"Je suis la reine" d'Anna Starobinets
L’histoire : Maxime, sept ans, vit avec sa soeur et leur père à Moscou. Bientôt des transformations déconcertantes s'opèrent chez le petit garçon. De quel hôte est-il devenu la proie ? Les "histoires inquiétantes" de ce recueil font évoluer des personnages poignants dans une Russie contemporaine sombre et absurde. Ici, un employé de bureau développe des sentiments troubles pour une denrée moisissant au fond d'un réfrigérateur. Là, un dresseur de chiens se réveille dans un train à côté d'une femme qu'il n'a jamais vue mais dit être son épouse, et qu'il devra apprendre à aimer... D'une plume extraordinairement poétique, "Je suis la reine" brouille les frontières entre réel et imaginaire et offre une représentation saisissante de la folie et de l'horreur quotidiennes.
La critique de Mr K : Ça faisait un bail que je n’avais pas pratiqué Anna Starobinets, une de mes auteures favorites sur la scène littéraire actuelle. Après les très très bons Refuge 3/9 et Le Vivant, il me restait à découvrir le recueil de nouvelles Je suis la reine qui traînait depuis bien trop longtemps dans ma PAL. Justice est rendue aujourd’hui à cette auteure hors norme qui conjugue une fois de plus thématiques déviantes et écriture splendide. Attention, accrochez-vous, ce voyage livresque laisse des traces !
Six nouvelles composent ce recueil, six textes entre fantastique et fantasmagorie qui sentent le soufre et vont très loin dans la folie et l’horreur. Je déconseille de suite cet ouvrage aux âmes sensibles car Starobinets n’a que faire des carcans moraux et des convenances, elle s’attaque ici frontalement aux codes sociétaux convenus, à l’enfance et à la notion même de stabilité tant elle fait vivre l’enfer à ses personnages. Navigant constamment entre réel et imaginaire, les âmes qui peuplent ces pages ne savent plus à quel Saint se vouer. Le lecteur n’est pas en reste avec l’impression d’être manipulé de bout en bout sans espoir de retour possible dans la normalité.
Dans la nouvelle Les Règles, un petit garçon comme tant d‘autres vit avec ses tocs, ses manières. Sauf qu’au bout d’un moment ici, elles prennent une importance dramatique qui laissent le lecteur sur les fesses avec un jeune héros qui fait peur. Ce court récit installe une tension palpable et progressive mettant très mal à l’aise le lecteur, dès le départ Anna Starobinets réussit son coup. Dans La famille, la nouvelle suivante, un homme lors d’un voyage en train se réveille marié avec une femme qu’il ne connaît pas. Ce changement d’identité est totalement ubuesque, versant dans un absurde proche d’un auteur comme Gogol par exemple. Étrange texte que celui-ci qui brouille les pistes, joue avec les nerfs du héros oscillant entre folie et fantastique pur. Un autre élément perturbateur va finir d’achever le récit de fort belle matière. Là encore, ça marche !
J’attends, le texte suivant est le plus court du recueil et un des plus percutants. Il narre la fascination de plus en plus obsessionnelle d’un homme pour une pourriture qui se développe dans son frigo. Totalement barré, non dénué d’humour, ce texte prend à la gorge et aux tripes. On en ressort tout ému par cette description sans fard et très juste d’une folie galopante. Viens ensuite le morceau le plus consistant de ce recueil avec Je suis la reine, la nouvelle éponyme qui raconte les angoisses d’une mère face aux changements étranges qui s’opèrent chez son jeune fils (introversion extrême, pratiques étranges, éloignement affectif de plus en plus prononcé notamment...). Il s’agit sans doute du texte le plus inquiétant de l’ouvrage avec un drame qui se joue en deux actes, en deux points de vue différents. Clairement fantastique puis virant dans l’horreur pur, j’ai pensé en le lisant aux très bons ouvrages d’Andreas Fäger parus chez la même maison d’édition.
L’Agent est de tous les textes celui qui m’a paru le plus faible. On suit le quotidien d’un homme au métier consistant à mettre en œuvre des scénarios de vie et à faire respecter certaines règles. L’introduction est ultra-efficace mais la suite s’enlise un peu et la conclusion manque de panache à mes yeux. Sympathique tout de même mais pas inoubliable. Le recueil s’achève avec L’éternité selon Yacha qui se révèle être un petit bijou de poésie, écrit à la manière d’un conte. Un homme se réveille avec le cœur arrêté et sans respirer. Il est mort et pourtant il peut interagir avec tout le monde. S’enchaînent toutes une série de situations délirantes et une vie éternelle promise. Derrière le fantastique naïf se cache un véritable texte initiatique qui fait réfléchir entre humour noir et une certaine forme d’espoir.
Se lisant en un temps record, cet ouvrage est de toute beauté. Certes, on navigue dans le glauque, au frontière de l’esprit humain et de ses déviances mais franchement dans le genre, on tient le haut du pavé. Remarquablement construit avec une plume très particulière entre poésie et amour profond pour les personnages qu’elle invente, ce recueil procure de nombreuses sensations à son lecteur qu’il capte et ne relâche jamais vraiment comme un insecte qui se prend dans une toile d’araignée. Bravo au passage à la traductrice Raphaëlle Pache qui une fois de plus fait merveille et réussit à reconstituer l’ambiance si spéciale que l’on retrouve uniquement chez Anna Starobinets. Un ouvrage que tous les amateurs du genre se doivent d’avoir lu.
Lus et chroniqués de la même auteure au Capharnaüm Éclairé:
- Refuge 3/9
- Le Vivant
"Pression fatale" de Rita Falk
L'histoire : Dans le paisible village de Niederkaltenkirchen, le dîner est servi. Là, dans le lit du juge Moratschek, en plein sur ses draps tout blancs, une tête de cochon sanglante, façon Parrain bavarois. Sinistre. Juste après qu’on a signalé l’évasion d’un dangereux prisonnier, à côté de qui les exploits d’Hannibal Lecter ne sont rien. Pour ce psychopathe en cavale, l’heure de la vengeance contre le magistrat qui l’a mis à l’ombre a sonné.
