"La Ville de vapeur" de Carlos Ruiz Zafon
L’histoire : Un architecte qui fuit Constantinople avec les plans d'une bibliothèque inexpugnable, un étrange cavalier qui arrive à convaincre un tout jeune écrivain (accessoirement nommé Miguel de Cervantes) d'écrire un roman inégalable... On retrouve dans ce recueil une atmosphère et des thématiques familières aux lecteurs de Zafón : des écrivains maudits, des bâtisseurs visionnaires, des identités usurpées, une Barcelone gothique et certains des personnages phares de la tétralogie du Cimetière des livres oubliés, tels Semperé, Andreas Corelli ou David Martin.
La critique de Mr K : Chronique d’un très beau cadeau d’anniversaire aujourd’hui avec un des derniers Carlos Ruiz Zafon qu’il me restait à découvrir, La Ville de vapeur, un recueil de nouvelles écrites au fil du temps et publiées l’année de sa mort prématurée. Ce fut une fois de plus un merveilleux voyage en compagnie de ce conteur hors pair qui se révèle très doué pour aborder ce genre exigeant et nous livre au passage quelques petites révélations sur des personnages clefs de sa tétralogie du Cimetière des livres oubliés.
11 nouvelles composent ce recueil allant de deux pages à plus de soixante, le format de chaque texte évolue donc beaucoup pour à chaque fois un vrai moment de bonheur de lecture. On voyage à travers le temps et l’espace même si bien sûr avec cet auteur, on navigue toujours autour de Barcelone baignant dans une atmosphère gothique et que l’on croise des personnages à fort charisme.
Tour à tour, un très jeune écrivain tombe sous le charme d’une jeune fille très riche tout les sépare sauf leurs sentiments, en pleine hiver une jeune fille enceinte trouve refuge dans une maison aristocratique pas des plus accueillantes, un photographe loue sa fille pour célébrer et faire renaître un enfant mort, on suit le destin tumultueux du créateur du labyrinthe des livres oubliés ou encore celui de Cervantès dans une version quelque peu remaniée – sic -, un richissime avocat défie à chaque Noël quiconque de le battre aux échecs en échange d’un pacte faustien, un jeune garçon passe une nuit peu commune auprès d’une jeune fille énigmatique, on suit un assassin en mission, un jeune homme loue une chambre sous les toits et fait la connaissance de la fille du proprio qui n’est pas forcément ce que l’on croit, on accompagne Gaudi à New York et on assiste même à l’apocalypse en deux minutes et deux pages !
Porté par l’imagination folle qu’on lui connaît, Zafon nous offre un sacré mélange des genres avec ces textes mêlant écrit picaresque, légende, histoire, récit d’apprentissage, thriller à l’occasion, fantastique, romance impossible... On plonge avec délice dans ces textes où nombre de rêves éveillés font écho à l’âme sombre des hommes, où la vengeance n’est pas un vain mot, mais où on s’aime aussi, où l’on partage le goût des livres, des histoires qui enrichissent et réchauffent les âmes.
C’est beau, très finement écrit, très profond malgré la brièveté parfois extrême de certains textes. Ce fut une lecture poétique et envoûtante bien souvent, une lecture qui nous touche en plein cœur et provoque l’évasion immédiate. Quel beau moment encore passé en compagnie du virtuose espagnol !
Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- L'Ombre du vent
- Le Jeu de l'ange
- Marina
- Le Prisonnier du ciel
- Le Prince de la brume
- Le Palais de minuit
- Les Lumières de septembre
"Les Lumières de septembre" de Carlos Ruiz Zafon
L’histoire : 1937, Normandie. Simone Sauvelle, embauchée par un riche et excentrique créateur de jouets, rejoint la côte normande avec ses enfants Irène et Dorian.
Toute la famille tombe sous le charme de la majestueuse demeure dans laquelle les accueille l’inventeur de génie : Cravenmoore. Mais à la nuit tombée, les automates qui peuplent la maison et le bois alentour semblent plus vivants que jamais. Et qu’en est-il des lumières au large qui se rallument à chaque fin d’été ? On dit que les âmes noyées cherchent toujours à regagner la rive... Irène, accompagnée du jeune marin qu’elle vient de rencontrer, va découvrir ce que la solitude fait aux hommes.
