mardi 2 août 2022

"La Brigade du rire" de Gérard Mordillat

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L’histoire : Il y a Kowalski, dit Kol, Betty, licenciée de l imprimerie où elle travaillait. Dylan, prof d'anglais et poète. Les jumelles Dorith et Muriel, pour qui la vie est une fête permanente. L'Enfant-Loup, coureur et bagarreur. Suzana, infirmière en psychiatrie. Rousseau, beau gosse et prof d'économie. Hurel, industriel, lecteur de Marx et de Kropotkine. Ils sont chômeurs, syndiqués, certains exilés, tous ont été des travailleurs. Pas des "cocos", ni des militants. Des hommes et des femmes en colère, qui décident de régler leur compte à cette société où l’autorité du succès prime sur celle du talent. Des samouraïs, des mercenaires, une redoutable fraternité constituée en Brigade du rire.

Leur projet ubuesque et génial tient à la fois de la supercherie que de la farce grotesque : kidnapper et faire travailler Pierre Ramut, l'éditorialiste vedette de Valeurs françaises, et, dans un bunker transformé en atelier, l'installer devant une perceuse à colonne pour faire des trous dans du dularium. Forcé de travailler selon ce qu'il prescrit dans ses papiers hebdomadaires, semaine de 48h, salaire de 20% inférieur au SMIC, productivité maximum, travail le dimanche , Ramut saura désormais de quoi il parle...

La critique de Mr K : Aujourd’hui chronique d’un ouvrage de Gérard Mordillat qui traînait depuis trop longtemps dans ma PAL. J’aime beaucoup cet auteur à la verve enveloppante qui ne m’a pratiquement jamais déçu (son dernier en date était un ton en dessous) et La Brigade du rire promettait beaucoup après lecture de la quatrième de couverture. La lecture fut très addictive, gouleyante à souhait et idéalement équilibrée entre rires et larmes.

La fameuse brigade regroupe d’anciens camarades d’une équipe de handball qui a connu de sacrés beaux succès il y a plusieurs décennies. Eux plus quelques unes de leurs proches se retrouvent bien des années après et, lors d’une soirée particulièrement bien arrosée, décident de passer à l’action. La conduite du monde les désespère et ils comptent bien marquer le coup. Ils enlèvent donc le penseur / éditorialiste néo-libéral fascisant Ramut et décident de lui appliquer son propre programme économique qui pointe du doigt la pseudo fainéantise du peuple et veut accentuer le pouvoir patronal. Il ne sera pas déçu et va connaître une expérience pour le moins éprouvante...

L’ouvrage propose une galerie de personnages tous plus truculents et ciselés les uns que les autres. Que ce soit d’un bord ou de l’autre car l’on suit aussi les proches de Ramut, les personnages sont comme d’habitude très bien croqués et quasiment tous attachants sauf certains personnages appartenant à la sphère du pouvoir médiatique qui se révèlent particulièrement méprisables et méprisants. On croise donc un patron d’entreprise marxisant, un professeur d’anglais poète, un garagiste coureur de jupon, un néo-chômeur révolté, un distributeur de films, un professeur d’économie, deux sœurs particulièrement délurées, une infirmière psychiatrique, une veuve inconsolable, un second couteau de l’édition aux dents longues ou encore d’autres personnages secondaires qui prennent tous leur importance au fil du déroulement de l’intrigue. Malgré ce nombre élevé de protagonistes, on ne se perd jamais et chaque élément du puzzle s’emboîte parfaitement avec les autres pour former une trame dense et riche en rebondissements.

On se prend très vite au jeu et l’on se plaît à côtoyer cette bande de joyeux drilles à la détermination féroce. L’histoire de l’enlèvement et de la séquestration est un prétexte pour explorer ces vies cabossées, très différentes les unes des autres où les peines de cœur, côtoient les difficultés professionnelles et les aléas de la vie. C’est aussi de grands moments de partage et de communion, des discussions à bâtons rompus pour refaire le monde, de beaux moments d’amitié et des passions charnelles dévorantes et inspirantes. Le champ d’investigation social est donc très vaste, provocant de multiples émotions chez le lecteur prit en otage de ces destinées bien souvent marquantes. Tout s’entremêle joyeusement, des liens apparaissent que l’on aurait pas vu venir et l’on se délecte de cette toile d’araignée littéraire savamment construite et très maline par moments.