De quoi plonger le commissaire Franz Eberhofer dans une véritable détresse existentielle. Déjà que la belle Susie s’est enfuie en Italie, que le Papa casse les oreilles de tout le monde avec ses chers Beatles, et qu’en cuisine la Mémé leur inflige un Carême plus catholique que le pape... Maintenant, il a un tueur fou à attraper, et un juge fan des Stones à protéger.
La critique de Mr K : J'avais découvert Rita Falk il y a deux ans avec le déjanté Choucroute maudite paru déjà aux Editions Miroboles et que j'avais dévoré - sic -. Entre roman policier et comédie décalée, j'avais été séduit par les personnages complètement branques dont j'avais fait la connaissance et l'écriture tout en verve de l'auteure. Quel bonheur donc de replonger dans cet univers avec Pression fatale qui nous convie aux nouvelles aventures de Franz Eberhofer et des déglingos qui l'entourent. Bienvenue dans un polar rural bien décoiffant à la sauce allemande !
À la base tout commence par l'évasion d'un dangereux psychopathe qui souhaite se venger du juge qui l'a condamné. Franz est chargé de sa protection et de fil en aiguille, la victime potentielle se retrouve hébergée dans la famille Eberhofer où le juge sympathise avec le père du héros, soixante-huitard assumé, amateur de fumette et des Beatles. Mais cette trame n'est en fait qu'un prétexte, le roman s'attardant beaucoup plus sur les mœurs de la famille, les rapports qu'ils entretiennent et les us des habitants de Niederkaltenkirchen. Je peux vous dire que dans le domaine, on en voit des vertes et des pas mûres !
En soi, l'aspect policier de ce roman est plutôt secondaire. Cela ajoute une dose de suspens et de mystère à un texte ouvertement outrancier et drolatique. Pour autant, enquête il y a et même si elle ne réserve pas vraiment de surprises, elle fait son petit effet. On suit les pérégrinations de Franz, de ses amis et de sa famille et au détour d'événements triviaux un indice ou une vérité peut surgir à l'improviste et réorienter l'enquête. Car il faut bien l'avouer, Franz n'est pas du genre courageux, on pourrait le ranger dans la catégorie des grands flemmards qui se contentent du minimum (l'ouvrage commence tout de même avec la nouvelle de sa promotion en tant que commissaire). Mais comme ses supérieurs et tous les personnages peuplant cet ouvrage semblent complètement à côté de leurs pompes, sa lenteur n'a pas de grandes conséquences. Et puis, ça lui laisse tout le temps d'aller boire des coups avec les copains chez Wolfi, déguster les spécialités de son ami boucher et de la Mémé, supporter sa famille de fous, sans oublier ses sorties avec son chien Louis II.
Le plaisir de lire vient donc essentiellement des personnages que l'on côtoie. Le héros désabusé et légèrement cynique a du chien mais ma préférence va sans conteste vers la Mémé. Stakhanoviste de la cuisine au caractère bien trempé, sourde comme un pot, kick-boxeuse accomplie à ses heures perdues (moins dans ce volume par rapport au précédent), chacune de ses apparitions est un bijou de décalage et de drôlerie. Il y a aussi les potes de Franz avec le plombier-chauffagiste coureur de jupon et le charcutier dealer officiel de la table Oberhofer, aux QI respectifs pas très élevés mais à la camaraderie éprouvée. Eux aussi apportent leur pierre à l'édifice et contribuent à l'ambiance de folie douce qui flotte sur l'ouvrage. Il y a aussi la rivalité de Franz avec son frère aîné qui s'exprime notamment via les premiers mots que prononcent la nièce du commissaire et la figure du père qui en prend un coup au passage. Ne pas oublier non plus Susie, la promise du héros qui s'est enfuie avec un bel italien et que Franz n'a jamais oublié. L'amour a donc aussi voix au chapitre entre deux passages rocambolesques et donnera lieu à la fin à un road movie enlevé dans un dernier acte des plus réjouissants.
Le mélange des genres fonctionne à nouveau parfaitement avec une lecture addictive, jubilatoire et complètement déjantée comme je les aime. On ne voit pas le temps passer et il est quasiment impossible de relâcher Pression fatale tant on est pris dans un tourbillon de rire et d'appétence littéraire. Bien écrit, malin dans le développement des situations, tantôt émouvant et drôle, voilà une lecture qui réchauffe le cœur et fait passer un excellent moment. Ce serait vraiment dommage de passer à côté... Quant à moi, j'attends avec impatience les volumes suivants !
"La Fièvre" de Sandor Jaszberényi
L'histoire : Entre chroniques de presse et fiction, voici le recueil d’un photographe et correspondant de guerre hongrois qui a couvert la plupart des luttes armées et révolutions en Afrique et au Moyen-Orient. Des instantanés d’un monde rongé par les conflits, où l’homme affronte la violence, où la foi côtoie la superstition, où le diable règne en maître. Ici, des villages organisent une battue contre une bête sanguinaire qui semble indestructible. Là, une jeune photoreporter est prête à tout pour obtenir l’image choc…
La critique de Mr K : Aujourd'hui, je vous invite à découvrir en ma compagnie un recueil de nouvelles paru très récemment aux Éditions Miroboles. La Fièvre de Sandor Jaszberényi est le genre d'ouvrage qui marque les esprits par ses thématiques et sa forme. Par de courts textes très souvent saisissants, cet écrivain reporter nous propose de nous confronter à l'humain dans sa version la plus déplaisante. Éprouvant et rude, cette lecture n'en est pas moins éclairante et finalement très agréable même si l'homme ne ressort pas vraiment grandi de cette entreprise...