La critique de Mr K : Toutes les bonnes choses ont malheureusement une fin, avec Les Lumières de septembre, Carlos Ruiz Zafon termine avec panache sa trilogie de la brume, œuvre de jeunesse au charme envoûtant. Ce dernier volume a été dévoré comme les précédents avec un plaisir de tous les instants, une addiction terrible et au moment de refermer le volume un sentiment de joie et de satisfaction à nul autre pareil.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Simone Sauvelle, une veuve ruinée change de vie et part s’installer en Normandie avec ses enfants. Elle a décroché une place chez un créateur de jouets au génie incroyable, à elle de gérer les affaires courantes d’un homme lui aussi esseulé, sa femme souffrant d’une mystérieuse maladie qui la cloître au lit depuis des décennies. Le premier contact est prometteur, l’entente est immédiate et beaucoup de points communs les relient. Les enfants de Simone quant à eux vont apprendre à découvrir les lieux et les environs avec son lot d’endroits atypiques et de légendes tenaces. Très vite l’enchantement va céder à la place au questionnement puis à l’effroi. Une ombre mystérieuse plane, des événements curieux se produisent et la mort finit par frapper. Tout finit par s’accélérer et mène à la résolution d’une malédiction mêlant chagrin et ressentiment.
C’est incroyable comme cet auteur était doué pour planter un décor, une histoire, des personnages charismatique. Ainsi on se prend immédiatement d’affection pour Simone et ses enfants que la vie n’a pas gâtés. La mort subite du mari les laisse sur la paille, à la merci de la pauvreté. La déchéance sociale est terrible, remarquablement décrite en une économie de mots efficace et très évocatrice. Le contraste est donc fort avec les premiers jours à Cravenmoore, un immense domaine s’apparentant à une demeure gothique, peuplée d’automates aussi étranges que fascinants. Je dois avouer qu’il ne m’aurait pas déplu d’y aller moi-même dans la vraie vie, aimant ce style de demeures marquées par le sceau du passé et des légendes (même si je me serai sauvé bien avant que se déchaînent les événements de fin de récit -sic-). Les descriptions sont de toute beauté, aériennes, jamais pesantes et ne ralentissent pas le récit. Bien au contraire, que ce soit le domaine, la forêt, le phare ou une grotte qui aura son importance plus tard, ces lieux sont quasiment des personnages à part entière avec leur apparence et leurs secrets.
Les personnages après un début de récit d’exposition naviguent à vue. La mère se rapproche peu à peu du maître des lieux et s’interroge sur les liens qui les unissent. L’évolution est décrite avec une grande sensibilité, ces deux âmes ont souffert, souffrent encore mais l’évidence ne va pas forcément de soi et des obstacles invisibles / psychiques font que cette relation s’avère bien plus complexe qu’elle n’y paraît de prime abord. Dorian, est émerveillé quant à lui face aux créations de l’inventeur, quasiment hypnotisé par ses êtres mécaniques qui semblent pourtant mus d’une vie propre. Il ne tardera pas à devoir faire face à ses plus grandes peurs. Irène vit sa vie de jeune fille, tombant amoureuse du jeune marin ombrageux Ismaël. Elle s’est révélée au final être mon personnage préféré avec Simone. Irène est l’aînée de la tribu, elle a des responsabilités qui jusque là semblaient l’étouffer quelque peu. Ismaël c’est un monde qui s’ouvre, un moment de respiration avec la découverte de la navigation, des légendes locales et du désir. Les pages la mettant en scène sont parmi les plus belles, les plus touchantes.
