"Showman killer" de Jorodowsky et Fructus
L’histoire : Mercenaire de l'espace, le Showman est un super-assassin né de l'imagination démoniaque d'un généticien. Dénué de toute émotion, formé à l'art des combats, il a été conçu pour tuer et seul l'or ou les joies simples propres à la mécanique de destruction lui procurent du plaisir. Pourtant, le destin de l'implacable Showman prend une nouvelle tournure quand il croise, lors d'une mission, la fascinante Ibis...
La critique de Mr K : Très bon et beau triptyque de bande dessinée SF prêté une fois de plus par l’ami Franck avec les trois tomes de Showman killer de Jodorowsky et Fructus. Space opera dantesque qui s’inscrit je trouve dans la lignées de La Caste des Métabarons et des Technopères que j’avais dévoré. Un empire en pleine déréliction, une menace venue d’un autre monde, un antihéros apathique qui ne pense qu’au fric sont au programme d’une œuvre qui dépote, régale les rétines et scénarisée de main de maître par un Jodorowsky une fois de plus en pleine forme.
Showman killer est une création ex nihilo d’un généticien fou qui cherche à obtenir l’assassin parfait, à savoir un être doué de pouvoirs uniques sans aucune once de conscience. On se garde bien de toute morale élémentaire dans ce type de quête et la naissance, puis l’apprentissage de Showman killer est terrible dans son genre. Très vite, la créature va se retourner contre son créateur et se mettre à son compte. Seul l’argent l’intéresse, dorénavant il se vendra au plus offrant. En parallèle, on suit l’omnimonarque, empereur d’un empire galactique puissant qui est tombé dans une sinistrose totale suite à la perte de sa femme qu’il aimait plus que tout. Il confie les rênes à une intrigante aux pouvoirs défiant toute imagination et qui poursuit d’obscurs desseins : la supra-hiérophante.
Tout cela passe bien au dessus de notre héros qui se contente d’amasser richesses sur richesses. Tout va changer quand une femme fascinante lui apparaît et va finir par lui confier un bambin que tout le monde recherche, à commencer par la régente démoniaque. Commence alors une profonde mutation chez Showman killer, lui qui est imperméable aux sentiments voit son armure se fendre, il n’agit plus seulement pour lui et prend conscience qu’il est bien davantage qu’un tueur sans âme. On s’oriente alors vers un affrontement titanesque qui livrera ses conclusions dans un dernier tome fulgurant.
Dès les premières planches, on est scotché par la beauté des dessins qui s’inscrivent dans la grande famille des dessinateurs cultes que sont Druillet, Caza et Moebius. Fourmillant de détails, colorés, animés, explosant les codes et les cases traditionnelles, on en prend plein les mirettes et l'ensemble donne à voir un univers gigantesque, bariolé, varié où technologie futuriste côtoie mysticisme et puissances spirituelles puissantes. Ça part loin dans le délire, on plane littéralement et l’on est vraiment transporté ailleurs sans que l’on puisse vraiment s’échapper.
On retrouve les questionnements de Jodorowsky sur le pouvoir et ses errances, la famille et ses déviances (on va très loin parfois ici), la religion et les croyances, la confrontation des cultures. En soi, ce n’est pas novateur si on le pratique déjà depuis un petit bout de temps mais c’est efficace, très bien huilé et le background est vraiment fouillé et cohérent. On voyage beaucoup de monde en monde, on alterne espace sidéral et mondes inconnus totalement dépaysants avec leurs propres règles et lois physiques. Génial !
La trame bien que classique est passionnante et les personnages charismatiques. À commencer par la supra-hiérophante qui est vraiment effrayante, machiavélique et en roue libre quand elle sent que les choses lui échappent. On croise aussi des créatures étranges, des dieux et déesses oubliés et à l’origine de tout un curieux personnage auquel au départ on donnerait le bon dieu sans confession. Le personnage principal gagne en épaisseur et lui qui m’indifférait quelque peu prend de l’ampleur et devient intéressant. Son second est quand à lui excellent de drôlerie, le parfait fait-valoir qui montrera une utilité des plus appréciables à certains moments clefs de l’aventure.