L'auteur a débuté en étudiant la littérature, la philosophie et l'arabe. Il est alors devenu grand reporter et a beaucoup voyagé notamment en Afrique orientale et au Moyen Orient. Il a ainsi couvert de nombreux événements comme les révolutions arabes, le conflit israëlo-palestinien (notamment les heurts à la frontière de Gaza) ou encore le drame humanitaire du Darfour (un génocide toujours en cours dans l'indifférence la plus totale...). Ce recueil rassemble des instantanés de son expérience entre témoignages, récits réalistes et quelques pièces plus romancées. Constitué de très courts récits n'excédant jamais la vingtaine de pages, Jaszberényi nous confronte à des réalités trop souvent ignorées, à des destins brisés et à ses propres expériences qu'il cumule depuis longtemps, peut-être trop longtemps serait-on en droit de se dire...
Ainsi, d'un texte à l'autre, on passe d'un pays à un autre, d'une crise à une autre avec des écrits fulgurants qui emportent l'adhésion du lecteur malgré parfois la dureté des situations. Il nous raconte ainsi une crise de fièvre aiguë qu'il a vécu lors de ses premiers déplacements, sa première exécution publique qui va le chambouler, la vie à l'hôtel entre deux missions et comment on essaie de se laver de la tête des horreurs qu'on a pu vivre. D'autres récits, nous parle de foi et de superstition avec cette culture orientale si lointaine de nos codes occidentaux et qui nous interpelle (la place des femmes, la notion d'honneur, de martyr...). Certaines nouvelles nous parlent du métier de journaliste ou encore des causes humanitaires à travers des récits d'expériences parfois fugaces mais qui sont révélatrices des tensions en jeu. Enfin, d'autres histoires s'apparentent davantage à des récits initiatiques, l'auteur partant à la découverte de l'autre et même de lui-même (magnifique dernière nouvelle).
Je reste volontairement vague sur les histoires en elles-même pour ne pas déflorer un contenu riche et puissant. Il est beaucoup question de souffrance dans ce recueil, la lecture est donc aride et l'on se surprend à s'arrêter entre deux nouvelles pour reprendre son souffle, réfléchir à ce que l'on vient de lire. En fond général, on retrouve la notion de pouvoir despotique, de guerres claniques et de manipulation des masses. Révolutions, guerres civiles, extrémismes religieux, cloisonnements sociétaux et autres déstabilisations se suivent provoquant le malheur des uns et enrichissant d'autres. Au final, comme un serpent qui se mord la queue, ces régions du monde semblent tourner en rond et leur sort reste figé. Cela n'est pas exprimé directement mais on ne peut douter du background avec quelques références à peine voilée sur la responsabilités connexes des occidentaux (corruption, vente d'arme, yeux détournés face à certaines horreurs). Les destins individuels qui nous sont présentés sont autant de miroir de l'incurie humaine avec son lot de suppliciés et de victimes innocentes sacrifiées au nom d'intérêts partisans.
La Fièvre est un recueil détonant, au ton différent, très accessible qui ravira les amateurs de sensations fortes et de récits fondés sur l'actualité du monde. C'est l'occasion aussi de découvrir un reporter de guerre qui au détour de quelques lignes ou à travers certains textes se livre et donne à voir la dureté du métier avec son lot de sacrifices, de renoncements et de conséquences psychologiques. Un ouvrage à découvrir absolument.
"Un Été sans dormir" de Bram Dehouck
L'histoire : C’est arrivé près de chez vous, un été étouffant, à Windhoek, petit village belge sans histoire...
Jusqu’au jour où la municipalité fait installer des éoliennes. Ce bruit de pales ! Flap, flap, flap. Le boucher en perd le sommeil. Plusieurs nuits d’insomnie et il pique du nez dans sa spécialité, une recette dont les clients raffolent. Dès lors, par un effet domino aussi logique qu’absurde, les catastrophes s’enchaînent, les instincts se libèrent, et les vengeances s’exercent... Pour le pharmacien, les amants cachés, le jeune désœuvré ou la femme du facteur, rien ne sera plus pareil à Windhoek.
La critique de Mr K : Direction le plat pays aujourd'hui avec une chronique consacrée à Un Été sans dormir de Bram Dehouck tout juste sorti aux éditions Mirobole à l'occasion de la rentrée littéraire. Il s'agit d'un polar belge servi bien noir qui m'a totalement emporté, ne me laissant pas d'autre choix que de continuer ma lecture jusqu'à la dernière page tant j'ai été pris par les personnages et l'histoire. Attention, petite bombe littéraire !
Bienvenue dans la charmante localité de Windhoeck, petit village flamand ne dépassant pas la centaine d'habitants et où tout le monde se connaît. La localité vit au rythme des saisons et des habitudes de chacun, il ne s'y passe pas grand chose et d'ailleurs cela contente tout le monde. L'installation d'un parc éolien de production électrique va bouleverser la donne. Certains protagonistes ne supportent pas ce changement qui bouleverse leurs habitudes (le bruit des pâles qui devient obsédant pour le boucher, l'ombre des infrastructures qui dénature le jardin du vétérinaire...) et au fil du texte, on sent que le pétage de plomb n'est pas bien loin. Surtout que l'auteur gratte là où ça fait mal et très vite le vernis des apparences laisse apparaître un tableau bien moins reluisant avec son lot de frustrations, vexations, jalousies et tromperies qui vont mener cette communauté bien sous tous rapports à première vue vers un chaos indescriptible et tétanisant.
