"Même pas mal" de Brice Gautier
L’histoire : Un mari toxique, une grossesse non désirée, l’amour qui s’en va, la perte d’êtres chers, un corps malade qui n’obéit plus, chaque personnage de ce recueil doit faire face à la souffrance. Certains l’apprivoiseront comme un animal sauvage, d’autres la retourneront à leur avantage, tous parviendront d’une manière ou d’une autre à l’empêcher d’envahir leur existence.
La critique de Mr K : Chronique de ma dernière lecture de nouvelles en 2021 avec un autre recueil de chez Quadrature, Même pas mal de Brice Gautier. Douze textes, pour douze destins liés à la notion de souffrance qu’elle soit physique et mentale. Malgré un fil directeur qui n’inspire pas la joie, cette lecture est loin d’être plombante. Au contraire, elle recèle beaucoup de morceaux d’espoir et se révèle être source d’émotions multiples.
Les protagonistes de chacune des nouvelles ont donc en commun que la vie ne leur fait pas de cadeaux, qu’à un moment donné ou sur le long terme, l’existence s’est révélée être une garce et qu’il a fallu qu’ils composent avec. Le champ couvert est immense et aborde nombre de difficultés que chacun d’entre nous peut ou pourra rencontrer lui-même : le deuil d’un proche, le divorce et la nécessité de s’en remettre par quelque moyen que ce soit, la tromperie et le jeu de dupe qui peut en découler, le handicap et le changement de perception, des vérités anciennes qui ressurgissent et bouleversent le présent et les certitudes établies, la maladie qui corrompt le corps et l’esprit, les violences conjugales et leur impact psychologique, le désir d’enfant et ses contradictions ou encore le machisme ambiant qui castre un homme plus sensible que ce que les codes sociaux conçoivent.
Chacune de ces nouvelles est un enchantement, une évocation fine et juste de l’humanité dans sa fragilité, sa souffrance mais aussi ses capacités à rebondir, à se créer une parenthèse dorée lorsque le quotidien peut devenir insupportable. L’auteur excelle à détourner les attendus du lecteur qui s’imagine bien des choses, semble suivre des pistes toutes tracées mais nous nous trompons à chaque hypothèse car Brice Gautier déborde d’imagination et propose des chutes surprenantes à souhait. À noter que l’auteur a un don certain dans la caractérisation des personnages, notamment des femmes, ce qui donne lieu à de magnifiques portraits de personnes en déroute ou déboussolées mais qui à chaque fois réussiront à s’en sortir d’une façon ou d’une autre. Et pas toujours de façon très académique ou morale...
L’écriture subtile et exigeante reste accessible à chaque texte, propose des vies décrites avec sensibilité, délicatesse mais avec parfois un soupçon de dérision, d’humour qui relève l’ensemble. On prend donc un grand plaisir dans cette lecture qui propose à la fois des histoires d’une banalité confondante mais à la teneur profonde qui éclairent nos vies et nos possibles réactions. Un recueil à ne pas louper si vous êtes amateur du genre.
"La Morte amoureuse" de Théophile Gautier
L’histoire : Peut-on être prêtre et amoureux ? Peut-on aimer la nuit et prêcher le jour ? Questions bien embarrassantes... Surtout quand les réponses s'avèrent positives...
Ajoutez-y une pincée de fantôme. Secouez. Et vous voici dans une mystérieuse histoire d'amour ! Mais rassurez-vous, il ne s'agit que d'un rêve... et d'ailleurs, Clarimonde, la belle courtisane, est morte depuis si longtemps...
Mais au fait, que vient-elle faire dans ce présent ? Pourquoi trouble-t-elle encore les vivants ? Prenez garde, âme pure, de ne pas succomber aux charmes de cette immortelle ! La beauté dissimule parfois de puissants venins...
La critique de Mr K : Lecture d’un classique aujourd’hui avec La Morte Amoureuse de Théophile Gautier relu et dévoré à l’occasion des vacances de la Toussaint. Amoureux du Beau et de l’Histoire, c’est un auteur que j’ai beaucoup pratiqué plus jeune et l’occasion s’est présentée de retomber sur ce volume lors d’un chinage. Que de souvenirs me sont revenus durant ce re-reading savoureux !
