"Tête en l'air" de Richard Gaitet
L’histoire : Il a survécu à l’aiguille du Midi par l’intervention d’une providentielle main au cul, hurlé de peur dans la vallée d’Aoste, gravi cinq fois de suite en courant les deux premiers étages de la tour Eiffel, descendu sans corde des échelles d’acier sur 250 mètres, découvert les joies de la tomme de Savoie au petit-déjeuner, relu Tolkien, Lionel Terray, Mary Shelley et les mangas d’Akira Toriyama, et surtout... appris le maniement du piolet afin d’aller danser sur des arêtes sommitales de 40 centimètres de large, avec 2 000 mètres de vide de chaque côté, par - 8 °C et le visage battu par des vents de 50 km/h...
Plutôt branché bouquins que bouquetins, Richard Gaitet n’avait, avant cette épopée, aucune expérience de la montagne. Novice attentif à la parole du guide le plus romanesque qui soit, René Ghilini – vainqueur de l’Annapurna et chasseur de cristaux –, il livre l’authentique et drôlissime récit d’une première ascension du mont Blanc par un blond à lunettes inexpérimenté qui, au cours de son voyage, réapprit à marcher.
La critique de Mr K : Un livre bien fun pour ma chronique du jour avec Tête en l’air de Richard Gaitet, récemment réédité en version poche chez Paulsen. C’est l’histoire peu commune d’un homme pas forcément destiné à réaliser un exploit sportif tel que l’ascension du Mont Blanc, sommet le plus haut d’Europe occidentale avec ses 4807 mètres d’altitude. Je me suis bien amusé en lisant cet ouvrage qui mèle habilement le récit d’initiation, d’aventure sur un ton autoparodique du plus bon effet.
Sur le papier, Richard n’est pas taillé pour gravir le Mont Blanc. Un physique commun, un laisser-aller au niveau hygiène de vie en terme de bouffe et de boisson, un homme gai avec quelques soucis cardiaques hérités génétiquement... Mais voila, une occasion unique se propose à lui de monter cette sommet mythique et d’écrire sa préparation et ascension. Ce qui au début ressemble furieusement à un pari quelque peu insensé, va devenir une grande aventure humaine avec son lot de désillusions, d’espoirs et de franche rigolade car le Richard c’est un marrant qui suscite la sympathie immédiatement.
Très attachant, il ne se prend pas au sérieux et cela donne un ton délicieusement décalé là où certains se glorifieraient dans un nombrilisme des plus déplaisants (la maladie de ce début de siècle). L’auteur nous raconte tout de A à Z avec notamment, intercalés entre différentes phases clefs, des passages de son enfance révélateurs de cette envie de grimper le Mont Blanc. On apprend ainsi qu’il réalise un peu le rêve que son père n’a jamais pu concrétiser ce qui le rendra immensément fier quand cette montée aura été réalisée. Richard n’est donc pas qu’un simple journaliste voyageur à la plume légère et fun, on ressent un profond respect pour la montagne et les gens qui l’entourent, une simplicité, une humilité de tous les instants et un sens de la dérision vraiment rafraîchissant. Ce qui tombe bien quand on évolue en haute montagne vous remarquerez.
Et puis, il y a toutes les étapes qu’il doit franchir avant de pouvoir ne serait-ce qu’imaginer s'attaquer au grand Blanc. Exercices de préparation physique plus ou moins adaptés dans Paris, lectures diverses avec des références scientifiques et humaines à l’appui délicatement glissées ici ou là qui nourrissent le récit et l’enrichissent. Ensuite, c’est la rencontre avec René, guide de haute montagne, véritable légende du milieu qui va l’accueillir à Chamonix et l’entraîner réellement à savoir marcher dans la neige, grimper, escalader, surmonter sa peur du vide à l’occasion (le passage avec les échelles est aussi tordant que flippant), connaître son matériel et lui rappeler l’essentiel à des moment cruciaux car comme son titre l’indique l’auteur est tête en l’air (je m’y retrouve totalement) et possède un sens de l’équilibre tout relatif depuis longtemps. René m’est apparu comme une sorte de deuxième père pour son protégé, dispensant conseils et engueulades, recevant Richard chez lui pour partager un repas, la chaleur d’un foyer et des moments d’échanges parfois hauts en couleur.
Quand vient l’ascension proprement dite à la fin du volume, c'est peu de pages finalement au regard du reste mais l’intérêt est ailleurs finalement, l‘auteur se fait encore plus introspectif, poétique voire psyché par moments. Les effets de l’altitude sûrement ! On réalise avec lui que cette expérience valait vraiment le coup, qu'elle l’a éprouvé et transformé. C’est beau, immaculé comme la neige des sommets et l’on redescend presque déçu des cimes car on aurait voulu profiter davantage de ses impressions au sommet, de découvrir ce à quoi il a pensé et réfléchi.
Bel ouvrage vraiment que cette tranche de vie extrême et douce à la fois, qui nous parle aussi de nous-même à l’occasion de certaines réflexions et rigolades. Un très bon moment de lecture que je vous invite à entreprendre à votre tour si le sujet vous intéresse. Vous ne serez pas déçus.
"Les Chants de Nüying" d'Émilie Querbalec
L’histoire : La planète Nüying, située à vingt-quatre années-lumière du Système solaire, partage de nombreux traits avec la Terre d’il y a trois milliards d’années. On y trouve de l’eau à l’état liquide. Son activité volcanique est importante. Ses fonds marins sont parcourus de failles et comportent quantités de sources hydrothermales. Elle possède une magnétosphère et une atmosphère dense, protectrice. Tout cela en fait une bonne candidate pour héberger la vie.
La sonde Mariner a transmis des enregistrements sonores de Nüying : des chants qui évoquent par analogie ceux des baleines.
Quand elle était enfant, Brume a entendu cet appel. Désormais adulte, spécialisée dans le domaine de la bioacoustique marine, elle s’apprête à participer à la plus grande aventure dans laquelle se soit jamais lancée l’Humanité : rejoindre Nüying au terme d’un voyage spatial de vingt-sept années.
Que va-t-elle découvrir là-bas ? Une civilisation extraterrestre ou une remise en cause totale de ses certitudes ?