Le récit gagne peu à peu en intensité, le suspens monte crescendo et l’addiction vous l’avez compris est totale. On oscille constamment pendant cette lecture entre fascination et inquiétude, les émotions nous submergent et les rouages de l’histoire sont implacables. Zafon par sa langue merveilleuse, ses talents de conteur et sa sensibilité offre ici une conclusion magistrale à sa trilogie de la brume. Je ne remercierai jamais assez ma chère Nelfe pour ce cadeau d’anniversaire enchanteur. À découvrir absolument si ce n’est déjà fait.
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- Le Palais de minuit
"Le Palais de minuit" de Carlos Ruiz Zafon
L’histoire : Calcutta, 1932.
Ben et sa soeur jumelle Sheere, séparés depuis leur naissance seize ans plus tôt, se retrouvent enfin. Mais à peine réunis, les voilà traqués par un mystérieux assassin. Aidé par la Chowbar Society, un club secret créé avec six copains de l'orphelinat, Ben devra faire face à Jawahal, un démon maléfique, une âme damnée qui doit tuer l'un de ses enfants pour trouver le salut... Commence alors une course-poursuite, entre palais abandonnés et trains fantômes.
L'odyssée indienne de deux enfants qui vont tout faire pour échapper au spectre de la terreur et mettre un terme à la malédiction...
La critique de Mr K : Aujourd’hui, chronique du deuxième tome de la Trilogie du Cycle de la brume de Carlos Ruiz Zafon, triptyque jeunesse de l’auteur que Nelfe m’a offert pour mon anniversaire. Le Prince de la brume m’avait beaucoup séduit et je dois avouer que Le Palais de minuit m’a enchanté lui-aussi, peut-être même un peu plus que le précédent. Aventure, mystère, magie et focus sensible sur l’enfance et l’isolement sont au rendez-vous d’un court roman qui se lit tout seul et provoque une addiction immédiate.
Tout débute sur un fleuve au milieu de la brume, un homme pourchassé cherche à cacher ses deux jumeaux qui viennent de naître et dont la mère est morte. Avant d’être rattrapé par les assassins lâchés à ses trousses, il confie les bambins à sa belle-mère qui devra se séparer de Ben (le garçon) qui va se retrouver placé dans un orphelinat tandis que sa sœur Sheere restera avec sa grand-mère car la menace est bel et bien là. Elle ne lâchera jamais ces deux enfants. À peine nés, déjà séparés, vous parlez d’un destin...
16 ans plus tard, Ben et ses six compagnons qui ont formé un club très sélect (la Chowbar Society) constituant la famille des sept orphelins vont être confrontés au passé de Ben. Les événements se précipitent la veille du départ de chacun de l’orphelinat (à 16 ans révolus, les enfants sont relâchés dans le monde et doivent apprendre à vivre seuls), les jumeaux se retrouvent, un homme mystérieux vient réclamer son dû auprès du directeur qui paie cash sa discrétion, les esprits se déchaînent, une malédiction semble à l’œuvre et les révélations vont pleuvoir mettant à mal les enfants mais aussi le lecteur qui ne sait plus vraiment à quel saint se vouer tant la trame se révèle bien plus complexe qu’elle n’y paraît de prime abord.
Comme dit un peu plus haut, ce roman se lit tout seul. La langue de Zafon fait une fois de plus merveille. Délicate, ciselée et très poétique par moments, elle excelle à nous faire découvrir les affres de l’enfance abîmée. Volontiers sombre et mélancolique dans le ton, l’ouvrage met en lumière la solitude et la peine qui habitent des orphelins privés de leurs géniteurs et qui ensemble vont se révéler plus forts, plus résistants face au destin. Chacun a ses qualités et ses défauts, les interactions sont souvent décalées, drôles mais aussi parfois plus intimes et tristes. L’univers de l’enfance est donc très bien rendu, se mêlant très bien avec le contenu fantastique qui rajoute une dimension supplémentaire à l’ouvrage.