Petit ouvrage d'à peine 250 pages, Un Été sans dormir s'avère être une redoutable machine infernale pour tous les personnages. C'est par petites touches, à la manière des pointillistes en leurs temps que l'auteur brode un canevas de plus en plus dense qui fait monter la pression méthodiquement et de manière implacable. Pour cela, Bram Dehouck déroule une galerie de personnages décalés comme par exemple le boucher qui n'arrive plus à dormir et commence à confondre réalité et imagination, une femme qui a raté sa vie et qui se met à espérer ruiner celle de sa plus grande rivale, un homme passionné de jardinage voit son œuvre gâtée par les nouvelles installations et commence à se demander s'il va pouvoir le supporter, une jeune fille timide et diminuée tente de commencer enfin sa vie après avoir subi le joug d'un grand-père fermier despotique, le pharmacien perfectionniste qui peut déraper très vite, l'adolescent boutonneux épris d'une beauté inatteignable et qui a du mal à ne pas céder à certains pulsions et bien d'autres que vous découvrirez lors de votre future lecture. Rajoutez par dessus, un soleil de plomb qui n'aide pas à la sérénité et vous obtenez un climax bien pesant qui n'attend qu'une chose : que les éléments se déchaînent !
Page après page, détail après détail, conversation après conversation, la mayonnaise monte. On sent bien que l'on va droit dans le mur, que l'équilibre précaire va se rompre et que les chevaux vont être lâchés ! La trame se densifie, les êtres se croisent, ne se comprennent pas toujours, psychotent énormément et l'ensemble mène à une construction mentale très élaborée qui ne peut que mener au drame. Le pire, c'est qu'on en redemande malgré un malaise qui s'installe progressivement et sûrement. Personnages malmenés autant que le lecteur, cette lecture marque par son côté banal (les destins décrits n'ont rien d'extraordinaire en soi) mais la concomitance des faits et les hasards qui s'y ajoutent donnent à voir une humanité engoncée dans un certain individualisme et un égocentrisme qui souvent la mène à sa perte. Quand les événements finissent par se précipiter, je peux vous dire qu'on souffre. Un conseil, ne vous attachez pas trop aux personnages car loin de les épargner, l'auteur réserve pour certains d'entre eux un sort peu enviable.
Un Été sans dormir est remarquable aussi dans sa forme. Excellemment construit, possédant un rythme et une force peu commune, il est très accessible et superbement rédigé provoquant une addiction qui devient très vite insurmontable. Langage courant mâtiné parfois d'explosions plus familières, on baigne vraiment dans une ambiance étrange et l'immersion est totale. Se lisant très simplement et avec une joie renouvelée, même si la fin cueille littéralement le lecteur et le laisse à genou, on prend sacrément son pied à découvrir les affres des habitants de Windhoeck. À lire absolument, vous ne le regretterez pas !
"Nami" de Bianca Bellova
L'histoire : Voici l’histoire d’un jeune garçon qui grandit sur les rives d’un lac en train de s’assécher, quelque part au bout du monde...
Un village de pêcheurs. Un rivage qui recule de manière inquiétante. Les hommes ont de la vodka, les femmes des soucis, les enfants de l’eczéma. Nami, lui, n’a rien, hormis sa grand-mère aux mains immenses. Mais il a aussi un destin devant lui, un premier amour, et tout ce qui suit. Cependant, quand une vie commence à la toute fin du monde, elle peut peut-être finir à son début. Cette histoire est aussi vieille que l’humanité. Pour son héros, jeune garçon qui se lance dans sa quête avec pour seules armes son obstination et le manteau qui appartenait à son grand-père, il s’agit d’un pèlerinage.
La critique de Mr K : C'est les impressions sur une très belle lecture que je vais partager aujourd'hui avec vous. Nami de Bianca Bellova est une petite merveille dans le domaine du roman initiatique, un genre que j'affectionne tout particulièrement et qui avec cet ouvrage trouve un nouveau petit classique en puissance tant l'histoire contée, la puissance de la langue accompagnent le lecteur vers des horizons lointains et insoupçonnés.
Le héros éponyme est un jeune garçon qui n'a plus de parents. Le père a disparu dès sa naissance, la maman (une fille de mauvaise vie selon les rumeurs) n'est plus là. Nami vit donc dans un petit village de pêcheurs au bord d'un lac. Élevé par ses grands-parents entre un grand-père frustre et fort en gueule et une grand-mère très maternelle, il vit heureux malgré la rudesse de ses conditions de vie, la misère ambiante et l'occupation soviétique qu'il entrevoit de son œil d'enfant sans réellement en mesurer l'impact. À ce propos, à aucun moment du récit, il ne sera précisé dans quel pays se situe l'action, mais à travers la nourriture et quelques détails sur les us et coutumes, on devine qu'on se situe en Europe Orientale.
La mort de ses proches va propulser Nami dans une autre dimension. Le jeune homme qui voit son toit occupé par un ponte local décide de partir en quête de son passé et va par là même parcourir le monde à la recherche de réponses sur lui, sa nature et ses origines. Longue sera sa route vers la capitale qui le verra livré à lui-même dans un univers hostile où il fera cependant des rencontres marquantes qui le guideront vers une vérité à laquelle il aspire. La quête d'une mère est sans aucun doute la plus importante qu'il soit pour un gamin qui va au fil des pages grandir, affronter la vie, les hommes et la destinée.
On se prend très vite au jeu pour ne pas dire immédiatement. Le personnage est très attachant, libre sans l'être vraiment, il tente avec ses maigres moyens de survivre. Se nourrir, se loger, trouver des indices, affronter aussi les affres de l'adolescence puis de la vie d'homme. On grandit avec lui, l'accompagnant dans ses errances, ses détours, ses épreuves mais aussi les petites joies de l'amitié, l'amour et de l'accomplissement de soi. C'est pur, brut de décoffrage par moment et totalement universel dans sa portée. Légende moderne doublée d'un destin particulier prenant et emballant, la lecture s'effectue toute seule, sans effort, avec un intérêt renouvelé et une densité qui ne fait que prendre de l'ampleur au fil du parcours de Nami.
