"L'Abyssin" de Jean-Christophe Rufin
L'histoire : Louis XIV n'a jamais rencontré le Négus, le mythique roi d'Éthiopie mais il y eut bien entre les deux souverains des contacts diplomatiques. Un ambassadeur fut envoyé par le Négus à la cour du Roi Soleil. C'est en se fondant sur ce fait historique que Jean-Christophe Rufin bâtit son premier roman, l'aventure extraordinaire de Jean-Baptiste Poncet, traversant les déserts d'Égypte et les montagnes d'Abyssinie avant de se retrouver à Versailles, un peu dépaysé mais sans rien perdre de son inépuisable ingéniosité. L'enjeu est de taille puisque l'Éthiopie est l'objet de la convoitise des jésuites, des capucins et de pas mal d'autres qui, sous prétexte de servir Dieu, mettraient volontiers le pays sous leur coupe. Ayant compris le résultat désastreux que sa mission pourrait entraîner, Poncet décide de tout faire pour sauvegarder la liberté et les mystères de l'Éthiopie.
La critique de Mr K : Retour sur une lecture monumentale aujourd'hui avec le roman le plus connu et apprécié de son auteur : L'Abyssin de Jean-Christophe Rufin. Cet auteur ne m'a jamais déçu, m'a toujours enthousiasmé au plus haut point et ce n'est pas ce volume qui va me faire changer d'avis. Aventure, roman et Histoire sont au RDV d'un livre diablement prenant et d'une perfection formelle rare. Suivez le guide !
Nous voila replongé en pleine époque moderne sous le règne de Louis XIV, le plus puissant monarque de son époque. L'action débute au Caire où le jeune apothicaire Jean-Baptiste Poncet se voit confier suite à un concours de circonstances par le consul de France une mission de la plus haute importance : joindre la lointaine Abyssinie, y prendre contact avec l'empereur éthiopien et ensuite rentrer rendre compte de son entreprise. Ce livre nous conte ce voyage hors du commun mais aussi les luttes intestines qui se jouent à la cours et dans les colonies françaises entre laïcs, clercs et congrégations. C'est aussi un roman d'amour et d'amitié à nul autre pareil avec l'idylle naissante de Jean-Baptiste avec la douce Alix et le lien indéfectible qui l'unit à son protestant d'associé Maître Juremi, colosse au cœur d'or ayant fui les persécutions en France contre les huguenots.
Je vous préviens, l'addiction est quasi immédiate. On s'accroche d'emblée aux personnages qui possèdent tous un charisme incroyable qu'ils soient les principales forces vives du roman ou de simples personnages secondaires. Rufin les soigne avec tendresse, une grande finesse et un sens du récit qui ne se dément jamais. Il s'en passe des choses durant ces 580 pages qui apportent leur lot d'espoir, de désillusions, d'action et de beaux tableaux d'un monde pas si éloigné du nôtre géographiquement et pourtant dégageant une odeur de mystère impénétrable à l'époque. On se prend à croire que l'ingéniosité de Jean-Baptiste lui permettra de rester fidèle à ses serments envers le Négus et envers Alix. Roman, passion, goût pour l'aventure et la découverte, rébellion contre l'ordre établi se mêlent et vont emporter les héros aux lisières de la morale et des codes de l'époque. En cela, ce livre est un modèle d'humanisme prônant la quête du bonheur, la force de la pensée et de la liberté sur les fanatismes et tout ceci sans propos moralisants et simplistes. Un bonheur de lecture à chaque ligne vous dis-je !
Au delà d'un bon roman d'aventure doublé de romance, L'Abyssin est un remarquable instantané d'une époque. Rufin nous présente un tableau sans fard des années de règne du Roi Soleil avec une aisance et une profusion exceptionnelle. On rentre ainsi dans le quotidien des personnes de l'époque avec une facilité désarçonnante, l'existence des plus riches mais aussi des laissés pour compte, des ordres religieux qui servent le même Dieu mais selon des préceptes différents, la médecine et les pratiques médicales de l'époque, la vie d'un consulat français en Égypte sous la coupe des turcs, la vie simple et rude des bédouins du désert, le faste de Versailles, la cour exotique du Négus... Le lecteur est totalement dépaysé et plongé dans une réalité ancienne qui transparaît au détour des méandres de l'histoire : l'omnipotence des puissants, le patriarcat institutionnalisé et les femmes considérées comme quantités négligeables voir monnaie d'échange dans l'alliance de bons partis, les guerres de religion avec notamment un beau focus à travers le personnage de Maître Juremi sur la lutte entre catholiques et protestants qui reprend de plus belle après la révocation de l'Édit de Nantes... Autant de détails ou de paragraphes parfois plus longs mais jamais indigestes qui donnent un cachet et une densité impressionnante à l'ensemble.