La critique de Mr K : Un très bon roman de science-fiction au programme de la chronique du jour avec Les Chants de Nüying d’Émilie Querbalec, une auteure que je découvrais pour l’occasion et dont j’avais entendu parler sur la blogosphère et les réseaux sociaux. Force est de constater qu’elle est douée, qu’elle sait emballer un récit, construire du neuf à partir d’idées à priori basiques et propose un voyage littéraire à couper le souffle entre anticipation réaliste et voyages intérieurs source d’inspiration et de réflexion.
Ne vous laissez pas berner par la quatrième de couverture officielle, le roman ne se résume pas au parcours de Brume qui n’occupe finalement qu’un tiers du roman car en filigrane, on la suit elle certes mais aussi d’autres personnages qui vont participer à ce voyage à nul autre pareil, aux confins du cosmos, vers un monde source d’espoir. Il y a Brume et cette fascination qu’elle a depuis l’enfance pour les acoustiques marines et qui veut savoir quels sont les fameux sons qu’une sonde à réussi à capter sur Nüying. On suit aussi Jonathan le patron de Space O’ richissime homme d’affaire qui rêve d’immortalité grâce à un procédé révolutionnaire de transplantation de l’esprit dans un clône de lui-même, Dana et Williams des scientifiques qui embarquent pour justement le suivre sur cette expérimentation aussi lourde de promesses que de menaces... Et toute une série de personnages plus ou moins secondaires qui vont tous avoir leur importance à un moment ou un autre de l’aventure.
Divisé en trois grandes parties, les préparatifs, le voyage et l’arrivée sur Nüying, on navigue d’un personnage à un autre, explorant les ressorts de leurs psychés, leurs motivations intimes et les choix qu’ils doivent faire. C’est très poussé dans le domaine, l’auteur prend son temps pour poser ses bases avant de mieux les bousculer par la suite. On se prend au jeu et malgré le côté repoussoir de certains, on s’attache à tous car chacun apporte sa pierre à l’édifice abordant au passage des questions clefs de notre humanité : le poids de l’hérédité et notre rapport avec nos ascendants, le progrès avec ce qu’il apporte et retire, l’amour qui rompt la solitude mais apporte de grandes responsabilités parfois et modifie notre perception des choses, la question de notre mortalité aussi et du sens que l’on donne à notre existence, le fondamentalisme religieux, la foi et ce qu’elle implique... C’est très profond et très abordable à la fois. Côtoyer tous ces personnages a été un plaisir de chaque ligne, l’auteure d’ailleurs ne nous ménage pas et nombreuses sont les circonvolutions du récit.
L’aspect SF est lui aussi très réussi. Technique sans jamais perdre ou égarer, on est dans quelque chose de plutôt réaliste, qui essaie toujours de rendre l’équipée crédible. Que ce soit le vaisseau en lui-même, les équipements qui le composent, l’évolution des êtres humains avec leurs néo-connectiques directement implantées sur le corps (des post-humains en quelque sorte), l’IA que l’on croise à l’occasion, le fameux procédé qu’expérimente le grand patron... tout est remarquablement amené créant un ensemble assez bluffant, complet dans lequel on aime se perdre, fenêtre vers un futur que j’ai trouvé pour ma part plutôt inquiétant avec un recul du réel, de la nature au profit de l’artificiel et du virtuel. Cela donne lieu à de nombreuses réflexions, de celles que l’on mène déjà avec les dernières innovations qui ont fait irruption dans notre quotidien depuis déjà 20 ans et modifient clairement nos habitudes et nos comportements.
Le récit finit par prendre une trajectoire déroutante et quasi mystique dans le dernier quart lorsque l’on retrouve sur Nüying... Je n’en dirai pas plus mais quand on dit que le plus important est souvent la route plutôt que l’objectif final, c’est tout à fait cela ici. Non que la fin soit décevante, elle est très réussie même, mais tout a une logique et j’ai trouvé le dénouement en parfaite adéquation avec l’évolution de chacun des personnages. Quant à l’écriture c’est limpide, rythmé, exigeant, tout ce que j’aime dans le genre SF.
Cette lecture fut vraiment un grand moment, les amateurs ne doivent pas passer à côté.
"Satanie" de Fabien Vehlmann et Kerascoët
L’histoire : Charlotte, alias Charlie, une jolie petite rousse, organise une expédition afin de retrouver son frère, un jeune scientifique, qui a disparu sous terre depuis plusieurs mois. Celui-ci affirmait pouvoir prouver l’existence de l’Enfer en s’appuyant sur la théorie de l’évolution de Darwin. Le groupe conduit par Charlie s’enfonce sous terre et découvre au fur et à mesure de sa progression que les entrailles de notre planète abritent bel et bien une autre forme de vie pour le moins inattendue... Et si c’était ça, l’Enfer ?
La critique de Mr K : Nouvelle découverte grâce à l’ami Franck avec Satanie du duo Fabien Vehlmann et Kerascoët qui récidivent après le magnifique et ténébreux Jolies ténèbres qui m’avait littéralement scotché. Au programme de cette bande dessinée de haut vol, la quête d’une sœur qui en partant à la recherche de son frère va découvrir la vraie nature du cœur de la Terre et va voir son existence totalement bouleversée, changée à jamais. Littéralement embarqué dès les premières pages, j’ai dévoré ce volume avec un plaisir intense et un émerveillement de tous les instants. Suivez le guide !
Charlotte organise donc une expédition pour retrouver son frère, un scientifique un peu fou parti vers le centre de la Terre pour localiser les Enfers. Mythe ? Réalité ? La question le passionnait mais semble avoir eu raison de lui, il n’a plus montré le moindre signe de vie. Voilà donc la jeune femme partie pour une aventure spéléologique avec des hommes rodés à l’exercice et même un abbé ! Très vite le voyage va se révéler mouvementé, surprenant et surtout initiatique pour chacun des aventuriers à commencer par Charlotte.