Malgré son opacité voulue, le background renforce l'empathie du lecteur envers notre jeune héros : cet univers presque clos est dur, la pauvreté partout, la vie pas facile. Enchaînant les boulots, parfois les désillusions, il lui faut être solide dans ce pays livré au joug d'une puissance envahissante qui produit ressentiment, inégalité et injustice. Ce n'est pas à proprement parlé le fond de l'ouvrage (qui s'attache essentiellement au personnage principal) mais ce livre est une belle fenêtre sur la vie d'un pays sous la domination d'une puissance hégémonique, ne tombant jamais dans le manichéisme pur et dur (chacun ici a sa part de lumière et d'ombre), on est soufflé par l'ambiance insufflée dans ses lignes qui hantent longtemps après sa lecture les synapses du lecteur pris au piège.
Il faut dire que l'écriture de Bianca Bellova est magique. Subtile et envoûtante, volontiers poétique à certains égards avec un renouvellement constant dans les images et une concentration forte en émotions pures, le mot voyage littéraire n'est ici pas usurpé avec une expérience vraiment hors norme qui prend au cœur et aux tripes. La beauté est présente partout ici même dans les passages les plus noirs, l'écriture est un écrin sans pareil pour une histoire intemporelle et saisissante. Un must ni plus ni moins, une lecture inoubliable que je vous invite à découvrir au plus vite !
"Converti à Jaffa" de Marek Hlasko
L’histoire : Dans l’Israël de la fin des années 1960, en pleine saison des pluies, deux escrocs désabusés survivent en échafaudant des arnaques au mariage : Robert invente des scénarios qui attendriront les femmes vieillissantes et les feront payer, Jacob jouera la comédie.
Leur prochaine cible est un couple de Canadiens : un pasteur protestant et sa femme. Le pasteur, venu en Israël pour convertir des juifs au christianisme, s’apprête à rentrer bredouille dans son pays. L’échec de la mission qu’il s’était fixée le pousse à boire. Jacob prend le missionnaire en pitié et se fait passer pour un juif désirant recevoir le baptême...
La critique de Mr K : Étrange lecture aujourd’hui avec cette première parution de 2018 chez Mirobole, une maison d’édition que nous apprécions tout particulièrement au Capharnaüm éclairé. Il s’agit de la deuxième traduction parue chez eux de Marek Hlasko, un auteur polonais culte, qui a fui la dictature communiste et que l’on compare souvent à Jack Kerouac. Ayant vécu une courte vie haute en couleur (il se donna la mort à 35 ans), ses romans s’apparentent à un mix d’éléments autobiographiques et de fiction pure.
Dans Converti à Jaffa, on suit Jacob le narrateur (alter ego de l’auteur) et un certain Robert. Ce duo d’arnaqueurs vit d’expédients et de combines plus ou moins douteuses où chacun a un rôle bien déterminé : Robert est le cerveau, celui qui échafaude les plans et Jacob est l’acteur, celui qui séduit, manipule et joue avec les victimes qui lui sont désignées par son collègue. Plus ou moins spécialisés dans les arnaques amoureuses, ils vont s’atteler à la tâche avec un couple de canadiens peu commun, où le mari est en pleine déprime car il n’arrive pas à mener à bien sa mission d’évangélisation en Israël. L’affaire va s’avérer plus ardue que prévue pour nos pieds nickelés...
Clairement, le roman repose entièrement sur la relation entre Robert et Jacob. Tout semble les opposer : l’un est bavard et intellectualise tout (Robert) tandis que l’autre respire la jeunesse, la beauté (il est l’atout séduction de l’équipe) et la discrétion. Ça fonctionne bien, ces opposés réussissant parfaitement à mener leur barque, à manipuler les sentiments de leurs cibles entre mensonges, inventions et parfois même une certaine sincérité, une franchise empathique qui surprend et enrichit des machinations parfois à la limite du rocambolesque. À ce niveau, je dois avouer qu’on s’y perd par moment et que l’ensemble produit un récit déstabilisant et totalement en dehors des sentiers battus.
En effet, bien que remarquablement construit, le récit emprunte bien des fois des détours nébuleux avec des effets de manche peu communs, des envolées complètement branques de Robert qui sort du cadre, égarant le lecteur vers des horizons vraiment insoupçonnés au fil de ses pensées exposées à vif. Il faut en tout cas se laisser porter, sans chercher forcément à tout saisir / comprendre, certains passages pouvant s’apparenter à des délires sans fondements ! C’est perturbant dans un premier temps mais c’est aussi novateur et assez bluffant. On plonge vraiment dans un univers parallèle, peuplé de laissés pour compte, de personnages abîmés par la vie qui tentent de vivre bon gré mal gré.
Difficile dans ces conditions de pouvoir exprimer un avis définitifs sur un tel titre. Il divisera forcément ses lecteurs mais c’est déjà un petit miracle de pouvoir le trouver traduit en langue française (chapeau au traducteur au passage, ça n’a pas du être facile à faire). Facile à lire (4h d’une traite pour moi), c’est un ouvrage étrange mais profondément sincère que nous propose Marek Hlasko. Une lecture à découvrir si les thèmes et l’étrangeté en générale vous attirent !
"La Guerre des bulles" de Kao Yi-Feng
L’histoire : Dans une communauté de montagne coupée du monde, les réserves d'eau se tarissent. Face à des adultes incapables d'affronter ce problème de survie, les enfants comprennent que c'est à eux de le régler.
Ils s'emparent d'armes, prennent la maîtrise du territoire et emprisonnent leurs parents. Lorsque ceux-ci protestent sérieusement, le mouvement de résistance lancé par les enfants franchit un pas supplémentaire.
Désormais maîtres du territoire, ils tentent d'établir un nouveau modèle de société, basé sur l'abolition de toutes les règles anciennes...