Et puis... Il y a l'écriture de Rufin qui touche une fois de plus au sublime. Érudite mais pas pédante, malicieuse mais aussi touchante et grave par moment, on retrouve le sens du rythme cher à Alexandre Dumas et un talent de description qui provoque l'immersion immédiate et irrémédiable du lecteur. On ne s'ennuie donc jamais, porté par la belle langue employée, les multiples retournements de situation et l'impression durable d'avoir affaire à une histoire universelle qui donne à penser et à s'évader. Un excellent moment de lecture qu'il serait bien dommage de ne pas tenter. Croyez-moi, on en garde un souvenir éblouissant et enrichissant. Un must dans le genre !
Egalement lus et chroniqués au Capharnaüm éclairé du même auteur :
- Rouge Brésil
- La Salamandre
- Le parfum d'Adam
- Globalia
"Globalia" de Jean-Christophe Rufin
L'histoire: La démocratie dans Globalia est universelle et parfaite, tous les citoyens ont droit au "minimum prospérité" à vie, la liberté d'expression est totale, et la température idéale. Les Globaliens jouissent d'un éternel présent et d'une jeunesse éternelle. Évitez cependant d'en sortir car les non-zones pullulent de terroristes et de mafieux. Évitez aussi d'être, comme Baïkal, atteint d'une funeste "pathologie de la liberté", vous deviendriez vite l'ennemi public numéro un pour servir les objectifs d'une oligarchie vieillissante dont l'une des devises est : "Un bon ennemi est la clef d'une société équilibrée".
La critique de Mr K: Cela faisait un petit bout de temps que ce livre me faisait de l'oeil dans ma PAL avant notre déménagement. Le temps a passé, j'ai du me sevrer de lecture pendant un mois à cause des travaux importants que nous devions réaliser et je me suis dit qu'un Rufin serait parfait pour reprendre une des activités que je préfère. Grand bien m'en a pris tant cette incursion dans l'anticipation de cet auteur plutôt spécialiste des romans d'aventures est réussie, inquiétante et prenante.
Globalia nous transporte sur Terre dans un futur possible où la démocratie est absolue, tellement d'ailleurs que le lecteur se rend vite compte qu'elle s'apparente davantage à du fascisme car sous le vernis de la liberté totale d'expression des manipulateurs œuvrent. Au centre de cet univers carcéral-libéral émergent dès les premiers chapitres trois personnages clefs qui n'arrivent plus à vivre dans cette société. Baïkal jeune homme rebelle à qui on a refusé de poursuivre ses étude en Histoire (le passé est à bannir, seul le présent compte) tente à tout prix de rejoindre les non-zones, les espaces de la planètes non couvertes par les bulles protectrices de Globalia, espaces sauvages et inconnus qui fascinent notre héros autant que sa copine Kate qui ne rêve elle que de s'échapper pour rejoindre son bel amant. Ils ont à leurs trousses les autorités de Globalia qui vont tout faire pour se servir d'eux pour consolider leur cause. Là-dessus vient se rajouter le personnage de Puig, journaliste viré pour avoir découvert le pot-aux-roses dans une affaire d'attentat terroriste monté de toute pièce par les autorités. Ces trois là sont faits pour se rencontrer, ça tombe bien... c'est ce qu'il va se passer!
Pour un retour à la lecture, il s'est avéré payant et distrayant à souhait. La SF est un genre que j'affectionne tout particulièrement et je dois avouer que même si cet auteur ne m'a jamais déçu, j'appréhendais cette incursion dans un genre qu'il n'avait jamais approché auparavant. Dieu m'en garde, Rufin assure autant que dans le romanesque. Bien sûr, en filigrane, il y a cette histoire d'amour remarquablement maîtrisée par l'auteur et son goût pour la description pleine de vie de ces personnages et des lieux qu'ils parcourent. Ce qu'il y a ici de profondément nouveau est sa capacité à nous transporter vers un ailleurs futuriste à la fois réaliste (ce n'est pas antinomique) et propice à l'évasion. On y croit et on est plongé dans un ensemble parfaitement pensé et emboîté. Résultat des courses, les pages se tournent toutes seules et petit à petit notre vision de Globalia s'enrichit pour nous donner une vision d'ensemble riche et très préoccupante. Le background épouse la trame et donne un grand roman d'anticipation mais aussi d'amour et de solidarité.
