ces grands classiques. À part La Belle au bois dormant qui m’a toujours ennuyé, tous les autres sont de haute volée. J’ai une petite préférence tout de même pour Le Petit chaperon rouge dont la fin est nettement plus logique et terrifiante ici avec au passage une belle leçon sur la naïveté. J’ai aimé aussi Riquet à la Houppe avec son sous-texte très riche sur les apparences et les éléments essentiels de la vie. Et puis Barbe bleue et son terrible secret m’a encore fait frémir ! Franchement, ce fut un très bon moment de passé. L'âge venu (et la sagesse diront certains), ces textes à priori très premier degré, simplement écrits, se révèlent d’une richesse incroyable avec en prime un sens de la caractérisation impressionnant, des situations et à l’occasion quelques saillies comiques qui font leur petit effet.

On est donc en face d’un pur classique, indémodable malgré une langue quelque peu datée qui pour autant reste hypnotisante et charmante. Le temps s’arrête durant cette lecture, les mots filent et l’on replonge avec délice (et parfois un petit frémissement) dans ces histoires qui ont bercé notre enfance. À lire et à relire sans modération.

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samedi 4 avril 2020

"Le Fantôme de Canterville" d'Oscar Wilde

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L’histoire : Une famille américaine achète un château hanté. Bruits de chaînes et taches de sang terrorisent la région depuis des siècles...

Mais que peut un pauvre fantôme contre le bon sens d'un homme d'affaires, les détachants super-actifs de sa femme et la malice des enfants, toujours prêts à lui jouer des tours ?

La critique de Mr K : Quitte à passer pour un iconoclaste, je n’ai guère apprécié Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Pourtant tous les ingrédients étaient présents pour effectuer une bonne lecture mais la langue avait cruellement vieilli à mes yeux et avait gâté ma lecture. N’étant pas buté, je retente aujourd’hui ma chance avec Le Fantôme de Canterville dégoté lors d’un chinage, un recueil de trois nouvelles édité dans une édition jeunesse. Me voila rabiboché avec l’auteur tant j’ai apprécié cette expérience entre fantastique, humour et langue délicieusement fine.

La première nouvelle est donc celle qui donne son nom à l’ouvrage. Dans Le Fantôme de Canterville, un spectre condamné à l’errance est confronté à de nouveaux propriétaires venus d’outre-Atlantique. Mort depuis trois cents ans, on peut dire qu’il a de l’expérience dans le domaine de l’effroi mais le voila bien embêté face à une famille que rien ne semble effrayer. Il a beau essayer tous ces tours, rien n’y fait, ils ne crient pas, ne détalent pas en courant. C’est à n’y rien comprendre, tellement d’ailleurs que le fantôme commence à tomber en dépression ! Le Salut viendra de Virginia, la fille du couple qui va creuser la question et essayer de propulser l’âme errante dans un au-delà qui jusque là lui échappait... Ce texte est très malicieux, irrévérencieux envers le genre fantastique très en vogue à l’époque de Wilde. Rappelons qu’il date du XIXème siècle et son contenu est donc quasiment subversif et à l’opposé du genre à l’époque. Rondement écrit, sans lourdeurs et avec un sens de la caractérisation des personnages aigu, on passe un très bon moment entre émotion et rire. Certains passages sont d’une très grande délicatesse notamment le passage dans le jardin des morts où l’intrigue se dénoue et mène à un final touchant à souhait. La lecture débute bien !

On enchaîne ensuite avec Le Crime de Lord Arthur Savile, une nouvelle placée sous le signe de l’occultisme et du fatum implacable qui semble suivre le héros, un jeune lord à qui on a fait une prophétie des plus sombres lors d’une soirée mondaine ! En effet, il va commettre un meurtre ! Bien évidemment le diseur de bonne aventure ne lui a pas indiqué le nom de la victime, ni le lieu, ni le moment. Voulant préserver sa future épousée, il décide de passer à l’acte en préventive... Sauf qu’à chaque fois, le stratagème mis en place déraille ou ne fonctionne pas. La résolution du récit viendra de manière inattendue clôturant cinquante pages de haute volée. Belle réussite encore que cette nouvelle qui conjugue humour noir, romantisme et pied de nez à l’establishment, exercice dans lequel Oscar Wilde excelle. Là encore, les pages se tournent toutes seules et l’on prend un malin plaisir à suivre les déboires d’un héros totalement obsédé par son destin. La dernière nouvelle, Le Millionnaire modèle est plus anecdotique. Faisant une dizaine de pages, le personnage principal va voir dans son atelier un ami peintre et fait la connaissance d’un vieillard qui n’est pas ce qu’il semble être. Plus convenu, le récit est simplement plaisant mais pas inoubliable. Très classique en fait, il jure un peu avec les deux autres textes proposés, ne procure aucune réelle surprise et l’on retrouve malheureusement le style un peu ampoulé qui m’avait tant déçu dans ma première lecture d’un Oscar Wilde.