Univers foisonnant, explorations de l’immensité sidérale et du soi dans des moments psychédéliques, lutte de pouvoir intense, actes immoraux et grands quêtes initiatiques font de cette BD une pure expérience qui laisse bouche bée. Les amateurs ne doivent pas passer à côté !
"La Caste des Méta-Barons" de Juan Gimenez et Alexandro Jodorowsky
L’histoire: Il est le Méta-Baron ! La simple évocation de son nom suffit à terrifier des armées entières. Depuis des générations, le Méta-Baron est le plus puissant combattant de l'univers. On a connu le dernier de cette dynastie au cours des aventures du pauvre John Difool et de ses démêlés avec l'Incal. On découvre à présent l'extraordinaire histoire de ses ancêtres, qui commence avec Othon, ancien pirate, qui, par amour et loyauté, devint le premier Méta-Baron. On assiste au terrible rite de passage qui régit cette famille impitoyable, où le fils est mutilé par son père, puis doit le vaincre en un combat singulier d'où il ne reste qu'un seul survivant. Il en est ainsi à chaque génération de la caste des Méta-Barons !
La critique de Mr K: Un bon et grand classique de la SF au programme de ma critique du jour. À l’occasion des grandes vacances, je m’étais entre autre pris les huit tomes de La Caste des Méta-Barons de Juan Gimenez et Alexandro Jodorowsky, deux auteurs qu’on ne présente plus et que j’aime par dessus tout. Cette grande saga de space-opera nous raconte génération après génération la destinée d’une dynastie de guerriers entre grandeur et décadence. Œuvre culte s’il en est, je ne l’avais pour le moment jamais lu, le tort est désormais réparé et c’est rien de dire que c’est un chef d’œuvre qui m’a littéralement soufflé!
Dans un futur très éloigné, dans un univers gouverné par un empereur aux pouvoirs sans limite, le chaos n’est pas loin. Le pouvoir est souvent contesté par des factions et races diverses qui mettent à mal l’ordre établi. Tout débute sur la planète Marmola où depuis des siècles la famille des Castaka exploite le marbre et le manipule comme s’il ne pesait rien grâce à une huile antigravitationnelle miraculeuse: l’épiphyte. Le secret était bien gardé jusque là mais il finit par s’éventer attisant la convoitise de tous les vautours de la galaxie. L’histoire des méta-barons commencent donc dans le sang et la fureur, marquant à jamais la dynastie du sceau du malheur et de l’errance.
Huit volumes pour huit personnalités qui permettent donc d’explorer l’arbre généalogique d’une famille plus que tourmentée où les mâles sont considérés comme les guerriers les plus puissants de l’univers. À chaque génération, la légende veut que le fils ait vocation à devenir plus puissant que son père et pour prouver ce fait, il doit triompher de son géniteur jusqu’à ce que mort s’ensuive! Autre rituel initiatique de cette sympathique famille, la mutilation et la résistance à la douleur font partie intégrante de la «formation» du futur méta-baron: l’un sera castré, d’autres auront pas de pieds, de tête, de main ou d’oreille. Heureusement pour eux à cette époque tout est possible et chaque méta-baron se voit attribué des membres et parties du corps grâce aux techniques avancées de cybernétique.
L’histoire en elle-même est racontée par Tonto, un robot au service du dernier méta-baron qui semble s’être absenté du méta-bunker, forteresse volante imprenable. En compagnie de Lothar, un robot plus limité intellectuellement (certains diront enfantin), ils attendent le retour de leur maître. Le récit s’attarde donc globalement sur les flashbacks que raconte Tonto avec son lot de coups de théâtre, de destinées perverties, de règlements de compte interspatiaux et des scénettes se déroulant au présent qui prendront toute leur importance lors de l’ultime volume avec une révélation des plus fracassante! Inutile de vous dire qu’on ne s’ennuie pas une seconde lors de cette lecture très dense et de toute beauté.