On voyage autant que les personnages avec un récit ébouriffant où l’on en prend plein les yeux et où les rebondissements sont nombreux. Charlotte va durant ce périple beaucoup changer, elle grandit, mûrit, subit des chocs traumatiques, n’est vraiment plus la même à la fin de son aventure. D’ailleurs, j’évacue de suite la polémique sur la fin, personnellement je l’ai adoré, elle est pleinement ouverte et logique. Pour en revenir à l’héroïne, elle est très attachante et l’on prend un grand plaisir à la suivre dans ce parcours initiatique d’une profondeur folle et passionnant.
L’exploration de l’intérieur de la Terre est donc riche en surprises et les auteurs proposent vraiment une vision neuve tout en s’inspirant de références plus anciennes (pour moi les plus évidentes sont Jules Verne et HP Lovecraft, excusez du peu). Cela donne lieu à des rencontres pour le moins étranges, des peuplades oubliées, des créatures étranges aux formes diverses et aux intelligences développées fondées sur d’autres systèmes de valeur. Pour être dépaysé, on est dépaysé et j’ai aimé cette sensation de ne pouvoir parfois se raccrocher à rien, de se laisser porter par l’imagination débridée déployée ici. Certaines planches sont tout bonnement hallucinantes, fourmillant de détails et lorgnant vers le psychédélisme et le subliminal.
L’objet BD est magnifié ici. On retrouve la beauté des traits du dessinateur, la flamboyance des couleurs et la gestion parfaite de la narration entre action trépidante (il y a parfois un côté Indiana Jones) et moments plus calmes voire contemplatifs. Il y a aussi à l’occasion une petite dose d’humour bien sentie, notamment dans certains échanges entre les protagonistes qui sont plutôt cash et rajoutent à l’humanité profonde qui se dégage de l’aventure. C’est donc aussi une BD fun et même presque picaresque par moment avec un côté extravagant poussé.
Satanie est vraiment une très belle réussite, une revisite originale et réussie du mythe des enfers, un beau parcours de personnage et une œuvre magnifique en terme esthétique mélangeant avec bonheur aventure, onirisme, fantastique et même un peu de sciences. Ne passez pas à côté de ce titre si vous êtes amateur de ce type de récits, c’est un incontournable dans le genre !
"Conquistador" Intégrale de Jean Dufaux et Philippe Xavier
L’histoire : Tenochtitlan, an 1520. Ils cherchaient le trésor des Aztèques... Ils ignoraient que Le Gardien veillait.
La critique de Mr K : Chronique d’une lecture sympathique à défaut d’être originale aujourd’hui avec cette tétralogie empruntée au CDI de mon établissement pour les vacances de Pâques. Conquistador de Jean Dufaux et Philippe Xavier est une saga en quatre volume qui se lit d’une traite avec un plaisir certain. Cependant, il lui manque un supplément d’âme et une complexité pour qu’elle soit vraiment mémorable. Je m’en explique maintenant...
L’action se déroule dans les années 1520 lors des premières expéditions espagnoles dans le nouveau monde et notamment avec Cortés en territoire aztèque. Il est déjà sur place à Tenochtitlan depuis quelque temps, a noué des relations ambiguës avec l’empereur Moctezuma entre relations amicales et supériorité pseudo divine. Au début du premier volume, il se prépare à repartir à Veracruz pour affronter l’expédition punitive menée par Panfilo de Narvaez. Le royaume d’Espagne considère en effet que Cortés s’enrichit sur le dos de la couronne et veut y mettre un terme. Le général Cortés charge en parallèle un petite groupe de fidèles d’aller repérer et voler une partie du trésor aztèque. Ce qu’ils font non sans causer des dégâts et provoquer une malédiction qui va commencer à les décimer les uns après les autres...
L’aspect aventure de la série est très bien mené. Les amateurs d’Indiana Jones seront ravis à commencer par moi. C’est très rythmé, on mélange allégrement Histoire et fantastique avec des passages bien mystiques qui apportent un plus indéniable. De l’action, un peu d’humour (en marge cependant), des jeux de pouvoirs tendus aux renversements nombreux, de la séduction aussi et une belle histoire d’amour en second plan offrent au final un récit aux multiples ramifications qui mène à un ultime volume bien déjanté qui renverse pas mal de certitudes chez les personnages. Certes, on est rarement surpris, les auteurs usent de pas mal de clichés vus et revus mais on se laisse capter sans souci.
Le point faible réside cependant dans les personnages. Je les ai trouvé un peu trop caricaturaux avec une psyché plus que limitée. Clairement, par moment, on a l’impression qu’on s’adresse à des enfants malgré des scènes bien choc. Convenus, simplistes parfois, on ne s’attache pas vraiment à eux, notamment les protagonistes principaux. Ou alors, certains disparaissent trop vite ! Je pense au moine amateur de Peyolt qui a des visions des plus space ! Autres clichés, les hommes musclés, forts et robustes et des femmes au corps de rêve, toutes très bien foutues et pour beaucoup passives. Un brin macho, me direz-vous ? Oui et non car certains personnages féminin s’avèrent forts et résistants mais là encore on tombe dans du déjà-vu et du caricatural.
Si la BD se résumait à cela, je ne serai pas allé jusqu’au bout. Heureusement, la contextualisation est impeccable, au niveau historique et reconstitution, on n'est pas loin de la perfection (malgré des exagérations dans l’évocation des rites aztèques). On est vraiment plongé dans l’époque, dans les lieux avec ces heurts entre deux civilisations aux modes de vie et de pensée radicalement opposés. Le choc est brusque et très bien retranscrit. L’aspect esthétique est vraiment bluffant notamment dans les scènes de descriptions ou d’attente, dans les vieilles cités aztèques, dans la jungle sombre et profonde avec ses ruines cachées et ses cascades ensorcelantes. Les scènes d’affrontement sont aussi très réussies avec un dynamisme qui ne se dément jamais et des couleurs qui explosent les rétines pour le plus grand bonheur du lecteur.
On est donc ici pleinement dans un pur plaisir régressif, une lecture distrayante à défaut d’être révolutionnaire. Idéale pour passer du bon temps même si au final, elle ne restera pas dans les mémoires des bdphiles les plus exigeants. À découvrir ou non selon vos attentes dans le domaine.