On retrouve bien évidemment l’aspect engagé de l’auteur qui n’y va pas avec le dos de la cuillère une fois de plus avec une peinture acérée de notre monde. Les méfaits du néo-libéralisme à tout crin ne sont plus à prouver mais ses rouages profonds, ses motivations premières sont exposées ici avec clarté et une ironie cinglante. L’argent roi, le pouvoir des médias, l’endoctrinement des masses, l’appauvrissement intellectuel qui va de pair avec la recherche de la soumission du plus grand nombre font terriblement écho avec notre époque actuelle entre les complotistes allumés et les tenants du pouvoir à l’aplomb déconcertant et cynique. C’est juste, parfois jusqu’au-boutiste comme un bon coup de pied au derrière. Ça fait du bien !

C’est donc un très bon crû que ce Mordillat aussi rafraîchissant qu’engagé en faveur du peuple, des femmes et de la quête d’égalité qui nous fait tellement défaut de nos jours. À lire absolument.

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Les vivants et les morts
- Ces femmes là
- La Tour abolie
- Des Roses noires

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mercredi 3 mars 2021

"Les Roses noires" de Gérard Mordillat

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L’histoire : Cybèle, Nora, Rome, Vivi : quatre femmes, quatre histoires qui représentent chacune une forme de résistance. À la guerre, au fascisme, à la mort, à l’oubli. Quatre roses noires qui n’ont pour arme que leur courage, leur détermination et leur force d’aimer. Ce sont elles les véritables héroïnes de cette dystopie. Entraînant dans leur sillage Orden, un poète réfractaire, poursuivi par la milice armée à la solde de l’ordre nouveau qui gouverne le pays, elles sont les fers de lance d’un réseau de résistance qui prépare une insurrection.

La critique de Mr K : Gérard Mordillat est un auteur que j’aime beaucoup. J’aime sa langue incisive, directe et poétique. J’aime surtout ses combats et ses engagements. Alors quand il sort un nouvel ouvrage, en l’occurrence ici Les Roses noirs en ce mois de février bien frileux, j’en attends beaucoup. Je dois avouer que la déception n’en a été que plus grande ici car même si on retrouve toutes les qualités que j’ai énoncé juste avant, j’ai trouvé l’ensemble décevant, outrancier, manquant de nuances et les personnages vraiment caricaturaux...

Et pourtant, le postulat de départ a de quoi me séduire. L’auteur se prête ici au jeu de la dystopie, en proposant un roman se déroulant dans un futur proche en France où la démocratie s’est effacée au profit d’une oligarchie financière qui manipule l’opinion et contrôle par l’oppression la société toute entière. Dans cette dictature qui ne cache que son nom et où la pratique du pouvoir se fait donc sans partage et au détriment des plus humbles stigmatisés, marqués et enfermés dans la servitude, on va croiser un poète déchu et quatre roses par qui va germer une insurrection d’abord sourde puis éclatante. On suit cette montée en puissance au plus près de ces protagonistes qui vont par la force des choses, de manière directe ou bien malgré eux, l’accompagner et y participer.

Le premier tiers de l'ouvrage est enthousiasmant. L’immersion dans ce monde décadent et flippant est très bien rendu. Par des chapitres courts, on fait connaissance avec les protagonistes et l’on se prend au jeu. Découverte des castes, des arcanes du pouvoir, les injustices criantes de cette société inégalitaire nous prennent à la gorge, le malaise est profond et ne va qu’augmentant. Peu à peu, des liens apparaissent entre les différents personnages et tel un maître tisseur, l’auteur construit un récit aux différentes ramifications qui vont finir par se rejoindre. On se laisse guider sans souci, sans effort non plus, c’est facile à lire et Mordillat s’y connaît pour entretenir le suspens.

Le propos est accablant même s’il manque de finesse comme je l’énoncerai par la suite. Le contrôle de la population par une oligarchie obnubilé par le fric et le pouvoir, la notion de stigmatisation des plus faibles pour diviser et mieux régner, distiller la peur encore et toujours (meilleur outil de propagande politicienne depuis la nuit des temps) sont livrés par l’auteur au fil de la narration dans des passages vraiment impressionnants qui donnent vraiment à voir le monde comme il pourrait le devenir d’ici une dizaine d’années (Guerre généralisée, privatisation de toute la société, lois ségrégationnistes, massacres à grande échelle...). Tout en tout cas le préfigure avec ce que nous vivons actuellement entre lois liberticides, libération de la parole raciste et un pouvoir de plus en plus autoritaire. En cela, Les Roses noires est plutôt réussi.