Cette œuvre est avant tout une plongée concession dans un fatum familial funeste. Au delà des traditions terribles qui régissent les rapports pères-fils, il semble que la lignée soit maudite, que le bonheur leur soit interdit d’une manière comme une autre. Le bonheur est souvent fugace même s’il se révèle très intense sur le moment. Finalement, ces méta-barons sont des êtres de pure passion, romantiques à l’extrême entre pulsions de mort et d’amour. Trahisons, vénalités, cruauté parfois mais aussi apprentissages, pédagogie, amour puissant et parfois inceste (gloups) rythment ces existences hors du commun portée par le poids de la lignée et du devoir. Je trouve qu’il y a une dimension cornélienne chez les Castaka, des individus déchirés entre la raison et les élans du cœur, une complexité qui les rend passionnants et très attachants malgré le caractère imprévisible qui peut les caractériser à l’occasion.
L’aspect space opera est très bien rendu lui aussi avec l’exploration de quantités de mondes et de systèmes tous plus beaux les uns que les autres. On voyage donc beaucoup et l’on ne peut que s’incliner devant le foisonnement d’idées qui fourmillent entre ces pages. On croise aussi nombre de personnages plus barrés les uns que les autres avec une mention tout particulière pour la secte des nonnes-putes! Menaces d’invasion, complot pour renverser l’empereur, vendetta anti Méta-Baron, j’en passe volontairement pour vous laisser la surprise. Le scénario n’est vraiment pas avare en rebondissements et l’on passe de Charybde en Scylla avec un plaisir renouvelé limite sadique! On retrouve aussi certaines thématiques purement jodorowskyenne avec l’aspect mystique très présent, le rapport complexe à la religion et l’exploration intérieure des personnages qui peut parfois virer au psychédélisme. Moi qui suis fan de ces trips, j’ai été aussi gâté à ce niveau là!
Et puis, cette œuvre est vraiment magnifique avec des dessins de toute beauté qui ressemblent parfois à de véritables tableaux. Les couleurs, le trait, le découpage des cases tout concourt à offrir un spectacle incroyable, d’un souffle et d’une puissance qui efface tout sur son passage. C’est grandiose vraiment et l’on lit ces huit volumes d’une traite ou presque (il faut bien dormir!). La Caste des Méta-Barons fait partie je pense de ces œuvres immortelles qui resteront gravées à jamais dans le cœur des fans de SF. Culte de chez culte!
"L'Incal" - intégrale - de Jorodorowsky et Moëbius
L'histoire : Dans un futur lointain, une autre galaxie ou un autre espace-temps, l'Incal et l'immense pouvoir qu'il confère exacerbent toutes les convoitises. John Difool, minable détective de classe R adepte d'homéoputes et de bon ouisky se retrouve embarqué malgré lui dans cette course à l'Incal. Il aura affaire à des mouettes qui parlent, des extraterrestres idiots, un empire dictatorial ultra violent, des rats de 15 mètres commandés par une déesse nue, une bataille mémorable dans une fourmilière, une secte adepte des trous noirs, et enfin une bataille intersidérale entre le bien et le mal.
La critique de Mr K : Pour ceux qui nous suivent depuis un certain temps, vous savez que je suis friand de SF et d’auteurs que je considère comme des demi-dieux notamment Jodorowsky et Moëbius. Mais voila, malgré tout l’amour que je leur porte, je l’avoue et le confesse, je n’avais jamais lu la série de l’Incal ! Booouuuu, honte à moi ! Le tort est réparé désormais car, il y a déjà quelques temps, j’ai offert à ma douce Nelfe la présente intégrale qu'elle avait déjà lu et adoré il y a quelques années, et ces vacances d’été étaient l’occasion idéale pour plonger dans les aventures rocambolesques de John Difool. Je peux déjà vous dire que je n’ai pas été déçu !