Romuald a consacré sa jeune vie à devenir prêtre. Le jour de son ordination, il croise le regard de Clarimonde, une courtisane au charme vénéneux qui va remettre en question sa foi et son engagement. Malgré sa mort subite, elle vient régulièrement le visiter, le tenter et l’entraîner loin du chemin qu’il s’est décidé de suivre. Réalité, fantasme et surnaturels se mêlent alors, jouant avec l’esprit de cet homme partagé entre sa vocation et ses désirs inavoués.
En 45 pages seulement, Théophile Gautier offre un merveilleux récit fantastique à l’ancienne qui s’inscrit dans la droite lignée des classiques écrits par Maupassant, Poe, Lovecraft et consorts. D’une situation quotidienne anodine, on dérive lentement vers l’étrange. Qui est cette Clarimonde que même la mort ne semble pas éteindre la passion et la vie qui l’anime ? Là où le jeune homme baisse les armes pour étreindre la passion la plus destructrice, l’auteur s’interroge. Fantôme, vampire, manifestation du Diable ? Tour à tour différentes hypothèses s’offrent à lui et le perdent au fil du récit qui se plaît à bousculer les lignes et à effacer les frontières du réel. Malgré quelques éléments et personnages attachés au monde sensible, rien ne semble pouvoir empêcher ce rapprochement contre nature.
Romuald n’est qu’un homme avant d’être un prêtre, il lutte finalement peu face à sa nature profonde, son amour pour la belle l’aveugle et l’entraîne dans une course en avant mortifère. Sa volonté annihilée, il cède à ses pulsions et n’est plus à quel Saint (sein -sic- ?) se vouer malgré les rappels successifs de son mentor qui lui enjoint de résister à la tentation. Cette lutte interne est très bien rendue par un auteur possédé par son sujet et qui multiplie les états d’âmes du prêtre en perdition. Très peu de textes peuvent se targuer de décrire aussi bien la fascination pour l’inconnu et la souffrance inhérente à toute passion qui nous consume. Éros et Thanatos se sont donnés rendez-vous dans ce court texte d’une rare efficacité qui laisse le lecteur pantois en toute fin de lecture et même si la fin peut s’avérer heureuse, l’expérience laisse des traces et nourrit la réflexion.
L’écriture est tout bonnement magique, loin des lourdeurs stylistiques qu’on peut parfois lui reprocher (la nouvelle incluse dans ce volume - Une nuit de Cléopâtre - en est un bon exemple, je la trouve prématurément vieillie), l’histoire de Romuald et Clarimonde éclaire par sa concision et sa finesse de structure. Aisée d’accès, très contemporaine par sa manière d’explorer l’esprit humain, cette nouvelle est un modèle du genre fantastique à la fois effrayante et très belle dans sa langue. On passe un délicat et très bon moment de lecture et l’on comprend pourquoi elle est toujours étudiée encore aujourd’hui dès le collège. Un monument à sa manière.
"Les Vieilles" de Pascale Gautier
L'histoire: Il y en a une qui prie, une autre qui parle à son chat, et certaines qui regardent les voisines de haut en buvant leur thé infect. Leurs maris ont tous disparu. Elles sont vieilles, certes, mais savent qu'elles pourraient bien rester en vie une ou deux décennies encore, dans ce pays où il n'est pas rare de devenir centenaire. Alors elles passent leur temps chez le coiffeur, à boire et à jouer au Scrabble, à essayer de comprendre comment fonctionne un téléphone, à s'offusquer de l'évolution des mœurs… Elles savent que le monde bouge, mais comment changer, à leur âge? Aussi l'arrivée de Nicole, une "jeunesse" qui entame tout juste sa retraite, et l'annonce d'une catastrophe imminente vont perturber leur quotidien.