Mais voila, tous les maîtres ont leurs limites et cet ouvrage tombe assez vite dans la surenchère d’effets dramatiques. Le manichéisme est poussé à l’extrême, les gentils sont vertueux, parfaits parce que pauvres et opprimés. Les méchants sont terrifiants, jusqu’au-boutistes jusqu’à l’absurde (car le pouvoir corrompt l’âme c’est bien connu). Pour vous dire dans cet ouvrage, les bad guys feraient passer le personnage de flic fasciste de Tcheky Karyo dans le film Doberman de Yan Kounen pour un saint (un de mes films culte !). Du coup, la charge sociale et engagée perd en crédibilité et tombe dans le brûlot brouillon et finalement stérile.

Les personnages sont très caricaturaux mélangeant troubles œdipiens profonds et pseudo réflexion sur les rapports filiaux, le poète figure de résistance qui s’empresse de tremper sa stouquette après la mort de sa muse sensée être la femme de sa vie durant la majorité de l’ouvrage, des forces de l’ordre obsédées par leur mission et pourries jusqu’à la moelle, des femmes courageuses et victimisées à l’extrême... Ok pourquoi pas, mais de la nuance que diable ! C’est bien beau d’aligner les scènes de bravoure, de fesses et de beaux sentiments mais on en perd la subtilité et la finesse comportementale que l’on retrouve en chaque être humain qu’il soit vicié ou non. Non, certains passages versaient clairement dans le "hors sol" et je n’ai du coup plus adhéré à l’ensemble.

J’ai donc lu ce livre rapidement mais avec un plaisir qui allait diminuant au fil de la lecture. Ça me fait mal d’écrire de telles lignes tant j’admire le travail de cet auteur et notamment son fabuleux Les vivants et les morts que je vous recommande chaudement. Celui-ci est vraiment un ton en dessous et m’est apparu comme dispensable. Dans le domaine de la dystopie révolutionnaire, il y a de quoi faire et en nettement mieux. Sans rancune...

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Les vivants et les morts
- Ces femmes là
- La Tour abolie

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mercredi 15 avril 2020

"Les Vivants et les morts" de Gérard Mordillat

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L’histoire : Lui, c'est Rudi. Il n'a pas trente ans. Elle, c'est Dallas. Bien malin qui pourrait dire pourquoi tout le monde l'appelle comme ça. Même elle a oublié son nom de baptême... Rudi et Dallas travaillent à la Kos, une usine de fibre plastique. Le jour où l'usine ferme, c'est leur vie qui vole en éclats, alors que tout s'embrase autour d'eux.
A travers l'épopée d'une cinquantaine de personnages, Les Vivants et les Morts est le roman d'amour d'un jeune couple emporté dans le torrent de l'histoire contemporaine. Entre passion et insurrection, les tourments, la révolte, les secrets de Rudi et Dallas sont aussi ceux d'une ville où la lutte pour la survie dresse les uns contre les autres, ravage les familles, brise les règles intimes, sociales, politiques. Dans ce monde où la raison financière l'emporte sur le souci des hommes, qui doit mourir ? Qui peut vivre ?

La critique de Mr K : Quelle claque mes amis, quelle claque ! De Gérard Mordillat, j’avais déjà lu deux livres qui m’avait fait forte impression. Ces femmes là et La Tour abolie sont des ouvrages qui m’avait marqué par leur engagement et la force du récit. Les Vivants et les morts est de la même trempe, je dirais même qu’il leur est supérieur, sans doute parce qu’il est beaucoup plus réaliste dans son traitement, plus rugueux et que par bien des manières il m’a fait penser au très bon film En guerre qui m’avait traumatisé lors de notre passage au cinéma. Cette plongée dans un village touché de plein fouet par les déviances du système capitaliste ne laisse pas indifférent et l’on ressort sur les genoux de cette lecture à la fois poignante et passionnante.

Ce livre est un livre chorale, un livre-monde comme diraient les spécialistes. Au gré de trois grandes parties, subdivisées en tout petits chapitres qui n’excèdent jamais plus de cinq pages, on partage le quotidien de pléthore de personnages qui vont être confrontés de manière directe ou indirecte à la fermeture de l’usine locale qui fait vivre toute la communauté. Cette petite ville fictive, située dans l’est de la France (nous n’en saurons pas grand chose de plus) représente toutes ces localités et territoires désindustrialisés qui ont subi (et subissent encore) les effets délétères de la mondialisation et du capitalisme qui sacrifie les masses au nom de la sacro-sainte productivité et l’enrichissement démesuré de quelques-uns. Le portrait est glaçant, sans concession et propose une vision réaliste qui emporte tout avec elle.