La critique de Mr K : C’est à Taïwan que nous emmène la chronique du jour avec la dernière sortie littéraire des éditions Mirobole que j’aime tellement. La Guerre des bulles de Kao Yi-Feng est un drôle d’objet littéraire qu’il est difficile de définir avec précision tant on se retrouve à la croisée des genres entre roman d’apprentissage, dystopie et satire sociale. Malgré un démarrage de lecture difficile, le jeu en vaut la chandelle car ce récit est d’une grande beauté et d’une grande portée. Suivez le guide!
L’action se déroule dans un faubourg isolé dans les montagnes de Taïwan. La vie suit son cours malgré des difficultés endémiques en terme d’accès à l’eau potable. La sécheresse aidant, l’absence de réseau d’eau courante se fait cruellement sentir et la communauté villageoise ne semble pas prendre le problème à bras de corps. Face à cette impuissance affichée, la révolte gronde chez les enfants qui vont opérer un coup d’état et prendre le contrôle du faubourg. Gao Ding est élu général en chef et en s’entourant de ses plus proches amis, il va instaurer de nouvelles règles, un nouveau régime pour ne pas réitérer les erreurs de ses aînés, bâtir un monde nouveau pour améliorer le sort de tous les habitants. Lui et ses troupes vont apprendre que les idéaux se heurtent bien souvent à la réalité et le pragmatisme attend au tournant toute personne ou groupe qui détient le pouvoir...
Le récit commence très lentement, c’est pour cela que dans un premier quart de livre, j’étais un peu perdu. L’ouvrage débute directement au moment de la prise de pouvoir des jeunes et l’auteur, Kao Yi-Feng, s’efforce de nous décrire l’organisation et les rituels suivis par les nouveaux maîtres du faubourg. C’est un peu fastidieux et ça ne fait pas vraiment avancer les choses. En fait, il faut attendre un peu pour se rendre compte que le procédé est assez malin (à défaut d’être séduisant de prime abord) car il plante des éléments essentiels pour la suite. La réalité les rattrapant, Gao Ding et les siens vont devoir affronter le problème de l’eau mais aussi l’organisation générale de la zone et une menace plus insidieuse, celle de chiens errants qui cherchent eux aussi à survivre, quitte à attaquer les humains et notamment les enfants. Un glissement s’opère alors et les enfants se rendent compte qu’il va falloir prendre les problèmes sérieusement quitte à perdre leur innocence, pour rentrer dans l’âge honni de l’adulte.
Belle parabole sur le pouvoir et ses exigences, le livre ne recule devant aucun faux fuyant ou caricature. Des passages sont relativement rudes et en choqueront certains. La mort sème les victimes sur son passage, nul n’est épargné et surtout pas les enfants. Jamais gratuite ni exagérée, la violence larvée ou frontale n’est que la résultante d’aléas propres à la gestion d’un groupe et d‘un territoire. Surveillance, conflit, tension mais aussi guerre sont ici au menu et c’est loin d’être un jeu d’enfants, fissurant à l’occasion les rangs des troupes occupantes. Des figures extérieures aux enfants dont une sorcière et un vieil homme amoureux de chiens renvoient la balle aux dirigeants juvéniles, les mettant face à leurs contradictions et leur apportant leur aide à des moments cruciaux. Pour ceux qui connaissent la référence, il y a clairement des ponts, des liens et des thématiques communes avec le magnifique Sa majesté des mouches de William Golding même si ici, des passages sont bien plus crûs à la manière des auteurs coréens notamment.
Au delà de la trame principale, le monde qui nous est donné à voir est étrange. Bien qu’assez réaliste, on trouve des éléments de pure fantaisie et fantastiques à l’occasion. Certains morts réapparaissent et continuent de hanter les vivants, les ombres ont une vie propre, la nature même peut se révéler étrange avec de fascinantes métamorphoses et des aliments qui semblent se créer ex nihilo. On se prend même à se demander si l’on est dans le rêve / fantasme ou dans de la réalité augmentée du type réalisme magique. C’est déstabilisant mais aussi jouissif quand on est amateur, on se retrouve parfois dans un univers proche d’un Murakami avec l’obscurité en plus. J’ai aimé cette sensation de ne pas savoir à quoi m’attendre à chaque page tournée. Tout semble possible à n’importe quel moment et la fin n’est vraiment pas pour me déplaire laissant une saveur énigmatique en bouche. C’est typiquement le genre de livres dont on a envie de parler ensuite avec d’autres lecteurs pour échanger nos ressentis et nos avis.
Très poétique, léger et pourtant parfois très dur, ce roman se lit vraiment très facilement grâce à une langue aérienne, légère, exigeante mais tournée vers le lecteur. Transportant celui-ci vers des ailleurs insoupçonnés, on se sent tour à tour confortablement installé dans sa lecture, ébranlé, surpris, choqué, perdu. Il faut se laisser faire, pénétrer dans le livre sans certitudes et sans crainte car au final, l’histoire universelle qui nous y est contée marquera votre esprit d’une empreinte indélébile.
"L'Age d'or" de Michal Ajvaz
L’histoire : À travers un carnet d’exploration fictif, un voyageur revisite en imagination l’île peuplée d’excentriques où il vécut plusieurs années, faisant resurgir un univers de bruissements, d’odeurs et de lumières mouvantes, royaume de l’étrange et du beau dont le joyau le plus envoûtant est un livre labyrinthique que les indigènes complètent ou altèrent au gré de leurs humeurs...
La critique de Mr K : Il y a deux ans, je vous avais fait part d’une expérience hors norme en terme de lecture avec le nébuleux et foisonnant L’Autre ville de Michal Advaz. Mirobole editions réitère l’aventure avec la ressortie chez eux d’un ouvrage ancien de l’auteur, anciennement titré L’Autre île et rebaptisé pour cette réédition L’Age d’or. Autant le premier lorgnait sur le surréalisme, autant celui-ci bien qu’encore bien alambiqué se présente sur une forme plus fixe : le guide de voyage. Mais attention, pas n’importe lequel, un savant mélange de description, d’impression et de dérégulation de la réalité comme en a le secret cet artiste aux multiples facettes.