Modeste détective de classe R, on retrouve John Difool en fâcheuse posture dès la première planche : il est en train de tomber dans le vide et la mort se rapproche à vitesse grand V sous la forme d’un lac d’acide au dessus duquel est construit la ville futuriste où il réside. Le ton est donné donc dès le départ et ça ne va pas s’arranger. Très vite, un mystérieux artefact (le fameux Incal) le choisit pour mener une nébuleuse mission attirant sur lui des convoitises multiples. Traqué, passant son temps à s’enfuir, rencontrant des compagnons pour le moins inattendus, vivant des expériences hallucinantes, John n’est pas au bout de ses peines et son existence banale prend alors une dimension beaucoup plus importante dans la marche du monde, il se pourrait bien qu’il puisse même... sauver l’univers !
Dès le départ, on se prend d’affection pour John, genre de détective un peu raté, vivant d’expédients, d’homéoputes et de cigarettes hallucinatoires entre deux affaires et quelques règlements de compte avec des types des bas fond. Très attachant par son détachement, son inconséquence, son côté has been et son caractère, on aime suivre ses pérégrinations qui bien que sérieuses ne sont pas tristes avec notamment ses réactions parfois ubuesques et complètement à côté de la plaque. Il va peu à peu évoluer (mais un peu seulement...) au contact de l’Incal, prendre conscience de vérités cachées et va même participer à une espèce de prophétie ! Vous l’avez compris, la patte Jodorowsky est à l’œuvre, le scénario classique des débuts vire à partir de la quatrième partie à l’aventure initiatique mâtinée de mysticisme et d’onirisme. Pour avoir assister à une conférence du maître aux Utopiales en 2011, je peux vous dire que ça dépote et que l’on va loin, très loin dans l’exploration mentale des personnages en lien direct avec la déréliction du monde.
D’une grande densité et cohérence, le monde futuriste qu’on nous propose est de toute beauté, magnifié par les dessins de Moëbius. On explore les villes, mondes et terres désolées, planètes et espaces mentales avec une facilité déconcertante entre étonnement, ravissement et même angoisse. Derrière ces tribulations distrayantes, en filigrane apparaissent des thématiques très contemporaines qui font souci : le recul de la nature face à la technologie et la course à la croissance de l’homme, la mise sous perfusion médiatiques des masses par un pouvoir central corrompu et obsédé par la conservation de ses avantages, la méfiance généralisée envers tout ce qui est différent et la policiarisation de la société ou encore, le recul du spirituel face au matérialisme forcené nourrissant les illusions d’un bonheur factice... Pour beaucoup de thèmes, on sent les auteurs en avance sur leur temps (les prémices de la chute étaient déjà en germe) et la vision proposée est d’une grande justesse et interpelle encore le lecteur en 2019. Quel bonheur de conjuguer à la fois divertissement et réflexion avec en prime des questionnements qui font écho à nos propres interrogations existentielles. Délectable !
Background très poussé, personnages variés avec chacun une caractérisation profonde, des rebondissements nombreux et souvent surprenants, avec L’Incal on est constamment sur le qui-vive car tout semble pouvoir arriver. Un tout petit bémol, j’avais plus ou moins deviné le rebondissement final mais je dois avouer que Jodorowsky avait livré quelques éléments de sa pensée lors de la conférence à laquelle nous avions assisté. Cela n’a pas gâché mon plaisir entre planches d’une grande beauté, dynamisme des dessins et du scénario, plongée dans une mystique aussi fascinante que délirante et au final, un cycle qu’on oublie pas. J’ai mis le temps pour la découvrir mais Dieu que c’était bon ! On en redemande !
"La Dimension fantastique" volume 3, Anthologie présentée par Barbara Sadoul
Le contenu : Pauvre diable ! Le voici qui tombe sur un os ! Le simple mortel à qui il est venu proposer son odieux marché n'a pas d'âme... Comment donc pourrait-il s'en emparer ? D'ailleurs, le sac d'âmes qu'il tente d'emporter est si lourd qu'il lui faut trouver l'aide d'un saint homme pour le soulever.