L’humain est au centre de cet ouvrage qui, loin d’être hors sol ou dans la démonstration facile, nous propose une exploration de personnages très variés et souvent complexes. Jeunes ouvriers épris de justice au tempérament fougueux, vieux de la vieille qui n’ont plus beaucoup d’illusions, cadres naïfs qui vont vite se rendre compte que leurs supérieurs se moquent aussi d’eux, des instances supérieures cyniques, syndicats dépassés par leur base qui ne supportent plus leurs arrangements et concessions, la colère qui gronde et la répression étatique, une ville sur le point de mourir avec la fin de l’usine et une misère qui s‘installe partout, des couples qui se font et se défont, et la vie qui continue malgré tout avec son lot de joies et de drames. Le programme est vaste, le livre dense (830 pages tout de même !) mais la lecture est d’une richesse et d’une profondeur incroyable. Difficile de lâcher le volume tant l’auteur s’y entend pour accrocher le lecteur.

Les personnages sont d’une justesse de tous les instants. Jamais lisses, leurs destins sont exposés sans fard avec leur lot d’erreurs, d’hésitations et de grandes aspirations. L’humanité dans toutes ses contradictions est révélée par petites touches, assénées les unes après les autres et l’ensemble forme un tout cohérent, révélateur des liens qui se créent dans une communauté touchée de plein fouet par un grand malheur. Toutes les générations sont concernées, chacun réagit comme il peut, selon son caractère, ses motivations ou même ses croyances. Il est question de travail majoritairement mais pas que. Mariages, naissances, liens parents / enfants, projets d’avenir, les copains, les habitudes du samedi soir, la sexualité, le rapport aux autres sont autant de thématiques qui complètent la principale et enrichissent le roman qui prend une dimension impressionnante. On passe donc par toutes les émotions, on rit, on s’étonne, on est surpris, on pleure, on a envie de hurler et d’aller tout faire péter... Je peux vous dire que cette lecture met le cœur à rude épreuve et que l’empathie fonctionne à plein sauf si vous êtes réactionnaire de droite et / ou macroniste... dans ce cas là, passez votre chemin !

Les Vivants et les morts est aussi une charge d’une grande puissance sur les réalités que nous côtoyons depuis déjà trop longtemps. Les puissants qui n’ont cure des plus fragiles et ne pensent qu'à leur intérêt personnel, les puissances financières jamais inquiétées par les États dits démocratiques, la justice et les questions de morales, les médias aux ordres qui endorment la populace (les morts) pour mieux protéger l’iniquité du système ou encore les chiens de garde qui obéissent aux ordres et maintiennent le calme public / la paix sociale à coup de matraques. Le livre date de 2004 mais franchement durant toute ma lecture je pensais à notre pays aujourd’hui, pays où les tensions sociales ont grimpé en flèche, où la cohésion nationale n’existe plus, un pays désindustrialisé incapable de répondre aux demandes d’urgence en pleine pandémie... Mordillat, à travers cet ouvrage, nous en explique les mécanismes bien mieux que n’importe quel journaleux avide de scoop et de clash. Mordillat titille notre intelligence, nourrit notre libre-arbitre et au final réveille notre citoyenneté dans le sens noble du terme (les vivants).

Les Vivants et les morts est donc un incontournable dans son genre, un livre grandiose, vibrant, quasi incantatoire et ô combien nécessaire en cette période trouble. Un grand et gros coup de cœur que je vous invite à lire au plus vite.

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mardi 22 janvier 2019

"Ces femmes-là" de Gérard Mordillat

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L'histoire : Personne n’avait jamais entendu un tel rugissement. Personne n’avait jamais vu ça : les jeunes, les vieilles, les vierges, les prostituées, les amoureuses, les musulmanes, les Africaines, les Asiatiques, les échevelées, les tondues, les sévères, les robes rouges, les pantalons noirs, les beautés, les disgraciées, les en fauteuil, les béquillardes, les sirènes, les gorgones, les talons hauts, les chaussures basses, les myopes, les lunettes noires, les battues, les battantes, les voilées, les seins nus, les callipyges, les hurleuses, les timides, les grandes, les petites, les grosse s dondons, les fils de fer, les roploplos, les œufs au plat, les révoltées, les rebelles, les révolutionnaires...

Elles étaient le chaos, l’insurrection.