Pour autant, malgré une nouvelle finale décevante (mais très courte donc on limite la casse), ce recueil est vraiment à conseiller. Ces contes n’ont pas pris une ride, proposent un contenu tantôt effrayant, tantôt drôle avec en filigrane une critique acerbe de la société et des mœurs de l’époque. Il faut savoir pour cela comprendre les subtilités de la langue, aidés que nous sommes ici par un certain nombre de notes bien senties qui permettent d’éclairer certains sous entendus lourds de sens. Non senses, ironie cinglante et même quelques touches bien cyniques parsèment ces lignes qui emportent le lecteur dans une autre époque avec brio et un plaisir renouvelé. À découvrir si ce n’est déjà fait !

vendredi 13 mars 2020

"10 contes du Japon" de Rafe Martin

10 contes du japonL’histoire : Le Japon, univers envoûtant des samouraïs, est aussi une île de poésie et de rêve. On y raconte notamment qu'un peintre donna naissance à des chats en les peignant et qu'une jeune fille fut blessée lorsqu'on entailla l'arbre qui porte son nom. Laissez place à l'imaginaire dans ces contes où la nature et le fantastique ne font qu'un.

La critique de Mr K : C’est à un merveilleux voyage dans le Japon fantastique et poétique auquel je vous convie aujourd’hui avec la récente réédition de Dix contes du Japon de Rafe Martin aux éditions Flammarion Jeunesse. Destiné à un jeune public à partir de onze ans, il se dégage un charme très particulier de cet ouvrage qui fait la part belle aux parcours initiatiques et au merveilleux.

L’auteur a grandi dans une maison où l’on se passionnait pour l’Asie comme il l’écrit dans son introduction. Cela explique son goût pour ce continent et plus particulièrement pour le Pays du Soleil Levant et la spiritualité qui le baigne. Les dix récits qu’il nous propose ici font référence à tout cela avec notamment la notion de respect de l’Invisible, d’esprits vivants parmi nous, de la divinité présente en tout être vivant ou élément naturel, ou encore de la compassion, sentiment élevé au rang de vertu cardinale dans la société traditionnelle nippone.

On croise nombre de personnages interlopes dans ce recueil, des vivants et des morts, des naïfs et des concupiscents, des âmes égarées à la recherche du bonheur ou de la rédemption, des femmes à la beauté fatale, des ambitieux insatisfaits et des personnes aux capacités extraordinaires. Il y a une ambiance lunaire qui plane sur ces pages, une douce mélancolie qui envahit l’âme et le cœur, qui nous remue, nous interroge à travers dix histoires réécrites à partir de contes originels connus de tous au Japon et appartenant au patrimoine culturel de ce pays.

Ces histoires sont toutes d’une grande beauté, elles se révèlent ensorcelantes en proposant un univers très éloigné du nôtre mais dont les leçons à tirer peuvent se rapprocher de nos propres contes occidentaux. Les esprits et fantômes que l’on croise dans ces pages ne sont pas là pour faire peur, ils participent plutôt à une certaine édification de l’esprit, ce sont les témoins des remous humains et de la propension à l’égoïsme qui peut parfois guider notre espèce... Tout cela est enrobé de mystère et d’une certaine pudeur propre aux japonais, donnant à l’ensemble des textes une puissance d’évocation aussi forte que douce. L’impression est délectable et transporte irrémédiablement le lecteur.

Les jeunes lecteurs trouveront dans ces 10 contes du Japon une très belle entrée sur un pays fascinant et sur des éléments clefs de la mentalité japonaise. Très facilement lisible, enchaînant les paraboles et histoires poignantes, on passe un très agréable moment. À faire découvrir !