Le diable n'est pas seul à souffrir... Et les dix nouvelles ici réunies proposent bien d'autres sortilèges. Messages d'outre-tombe, statues animées, génies farceurs, masques grimaçants, voyageurs temporels ou manifestations inquiétantes des éléments déchaînés... Bienvenue dans la dimension fantastique !
La critique de Mr K : Je bascule du côté obscure aujourd’hui avec ma chronique sur le troisième volume de l’anthologie de nouvelles fantastiques initiée par Barbara Sadoul chez Librio. Les deux premiers volumes avaient été de franches réussites, j’ai laissé passé un peu de temps avant d’entamer celui-ci. On est dans la même veine et malgré des textes inégaux, on ressort content de sa lecture et les amateurs de fantastique seraient bien inspirés de se pencher sur son cas !
Barbara Sadoul nous propose à nouveau dix nouvelles du genre fantastique avec un balayage assez large en terme de nationalité et d’époque. Ainsi, se côtoient dans ce volume 3 des auteurs très classiques comme Flaubert, Hugo, Dumas et Wilde, mais aussi des plus récents comme Jodorowsky, Bradbury ou encore Brown. Les thématiques sont elles aussi assez variées avec des histoires de monstres, de Diable, d’esprit et de quotidien totalement chaviré par l’irruption d’un événement totalement imprévu. Pas de doute, on est au bon endroit si l’on aime frémir légèrement et/ou être mené par le bout du nez par des auteurs diaboliques.
Je ne reviendrai pas sur chacun des courts textes qui composent ce recueil, je vous laisse découvrir la primeur du contenu. Sachez simplement que le suspens est au rendez-vous, les situations parfois très cocasses ou totalement terrifiantes (le texte de Bradbury est énorme !). Le cahier des charges est respecté à la lettre avec tous les ingrédients qui font la force de ce genre que j’apprécie tant : une normalité exposée de manière claire, un élément déclencheur que l’on ne voit pas forcément venir, des personnages déroutés de leur trajectoire qui commencent à perdre pied et une confluence entre rêve / cauchemar / réalité qui finit par prendre à la gorge les protagonistes et même parfois le lecteur lui-même.
Certes, certains textes sont plus légers, moins percutants mais l’ensemble est cohérent, bien agencé et donne à voir de multiples facettes de ce genre si riche. De manière générale, les textes sont très accessibles (à part un ou deux à l’écriture vieillotte - ce qui ne me dérange pas d’ailleurs -) et font mouche en terme de chute finale. Décidément, cette collection vaut le coup d’œil, avis aux amateurs !
Déjà lus et chroniqués de la même série au Capharnaüm éclairé :
- La Dimension fantastique, volume 1
- La Dimension fantastique, volume 2
"Les Technopères - Intégrale" de Jodorowsky, Janjetov et Beltran
L’histoire : L'histoire d'Albino, créateur de jeu devenu dieu dans une anticipation régie par la violence, le rêve et le commerce.
La critique de Mr K : C’est un sacré monument de la BD que je vous convie à découvrir ce soir avec la chronique de l’intégrale des Technopères de Jodorowsky. Merci à l’ami Franck de m’avoir permis de découvrir cette saga SF haute en couleur tant au sens propre qu’au sens figuré. Même si elle n’est pas exempte de défauts, ce fut une vraie claque visuelle et une belle mise en abîme des déviances du monde actuel. Attendez-vous à un voyage hallucinant dans l’espace spatial, cyber et cervical.
Fruit non désiré d’un viol atroce, Albino n’a qu’un rêve devenir développeur de jeu virtuel pour changer le monde. Les galaxies sont en effet régies par des castes de privilégiés pour qui le rêve virtuel permet de contrôler les peuples et civilisations par la violence et la rapacité. La quête de ce jeune homme hors du commun sera longue et difficile, chaque étape lui imposera des sacrifices mais l’élèvera encore un peu plus. En parallèle, nous suivons le parcours de sa famille à savoir sa vestale-rebelle de mère assoiffée de vengeance et ses frères et sœurs. Nombreux seront les périls qu’ils affronteront avant le chapitre final.