"Widjigo" d'Estelle Faye
L’histoire : En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer.
Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d'entrer. A l'intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire.
Celle d'un naufrage sur l'île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d'une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres...
La critique de Mr K : Voilà un ouvrage dont j’avais beaucoup entendu parlé avant d’en entamer la lecture, notamment sur IG. Les critiques étaient bien souvent dithyrambiques et Widjigo d’Estelle Faye promettait beaucoup avec un pitch accrocheur et mystérieux. Je n’ai pas été déçu, l’immersion a été totale, la langue sublime et le suspens très bien maîtrisé. Une belle claque !
Tout débute en pleine Révolution Française. Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République est chargé d’aller capturer un noble breton pour le présenter devant le tribunal pour y être juger comme traite envers le nouveau régime. Une fois sur place, lui et sa troupe se retrouvent devant un vieux dongeon quasiment abandonné où subsiste un vieillard totalement défiguré, la fameuse cible qu’ils doivent intercepter. Après une courte échauffourée, les troupes s’installent sur place pour la nuit et Jean reste avec le prisonnier, Justinien de Salers qui a accepté son sort mais lui demande d’écouter son histoire. Le récit réel peut commencer...
Justinien lui raconte comment en rupture de ban avec son noble de père et après avoir contracté beaucoup de dettes et être devenu alcoolique, il s’est retrouvé de l’autre côté de l’Océan à cuver gin et mauvais vin en attendant que le sort décide de son existence. Il a le sentiment d’être suivi par une mystérieuse personne dont il n’arrive pas à distinguer les traits. Bientôt il est contacté avec d’autres personnes par un commanditaire qui souhaite qu’ils retrouvent une personne disparue lors d'une expédition dans les terres restant à explorer et coloniser. Après un naufrage catastrophique, voila la petite troupe perdue sur une terre inconnue où ils doivent survivre à la faim, la fatigue et les morts tragiques qui s’accumulent.
On se prend vite au jeu de savoir qui ou quoi est derrière ces meurtres sanglants, un peu à la manière d’un roman d’Agatha Christie dans une ambiance complètement différente. Les personnages sont tous très bien ciselés, donnant à voir des personnalités complexes au passé parfois trouble. Le noble en pleine déchéance en pleine période de manque, une aventurière métisse au caractère bien trempé, un botaniste avide d'aventure et un adolescent mutique qui ont déjà survécu à une expédition en perdition, un pasteur rigoriste et sa fille soumise et bien d’autres vont se retrouver confrontés les uns aux autres avec en sus une menace insidieuse, peut-être un Widjigo, créature mythique du peuple algonquin. Bien vite la paranoïa s’installe, les corps et les esprits s’affaiblissent et la folie guette. Tout cela est rudement bien mis en mot, l’empathie est totale. On se laisserait presque gagner par le climat délétère et l’ambiance malsaine décrite prend à la gorge. Des passages ont fait s’accélérer mon rythme cardiaque et franchement on ne peut s’empêcher de continuer à tourner les pages.
L’addiction est donc immédiate. J’ai été séduit de suite par la plume si délicate d’une auteure qui propose un récit haletant et totalement immersif. Très versée dans les descriptions, on plonge avec un certain effroi dans ces terres inhospitalières dans des décors absolument splendides et en même temps inquiétants. La nature, l’environnement, la brume et les rigueurs climatiques sont un personnage à part entière. Ils se mêlent dans une certaine fantasmagorie. Il y a aussi les images mentales de Justinien qui nous font entrer dans un monde interlope, familier au premier regard mais cachant bien des secrets. Au fil de la lecture, on se perd avec les personnages, on rentre dans leur tête et l’on fait sa propre enquête. Comme à Justinien et ses compagnons, l’auteure se plaît à multiplier les fausses pistes et l'on aime se laisser balader au gré des pages qui s'égrainent. Les révélations venant, mettant en perspective les époques et les protagonistes, j’ai été surpris et totalement désarçonné par certaines d’elles. J’adore ça et le mix roman aventure, historique et fantastique à l’occasion fonctionne très bien, proposant une lecture riche et source de nombreuses émotions.
Je n’en dirais pas plus, voici un livre à découvrir absolument. Un bijou de roman écrit de main de maître qui procure un plaisir de lire intense et durable. Je ne vais pas m’en remettre !
"Famille nomade à vélo" de Céline et Xavier Pasche
Le contenu : Jamais ils n'auraient imaginé que leur périple à vélo deviendrait leur nouveau mode de vie et qu'ils accueilleraient leurs enfants le long du chemin. Céline et Xavier sont des nomades à vélo, sur les routes du monde depuis 10 ans. Ils explorent avec leurs filles, Nayla et Fibie, les somptuosités des recoins sauvages de la planète, ils plongent dans des cultures aussi variées qu'intrigantes. Plus qu'une vie d'aventure, ils semblent appelés par les lieux, guidés par le mystère. Chaque jour, ils ouvrent la toile de leur tente pour un nouveau commencement et plongent dans l'inconnu à l'écoute de leurs intuitions et portés par leur indéfectible confiance en la vie. De magnifiques photographies illustrent ce récit qui nous emmènent à travers le désert de Gobi, le Grand Nord canadien et ses aurores boréales, les hauts cols du Tadjikistan ou encore, la densité humaine du Bangladesh et les spécialités culinaires de la chine.
La critique Nelfesque : J'ai toujours admiré les aventuriers, ceux qui sont capables de traverser des mers, de parcourir des kilomètres à vélo, à pied, qui se lancent vers l'inconnu, bravant leur peur et les éléments. Tout cela ne se fait pas sans préparation mais le lâcher-prise est indispensable ensuite pour appréhender les obstacles, vivre les expériences pleinement et vivre tout simplement l'instant. J'ai toujours admiré et envié cet état d'esprit. Parce que j'aimerais tant en être capable et vivre ce genre d'aventures. Nous l'avons fait à plus petite échelle lors de vacances, notamment en Thaïlande, où nous étions partis en sac à dos et avions avalé les kilomètres et les expériences pendant 4 semaines inoubliables. Le reste du temps, je me contente de vivre par procuration ces aventures en suivant des gens comme Matthieu Tordeur depuis le tout début de son parcours, ou en lisant des bouquins tels que "Dans les forêts de Sibérie" de Sylvain Tesson, qui m'a littéralement percuté.