Il s’en passe des vertes et des pas mûres par la suite. Il va falloir que les jeunes explorent le passé de la ville, des parents de Ben et Sheere et explorer les ruines de la gare de Jheeter, lieu d’un drame ancien qui pourrait expliquer la présence de cette ombre maléfique que rien ne semble pourvoir arrêter. On se plaît donc à enquêter avec ces jeunes gens qui n’ont pas froid aux yeux et qui se révèlent débrouillards et fidèles à leur serment d’amitié. Longue sera leur quête et le dénouement n’épargnera personne, Zafon n’est pas réputé pour faire dans le consensuel et le happy-end . Comme dans l’opus précédent, on ressort heureux avec un arrière goût amer en bouche de cette lecture.
Un roman à découvrir donc, à lire, à déguster comme un conte noir redoutable et distrayant à la fois. Un bonheur de lecture en plus au tableau de Zafon. Quel regret qu’il nous ait quitté si tôt !
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- Marina
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- Le Prince de la brume
"Le Prince de la brume" de Carlos Ruiz Zafon
L’histoire : 1943, Angleterre. Pour fuir la guerre, la famille Carver s'installe dans un village perdu sur la côte. Mais, à peine franchie la porte de la maison, des événements étranges se produisent...
Avec leur nouvel ami Roland, Alicia et Max Carver vont peu à peu percer les secrets de la vieille demeure et apprendre l'existence d'un certain Caïn, surnommé le Prince de la Brume. Un personnage diabolique revenu s'acquitter d'une dette très ancienne...
Voilà les trois enfants lancés à la découverte d'épaves mystérieuses, de statuettes enchantées, de gamins ensorcelés... Une aventure extraordinaire qui changera leur vie à jamais.
La critique de Mr K : Chronique d’un beau cadeau d’anniversaire offert par ma douce aujourd’hui avec le premier tome de la trilogie jeunesse écrite par Carlos Ruiz Zafon, un de mes auteurs favoris. Le Prince de la brume est un beau conte noir qui oscille entre policier, fantastique et récit initiatique. Il ne m’a fallu guère plus qu’une journée pour le dévorer et l’apprécier.
L’action se déroule durant la seconde Guerre mondiale. La famille Carver, sous l’impulsion du père, déménage de la ville pour s’installer dans une cité de bord de mer pour échapper au conflit, les villes étant des cibles privilégiées. Du jour au lendemain, les voila partis. Ils emménagent dans une vieille maison donnant sur la mer, le père a déjà des pistes pour poursuivre son activité d’horloger. Les enfants découvrent les lieux. Très vite, un mystère semble planer sur cette maison dont l’Histoire a été marquée par un drame : la mort tragique par noyade du fils unique de la famille qui habitait précédemment là.
Max découvre ainsi à proximité un étrange jardin funéraire peuplé de statues de pierres qui changent de position au fil du temps qui passe. Un chat énigmatique s’attache dès leur arrivée à sa jeune sœur Alicia et Irina (l’aînée) traverse ce qui ressemble à une crise d’adolescence larvée. Ils font vite la connaissance de Roland, le petit-fils du gardien de phare de la localité qui cache un lourd secret qui serait lié à l’épave reposant dans la baie et qu’ils vont explorer lors de plongées dans les premiers après-midi qui suivent leur installation. Les choses vont s’accélérer suite à un accident plongeant Alicia dans le coma. Les parents restent à son chevet et les événements vont se précipiter.
Ce roman jeunesse s’attarde beaucoup sur les enfants et leur ressenti. On suit plus particulièrement Max, plutôt effacé et rêveur, il aime lire et observer. On s’attache très vite à lui et à sa petite famille. Il y a de la bienveillance et de la douceur dans ce foyer qui ne sera par épargné par les épreuves. Tous vont être confrontés à quelque chose qui les dépasse, quelque chose de terrifiant lié à une malédiction que le temps n’a pas fait disparaître. La tension monte vite, les esprits s’échauffent parfois, doivent se confronter à l’inconnu. Les liens vont se raffermir et l’enquête nécessaire va prendre de l’ampleur. Les révélations vont bientôt pleuvoir et mettre en lumière un pacte délétère dont les conséquences se font encore sentir.