J'ai aussi beaucoup apprécié le personnage de Ron Altman qui se révèle être un personnage complexe et creusé à l'extrême. Plus qu'un simple "méchant", il est le double maléfique de Baïkal, son doppelganger à la fois créatif et destructif. A la manière de la Shiva hindouiste, il crée un univers et même des personnes (voir le contrat qu'il propose au héros) mais peut, quelques temps après détruire ou se détourner de ses créations. La nuance est donc de mise du début à la fin tant au niveau des personnages que de la société globalienne dans sa description et son fonctionnement. Cela laisse amplement le temps au lecteur de douter, de s'interroger, de prendre position, de retourner sa veste, de re-retourner sa veste... Bref, on a face à soi un livre à la fois réflectif et purement récréatif.
Je vais me répéter mais il faut lire Jean Christophe Rufin, le gouter, le déguster et le digérer. Il n'a pas son pareil pour littéralement transporter dans son univers le lecteur, le déraciner mais aussi l'interroger sur le monde actuel. Une belle œuvre d'anticipation que je conseille vivement à tous.
Lus, appréciés et chroniqués du même auteur:
- Rouge Brésil
- La Salamandre
- Le parfum d'Adam
"Le parfum d'Adam" de Jean Christophe Rufin
L'histoire: Juliette est une jeune militante écologiste, fragile et idéaliste. Elle participe à une opération commando pour libérer des animaux de laboratoire. Cette action apparemment innocente va l'entraîner au cœur d'un complot sans précédent qui, au nom de la planète, prend ni plus ni moins pour cible l'espèce humaine.
L'agence de renseignements privée «Providence», aux États-Unis, est chargée de l'affaire. Elle recrute deux anciens agents, Paul et Kerry, qui ont quitté les services secrets pour reprendre des études, l'un de médecine, et l'autre de psychologie. Leur enquête va les plonger dans l'univers terrifiant de l'écologie radicale et de ceux qui la manipulent. Car la défense de l'environnement n'a pas partout le visage sympathique qu'on lui connaît chez nous. La recherche d'un Paradis perdu, la nostalgie d'un temps où l'homme était en harmonie avec la nature peuvent conduire au fanatisme le plus meurtrier.
La critique de Mr K: Ce livre est ma troisième incursion dans l'œuvre de Rufin et il confirme tout le bien que je pense de cet écrivain hors norme. Loin des clichés qui accompagnent les membres de l'Académie (vieux écrivains versant dans l'auto-satisfaction et dans la littérature roborative), j'ai été ici confronté à un thriller de haute volée, écrit dans une langue savoureuse et nous mettant aux prises d'un récit prenant du début à la fin.
La trame principale en elle-même est assez originale car elle a comme fond un phénomène peu connu mais cependant bien réel: l'éco-terrorisme. Sans doute fait-il moins d'audimat ou vendre moins de papier que les islamistes... mais après avoir lu ce roman (inspiré de théories et d'actes ayant été commis) peut-être changerez vous d'avis comme moi!
Tout débute par le cambriolage d'un laboratoire d'expérimentation par une jeune écolo naïve. Elle libère les animaux séquestrés et a été chargée de dérober une mystérieuse fiole emplie de liquide rouge. Chargée de le remettre à un commanditaire, elle refuse et impose à ce dernier de la mettre en contact avec les responsables d'une organisation extrémiste. Le personnage de Juliette est remarquable dans le sens où on la voit évoluer au fil des 750 pages de ce roman. Réaliste à l'extrême, elle incarne tour à tour la rébellion adolescente à la fois pulsionnelle et inconséquente (bien qu'elle ait dépassé la vingtaine) puis la femme libérée (quand elle décide de prendre son destin en main après l'action menée en Pologne). Elle grandit, expérimente et ouvrira finalement les yeux sur la cause qu'elle a épousé et ceux qui l'entourent.