C'est ainsi que j'ai découvert Céline et Xavier Pasche, un couple suisse qui a décidé de partir sur les routes et explorer le monde à vélo depuis 2010. Une aventure qui s'est tout d'abord conjuguée à 2 et au fil des kilomètres, à 3, puis à 4. Céline a vécu plusieurs grossesses à l'étranger, encore sur sa selle de vélo à 7 mois, donnant naissance à ses enfants loin de chez elle et abordant la maternité avec des repères tout à fait différents de ceux que l'on peut avoir chez nous. Tous les deux, ils élèvent leurs filles au grand air, à l'école de la vie, des saisons, des éléments, du contact humain avec d'autres cultures, d'autres horizons. Une approche tellement belle et tellement sereine qu'elle donnerait envie de tout plaquer. Céline et Xavier ont une philosophie de vie bien éloignée du monde de la consommation, du capitalisme et de la performance. Les kilomètres, ils les font non pas pour battre un record ou briller en société mais par amour pour la beauté du monde, par amour pour la vie et pour tout ce que la Terre offre à qui la respecte.
Nous suivons ainsi la famille Pasche à travers le monde. 78.000km à vélo et 10 ans de voyage nous sont ainsi livrés dans un très beau livre de 262 pages où Céline nous partage ses pensées et Xavier ses clichés. Ne vous attendez pas ici à avoir entre les mains le parfait manuel de la vie de famille en mode nomade, les points logistiques sont assez rares et seulement effleurés. La famille s'attache plus à partager des pensées, des sensations, une certaine spiritualité. Le cœur est leur moteur et la vie, le carburant qui les fait avancer.
Ainsi ils vont traverser des déserts, gravir des cols, pédaler par des températures extrêmes, se nourrir de la nature, épancher leur soif de vie et transformer chaque expérience en signes du destin. Un mode de vie apaisé, un mélange de stoïcisme et de carpe diem. Leur parcours est inspirant, même sans traverser les mers et monter sur un vélo. Nous pouvons ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure et nous en contenter, nous en nourrir et avancer avec l'énergie du monde. Ce recueil illustré est un bon coup de pied aux fesses qui nous amène doucement mais sûrement vers une certaine sérénité. En ce moment, on en a tous bien besoin...
Au fil des pages, les paysages et les pays défilent. Entre les différentes destinations, des petites capsules tantôt philosophiques ou de sagesse, tantôt plus organisationnelles, balisent notre lecture. "Famille nomade à vélo" est un ouvrage positif et doux. Je regrette qu'il n'y ait pas plus de détails sur la vie de tous les jours, sur les épreuves rencontrées, sur les accouchements de Céline par exemple mais ce n'est pas la direction qu'ils voulaient donner à leur ouvrage et c'est aussi très bien comme cela. Nous imaginons aisément que tout n'est pas toujours rose...
Je retiendrai particulièrement ce passage qui fait tant écho en moi et que j'ai envie de partager avec vous pour terminer ce post :
"A chaque instant, nous choisissons de nous relier à la liberté, celle des espaces sauvages, celle des possibilités infinies, et surtout celle qui provient de la paix intérieure et de l'ouverture de conscience. Nous souhaitons alors offrir cet espace de liberté à nos filles. Nous sentons que nous n'avons pas à éduquer Nayla et Fibie, parce qu'elles ont déjà tout en elles. Nous les accompagnons et ensemble nous cheminons dans la vie. Nous les encourageons à être à l'écoute de leurs intuitions pour qu'elles révèlent et laissent rayonner leur vérité intérieure. Ainsi tour à tour, elles deviennent nos guides et nous leur enseignons qui nous sommes."
N'est-ce pas cela tout simplement être une famille ? Que l'on soit sur les routes ou au creux de notre nid...
"Tout l'or des braves" de Clifford Jackman
L’histoire : Mer des Caraïbes, 1721. Jimmy Kavanagh, ancien compagnon de Barbe Noire, rassemble un équipage pour une chasse-partie qui doit permettre d’assurer définitivement l’avenir de chacun. Avec le pillage de Cape Coast, d’où les pirates repartent chargés de l’or accumulé par les marchands d’esclaves, leur expédition débute sous les meilleurs auspices. Mais la mort prématurée de Kavanagh change la donne. Et la belle épopée se transforme peu à peu en enfer...
La critique de Mr K : Amis de l’Aventure, l’Aventure vous appelle ! Avec Tout l’or des braves, Clifford Jackson nous invite à bord d’un navire pirate en quête de fortune et de gloire dans un style virevoltant et documentaire à la fois. Cet ouvrage se révèle addictif dès les premiers chapitres et une fois débuté, il est tout bonnement impossible de le relâcher tant on est pris par l’histoire et ses charismatiques personnages hauts en couleur. Une sacrée immersion dont je vais vous parler plus en détails...
Jimmy Kavanagh s’apprête à reprendre la mer sous pavillon pirate. Il a des investisseurs, un équipage compétent et un plan en or pour se remplir les poches et entrer dans la légende des plus belles prises effectuées par les Frères de la côte. Après une rapide entrée en matière grâce à l’embarquement d’un ancien baleinier comme pilote (ce qui nous permet de nous familiariser avec les principaux protagonistes), on prend le large sur le Saoirse, magnifique trois mâts à l'équipage composé de plus de 300 hommes. Bien évidemment l’expédition ne va pas se dérouler comme prévu mais alors vraiment pas ! Tensions internes puis disparition soudaine du capitaine vont faire rentrer le roman d’aventure dans un autre genre, un huis clos flottant et angoissant qui mène petit à petit les aventuriers vers un enfer pavé de mauvaises intentions !