La finesse psychologique donne lieu à une métaphore filée sur l’enfance, l’adolescence, la parentalité. La famille est au cœur d’un récit qui nous procure des émotions fortes, on est bien souvent touché en plein cœur et le roman remue bien les tripes. Zafon connaît son métier et une fois de plus distille une ambiance bien particulière, diffuse entre poésie et ambiance gothique qui marque le lecteur en profondeur. Les descriptions de la brume, des tempêtes successives qui s’abattent sur le village créent un climat idéal pour l’apparition du fantastique.
Cet aspect est très bien emmené d’ailleurs, plutôt diffus au départ, il explose à partir de la deuxième partie de l’histoire qui prend une toute autre dimension. Une fois le danger identifié, il se déchaîne et ne laissera personne indemne. Remarquablement écrit comme d’habitude avec cet auteur, l’histoire regorge de références, de zones d’ombres et favorise l’imagination du lecteur prisonnier de ces pages. On ressort heureux et comblé avec l’envie irrépressible de lire les deux tomes suivants dont je vous parlerai un peu plus tard... car Nelfe a bien fait les choses et les deux autres volumes faisaient aussi partie du cadeau !
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- L'Ombre du vent
- Le Jeu de l'ange
- Marina
- Le Prisonnier du ciel
"Le prisonnier du ciel" de Carlos Ruiz Zafon
L'histoire: Des secrets de sinistre mémoire viennent hanter Daniel Sempere et son ami Fermín, les héros de L'Ombre du vent.
Barcelone, Noël 1957. À la librairie Sempere, un inquiétant personnage achète un exemplaire du Comte de Monte Cristo. Puis il l'offre à Fermín, accompagné d'une menaçante dédicace. La vie de Fermín vole alors en éclats. Qui est cet inconnu ? De quels abîmes du passé surgit-il ? Interrogé par Daniel, Fermín révèle ce qu'il a toujours caché.
La terrible prison de Montjuïc en 1939. Une poignée d'hommes condamnés à mourir lentement dans cette antichambre de l'enfer. Parmi eux Fermín et David Martín, l'auteur de La Ville des maudits. Une évasion prodigieuse et un objet volé...
Dix-huit ans plus tard, quelqu'un crie vengeance. Des mensonges enfouis refont surface, des ombres oubliées se mettent en mouvement, la peur et la haine rôdent.
La critique de Mr K: Ce livre était le cadeau de Noël 2012 de mes parents qui m'avait convertis à cet auteur ibère avec Le Jeu de l'ange. J'avais embrayé directement avec L'Ombre du vent et j'étais tombé sous le charme de Marina quelques temps après (son meilleur ouvrage à mes yeux). Ironie du sort, sachant mes géniteurs fort amateurs de Zafon, je leur ai offert le même livre pour Noël aussi, comme quoi les grands esprits se rencontrent et que les chiens ne font pas des chats. Je pars toujours avec un à priori positif quand je débute un livre de cet auteur. J'ai tellement été charmé par son écriture et par le background de ses histoires que c'est avec un grand sourire aux lèvres que je débutai ma lecture...
Quel plaisir de replonger dans la Barcelone intemporelle chère à cet auteur catalan. Dans Le prisonnier du ciel, deux époques se chevauchent au fil du récit. Il y a d'abord la Barcelone des années 50/60 où l'on suit Daniel Sempere et son ami haut en couleur Fermin. On re-rentre dans la librairie Sempere père et fils et très vite on sait qu'une menace nouvelle plane sur Fermin qui dans ce volume est clairement le personnage principal. On le retrouve d'ailleurs régulièrement dans certains chapitres, dans sa jeunesse quand il a été embastillé dans la forteresse franquiste surplombant la ville de Barcelone. Il va y faire la rencontre clef de sa vie, s'en échapper par un moyen peu orthodoxe et son existence sera à jamais changée. Ce constant va et vient entre deux époques densifie l'histoire et lève le voile sur certains pans des histoires narrées dans les précédents volumes consacrés au cimetière des livres oubliés. À ce propos, ne vous attendez pas à des révélations fracassantes sur ce dernier, l'auteur ne l'évoquant qu'à la toute fin du roman et il faut bien avouer que cela arrive comme un cheveu sur la soupe.