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mardi 14 janvier 2020

"Trois ombres" de Cyril Pedrosa

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L’histoire : Joachim vit paisiblement à l’écart du monde avec ses parents. Mais un soir, ne parvenant pas à trouver le sommeil, ils remarquent des ombres qui semblent les attendre sur la colline en face...

Ces dernières apparaissent sous la forme de trois cavaliers et s’évanouissent dès que l’on s’en approche. Ces "choses" sont là pour Joachim. Son père aura-t-il raison de se battre contre l’inéluctable ?

La critique de Mr K : Quelle claque mes amis ! Quelle claque ! De celle dont on ne se remet que doucement. C’est bien simple, j’étais liquide en refermant l’ouvrage tant il m’a ému. Trois ombres de Cyril Pedrosa prenait la poussière dans notre PAL collective de BD depuis trop longtemps, c’est en remettant le nez dedans en tout début d’année que j’arrêtais mon choix sur lui. Que j’ai bien fait ! Entre conte, roman initiatique et récit intimiste, voila un roman graphique qui prend à la gorge et ne relâche son étreinte qu’en toute fin de volume.

Joachim vit seul avec ses parents au milieu de nulle part. Sans attaches, quasiment en autarcie, ils vivent d’amour et d’eau fraîche. Les journées sont rythmées par les tâches du quotidien et des moments de partage. Si ce n’est pas le bonheur, ça y ressemble fortement, les liens familiaux sont forts et tout particulièrement entre le papa protecteur et son jeune fils toujours près à le suivre partout où il va. Mais un beau jour (ou peut-être une nuit...), Joaquim distingue trois ombres au loin qui semblent l’observer attentivement. Menace sourde et silencieuse, ces trois cavaliers sont là pour Joachim comprennent-ils assez vite. Pour le père, impossible de se laisser faire, il prend son fils avec lui et part loin pour échapper au danger qui le guette... Commence alors un périple aussi fou que déroutant qui nous emmène loin, très loin dans tous les sens du terme.

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J’ai été happé par ce récit dès les première planches. La faute d’abord à un recueil de toute beauté. J’ai adoré le parti pris du dessinateur. Ses traits souples, dynamiques, emprunt de noirceur distillent de-ci de-là de multiples détails qui donnent vie à des personnages très attachants et une époque indéterminée très bien rendue. Le noir et blanc est aussi subtil que sublime, il donne un cachet particulier et une certaine hauteur de vue à une histoire plus que prenante.

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On est conquis de suite par Joachim et ses proches, je ne suis pas loin de penser que c’est un peu la vie que j’aurai voulu avoir. De la tranquillité, les joies simples d’une existence rurale entre labeur quotidien et émerveillement devant le cycle immuable de la nature, l’absence de communauté humaine et des déviances qui l’accompagnent. Oui, vraiment, on aimerait partager les jours de cette famille où tout se construit autour de l’amour, la curiosité et le respect. C’est d‘autant plus dur du coup de voir la cellule familiale se briser par la suite avec cette séparation brutale qu’il va falloir gérer et cette fuite en avant pour éviter le pire.

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L’auteur ne se départit jamais de la finesse scénaristique qui caractérise les dix premières planches, tout ici est abordé avec une extrême sensibilité et sans pathos. Il est question des choses de la vie, de l’amour parent-enfant (qui prend une importance cruciale pour nous aujourd’hui au Capharnaüm Éclairé), de l’expérience que l’on accumule mais aussi de la servitude, de la souffrance et de la Mort. Au fil du déroulé, la tension monte, on sent bien que les choses évoluent vers une certaine fin (que j’ai deviné assez vite). Notre cœur commence à battre la chamade , on angoisse pas mal je dois dire et au final on est cueilli, littéralement ébranlé par la force du récit, son intelligence et sa profonde humanité.

Difficile d’en dire plus sans révéler trop de choses, cette BD se déguste avec un plaisir renouvelé. C’est beau, mélancolique, parfois marrant et toujours dosé de main de maître. Nourrissant la réflexion, interrogeant notre rapport aux autres et à la vie, voila un volume qui trouvera une très belle pièce dans notre bibliothèque. Trois ombres est une vraie perle que je vous encourage à découvrir au plus vite !

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