Je conseille vraiment vivement cet ouvrage à tous les amoureux de récits d’aventure maritime. On est gâté ici avec une immersion totale dans la vie à bord et tout d’abord dans la vie de pirate qui se définit bien autrement que dans certaines grosses productions hollywoodiennes. De la création de la confrérie à l’élaboration de la charte qui régira la campagne, tout est ici scrupuleusement retranscrit avec verve et profondeur. Cet aspect "démocratique" de la vie de flibustier est très intéressant et au cœur de l’intrigue car au-delà de l’aventure, ce roman s’apparente à une réflexion profonde sur les jeux de pouvoir et la nature humaine. Entre parano montante, jalousie, envie mais aussi parfois naïveté, les événements vont se précipiter et donner lieu à un savant jeu de massacre des plus poignants et redoutables. Le cœur du lecteur est donc mis à rude épreuve et l’on ne compte plus les rebondissements qui s’enchaînent avec plaisir et un peu d’appréhension. De manière globale, on croit pouvoir s’appuyer sur des éléments solides, des individualités fortes et des groupes de pression mais régulièrement à la faveur d’un épisode météorologique, d’une rencontre fortuite de mer ou de tel ou tel souci, les rapports de force changent et la destinée du bateau devient de plus en plus incertaine.
On croise nombre de personnages dans ce roman où chacun possède sa part de lumière et d'ombre. Loin de tomber dans le manichéisme facile et reposant, chaque protagoniste se révèle d’une richesse intérieure très intéressante qui élève le niveau de lecture et propose son lot de surprises. Du simple matelot aux capitaines successifs, nous suivons leurs destinées individuelles qui se confondent forcément dans la cause commune poursuivie et se retrouvent liés parfois bien malgré eux. Mais bien mal acquis ne profite jamais et cet ouvrage fait à partir de son deuxième tiers la part belle aux tractations et jeux de domination divers. Difficile de donner sa préférence à un personnage plus qu’aux autres, tous sont à la fois attirants et repoussants et un lourd fatum semble planer sur le Saoirse. Ce n’est pas plus mal de ne pas s’attacher à eux d’ailleurs car depuis la saga Game of thrones, je n’avais pas lu un tel équarrissage de personnages, l’auteur se plaisant à les supprimer les uns et les autres dans une suite logique et implacable de coups du sort sur cette expédition décidément maudite.
Beaucoup d’action donc dans cet ouvrage avec des passages bien éprouvants dans les tempêtes déchaînées de l’hémisphère sud, les tensions internes aux différentes castes en présence (officiers, matelots mais aussi clans), mutineries et batailles en mer pour un voyage plus qu’éprouvant. Le pire c’est qu’on en redemande ! Et puis, on ne peut que s’incliner sur la multitude de détails sur la vie à bord dans des passages descriptifs bien sentis et nombreux, depuis le déploiement des voiles aux repas pris dans la cabine du capitaine, les discussions entre simples matelots, le vote des motions lors des assemblées, les flash-back sur la vie des uns et des autres, les escales dans des lieux parfois plus qu’exotiques (on se souviendra longtemps du passage en Papouasie) ou des lieux de perdition où alcools et filles faciles sont au RDV avant le retour brutal à la réalité d’un trésor à protéger et emporter avec soi. C’est bien simple, on s’y croirait !
On ne s’ennuie pas une seconde avec un rythme qui ne se dément jamais, une écriture fantastique qui conjugue précision et accessibilité gouleyante. On prend un pied magistral lors de cette lecture qui m’a ravi à un tel point que j’en aurai bien repris pour 500 pages de plus ! Tout l'or des braves est donc un excellent roman d'aventure qui se révèle être prenant, édifiant et jubilatoire. Un must dans son genre.
"Construire un feu" de Chabouté
L’histoire : Un homme marche dans le Grand Nord canadien, vers une mine où d’autres sont déjà, à chercher l’or qui pourrait faire leur fortune et changer leur vie. Sous ce ciel sans soleil, il est accompagné de son chien-loup. Il fait probablement soixante degrés en dessous de zéro. Il connaît la région. Il sait faire un feu. Parviendra-t-il à atteindre sa destination ?
La critique de Mr K : Belle trouvaille une fois de plus avec cet ouvrage dégoté dans le CDI de mon bahut. Construire un feu de Chabouté est la libre adaptation de la nouvelle éponyme de Jack London, un de mes écrivains cultes qui m’a mené vers les joies de la lecture au début de ma vie de lecteur. Il est ici question de survie, de lutte contre les éléments et de nature humaine. Un triptyque traité de manière frontale et toute en beauté dont on ressort frappé et totalement émerveillé.
Avant de débuter l’ouvrage, j’ai relu la nouvelle de Jack London, ce qui m’a permis au passage de reprendre contact avec la langue si savoureuse d’un auteur dont j’ai lu l’intégrale (sous l’impulsion de ma grand-mère à l'époque) il y a déjà bien longtemps. Le texte est ultra-court (une dizaine de pages), il s’agit de la première version publiée par l’auteur. Il paraît qu’il y a d’autres versions plus ou moins enrichies qui depuis on fait leur apparition. Pas sûr donc que ce soit le meilleur matériel pour comparer avec l’adaptation de Chabouté mais on retrouve de nombreuses choses communes et également des différences notables notamment sur la fin qui est diamétralement opposée à celle de la nouvelle ! Ce n’est pas bien grave car la réussite est au rendez-vous dans la vision proposée par Chabouté.
Un homme et son chien errent dans le froid du Nord de l’Amérique. L’homme doit rejoindre un campement près d’une mine qui recèlerait un filon très intéressant. En ces temps de Ruée vers l’or, beaucoup d’aventuriers tentent leur chance dans ces grandes étendues sauvages que notre espèce n’a pas encore domestiquées. Il connaît son chemin, a de quoi manger et a prévu d’arriver le soir même. Rien ne va vraiment se passer comme prévu, il fait -60°C et les conditions empirent. Nous partageons alors son optimisme puis sa lente descente aux enfers. On l’avait pourtant prévenu, on ne doit jamais voyager seul dans cet endroit isolé où le danger guette le malheureux imprudent à chacun de ses pas.