On retrouve dans Le prisonnier du ciel tout le talent de l'auteur pour planter le décor et décrire une époque. Des passages sont vraiment effrayants notamment dans la description des geôles fascistes et les pratiques des tortionnaires et autres bras armés de Franco. Au détour d'une page, Zafon ressuscite même l'abominable inspecteur Fumero pour une séance de torture atroce dont il a le secret (le flasback est décidément une technique bien pratique pour se faire se relever les morts). Zafon peint sans concession cette nouvelle Espagne qui se rêvait supérieure à ses voisin mais qui ne s'est révélée qu'un régime autoritaire et injuste dont les plaies ne sont pas encore pansées et dont le souvenir reste vif outre Pyrénées. Les personnages sont toujours aussi riches en terme de psychologie et ce volume complète par petites touches tous les aspects déjà entraperçus même si tout n'est pas révélé loin de là... Vous l'avez compris, Zafon n'en a pas terminé avec les Sempere!
Malgré toutes ces indéniables qualités, je suis resté sur ma fin. Tout d'abord quand on repense à l'histoire en son entier, il n'y a finalement pas grand chose à se mettre sous la dent dans Le prisonnier du ciel. Il y a certes de belles fulgurances mais il se dégage une impression générale de creux. De plus, la toute fin du récit lance une piste pour une possible suite que je trouve téléphonée et prévisible (pour ne pas dire artificielle). Mais bon... je suis près à tout pardonner à Zafon pour avoir le plaisir de le relire et il m'a fallu très très peu de temps pour terminer Le prisonnier du ciel, preuve s'il en est de la réussite de cet ouvrage et de ses qualités. L'intérêt ne se dément jamais et il est très difficile de relâcher le livre avant la fin. En attendant la suite à venir, je vais devoir m'atteler à lire ses œuvres de jeunesse qui sont sorties en poche depuis peu. Gageons que j'y retrouve tout le plaisir que j'éprouve en lisant l'œuvre de cet auteur ô combien talentueux!
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- L'Ombre du vent
- Le Jeu de l'ange
- Marina
"Marina" de Carlos Ruiz Zafon
L'histoire: Dans la Barcelone des années 1980, Oscar, quinze ans, a l'habitude de fuir le pensionnat où il est interne. Au cours de l'une de ses escapades, il fait la connaissance de Marina. Fascinée par l'énigme d'une tombe anonyme, Marina entraîne son jeune compagnon dans un cimetière oublié de tous. Qui est la femme venant s'y recueillir? Et que signifie le papillon noir qui surplombe la pierre tombale? S'égarant dans les entrailles d'une terrifiante cité souterraine, s'enfonçant dans les coulisses d'un inquiétant théâtre désaffecté, Oscar et Marina réveillent les protagonistes d'une tragédie vieille de plusieurs décennies.
La critique de Mr K: Une lecture inoubliable, dernière traduction en date en France de Carlos Ruiz Zafon, un auteur que j'affectionne tout particulièrement depuis mes lectures de L'ombre du vent et Le jeu de l'ange. Marina est une œuvre "de jeunesse", le deuxième roman d'un auteur au succès grandissant chez nous et incontournable dans la péninsule ibérique. Dès la lecture du quatrième de couverture, on pressent que l'on va lire un livre au charme particulier vu les mots employés par l'auteur pour le décrire: Au fur et à mesure que j'avançais dans l'écriture, tout dans cette histoire prenait peu à peu le goût des adieux, et quand je l'eus terminée, j'eus l'impression que quelque chose était resté au fond de moi, quelque chose qu'aujourd'hui encore je ne peux définir mais qui me manque chaque jour.
Dès les premiers chapitres, on est en terrain connu pour qui pratique et apprécie cet écrivain: Barcelone, ville-personnage à part entière aux mystères insondables et à l'ambiance si attachante; une histoire d'amour romantique à souhait sans pathos et touchante au plus haut point; un secret éventé qui va bouleverser la vie des héros et des autres protagonistes rencontrés; des personnages attirants et séduisants à la psychologie fouillée.. et surtout une langue qui fait mouche et dépeint à merveille un univers «burtonien» à souhait, entre mélancolie et espoir.