La critique de Mr K : Depuis ma lecture de La Tour abolie, Gérard Mordillat est rentré dans le cercle fermé de mes auteurs favoris. Clairement engagé à gauche, possédant une écriture gouleyante et parfois vertigineuse (il y a un peu de Teulé chez lui), il m'avait emporté avec lui le long d'un récit puissant et lourd de sens en sous-texte. Avec cette quatrième de couverture nébuleuse sans réel résumé du contenu, Ces femmes-là s'annonçait axé sur les femmes et leur combat perpétuel contre le machisme institutionnalisé. Il y a de ça mais pas seulement, et au final, c'est un brûlot impitoyable et clairement ancré dans notre réalité du moment qui nous est proposé. Ce fut une lecture éclair et passionnante malgré quelques défauts mineurs.

L'action se déroule en France en 2024, année où notre pays accueille les Jeux Olympiques d'été. La République a bien changé, cédant aux sirènes du populisme réactionnaire, la dictature n'est plus très loin. Médias aux ordres, forces de l'ordre paramilitaires présentes partout, censure étatique quasi complète et surveillance généralisée sont de rigueur. Il ne manque plus grand chose pour que l'on bascule dans le régime totalitaire. Pour autant, les forces progressistes n'ont pas dit leur dernier mot, une grande manifestation se prépare en plein cœur de Paris.

Divisé en trois parties, l'ouvrage se passe avant, pendant et après cet événement en suivant le parcours d'une cinquantaine de personnages d'origines très diverses : cela va de la simple femme de ménage d'origine maghrébine jusqu'aux ministres les plus influents. À travers ce panel très large, dans un premier temps l'auteur plante le décor et décrit les forces en présence. La démocratie n'existe plus vraiment, les pratiques et les valeurs en cours n'étant plus solubles avec la notion de droits de l'homme, notre devise républicaine et l'État de droit. Réaliste et pessimiste à la fois, l'état des lieux fait froid dans le dos, le pire étant que cela pourrait être dans l'ordre du possible. L'anticipation est réussie et cynique à souhait, et s'inscrit dans la digne logique des derniers développement de notre société : l'ultra-libéralisme et la course à l'individualisme (avec la fin programmée des services publics notamment), la montée de lois liberticides au nom de la sacro-sainte sécurité, la montée des extrêmes de tout bord qui servent les ambitions politiques de certains et pour chaque aspect abordé, la domination de la femme qui revient comme dénominateur commun sous diverses formes.

C’est au fil de la lecture que les figures féminines se révèlent et se développent. Plus ou moins effacées ou sous le joug d'un mari, d'un amant, d'un patron ; peu à peu une conscience commune se réveille et verra sa révélation dans la deuxième partie du livre. Variées, non schématiques, complexes et tantôt agaçantes ou fascinantes, ces femmes ont toutes à leur manière leurs fiertés, leurs faiblesses et leurs velléités de libération. Les parcours sont divers, les idées politiques et sociales divergent énormément mais elles prennent peu à peu le pas sur les hommes qui tour à tour disparaissent ou doivent se cacher pour éviter l'arrestation voir la suppression. Le roman en cela est bouillonnant, ne s'attarde pas plus de quatre pages sur chaque personnage, alternant les points de vue, les croisant pour fournir une histoire dense où les interactions sont nombreuses sous fond d'un climat général inquiétant. La tension est palpable dès les premières lignes et ne nous quitte pas, montant crescendo et n'hésitant pas à frapper là où ça fait mal : désir, jalousie, quête insensée du pouvoir sans repères moraux, clichés et raccourcis, violence physique et mentale, contrôle des masses, abrutissement généralisé...

Cela ne vous rappelle rien ? À mes yeux ce roman fait furieusement écho à notre époque avec la philosophie politique libérale de M. Macron qui aliène les pauvres au profit d'une caste dirigeante déconnectée des réalités de terrain, une télévision et un internet poubelle qui servent la soupe au pouvoir et développent par là même la montée des intégrismes, la criminalisation et la culpabilisation des oppositions montrées comme dangereuses et irresponsable, des Benalla qui font ce qu'il veulent où ils veulent sans réels garde-fou, le durcissement de l'ordre républicain avec son cortège de bavures... Ce roman est un bon résumé de la situation actuelle avec le prisme d'une pensée libertaire et progressiste.

Alors effectivement, certains personnages et situations sont poussées à l'extrême. Je trouve que par moment, ça manque un peu de finesse avec des personnages repoussoirs vraiment exagérés et des figures vertueuses quasiment parfaites. Le trait est parfois grossier, le langage rugueux mais il me semble nécessaire dans notre époque aseptisée que les œuvres soient percutantes et sans concession. Ce livre en fait partie et a le mérite d'exister. Au final, la mécanique fonctionne, soulignant l'incurie des puissants, la bêtise crasse qui est le point commun de beaucoup d'êtres humains quelque soit leur origine. Personne au final n'est épargné et long et difficile est le chemin vers la réconciliation et la concorde. Œuvre utopiste par excellence, on se plaît à croire qu'un avenir meilleur est possible et qu'il passerait par la gente féminine...