En terme de scénario, on en prend plein la tête comme c’est d’ailleurs l’habitude avec Jodorowsky adepte d’ésotérisme et de spiritualités diverses. Il nous sert ici un plat bien garni, qui perdra sans doute quelques âmes en route, mais totalement pensé pour crédibiliser un univers gigantesque et cohérent. Dieux et esprits côtoient les machines et systèmes artificiels dans un mélange de cyberculture et d’influences plus tribales. C’est plutôt osé mais très intéressant car finalement, on pourrait résumer le conflit principal décrit dans ce volume comme l’éternel conflit entre les anciens et les modernes sauf qu’ici les réactionnaires sont plus les tenants de la technologie à tout va qui emprisonne les êtres plutôt qu'elle les libère. Prônant un retour au bio (dans son sens premier, la vie) Albino va devoir feinter, faire croire à son anoblissement technologique pour mieux ensuite conduire un nouvelle exode pour recréer le monde.
Ce côté volontiers biblique (un peu too much parfois il faut bien l’avouer) est contrecarré par une histoire virevoltante à souhait. Certes le schéma narratif se répète concernant le héros qui à chaque étape a tendance à douter, puis trouver une solution et enfin vaincre une espèce d’adversaire terrifiant (style boss de fin de niveau ou chevalier d’or pour les amateurs des Chevaliers du Zodiaque) et la répétition peut lasser certains (j’ai lu quelques chroniques peu amènes sur le sujet avant d’écrire la mienne) mais au final, derrière ce parcours plutôt balisé et sans surprise se cache un véritable rite initiatique, une découverte de soi qui se fait progressivement et sous différents angles. J’ai aimé cette transformation menant à une révélation cruciale pour le destin de l’humanité. Le tout alterne séances mystiques avec passages d’action bien hard boiled, ça saigne, ça interpelle et l’amateur de récits bien speed est lui aussi convaincu par des scènes dantesques et complètement délirantes (la planète des guerrières, les comètes folles, la planète arbre amatrice de chair humaine...). Les symboles sont forts, les analogies nombreuses et on se plaît à essayer de comprendre les références énoncées ou seulement évoquées. Il y a un côté ludique certain dans cette lecture.
La critique est acerbe, et l’on reconnaît volontiers dans les maux décrits dans cet ouvrage ceux qui émergent dans nos sociétés occidentales. L’individualisme forcené, l’attrait du virtuel qui nous fait parfois passer à côté de l’essentiel, la course au profit au détriment de l’humain et l’avilissement qui attend les peuples soumis à une dictature. C’est grandiloquent et extrême dans cette BD mais tout a un début et le mécanisme de fonctionnement du pouvoir autoritaire est très bien expliqué à travers les différentes phases de découverte du héros : le contrôle des âmes, du portefeuille, de l’opinion et même des rêves fait que l’homme ne possède plus aucun libre arbitre ni sens commun. Cela donne lieu ici à des images abominables et des perspectives bien funestes pour qui aime s’exercer à l’anticipation à partir des derniers développements de l’Histoire. Pas rassurant mais toujours enrichissant.
Et puis, c’est sacrément beau et bien écrit. On en prend plein les mirettes et même si ici la couleur a été numérisée, franchement le résultat flatte mon sens de l’esthétique et la poésie est loin d’être absente entre deux cases choc. Certaines planches sont de véritables tableaux et illustre à merveille un univers foisonnant et dépaysant. Clairement, je placerai cette intégrale en haut de mon étagère en compagnie de mes Druillet, Caza et Moébius. En terme de SF ça vaut son pesant d’or. Alors certes, la fin m’a un peu laissé sur ma faim, le dernier volume (le huitième dans l’édition originelle) est plus plat, limite décevant mais quelle épopée et que de rebondissements entre temps ! Tout amateur de SF se doit d'avoir lu Les Technopères au moins une fois dans sa vie mais ceci n’est que mon modeste avis...