Poésie, noirceur, mystère, suspens auxquels s'ajoute dans Marina une première incursion dans le fantastique pour Carlos Ruiz Zafon (du moins dans sa bibliographie éditée en français). Autant vous le dire de suite, c'est une franche réussite tant les éléments irréels se mêlent à merveille dans l'intrigue et le style de l'auteur. Ces points m'ont fait repenser à La mécanique du cœur que j'ai lu et apprécié en son temps. Au détour d'une histoire qui se renouvelle sans cesse, vous serez confrontés à une créature de cauchemar et prendrez connaissance de recherches secrètes et taboues sur le secret de la vie et de la mort. C'est un véritable voyage que le lecteur entreprend en choisissant de suivre les pas d'Oscar et Marina. Un périple éprouvant pavé d'espoir et de déceptions que j'ai ressenti littéralement au plus profond de moi, me laissant pantelant lorsque la dernière page fut tournée.
Marina est à mes yeux une lecture essentielle. Mon livre préféré de Zafon à ce jour, auteur à l'écriture atypique et conteur hors pair qui marque ses lecteurs bien après sa lecture. Une petite merveille que je ne saurais trop vous conseiller!
"L'ombre du vent" Carlos Ruiz Zafon
L'histoire:
Dans la Barcelone de l'après-guerre, par un matin brumeux de 1945, un homme emmène son petit garçon -Daniel Sempere, le narrateur- dans un lieu mystérieux du quartier gothique: le Cimetière des Livres Oubliés. L'enfant est ainsi convié par son père à un étrange rituel qui se transmet de génération en génération: il doit y "adopter" un volume parmi des centaines de milliers. Là, il rencontre le livre qui va changer le cours de sa vie et l'entraîner dans un labyrinthe d'aventures et de secrets "enterrés dans l'âme de la ville": L'Ombre du vent
La critique de Mr K:
Il y a quelques semaines, j'étais tombé sous le charme de cet auteur espagnol avec son second livre: Le jeu de l'ange. Il m'avait été offert par mes padres qui avait adoré la première oeuvre de Zafon que je chronique ici. Résultat: une deuxième claque dans la tronche!
On retrouve dans ce volume, l'amour de Zafon pour ses personnages qu'il cisèle à merveille. Une fois de plus, ce n'est pas le héros qui m'a le plus marqué. J'ai adoré le personnage de Fermin: compagnon à la fois sage et haut en couleur de Daniel, opposant au Franquisme, amateur de bonnes et belles choses. J'ai retrouvé des figures féminines tragiques (un peu à la Racine), Béatriz et surtout Pénélope. Autre personnage que j'ai particulièrement apprécié, celui de Fumero, flic fasciste implacable à la fêlure intime qui m'a fait irrésistiblement penser au personnage qu'incarne Tchéky Karyo dans le film "Doberman" de Jan Kounen. C'est le genre de personnage qui dans un livre, dès qu'il fait son apparition, fait froid dans le dos, inquiète et disons le franchement fait flipper le lecteur. Comme quoi, la lecture a encore de beaux jours devant elle quand on voit les similis méchants que nous livrent parfois certaines hypers productions hollywoodiennes dépassant le milliard de dollars de recette. Fumero m'a marqué et je ne suis pas près de l'oublier.
Autre point fort du livre, l'évocation de la Guerre d'Espagne puis de la société mise en place par Franco. Là encore, rien de frontal, mais des évocations au détour de descriptions de la vie quotidienne ou de réactions de certains personnages. Barcelone, son ambiance, ses drames et ses misères sont merveilleusement retranscrits. On est immergé et c'est très dur de lâcher ce livre. Certains l'ont préféré au "Jeu de l'ange", sans doute parce que l'effet de surprise n'y était plus. Je le dis tout de go, Carlos peut en pondre encore une dizaine de cet acabi, je serai toujours preneur! J'ai rarement été confronté à un auteur aussi talentueux pour distiller avec autant de finesse les joies et les malheurs de ses personnages. On s'y attache, on vit l'action avec eux, on rit parfois, on a mal au ventre plus souvent... Pour ma part, j'ai toujours eu une petite préférence pour les histoires mélancoliques, digne reflet de la condition et de la nature humaine.
