"La Guerre éternelle" de Joe Haldeman
L’histoire : Imaginez une guerre si vaste que l'écho des batailles peut permettre plusieurs siècles à parvenir aux oreilles de ceux qui les ont ordonnées... enfin, de leurs descendants, en tout cas. Pour le soldat Mandella, membre de l'une des unités d'élite chargées de combattre les Taurans, le problème est inverse : lorsqu'il revient sur Terre après plusieurs mois de campagne, des décennies se sont écoulées. Comment continuer à vivre, quand tout ce pour quoi on s'est battu n'existe plus ?
La critique de Mr K : Encore un beau prêt de l’ami Franck avec ce roman de SF qui dépote entre action et dénonciation, un peu à la manière de Etoiles, garde à vous! de Robert Heinlein (adapté au cinéma sous le nom de Starship Troopers) mais en bien meilleur. Dans La Guerre éternelle, Joe Haldeman offre donc un récit de guerre engagé, intimiste et d’une portée incroyable. J’ai littéralement dévoré ce livre qui m’a procuré un plaisir de lecture de tous les instants.
Le roman s’attache donc à suivre le parcours du soldat William Mandella à travers quatre actes, quatre parties qui composent son existence : Soldat, Sergent-chef, Lieutenant, Commandant. On débute par son entraînement intensif après son acceptation dans une unité spéciale de combattants de l’espace. C’est le temps de la formation, des premières désillusions aussi. Dans le genre rudes, ces premières classes se posent là avec la possibilités pour certains de périr avant même d’avoir affronté son premier ennemi. Il faut s’habituer aux conditions extrêmes de l’espace, à la manipulation des équipements et armes, savoir cohabiter avec les autres, obéir sans réfléchir aux ordres donnés et accepter son rôle et sa fonction.
Puis vient le temps des combats réels avec la découverte d’une race extraterrestre (les taurans) qui semblent s’en prendre aux vaisseaux colonies des humains et que l’on doit affronter sur de multiples fronts. De batailles en batailles, de sauts temporels en sauts temporels liés au voyage spatial (effets de la relativité, le temps s’écoule plus vite sans que les voyageurs ne vieillissent physiquement) le héros évolue et ne veut qu’une chose : rentrer sur terre, à la maison et fonder une famille. Mais la surprise est de taille quand il découvre ce que le berceau de l’humanité est devenu. Il finira par repartir au combat non sans avoir un pincement au cœur et une idée derrière la tête qui aboutira dans les toutes dernières pages.
Cette lecture est mon premier contact avec cet auteur qui possède une sacrée belle plume. Lui-même gravement blessé au Vietnam, il porte sur la guerre un regard sombre. Il n’aime pas la guerre mais pour autant, il ne déteste pas l’armée et surtout pas ses composantes humaines (hommes et femmes profondément égaux dans ce roman, un axe égalitaire et féministe à sa manière très intéressant d’ailleurs). C’est pourquoi, il porte un regard très humain sur les protagonistes qui sont présents dans ce texte. Ils sont sympathiques, très charismatiques pour beaucoup mais victimes du système, de la hiérarchie et des logiques en cours dans un conflit qui dure et déforme le temps et les perceptions.
On a un bel aperçu de cette réalité hypothétique à travers le parcours de William, un jeune homme au départ plutôt naïf, idéaliste, une forme d’innocence qui embarque directement le lecteur. Le temps et l’expérience vont lui endurcir le cuir même si sa nature profonde restera la même et guidera ses actes. Il tient le coup malgré les vents contraires, les aléas du sort par sa capacité à l’empathie, à la tendresse et même à l’amour avec une relation privilégiée avec une de ses congénères, une relation douce et puissante à la fois qui emporte l’adhésion. En parallèle, les voyages spatiaux provoquent des bouleversements temporels qui éloignent le personnage de chez lui, du monde qu’il a pu connaître et même de lui-même au final. La mise en abyme est parfois terrifiante et révélatrice de bien des choses notamment en terme de nature humaine.
Pour un ouvrage de SF, on est ici dans un réalisme assez bluffant. Tout est crédible, puissamment emmené et l’ouvrage n’a pas pris une ride malgré son âge désormais avancé (il a été écrit en 1974). Au delà d’une critique de la guerre et une approche sans tabou de l’armée (il est beaucoup question du libre-arbitre des combattants notamment, des moyens de propagandes et d’embrigadements), ce livre brûlot aborde beaucoup de thèmes connexes qui trouvent échos dans le monde actuel : l’évolution de la Terre et des sociétés humaines, l’égalité des sexes, le droit des minorités sexuelles avec une inversion des valeurs assez savoureuse à un moment du récit. Non vraiment cet ouvrage a gardé toute sa force de frappe et laisse le lecteur sonné par tant d’intelligence déployé tout en ne sacrifiant jamais le rythme, l’aventure et le parcours intime de ses personnages.
La langue est percutante et embarque immédiatement le lecteur. Facile d’accès, La Guerre éternelle se lit tout seul dans un style abordable mais exigeant dans le fond, un rythme qui ne se dément jamais et un plaisir de lire assez hors norme. Un belle expérience que je vous invite à faire à votre tour et qui ne vous décevra pas.