Cette BD est très contemplative. Il y a des planches entières où il n’y a pas un mot ou une phrase d’écrite. On s’imprègne des vastes paysages qui nous sont donnés à voir et qui sont de toute beauté. Forêts impénétrables, rivières gelées et montagnes inaccessibles ravissent les pupilles et nous plonge dans une nature impénétrable, redoutable par son aspect sauvage et son imprévisibilité. Le froid est au centre des préoccupations et l’on en ressentirait presque le souffle sur sa nuque à chaque page que l’on tourne. L’immersion est totale et l’appréhension grimpe au fil de l'histoire.
Le narrateur ne nous épargne rien des pensées et soucis que rencontre le personnage principal. Parti avec de l’espérance plein le cœur, des rêves de gloire et de richesse, son esprit va déclinant au fil du jour qui défile et des difficultés rencontrées. Malgré une bonne préparation, la réalité le rattrape, par -60° les réflexes diminuent, la réflexion devient ardue et les réactions ne sont plus forcément les bonnes. Forcé de s’arrêter, il allume un feu (passage qui donne son nom à l’ouvrage). Ce rituel pourtant simple prend une tournure dramatique ici sous l’œil aiguisé du chien-loup qui accompagne son maître. Fatigue, engourdissement des sens et des membres sont décrits avec finesse et provoquent une empathie immédiate. L’angoisse monte crescendo...
Récit d’aventure et de survie avant tout, cette histoire propose en filigrane une belle réflexion sur notre nature profonde, notre penchant pour l’hybris et l’idée qu’on peut triompher de la nature impunément. Ce récit cruel mais d’un réalisme de tous les instants est un bijou en la matière. Avec une économie de mots toujours bien choisis, des dessins à couper le souffle et un rythme languissant qui semble suivre les pulsions cardiaques de l’infortuné héros. On part ici pour un voyage à nul autre pareil et qui marque l’esprit à jamais. À découvrir absolument pour tous les amateurs d’aventure et de nature writing, en parallèle du texte original c’est encore mieux !
"Djinn city" de Saad Z. Hossain
L’histoire : Il est le fils du Dr Kaikobad, ivrogne et mouton noir de l’illustre clan Khan Rahman. De sa mère, il ne sait qu’une chose : elle est morte en lui donnant naissance. Mais quand son père tombe dans un étrange coma, le jeune Indelbed découvre le secret de ses origines et le vrai métier de Kaikobad : émissaire auprès du monde des djinns, êtres fantastiques, redoutables... et extrêmement procéduriers. Très vite, le garçon se retrouve au centre d’une controverse millénaire dont l’issue pourrait être l’extermination de l’humanité.
En donnant une nouvelle vie aux créatures surnaturelles de la mythologie arabe, Saad Z. Hossain livre un récit époustouflant où se croisent vaisseaux spatiaux, villes englouties, sous-marins soviétiques, guerres oubliées, manipulations génétiques et, bien sûr, quelques dragons...
La critique de Mr K : Quelle claque, mais quelle claque mes amis ! Saad Z. Hossain m’avait déjà bien calmé avec Bagdad, la grande évasion paru en 2017 déjà aux éditions Agullo. Il récidive en 2020 avec Djinn City paru en octobre et que je trouve encore meilleur, c’est dire si la barre est placée haute ! Lorgnant vers American Gods de Neil Gaïman ni plus ni moins, le lecteur se retrouve plonger dans un univers entre fantastique et SF où hommes et djinns tour à tour s’allient et se déchirent sur fond de fin du monde. C’est frais, novateur dans la narration et complètement décomplexé. Accrochez-vous ça dépote !
Au cœur du récit, on retrouve Indelbed, un jeune garçon que rien ne distingue vraiment des autres. Il vit reclus dans une vieille demeure avec son père, un alcoolique fini qui vit en marge de la société et que sa famille (un clan bangladais de première importance) a rejeté. Un jour, son père ne se réveille pas. Plus qu’un énième coma éthylique, ce sommeil prolongé est d’origine surnaturelle. Le reste du clan vient à la maison, appelle les médecins mais rien n’y fait, le docteur Kaikobad est une véritable belle au bois dormant et rien ne semble pouvoir le réveiller.
Très vite le jeune garçon apprend la vérité. Sous ces dehors de déchet humain incapable de s’occuper convenablement de lui, le père était quelqu’un de haut placé auprès des djinns, des créatures qui n’ont rien de mythique et qui coexistent avec les humains depuis les origines ! Les apparences étaient trompeuses y compris dans sa famille quand il se rend compte que la redoutable tante July l’apprécie beaucoup ainsi que son fils Rais, un cousin qui semblait le snober jusque là. Suite à la visite d’un mystérieux émissaires afghan, Indelbed va disparaître dans un lieu caché de tous et va tout faire pour s’échapper du piège infernal que lui a tendu un djinn très retors. Rais quant à lui va devoir bon gré mal gré reprendre le flambeau de Kaikobad, entretenir des relations apaisées avec certains djinns et essayer de sauver (si c’est encore possible...) son cousin ! Rien ne va vraiment se passer comme prévu et le lecteur s’en va emprunter des chemins bien tortueux...
Cette lecture est vraiment unique en son genre. Certes comme dit précédemment, on pense à Neil Gaïman et son œuvre culte mais quelle originalité, quelle folie douce et fantaisie ! Dans ce domaine peu d’auteurs contemporains peuvent se targuer d’en posséder autant. C’est bien simple, ça ne s’arrête jamais car de chapitre en chapitre, en alternant les points de vue, on tombe vraiment de Charybde en Scylla. Ainsi, humains et créatures issues de la mythologie arabe se côtoient pour le meilleur, le pire et le rire ! On ne compte plus les situations abracadabrantesques qui s’alignent dans ce texte avec en point d’orgue un djinn chantant du Beyoncé allongé sur un piano et complètement bourré ! Des voyages extraordinaires sous la mer ou dans les cieux dans des appareils magiques, des expériences biologiques plus qu’hasardeuses effectuées sur des cobayes éberlués par les résultats, une guerre plurimillénaire qui se rejoue et des créatures étranges peuplent ses pages bien barrées mais toujours compréhensibles et accessibles car le foisonnement des situations, des personnages et des idées sont avant tout là pour divertir et fournir une histoire qui tient la route et déroute en même temps.
