Nouvelles de Noël chez Agullo
Depuis deux ans, à la période de Noël, les éditions Agullo font parvenir en sus de services presse un court recueil d’une quinzaine de pages constitué d’une "nouvelle de Noël" écrite par un des auteurs de leur catalogue. Cette année, je passai le pas en lisant celle de l’an dernier et celle reçue très récemment. Je n’ai pas été déçu avec deux textes aussi courts qu’incisifs mais très différents l’un de l’autre.
Le Sapin de Yan Lespoux : "Même si tu crois en rien, t’as au moins un sapin". C’est le réveillon de noël, le narrateur vient de s’ouvrir une douzaine d’huîtres, une bonne boutanche et attend le traditionnel bêtisier que nous sert la télé pour ce type d’occasions. Mais voila que son petit programme est bouleversé par l’arrivée de trois copains célibataires bien allumés avec qui il va passer un réveillon pas tout à fait comme les autres. Ça discute sec, ça boit et ils finissent par partir à l’arrache à la quête d’un sapin de Noël à tronçonner en pleine nature. L’expédition sera dantesque ! On retrouve ici toutes les qualité de l’auteur qui m’avait tellement séduit avec son recueil de nouvelles Presqu’îles notamment son écriture fluide et universelle, son goût pour des personnages truculents. On rit beaucoup ici, on explore aussi les manques et mélancolies qui sont exacerbés par l’esprit des fêtes de fin d’année. Un très bon texte.
Comptes à rebours de Valerio Varesi : "On était le 1er décembre, je me sentais bien, j’étais content. J’avais mis la taule au rancart, les affronts et la galère du bloc 13 aux oubliettes. Bon.". Un ex taulard tombé pour braquage trouve un étrange paquet dans sa boîte aux lettres. Il s’agit d’un calendrier de l’avent et il commence à jouer le jeu d’ouvrir une petite fenêtre par jour. Pas de chocolats ou de mini-jouets à la clef mais des messages pour le moins étranges... puis des codes chiffrés... Nouvelle à suspens, on se prend au jeu immédiatement avec un narrateur dont les zones d’ombre se révèlent au fil du récit. C’est malin et bien amené, la fin est parfaite. Quoi de plus étonnant de la part d’un auteur à l’écriture subtile qui aime bichonner ses personnages pour mieux les malmener par la suite.
Deux belles lectures donc pour passer un bon Noël. Si vous souhaitez d'ailleurs lire "Le Sapin", la nouvelle a été mise à dispo sur le site de la maison d'édition. Faites-vous plaisir ! Ah, il savent y faire chez Agullo. Vivement l’année prochaine !
"Presqu'îles" de Yan Lespoux
L’histoire : Un coin secret de champignons. Un tracteur en boîte de nuit. Une vierge phosphorescente. Un concert fantôme. Des chemins de sable qui serpentent entre les pins jusqu’à l’océan.
L’envie de partir et le besoin de rester...
Presqu’îles, ce sont des tranches de vie saisies au vol, tour à tour tragiques ou cocasses qui, à travers les portraits de personnages attachés de gré ou de force à un lieu, les landes du Médoc, parlent de la vie telle qu’elle est, que ce soit là ou ailleurs. Au fur et à mesure que ces textes courts se répondent et s’assemblent, un monde prend forme. Celui de celles et de ceux dont on ne parle pas forcément, que l’on ne voit pas toujours.
La critique de Mr K : Je vous présente aujourd’hui un recueil de nouvelles fort réussi, le premier de la nouvelle collection Court de chez Agullo, une maison d’édition qui jusque là se cantonnait au format roman. Presqu’îles de Yan Lespoux est une très belle expérience de lecture. À travers des textes parfois très courts, toujours incisifs, l’auteur nous invite dans les landes du Médoc, petit coin de France que l’on redécouvre ici dans son universalité à travers des tranches de vie remarquablement saisies et servies dans une langue simple et évocatrice à souhait.
Avant ma lecture, le Médoc pour moi c’était les dunes, la plage, les forêts de pins. Des homme qui y habitent, de leur culture et mentalité, je ne connaissais pas grand-chose. Le fait est que beaucoup d’histoires de ce recueil tournent autour des éléments naturels que je viens de citer, ils font partie prenante de l’ADN des hommes et femmes de ce pays au charme finalement insoupçonnable. À travers le récit de petites fractions d’existences de gens du commun, de petits textes introductifs ayant souvent trait à la notion d’intégration ou de rejet (Aaaah le premier texte sur les Bordelais démarre le recueil en fanfare !), on pénètre dans la vie des simples gens, des vies communes que rien ne semble sortir de la routine mais qui par leur exposition nous ramènent bien souvent à notre condition humaine.
Il y a donc une universalité qui transpirent de ses pages, des thèmes, des actes et des pensées que l’on peut facilement retranscrire dans son propre milieu. Ainsi, les querelles de chapelles entre ruraux et urbains que l’on retrouve un peu partout, la mise à l’index de certaines minorités sexuelles ou ethniques, la vengeance mais aussi la famille, la nature et ses trésors, le temps qui passe sont autant d’éléments que l’auteur aborde avec finesse et sensibilité. Les pages se tournent toutes seules et l’on est assailli par des émotions très contrastées. On rit beaucoup aussi, par exemple face à certains textes hauts en couleur mettant en scène des personnages bruts de décoffrage. On s’interroge sur la persistance du jugement de l’autre, la violence inhérente à notre espèce et les réactions disproportionnées de certains (l’histoire de l’incendiaire, les deux pilleurs de champs de cannabis, le frère ultra-protecteur...). Mais on s’émerveille devant la nature qui procure ses bienfaits avec des scènes de ramassage de champignons dans des sous-bois clairs-obscurs à l’image de la superbe photo de couverture, les parties de pêche ou de baignade dans une mer au charme insondable qui peut aussi se révéler être très dangereuse. Le cadre et les hommes se réunissent donc bien souvent dans ces nouvelles d’une rare efficacité.
Une lumière, des odeurs, des ambiances uniques allant d’un calme profond à des scènes très tendues s’enchaînent au fil des pages qui se tournent toutes seules. L’écriture est posée avec une élégance et une fluidité assez confondante. Humour cinglant, rythme plus effréné mais aussi des moments plus évocateurs et envolées autour de certaines descriptions de lieux magnifient la trajectoire des protagonistes, l’action en court et les propos universels abordés au fil des microstorias : l’identité, l’intolérance mais aussi tous les aspects d’une vie de l’adolescence à la mort, en passant par la quête de sens qui nous accompagne tous, l’idée de routine, de changement de direction parfois nécessaires... Autant de thématiques brossées avec brio avec toujours en ligne de mire l’idée de s’attacher tant aux âmes qu’aux lieux.
Cette lecture fut un vrai délice, une immersion douce et rugueuse à la fois avec des textes qui prennent bien souvent aux tripes et qui vous proposent un voyage inoubliable dans un Médoc insoupçonné. À découvrir absolument si le format court vous plaît, l’auteur maîtrise son sujet haut la main et mérite vraiment d’être découvert. On en redemande !