Une fois cette lecture débutée, il est tout bonnement impossible de relâcher le volume. Rythme rapide, caractérisation au cordeau avec des ramifications nombreuses et bien senties ; on avance dans la lecture tranquillement et sûrement. La pression monte vite, impossible de pouvoir s'en extraire, elle nous poursuit même lorsque l'on fait des pauses. Évidemment, si votre sensibilité vous porte à droite ou plus loin, inutile de vous dire que ce roman n'est pas fait pour vous mais si vos idéaux vous porte vers plus de liberté, une libération des consciences, une meilleure répartition des richesses et une égalité totale entre hommes et femmes, ce livre est fait pour vous avec un acte final apocalyptique à souhait. Un bonheur de subversion positive à savourer et à propager. No pasaran !

dimanche 20 janvier 2019

Premiers craquages de 2019 !

Et oui ! 2019 a débuté depuis peu et nous avons déjà craqué en matière d'ouvrages d'occasion. Bon en fait, surtout moi, mais cela ne vous surprendra pas, Nelfe a toujours su être plus raisonnable que moi en la matière. Mais bon, on ne se refait pas et comme je ne crois pas aux résolutions de début d'année, je n'avais rien promis... Vous retrouverez dans ce post des articles dégotés à prix vraiment très bas dans notre recyclerie locale et dans notre très achalandé Emmaüs, deux hauts lieux de chinage qui décidément nous déçoivent rarement ! Regardez-moi ça !

Ensemble janv 19

De belles prises, non ? Pour éviter de définitivement plomber ma PAL qui dépasse allégrement les 200 ouvrages dormants, j'essaie désormais d'aller vers des auteurs et des ouvrages que je souhaite absolument lire. Ça réduit un peu le degré de tentation même si ça ne permet pas d'éviter tous les écueils. Le butin est en tout cas bien alléchant et je m'en vais vous le présenter en détail !

Contemporain janv 19
(Ouvrages contemporains en pagaille)

- Les Vivants et les morts et La Brigade du rire de Gérard Mordillat. Un auteur que j'adore et sur lequel je fais coup double ! Je suis justement en train de lire son dernier (Ces femmes-là) qui dépote. J'aime la langue simple et truculente de l'auteur, son engagement à gauche et sa façon d'aborder les problèmes sans fioriture. Typiquement le genre de littérature qui me parle, fait réfléchir et donne du baume au coeur dans un monde devenu fou à mes yeux. Ils ne resteront pas longtemps dans ma PAL même si je vais essayer d'espacer mes lectures pour éviter l'overdose.

- Dans l'or du temps de Claudie Gallay. Une autre auteure que j'affectionne tout particulièrement. Depuis ma lecture enthousiaste des Déferlantes, dès que je vois un Claudie Gallay trainer dans un bac, je ne peux pas résister ! Elle nous raconte ici la rencontre improbable entre un homme père de famille et une vieille dame singulière qui va finir par se confier sur sa vie passée haute en couleur. On peut compter sur l'auteure pour nous dévoiler des personnages attachants et profonds, raconter les fêlures intimes voir l'indicible au détour d'un récit enlevé. Hâte d'y être !

- Hors d'atteinte d'Emmanuel Carrère. Encore un auteur que je pratique régulièrement et qui ne m'a jusque là jamais déçu. Il nous propose dans ce roman de suivre Frédérique, une prof de collège qui va tomber dans l'addiction au jeu et remettre sa vie au main du hasard par pur défi. On peut compter sur Emmanuel Carrère pour nous proposer un récit vertigineux à partir d'un point de départ basique. Je pense que ce sera encore une lecture plaisante.

- Comment j'ai raté mes vacances de Geoff Nicholson. Voici ma prochaine lecture, j'ai enfin réussi à trouver un ouvrage fun et décalé. J'enchaine les lectures sombres et pessimistes, il est bon aussi de bien rigoler parfois un livre à la main ! Croisement entre Tom Sharpe et les Marx Brother, l'auteur nous invite à passer des vacances en compagnie d'Éric et sa famille. À priori, rien ne se passe comme prévu et l'on croise un nombre impressionnant de personnages plus branques les uns que les autres. M'est avis que ça devrait me plaire ! Je vous en reparle très bientôt sur IG!