Parallèlement, nous faisons la connaissance de Paul et Kerry, deux ex agents de la CIA qui avaient juré de se relancer dans les "affaires" si les circonstances s'y prêtaient. 10 ans ont passé depuis cette promesse et ils ont chacun suivi leur parcours de vie. Elle est devenue psy, est mariée et a deux enfants. Quant à lui, il est médecin pour les pauvres dans une clinique qu'il a monté de toute pièce mais qui périclite face au manque d'investissements financiers. Archie, leur ancien patron, fait appel à eux et c'est un retour aux sources. Les vieux démons et réflexes se réveillent. Ces deux personnages sont aussi très attachants notamment par le fait qu'ils replongent dans un univers auquel ils ont tenté d'échapper mais qui les rattrape. Loin de jouer aux héros et aux super agents, ils ont leurs fêlures, leurs coup de blues et l'enquête est aride. Leur relation complexe est développée avec finesse et chaleur comme sait si bien le faire Rufin.
Une fois de plus, ce roman de Rufin est aussi une invitation au voyage. Son passé de médecin humanitaire n'y est pas étranger et l'on visite nombre de contrées notamment la Pologne, la Suisse, l'Autriche, les États-Unis et surtout à la fin le Brésil que l'auteur avait déjà magnifiquement décrit dans les deux premiers ouvrages que j'ai pu parcourir de lui: Rouge Brésil et La Salamandre. Loin des clichés et du tape à l'œil, on oscille constamment entre réalisme crû et paysages mentaux (les regards croisés des différents protagonistes et des seconds couteaux rendent à merveille la complexité d'un pays comme le Brésil). C'est dépaysant, désarçonnant souvent mais toujours prenant! L'écriture est une merveille et les pages se tournent une fois de plus toutes seules et malgré un livre long et dense, il ne m'a fallu aucun effort pour en venir à bout surtout que Le Parfum d'Adam se révèle être un excellent polar, au suspens distillé parfaitement et au scénario sans faille.
Ce fut donc une lecture d'une rare intensité, qui procure un plaisir de tous les instants et à l'addictivité tenace. Je vous conseille donc chaudement ce livre qui, en plus de vous faire frissonner, vous fera certainement réfléchir à notre monde et notre planète, à la notion de combat et aux limites que l'on doit se poser quand on défend une cause. Une petite bombe au sens propre comme au sens figuré!
"La Salamandre" de Jean-Christophe Rufin
L'histoire: Catherine, dont la vie s'organisait autour du travail avec la haine des dimanches, le secours de la télévision, l'affection d'un chat et l'usage fréquent des somnifères, tourne le dos à la France pour s'installer au Brésil. Dépassant sa condition de touriste, elle quitte l'univers des agences de voyages pour celui des favelas. La violence avec laquelle les gens se traitent entre eux ne lui est alors plus épargnée.
La critique de Mr K: J'avais beaucoup apprécié ma lecture de Rouge Brésil du même auteur. Je me suis dit que ce serait bien dommage de ne pas retenter l'expérience Rufin et sur un site de troc, j'ai récupéré La Salamandre dont la réputation était plutôt flatteuse. Il s'agit ici d'un récit sans concession d'une femme qui du jour au lendemain va décider de changer radicalement de vie, qui va se perdre en chemin et se précipiter vers sa propre perte. Dit ainsi, on peut se dire que des bouquins comme ça il y en a plein... Et pourtant, je ne m'attendais vraiment pas à être chamboulé à ce point.
N'y allons pas par quatre chemins, c'est rude et le final est ignoble. Le personnage de Catherine ne me plait pas, cette femme, ses habitudes, son caractère me sont étrangers et à aucun moment je n'ai eu de sympathie pour elle. Et puis, il y a la rencontre avec le beau et jeune Gil, et on sait d'emblée que les ennuis l'accompagnent. On a envie de dire à Catherine d'arrêter les frais, de se reprendre mais la fin se devine aisément. Elle rompt ses digues intérieures qu'elle avait bâti tout au long de son existence quitte à devenir complètement conne. Pour un peu, je lui en voudrais! La fin m'a donné raison et m'a laissé pantois. Dire que c'est tiré de faits réels!
On retrouve dans ce roman tout le talent de Rufin pour évoquer le lointain et l'ambivalence des destinations de rêve. Les couleurs et le soleil qui éclatent au prime abord, et puis peu à peu la saleté, la pauvreté criminelle et la perversion cachée aux yeux des touristes apparaissent et surgissent au détour d'une rue, d'une nuit. Bien loin des images véhiculées sur le Brésil, c'est un pays dans tous ses contrastes et sa complexité qui est abordé ici sans concession et sans fausse pudeur. La descente aux enfers de l'héroïne n'en est que plus dramatique et éprouvante.