Le narrateur décide un jour d’écrire un guide concernant une étrange île où il a résidé durant quelques temps. Isolée du reste du monde malgré quelques liens conservés pour ne pas être en rupture totale (une cabine téléphonique, un port pour quelques échanges commerciaux), les êtres humains qui la peuplent n’ont pas du tout les mêmes mœurs que nous. En présentant leur langage, leur organisation politique, leur rapport avec leur milieu et l’étrange livre rédigé au fil du temps et de concert par les habitants de l’île ; le narrateur va bousculer ses certitudes et les schémas mentaux établis par nos sociétés occidentales.
Loin des schémas habituels, ce roman est plus qu’un récit car il n’y a pas vraiment de trame précise. Constitué de courts chapitres oscillants entre 2 et 6 pages, l’œuvre s’apparente à un gigantesque patchwork coloré qui de prime abord semble sans queue ni tête. Comme dans L’Autre ville, il faut accepter en tant que lecteur de lâcher prise, de ne pas tout comprendre et de se laisser guider par les multiples digressions qui peuplent ce roman quasi métaphysique tant il touche à la matière humaine pure, à l’existence en général. S’abandonner serait plutôt le terme exact, s’abandonner aux sensations différentes que procure la langue si poétique de cet auteur tchèque au talent incroyable et qui sème sur son passage de purs moments de grâce et d’étonnement.
Ode à la bizarrerie et à l’étrange, il n’en demeure pas moins que cet ouvrage nous parle aussi du monde avec notamment les relations complexes entre le peuple et les détenteurs du pouvoir, le rapport de l’homme avec la nature avec des îliens parfois en osmose avec leur environnement (les passages décrivant leurs habitats sont tout bonnement magiques), le rapport à la lecture, au conte et à la vérité avec un dernier tiers de livre consacré au fameux livre labyrinthique composé de multiples couches et poches où chacun donne son avis et réécrit l’histoire à l’envie. La mise en abyme avec la littérature et le langage est constante et donne à voir un monde étrange et dérangeant, à 10 000 lieux de nos modèles courants mais pas pour autant une utopie parfaite. D’ailleurs, le narrateur finit bien par partir de ce lieu hors norme et tenter de nous en expliquer le fonctionnement malgré des aspects abstraits impossibles à décrire précisément. Reste des empreintes, des sensations qui marquent le lecteur hypnotisé dans sa chair et son âme. J’en ai encore des frissons rien que d’y penser !
La lecture de L'Age d'or nécessite un temps d’adaptation surtout pour ceux qui n’ont jamais pratiqué cet auteur. Pour ma part, j’ai trouvé cet ouvrage plus accessible que ma précédente lecture. La langue reste toujours aussi affolante, laissant libre court à un imaginaire en roue libre où nulle limite ne semble admise à part celle de la grammaire. Les images foisonnent, les caractérisations étonnent et l’ensemble finalement détone. C’est un véritable voyage qui nous est proposé à travers cette île nébuleuse, impalpable et unique. Une fabuleuse lecture pour celui qui s'engage confiant et sans idées pré-conçues dans ce labyrinthe de mots au charme capiteux et déroutant. Une véritable claque !
"Colza mécanique" de K. B. Holmqvist
L'histoire : Restés célibataires, les deux frères Henning et Albert, 68 et 73 ans, habitent une maisonnette à la lisière d'un village de la campagne suédoise. Leur paisible routine est brisée net lorsque la maison d'à côté est transformée en centre de désintoxication pour femmes. Puis quand, à la suite d'un malentendu, des médias à l'imagination fertile lancent une rumeur incroyable : le champ de colza voisin serait un lieu de débarquement extraterrestre. Jeunes femmes vulnérables d'un côté, journalistes en délire de l'autre... Propulsés au coeur de la révolution villageoise, les deux vieux garçons vont devoir garder la tête froide.
La critique Nelfesque : J'avais particulièrement apprécié ma lecture d'"Aphrodite et vieilles dentelles" du même auteur l'an dernier et à l'annonce d'une nouvelle parution chez Mirobole en mai, j'étais des plus impatientes de découvrir ce dernier né !
A la lecture de la quatrième de couverture, le lien se fait tout de suite avec le roman précédent. "Tiens tiens, me dis-je... La mère Holmqvist nous refait le coup des petites vieilles version frères âgés. Pas très original tout ça..." Et le fait est que tout y fait penser ! L'auteure semblant utiliser les mêmes ingrédients et les mêmes ficelles. La campagne, les liens fraternels, les personnes âgées, l'humour et l'ingrédient inattendu qui fait que leur vie va changer.
Oui, il y a du "Aphrodite et vieilles dentelles" dans "Colza mécanique" mais de par des personnages au tempérament bien différent, le lien entre les deux romans est vite oublié. Et oui, je suis capable de me rendre compte quand je fais fausse route et peu à peu mes appréhensions de début de lecture se sont dissipées au profit d'un plaisir sans bornes... Qu'est ce que j'ai ri !
Henning et Albert sont frères et ne se sont jamais quittés. Agés, ils vivent à la campagne et mènent une petite vie simple et satisfaisante. Dans leur maison entourée de champs, ils se contentent de peu, n'ont pas de voiture et se déplacent à vélo. Ils donnent quelques coups de main dans le voisinage, et notamment au manoir, chez Louise et Olof qui aiment particulièrement leur côté désuet, respectueux et loyal. Henning et Albert sont deux petits vieux comme on en fait plus et cela serre le coeur quelques fois au détour d'une page. Parce que moi je les aimais bien ces petits papis toujours habillés pareil, qui partaient chercher leurs journaux à pied au village, même si il fallait parcourir plusieurs kilomètres, qui allaient aux champignons et avaient l'accent chantant. Le temps semblait ne pas avoir de prise sur eux. Eté comme hiver, ils étaient toujours de bonne humeur. Ils avaient vécu une autre époque, la guerre, la faim et se contentaient de choses simples et de petits bonheur de la vie. C'est mon côté nostalgique et fille de la campagne ça...