Imaginaire janv 19
(Pour quelques livres de genre en plus...)

- L'Oeuf du dragon de George R. R. Martin. En attendant que le maître incontesté de la lenteur d'écriture nous offre ENFIN la conclusion de sa saga, je suis tombé sur ce petit volume se déroulant avant Le Trône de fer. Ça me fera patienter et je suis impatient de passer quelques temps en compagnie du chevalier sans terre et surtout de son écuyer, un certain Aegon Targaryen ! Conspiration, baston et voyages en terres lointaines sont au programme. Ce volume ne restera certainement pas bien longtemps dans ma PAL, Westeros me manque trop !

- Druide d'Oliver Peru. Voici un volume qui m'avait fait de l'oeil plusieurs fois lors de nos séjours successifs aux Utopiales. Le hasard fait donc bien les choses, j'ai hâte là aussi de me plonger dans la lecture de cet ouvrage de fantasy mettant en lumières le culte druidique, protecteur du monde. Un crime va remettre tout en cause provoquant le chaos et le désordre. Précédé d'une excellente réputation, cet ouvrage promet beaucoup. Qui lira, verra!

- L'Univers en folie de Fredric Brown. Petit détour par la science fiction avec un auteur qui n'est plus à présenter et qu'il fait bon fréquenter régulièrement quand on est fan du genre. Suite à un accident lors d'un lancement de fusée, un journaliste renait dans un monde parallèle où il va devoir se confronter puis conjuguer avec son double. L'expérience promet d'être fascinante et complètement décalée.

- Le Djinn de Graham Masterton. Un petit ouvrage de terreur enfin avec un Graham Masterton auquel je ne peux pas résister non plus ! Un objet ancien venu de l'autre bout du monde, un esprit malveillant qui ne demande qu'à être libéré, une obsession dangereuse, un auteur aimant la démesure et à l'écriture addictive... Ce sont les ingrédients idéaux pour fournir un bon récit fantastique et gore. Le genre de lecture-récréation qui ne se refuse pas !

Thriller janv 19
(LA trouvaille de Nelfe !)

- Les Morsures de l'ombre de Karine Giébel. Une auteure que ma douce a découvert sur le tard mais qu'elle a beaucoup apprécié sur sa première lecturede Toutes blessent la dernière tue (chronique à venir quand elle le voudra bien...). Nelfe est une grande amatrice de thriller devant l'éternel, nul doute que cette histoire d'homme mis en cage suite à un RDV amoureux va lui plaire. On nous parle en quatrième de couverture de frontières floues entre bourreaux et victimes, de hasard inexistant et de psychologie torturée... Purée ça promet !

Au final, on n'est pas peu fiers de nos achats. Malgré une grille de sélection plus resserrée, on a vraiment de très bons dealers de livres de seconde main dans notre secteur et cela promet encore de très bonnes heures de lecture. La PAL ne s'en porte pas mieux mais que voulez-vous, quand on aime, on ne compte plus! Suite au prochain numéro, lors des chroniques à venir dans les jours, semaines, mois et années à venir !

mardi 5 septembre 2017

"La Tour abolie" de Gérard Mordillat

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L’histoire : "Quand les pauvres n’auront plus rien à manger, ils mangeront les riches."

La tour Magister : trente-huit étages au cœur du quartier de la Défense. Au sommet, l’état-major, gouverné par la logique du profit. Dans les sous-sols et les parkings, une population de misérables rendus fous par l’exclusion. Deux mondes qui s’ignorent, jusqu’au jour où les damnés décident de transgresser l’ordre social en gravissant les marches du paradis.

La critique de Mr K : C’est ma première incursion dans l’œuvre de Gérard Mordillat, engagé nettement à gauche, qui n’est pas à son coup d’essai (écrivain, scénariste de BD, réalisateur de films entre autres). Le hasard et la malchance ont fait que je n’ai jamais mis la main sur un de ses ouvrages lors de nos chinages réguliers à Nelfe et moi. Et puis est arrivée la rentrée littéraire de cette année et une belle occasion de pouvoir découvrir l'auteur à travers son nouveau roman, La Tour abolie, qui s’apparente à une fable cynique sur le système capitaliste et la révolte de ceux qu’il exclut. Autant vous le dire tout de suite, c’est très réussi, prenant comme jamais, extrêmement bien écrit et d’une profondeur sans faille. Suivez le guide !