Un grand livre, un grand auteur. Que dire de plus...
"Le jeu de l'ange" Carlos Ruiz Zafon
L'histoire:
Dans la turbulente Barcelone des années 20, David, un jeune écrivain hanté par un amour impossible, reçoit l'offre inespérée d'un mystérieux éditeur: écrire un livre comme il n'en a jamais existé, "une histoire pour laquelle les hommes seraient capables de vivre et d mourir, de tuer et d'être tués", en échange d'une fortune et, peut-être, de beaucoup plus.
Mais du jour où il accepte ce contrat, une étrange mécanique de destruction se met en place autour de lui, menaçant les êtres qu'il aime le plus au monde. En monnayant son talent d'écrivain, David aurait-il vendu son âme au diable?
Pour reprendre sa liberté et sauver la femme qu'il aime, David puise ses forces dans la Barcelone envoûtante du Cimetière des livres oubliés, où se côtoient des êtres abandonnés de l'humanité mais aussi des personnages attachants, uniques, puissants ...
La critique de Mr K:
Quel livre! Un vrai petit bijou quitte à me répéter (mes deux dernières lectures étaient déjà pas mal!). Lu en deux jours, je n'ai pu en détacher les yeux tant j'ai été littéralement absorbé par l'histoire et l'écriture d'un auteur que je ne connaissais pas du tout. Je remercie encore mes parents pour ce cadeau de Noël qui flirte avec le fantastique, le romantisme et l'Histoire.
Raconté à la première personne, cet opus nous narre l'histoire de David depuis son enfance difficile jusqu'à une rencontre fatidique qui va sceller son destin. S'ensuit une course poursuite contre le temps, lutte impossible qui se termine au dernier chapitre par un retournement de situation tout bonnement bluffant de tristesse et d'espoir. C'est une histoire d'amour avant tout: l'amour d'un homme pour une femme, d'un homme pour les livres, d'un homme pour une "femme-livre"? L'auteur au gré son écriture sans faille, imagée à souhait et poétique (plus quelques touches d'humour) nous manipule pour mieux nous surprendre dans une atmosphère sombre (Barcelone et ses quartiers chauds, l'époque de la dictature militaire de Miguel Primo de Rivera, Cristina et ses deux facettes) mais néanmoins parfois solaire (Isabella personnage d'une pureté à faire pleurer, le vieux libraire Semperé). De chapitre en chapitre, le lecteur est donc malmené pour son plus grand plaisir.
Les personnages sont légion et ciselés d'une main d'orfèvre. Figures tragiques (le héros, Cristina, Pedro), solaires (Isabella, Semperé) mais aussi enigmatiques (l'éditeur); tous sont d'un réalisme poussé à son paroxysme et donne du crédit à cette histoire de malédiction qui n'est pas sans rappeler le film de Polanski (La 9ème porte). Les lieux ne sont pas en reste: c'est Barcelone qui prend vie devant nos yeux et la maison que le héros acquiert est lugubre et mystérieuse à souhait sans pour autant tomber dans le pathos lourdaud habituel au genre. Au fur et mesure du déroulement, une angoisse étreint le coeur du pauvre lecteur qui se sent s'enfoncer en compagnie du héros, sans pouvoir lui venir en aide et inquiet de son devenir.
Je suis sorti de cette lecture bouche bée et complètement abasourdi par tant de talent et dire que ce n'est que son deuxième ouvrage... J'ai déjà mis Nelfe sur la brêche pour qu'elle passe me prendre "L'ombre du vent" dans la librairie la plus proche. Quant au "Jeu de l'ange" c'est du bonheur de lecteur sur 540 pages, du plaisir, du tragique, du rire parfois. À lire!