La critique de Mr K: Une lecture bien rafraîchissante aujourd'hui avec cette chronique douce-amère du quotidien de quelques mamies d'aujourd'hui. Attention, la couverture est trompeuse, on est loin d'être dans une œuvre comique, je l'ai même trouvé très rude par moment. De plus, ne vous attendez pas à l'abattage d'idées reçues annoncé au dos, ça fait peut-être vendre mais ce n'est pas le cas. Pour autant, j'ai passé un très bon moment en compagnie de Mauricette, Lucette, Régine, Nicole et consorts.
Dans la commune du Trou, 90% de la population est à la retraite. Il y fait beau 365 jours par an comme proclamé à l'office du tourisme et l'héliotropisme fonctionne à plein, c'est le rêve pour couler une douce retraite loin de l'agitation et du mauvais temps. Les jeunes sont partis depuis longtemps et les actifs travaillent dans le commerce, les services de santé et… les pompes funèbres qui tournent à plein régime (spéciale dédicace à l'employé complètement givré du Crématorium). Au fil des chapitres, nous rentrons dans la vie de tous les jours de petites vieilles très différentes, aux parcours de vie dissemblables au possible et au caractère bien trempé. Leur point commun: plus d'homme à la maison, elles ont toutes veuves! Je vous jure que pour un lecteur-garçon ça fait tout drôle, on sent presque le souffle de la Mort sur la joue vous disant: Voilà ce qui t'attend mon petit gars!
La vie de chacune des mamies est bien réglées entre parties de Scrabble endiablées (si si, c'est possible et on rit beaucoup!), popote pour soi et son chat, réflexion sur la Mort, sur Dieu, commérages et ragots autour d'un bon thé, abrutissement devant la télévision, petit tour en voiture, repas de famille le dimanche et autres activités. Tout est bousculé par l'arrivée de Nicole, la néo-retraitée qui intrigue de part sa jeunesse et ses manières quelques peu différentes. Rajoutez là-dessus une menace venue de l'espace annonçant la fin du monde de manière imminente et vous obtenez un bon effet shaker sur ces bonnes vieilles âmes et des moments d'anthologie. Chacun réagissant un peu comme il peut dans ce genre de cas, cela va aller du grand n'importe quoi aux réactions les plus stoïques.
Comme dit auparavant, ce livre ne s'apparente pas à une comédie pure, loin de là. Certes, il y a des moments drôles comme la partie de Scrabble, le regard que porte les vieilles sur le Don Juan de 90 ans du quartier qui lorgne la petite nouvelle, la vision du chat Mitsou sur sa maîtresse et ses voisines… mais j'ai trouvé l'ensemble plutôt mortifère et mélancolique. La grande faucheuse est omniprésente dans les pensées des personnages, elles ne sont plus de la prime jeunesse et chacune la conçoit différemment. Il y a celle que le grand sommeil terrorise et qui cherche par tous les moyens à ne pas y penser, une autre cherche son réconfort dans sa foi et la promesse d'un au-delà radieux (c'est pas gagné avec le curé intégriste qui préside aux messes auxquelles elle participe), une autre s'en contre-fiche, enfin une autre y voit l’occasion d'être débarrassée de son abominable belle-fille. L'atmosphère est donc lourde et la nostalgie des temps passés de leur jeunesse dorée envahit le lecteur attristé par ce sentiment de solitude et de délaissement qui transparaît chez ces petites vieilles attachantes bien que certaines soient assez imbuvables dans le genre (il y en a notamment une qui est l'incarnation de la misanthropie la plus profonde). Chacun je pense y trouvera des aspects de sa propre vie et ce livre éclaire quelque peu les relations que l'on peut tisser ou avoir tissé avec nos anciens. La vérité est parfois dure à accepter mais c'est la vie comme se plaît à le répéter une de nos héroïnes.
Au final, c'est une lecture touchante que ce livre qui ne brille pas vraiment par son style (l'écriture est plutôt banale avec quelques passages de haute volée tout de même) mais plus par son esprit caustique et profond dans son exploration de la psyché de ces chères petites vieilles. On passe donc un bon moment entre tendresse et profonde mélancolie. De bonnes tranches de vie que je vous conseille de découvrir pour passer un moment agréable, sensible et touchant.