"Astéroïde Hurlant" d'Alexandro Jodorowsky
L'histoire: Un astéroïde né de la destruction d'une planète file dans le vide intersidéral. Dans sa course pour l'éternité, il frôle des mondes habités et émet des ondes qui engendrent une transformation ou une crise. De cette rencontre déchirante, comme un papillon éjecté de sa chrysalide, naît alors une histoire... dure et acérée comme un minéral et brillante comme une comète.
Ou plutôt onze histoires d'Alexandro Jodorowsky, dessinées par d'imparables étoiles filantes: Pascal Alixe, Igor Baranko, Ciruelo, Adi Granov, Christian, Højgaard, José Ladronn, Axel Medellin, Carlos Meglia, Jérôme Opena, Marc Riou, Mark Vigouroux et J. H. Williams III.
Chaque histoire est reliée par la trajectoire de l'astéroïde hurlant, et dans un feu d'artifice de science-fiction, d'humour et de fantastique, illustre la philosophie cruelle et lucide d'Alexandro Jodorowski.
La critique de Mr K: Lors de notre passage aux Utopiales 2011, Nelfe et moi avions terminé en apothéose avec une conférence de sieur Jodorowski. Grand moment de réflexion et d'humour, cette rencontre mémorable n'avait que raffermi ma haute opinion de cet auteur illuminé et profondément mystique. Ce recueil est particulier. Lorsque Fabrice Giger en 2002 décide de ressusciter la défunte revue "Métal Hurlant", il s'adresse à Jodorowski pour créer un personnage qui incarnerait le mensuel: ce sera un astéroïde hurlant. Ce dernier est le point commun des onze récits compilés dans le présent volume, ouvrage de commande auprès de dessinateurs qu'il connaît plus ou moins bien. Jodorowki les guide en fonctions de leurs forces et faiblesses pour les faire accoucher de onze récits aujourd'hui réunis.
C'est autant d'histoires marquées du sceau Jodorowski. On y retrouve ses obsessions et préoccupations, force la réflexion de l'auteur. Disons-le tout-de-go, l'ambiance n'est pas à l'optimisme mais on baigne dans la métaphysique de l'être humain, le rapport à la croyance, la foi dans la science et l'idée de changement. Dans ce volume, il est notamment question des habitants d'un monde menacé se tournant vers de vieilles croyances multi-millénaires, de l'éternel combat entre le bien et le mal qui finalement se mêlent, de la recherche d'un coupable expiatoire aux pêchés d'un peuple, de vampirisme inversé, de la quête de l'Amour et de sentiments humains par une nation robotique, de l'avidité humaine source de conflit et de vice, de la notion romantique du sacrifice ultime... Autant de récits qui parlent de nous mais transposés dans des univers fantasmagoriques définitivement seventies, âge d'or du genre.
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J'ai littéralement dévoré ce recueil tant il se révèle être une compilation sans défaut de la bande dessinée SF des années 70. Le style de dessin est très différent d'une histoire à une autre. On passe de dessins tirant vers le minimalisme à des planches ultra-réalistes ou au psychédélisme léché à la Druillet. C'est là qu'on ne peut que constater la puissance scénaristique qui permet à chacun des dessinateurs invités de se transcender et de proposer des micro-récits accrocheurs à souhait. Au début de chaque histoire, Jodorowski se fend d'une petite introduction explicativo-philosophique élevant l'esprit du lecteur avant sa plongée dans la matière. Ca fonctionne à merveille, il m'a été quasiment impossible de poser cet ouvrage avant de l'avoir terminé.
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Belle expérience entre plaisir esthétique et réflexion intense, cet bande dessinée sort du lot et s'impose à mes yeux comme une des meilleures de son auteur à placer juste à côté de "L'homme est-il bon?" de Moébius. Un incontournable à découvrir au plus vite!