C’est peu commun et l’on peut dire que l’on en croise des êtres étranges ! À commencer par les djinns eux-même. Vieux grincheux retirés des affaires, jeunes loups en quête de gloire, une organisation officielle qui essaie de gérer les affaires courantes, les djinns sont ici présentés dans leur banalité car c’est avant tout une espèce très portée sur la bureaucratie, les contrats à rallonge et les procès qui peuvent s’ensuivre. Puissants, capables de détruire leur environnement immédiat d’un claquement doigts, ils n’en sont pas moins ridicules bien des fois, complètement perchés, voir à la rue dans le sens glandeurs et toxicos. Les humains ne sont guère mieux avec toute une brochette de personnages plus farfelus les uns que les autres qui finalement tentent de se débattre de leur condition de mortel. Autant dire que c’est compliqué pour eux mais qu’avec une bonne dose de malice, on peut toujours s’en sortir. Je n’en dis pas plus mais franchement attendez-vous à être surpris par les rebondissements et éviter de trop vous attacher... L’auteur va vraiment là où on ne l’attend pas et ça c’est plus que précieux à mes yeux !
Et puis derrière cette comédie féroce et ces moments plus centrés sur l’aventure avec un grand A, on ne peut s’empêcher de voir dans Djinn city une critique à peine voilée de notre monde avec quelques saillies cinglantes sur notre propension à polluer notre planète-mère, notre capacité à toujours vouloir plus au détriment de l’autre avec une course au progrès destructrice et au final une humanité qui s’est perdue en chemin. Non vraiment, ce roman est à part, on rit, on frémit, on se délasse et on part loin très loin de notre réalité pour un monde fantaisiste et cruel à la fois. Un incontournable de cette fin d‘année tout simplement, à découvrir absolument.
"Long John Silver" intégrale de Xavier Dorison et Mathieu Lauffray
L’histoire : Les auteurs imaginent la vie de Long John Silver après "L’Ile au trésor". Pirate de son état, muni d’une jambe de bois, Long John Silver fut l’un des personnages principaux du célèbre roman de Stevenson "L’Ile au trésor".
Long John est contacté par Lady Vivian Hastings pour partir à la recherche de l’or de Guyanacapac que le mari de celle-ci semble avoir découvert.
La critique de Mr K : Retour sur une belle lecture surprise avec ma chronique des quatre volumes de Long John Silver de Xavier Dorison et Mathieu Lauffray, ouvrages empruntés aussi au CDI de mon lycée avant la fermeture estivale. Cette expérience était un vrai coup de poker car je suis un grand fan de L’Ile au trésor de Robert Louis Stevenson, un ouvrage qui m’a marqué lors de mes débuts en lecture. Quand on sait que les deux auteurs souhaitaient ici refaire vivre Long John Silver, il y a de quoi prendre peur au départ, on touche tout de même au sacré en matière de littérature... Et bien, j’ai bien fait de mettre de côté mes appréhensions, la lecture fut fantastique, rapide, addictive et source de plaisir immense. Voici pourquoi...
Les faits se déroulent donc bien après les événements relatés dans le livre de Stevenson. Lady Vivian Hastings est un femme libre, de tempérament volage. Son mari (qu’elle n’aime pas) est parti en expédition en Amérique du Sud pour trouver la mystérieuse cité de Guyanacapac, ersatz de l’Eldorado qui comblerait de richesses ses découvreurs. Sans nouvelles de son époux, la jeune femme s’amuse, mutine et libertine qu’elle est. Elle est même au bord du remariage car son mari est considéré comme mort et elle a trouvé un nouveau très beau parti. Malheureusement pour elle, un messager de mauvaise augure ayant traversé l’océan atlantique lui annonce que le décédé est bien vivant et qu’il a trouvé la fabuleuse cité.
C’est ballot avouez-le ! En passant par son médecin personnel (ex membres de l’expédition de L’Ile au trésor, tiens tiens...), elle est mise en contact avec Long John Silver un aventurier sans scrupules à la réputation de "crapule douée" bien établie. Après un premier contact plutôt rugueux, les deux finissent par s’entendre et établissent un contrat. Le temps de préparer l’expédition, de recruter les hommes adéquats, les voila partis sur l’océan à la recherche du disparu et des richesses qu’il aurait découvert. Entre récit de mer, trahisons, confidences et découvertes extraordinaires, l’aventure n’est pas de tout repos pour le plus grand plaisir du lecteur.
Pour le coup, l’esprit de l’œuvre originelle est respecté. D’ailleurs, pour vous rassurer même les auteurs le disent, ils n’ont pas vraiment voulu faire une suite mais plutôt essayer de retrouver le souffle et l’ambiance de ce classique parmi les classiques. C’est totalement réussi, quel bonheur de retrouver Long John Silver et sa gouaille légendaire ! Son côté retors aussi, on est loin du personnage caricatural que l’on pourrait craindre en le mettant au premier plan. Il navigue constamment à vue et il est difficile de se faire une opinion tranchée sur lui, perso j’ai adoré. Les autres protagonistes ne sont pas en reste avec une galerie de personnages tous plus réussis les uns que les autres et une trame principale classique mais efficace. Le quatrième tome vire à la lisière du fantastique et élève encore plus le niveau scénaristique, la conclusion est sans appel et franchement assez jouissive dans son genre.
L’époque est très bien retranscrite. Entre la vieille Angleterre et le voyage au long cours décrit, on est gâté. Tout un volume est consacré d’ailleurs à la traversée épique de l’océan et je peux vous dire qu’on tangue ! Au passage, les auteurs reviennent très précisément et avec une grande justesse sur la vie à bord. Moi le passionné des Grandes Découvertes et des épopées marines, je suis sorti de cette lecture comblé. De la vie quotidienne des hommes d'équipage aux actes de piraterie, en passant par des obstacles à priori insurmontables, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Franchement, on ne voit pas les pages se tourner et on en redemanderait presque !
Il faut dire que le voyage est de toute beauté, on en prend plein les mirettes avec un sens de la narration hors pair, un dessin époustouflant et un bon découpage rythmé des cases. C’est typiquement une BD récréative qui donne ses notes de noblesse au genre. À lire absolument pour tous les amateurs, franchement ça vaut le détour !