Une bonne lecture qu'il faut éviter de lire avant de partir en Amérique du sud!
"Rouge Brésil" de Jean-Christophe Rufin
L'histoire: La conquête du Brésil par les Français est un des épisodes les plus extraordianires et les plus méconnus de la Renaissance.
Deux enfants, Just et Colombe, sont embarqués de force dans cette expédition pour servir d'interprètes auprès des tribus indiennes. Tout est démesuré dans cette aventure. Le cadre: la baie sauvage de Rio, encore livrée aux jungles et aux indiens cannibales. Les personnages – et d'abord le chevalier de Villegagnon, chef de cette expédition, nostalgique des croisades, pétri de culture antique. Les événements: le huis clos dramatique de cette France des Tropiques est une répétition générale, avec dix ans d'avance, des guerres de religion.
La critique de Mr K: Prix Goncourt 2001, ce livre a été une double révélation pour moi: la découverte d'un épisode oublié de l'histoire française (un bel échec!) et celle d'un auteur extrêmement talentueux. Oubliez les images d'Épinal qui sont liées aux lauréats de ce fameux prix, ici le récit est vivant, passionnant, le souffle épique et il est très difficile, voire impossible de refermer Rouge Brésil avant d'en avoir parcouru la dernière ligne.
Nous voilà plongés en pleine Renaissance, lors des voyages des grandes découvertes, au temps où les grandes puissances européennes cherchent à se partager le monde et à explorer les zones d'ombres des portulans. L'Église s'est séparée en deux mouvements bien différents (Catholiques et Protestants) et l'évangélisation des "sauvages" bat son plein. À l'aube des guerres des religions, nous suivons deux jeunes gens qui vont découvrir le nouveau monde, ici le Brésil si attractif pour ses bois précieux (d'où le titre) et si mystérieux et mystique de par les populations qui y habitent, des indiens cannibales aux mœurs aussi cruelles qu'en harmonie avec la nature.
Amateur devant l'Eternel de récits de voyage (Terreur de Dan Simmons dernièrement m'avait estomaqué), j'ai été servi. Le voyage en bateau est éprouvant car ultra-réaliste, moultes détails parsèment les chapitres qui lui sont consacrés sans pour autant tomber dans l'accumulation de détails indigestes. On y fait connaissance avec les deux jeunes orphelins qui vont devoir une fois sur place se mêler aux indigènes afin d'apprendre leurs mœurs et leurs langues: autant Just est l'incarnation du courage et de valeurs chevaleresques / courtoises, autant Colombe est le symbole de la curiosité et de l'écoute mutuelle possible entre les cultures. On suit leur évolution vers l'âge adulte entre espoirs et désillusions, dans un monde peuplé d'adultes tournés vers l'ivresse de la foi, de l'argent et de la gloire. Au premier rang de ceux-ci on trouve le chevalier de Villegagnon, représentant du roi de France fermement décidé à créer une nouvelle France et propager la foi catholique. Personnage ambigu, le lecteur oscille entre admiration et répulsion pour ce personnage historique ici romancé.
Une fois arrivée sur place, l'expédition prend position sur un îlot. Le huis clos marin cède la place au huis clos terrestre sur cet arpent de terre hostile où les conditions de vie sont hostiles pour ces européens perdus et affaiblis. C'est aussi le temps des premiers contacts avec les primitifs et pour Colombe ce sera la Révélation. À cette occasion, le roman prend la forme d'un récit d'initiation, l'auteur y écrivant ses plus belles pages sur la rencontre entre la jeune orpheline et la tribu habitant les rivages de la baie de Rio. Pendant ce temps là, les français s'entredéchirent sur l'îlot, entre protestants et catholiques le torchon brûle et les velléités de chacun éclatent au grand jour. La tension monte, rien ne nous est épargné, des passages sont rudes mais à aucun moment l'auteur ne tombe dans la facilité du manichéisme même s'il est clair que l'avidité et la soif de richesse dévore littéralement les colons. Il est intéressant dans ce livre de voir la vision qu'ont sans doute eu les primitifs sur ces diables blancs, ici ce point de vue est porté à notre connaissance sans pathos mais aussi sans censure, bougrement réussi en tout cas!
On se laisse porter par l'écriture à la fois exigeante et légère de Ruffin. Les pages se tournent d'elles-mêmes et l'on est tout surpris d'être arrivé à la fin. Attention à l'addiction car ici elle est quasiment instantanée! Une excellente lecture que je ne saurais que trop vous recommander!