C’est deux mondes parallèles mais qui coexistent que nous explorons avec cette lecture. D’un côté, nous rentrons dans l’univers select des privilégiés de la tour Magister, une entreprise d’assurance florissante où règnent la cupidité, l’avarice et la compétition. Du directeur général à la gestion des ressources humaines, en passant par le secrétariat général au responsable du pôle de compétitivité ; chacun mise sur sa réussite personnelle et un hypothétique avancement. Au nom de l’argent roi, on n’hésite pas à sacrifier des pions, petites billes anonymes sans importance pour les seigneurs du Capital. Mais cette réussite cache bien des misères comme la solitude, la trahison, l'adultère, la paranoïa puis l’ennui. Nelson sera le lien entre ce monde et celui des souterrains de la tour, il perd son emploi en début de roman et par la même occasion va voir sa vie pulvérisée, sa femme le quittant et emportant tout avec elle (appartement, argent et mômes).

D’autres chapitres explorent quant à eux les sous-sols de la tour qui vont jusqu’au niveau -7. Ces espaces de parkings décrépis sont peuplés d’êtres marginaux survivants d’expédients : travailleurs immigrés clandestins exploités sans vergogne, trafiquants en tout genre, bandes de loubards sanguinaires, aliénés mentaux se prenant pour les nouveaux prophètes ou tout simplement des travailleurs pauvres ne pouvant correctement subvenir à leurs besoins. La crasse, le manque d’hygiène, la faim les torturent et quand une décision venue d’en haut va chambouler leur quotidien, c’est le signal pour la révolte générale et la confrontation directe entre deux mondes que tout oppose mais qui sont concomitants.

La Tour abolie se dévore en bonne partie pour ses personnages. Rien ne nous est épargné dans ce roman de 500 pages qui mélange allègrement les classes sociales du plus démunies au richissime patron d’entreprise qui plane au dessus de la réalité sans pour autant se rendre compte des conséquences de ses actes et décisions. On croise plus d’une vingtaine de personnages principaux et le même nombre d’êtres secondaires mais tous sont traités à égalité avec une science de la caractérisation immédiate rare. L’auteur n’a en effet pas son pareil pour poser un personnage et sa situation avec une économie de mots qui claquent et touchent juste. Difficile dans ces conditions d’en sortir un du lot plus que les autres, tous à leur manière se révèlent touchants et attachants même les pires crevures qui pour certains finissent très mal. L’ensemble de cette communauté livresque est cohérente et vivante, donnant une énergie folle à un livre plutôt crépusculaire dans les thèmes qu’il aborde.

En effet, c’est notre monde qui nous est dépeint et pas dans ses aspects les plus glorieux. À travers la trame principale et ses multiples circonvolutions, Gérard Mordillat aborde de plein fouet les failles du système capitaliste avec cette course insensée au profit qui brise des existences et entretient les hommes dans un état de servitude consumériste. Bien évidemment, les victimes sont cachées et beaucoup choisissent de les ignorer. Dans La Tour abolie, elles sont elles aussi mises en lumière comme pour les ténors de la réussite. C’est assez bouleversant, très bien ajusté sans tomber pour autant dans la diatribe bien pensante et finalement fascisante. Plus qu’une pensée, ce sont des outils pour penser qui nous sont livrés ici avec des exemples flagrants des dérives de notre système : l’exploitation de l’homme par l’homme, la rationalisation au détriment de l’humain, l’annihilation de la lutte syndicale pour laisser les mains libres aux dirigeants (cela ne vous rappelle rien ?) ou encore la montée des intégrismes de tout bord et avec eux le recul de la raison au profit du fanatisme religieux et / ou politique. Croyez-moi, ça fait du bien en cette période de macronisation des esprits...

Et puis, ce roman ce n’est pas que cela, c’est une superbe histoire avec son lot de petites joies (souvent de courte durée), de drames et de révélations. On est vraiment tenu en haleine, on souffre énormément avec les personnages (quelques passages sont vraiment hard) et l’empathie fonctionne à plein régime. Bien qu’assez dense, le roman se lit très facilement grâce à la gouaille et le talent de conteur de l’auteur. Changeant de style suivant les personnages, multipliant les points de vue et élevant même parfois le débat au niveau philosophique (je pense aux passages reconstitués du blog d’une des personnages) ; on ne s’ennuie pas un moment et l’on arrive à la toute fin heureux du dénouement et plus riche qu’en y entrant grâce aux trésors d’ingéniosité déployés pour fournir évasion et réflexion. Une sacré claque comme je le disais en début de chronique pour un auteur qui est directement rentré dans mon cœur de lecteur. Un bijou !