Un matin ils apprennent que leur maison natale, séparée de la leur par un champ de colza a été vendue et, après quelques travaux, va accueillir un centre de repos pour femmes en difficulté. La curiosité est grande au sein du village et bientôt une étrange rumeur de débarquement extraterrestre va se répandre dans les médias.
Quiproquos à foison, situations absurdes, "Colza mécanique" m'a fait rire à gorge déployée. Les deux frères sont désarmants de naturel et de naïveté et la confrontation entre leur vie tranquille et la frénésie des médias est savoureuse. Deux mondes s'entrechoquent dans cet ouvrage où l'humour est omniprésent. Evoluant jusqu'ici en parallèle, sans jamais se croiser, ils n'ont ni le même rythme, ni les mêmes préoccupations, ni le même mode de vie. Rencontre au sommet dans un champ de colza où l'espace de quelques jours l'avenir de l'humanité va se jouer. Jubilatoire.
"Choucroute maudite" de Rita Falk
L’histoire : Bienvenue dans le village de Niederkaltenkirchen, Bavière, pour une comédie policière haute en couleur.
Le commissaire Franz Eberhofer, viré de Munich pour raisons disciplinaires, se la coulait douce dans sa bourgade natale : les patrouilles finissaient invariablement devant une bière chez Wolfi, en promenade avec Louis II – son chien –, dans la boucherie de son copain Simmerl ou à table avec sa mémé sourde comme un pot. Ça, c’était jusqu’à ce que les membres de la famille Neuhofer claquent l’un après l’autre, avec la mère retrouvée pendue dans les bois, le père électricien électrocuté, et le fils aîné aplati façon crêpe sous le poids d’un conteneur. Ne reste plus que Hans, le fils cadet.
L’enquête s’annonce déprimante. Mieux vaut prendre des forces et avaler consciencieusement les robustes charcuteries locales.
La critique de Mr K : Retour dans la galaxie Mirobole aujourd’hui avec Choucroute maudite, une comédie policière bien déjantée comme il faut et qui procure un sacré plaisir de lecture en compagnie de personnages vraiment branques et attachants. Attention, une fois que vous avez pénétré dans l’univers farfelue de Rita Falk, il est quasiment impossible de détacher ses yeux du livre avant la toute dernière page.
Franz a été mis au placard dans sa ville natale. Suite à une enquête qui a plus que mal tourné, le voila devenu policier municipal chargé de faire traverser les mômes sur le chemin de l’école, de régler les différents familiaux et vicinaux, ainsi que toute une série de tâches administratives purement déprimantes. Bref, on est bien loin de la carrière haletante qu’il souhaitait entreprendre en rentrant dans la police. Mais bon... il s‘occupe tout de même entre sa famille bien space, les tournées au bar avec les potes et les promenades avec son chien. Mais v’la-t-il pas qu’une série de meurtres étranges se produit dans la si riante et campagnarde ville de Niederkaltenkirchen. Pas n’importe quels crimes en plus, trois morts dans la même famille en un temps record. La coïncidence est bien trop grande et Franz soupçonne très vite les pseudos crimes maquillés en accidents d’être les éléments d’une seule et même machination. L’enquête promet d’être complexe, surtout quand soit même on est au bout du rouleau...
La grande force de cet ouvrage réside dans ses personnages. Honnêtement, on passe son temps à se gondoler entre le flic déprimé amateur de bonne chair et de bière, le papa allumé fumeur de joints qui ne sait comment montrer à son fils qu’il l’aime, les copains relous qui ne vous aident pas, la belle-sœur roumaine allumeuse et la mémé complètement sourde, obsédée par les promos de toutes sortes, amatrice de coups de kick-boxing dans les tibias des malheureux qui croisent sa route et auraient le mauvais goût de la contredire ou de lui déplaire. Il se dégage de l’ensemble une folie douce qui vous emmène loin dans le délire et le sourire ne se démarque jamais de votre visage.
Alors certes, l’intrigue policière en elle-même est plutôt mince et la solution apparaît très vite dans l’esprit d’un lecteur expérimenté dans le domaine des enquêtes policières mais on ne peut que succomber au charme de ce roman qui accumule les situations ubuesques sans retenue et avec un amour profond pour les personnages qui se débattent comme ils peuvent avec leurs existences. Et puis, si comme moi, vous êtes amateur de belles tablées, entre repas gargantuesques et bonnes descentes liquides, vous serez comblés car la mémé est un cordon bleu et le héros lève très bien le coude. Les instantanés de vie livrés ici sont à la fois réjouissants, crédibles et parfois très touchants (les rapports parents/enfant, la quête si compliquée de l’amour).
Le point de vue adopté y est aussi pour beaucoup, toute l’histoire nous est retranscrite à travers les yeux du héros, policier déchu, bouffi par l’alcool et la nourriture qui erre dans la campagne avec son chien telle une âme damnée. Pour autant, il n’est pas vraiment malheureux, il trouve l’occasion de draguer, flemmarde pas mal, s’occupe de sa grand-mère et essaie de faire son travail du mieux qu’il peut. On prend donc en pleine tête toutes ses réflexions, bien souvent familières et décalées qui font la part belle à l’humour et parfois au désenchantement. L'alchimie fonctionne, on prend fait et cause pour lui et l’accroche est durable et dense.
Au final, on arrive au dernier chapitre sans s’en rendre compte avec un plaisir qui ne se dément jamais et un final réussi. Et dire que ce tome n’est que le premier d’une série qui fait fureur outre-Rhin... Espérons qu’il en soit de même par chez nous pour que nous puissions suivre les aventures de ce commissaires hors du commun et surtout retrouver Mémé qui est sans conteste LA star de cet ouvrage !