Lectures "Petite poche" chez Thierry Magnier
Focus aujourd’hui sur sept titres de la collection Petite poche des éditions Thierry Magnier, sept titres que j’ai emprunté au CDI de mon établissement pour ces vacances d’été afin de me faire une idée sur ces récits très courts, ces ouvrages pouvant se lire en un quart d’heure et faisant appel à des auteurs reconnus. Le principe est simple : 48 pages environ pour parler d’un sujet de société via le regard d’un enfant. Le postulat est bien sympa et le pari réussi quasiment à chaque fois !
L’expulsion de Murielle Szac : Très belle évocation d’un drame familial et intime avec l’expulsion de tout un immeuble pour cause d’insalubrité. On rentre dans la tête de la jeune Bintou, de ses appréhensions, espoirs et craintes. Elle fait face à l’incurie des adultes face aux souffrances de l’enfance et au passage l'ouvrage balance un bon coup de projecteur sur la rapacité des journalistes et l’indifférence du plus grand nombre face à ces drames humains. Un très beau texte qui touche en plein cœur.
Le Train des barracas de Françoise Legendre : Là encore un beau texte nous mettant dans la peau d’un enfant cette fois-ci confronté au déracinement dans les années 60. La famille portugaise émigre en France pour le travail, l’héroïne doit laisser derrière elle son pays, son grand-père et le jardin qu’ils entretenaient ensemble. Juste et sensible, cette micro-storia fonctionne à plein et provoque immédiatement l’empathie.
Jour de colère de Caryl Férey : À la veille des vacances, les parents d’Adrien s’embrouillent, le séjour ne se déroulera pas comme prévu, le héros et sa petite sœur vont passer deux mois chez une amie de maman. La colère gronde chez Adrien. Où est papa ? Que se passe-t-il ? Très incisif, ce texte de Caryl Férey est une belle réussite avec un traitement de la séparation vu par l’enfant dans tout ce qu’elle a de surprenante et de douloureuse. Une flèche en plein cœur !
Tsunami de Mikaël Ollivier : Damien nous raconte son quotidien, et ses petits-déjeuners en particulier, alors que les parents écoutent les infos toutes plus terribles les unes que les autres. Peu à peu, on se rend compte de l’impact qu’elles ont sur lui. C’est fin, intelligent et brillamment amené.
Les invités de Charlotte Moundlic : Superbe parabole sur la colonisation avec ces invités qui peu à peu prennent de plus en plus de place dans la maisonnée de la narratrice et le pays où se passe le récit. On se prend au jeu et l’on sent la tension monter progressivement, le sujet est difficile mais tous les écueils évités pour en proposer une vision juste, simple et essentielle. Un incontournable !
Joyeuses Pâques et Bon Noël d’Hubert Ben Kemoun : Sans doute le plus émouvant des sept ouvrages avec cette histoire de grand-mère un peu fofolle qui reçoit durant quatre jours son petit-fils, plus réticent, chez elle. Petit à petit, un lien se crée, quelque chose de puissant et des souvenirs naissent. Superbe !
Écran total de Christophe Léon : Seule déception de ma sélection, cette histoire d’installation d’écran plat géant qui phagocyte la vie de famille tombe un peu à plat. Le môme est attachant mais la chute à fait pshiiit. Reste un rythme indéniable et quelques moment de grande drôlerie.
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Une belle collection donc que je conseille à tous les jeunes lecteurs et aux pédagogues. C’est riche, les auteurs proposent des textes courts, incisifs et bien menés. Franchement, j’en lirai d’autres et j’en utilise certains pour essayer de faire gagner en appétence de lecture mes jeunes pousses plutôt éloignées du monde merveilleux de la lecture. À découvrir et faire découvrir.
"Norilsk" de Caryl Férey
L'histoire : Norilsk, nord de la Sibérie.
La ville de plus de cent mille habitants la plus septentrionale.
L'une des plus polluées.
Un ancien goulag où les bâtiments soviétiques s'effondrent.
Un froid qui l'hiver peut atteindre -60°C.
La plus grande mine de nickel au monde, tenue par des oligarques.
Une ville fermée, qu'on ne peut rejoindre qu'avec l'autorisation du FSB.
Deux mois par an de nuit totale.
Une population majoritairement constituée de mineurs.
Espérance de vie lamentable.
Une ville sans animaux, sans arbres, sans rien.
En résumé, la ville la plus pourrie du monde.
Mais pour affronter l'enfer sibérien, j'avais ma botte secrète : La Bête.
La critique Nelfesque : Caryl Férey est un auteur de thrillers que j'aime beaucoup. Il a une écriture qui lui est propre, il ne va pas par quatre chemins, il n'a pas peur d'éclabousser les murs de noirceur, il est brut de décoffrage dans ses romans et j'aime ça. C'est un grand voyageur également. Il aime découvrir de nouveaux horizons et s'en inspire pour ses écrits. C'est donc tout naturellement, quand on connaît le bonhomme, qu'on se retrouve à lire un témoignage de voyage, un carnet de route qui nous mène en plein coeur du froid sibérien à la rencontre d'habitants au quotidien très différent du nôtre.
Un carnet de voyage, c'est exactement cela et gardez bien cette image à l'esprit si vous lisez "Norilsk". On est ici au plus près du ressenti de l'auteur, on partage son expérience. On n'apprendra pas grand chose sur la ville visitée, ce n'est pas un documentaire à proprement parlé. Férey a voulu être au plus près des personnes qu'il rencontre, vivre un moment de leur vie, très souvent un moment au bar tard dans la nuit, quand le taux d'alcoolémie fait se comprendre l'humanité toute entière. Les Russes sont connus pour écluser un max, en raison du froid, de la solitude, pour vivre quelque chose de fort et le partager. Ici, on est peut-être en plein cliché mais il faut avouer que ça aide beaucoup...
On retrouve le côté "brut de décoffrage" de Férey dont je parlais plus haut. Mais là où ses romans paraissent être l'aboutissement d'un long travail de recherches avec une écriture stylisée, ici on a l'impression d'une accumulation de situations posées nues sur le papier sans but ni recherche de sens. L'auteur écrit ici tout ce qui lui passe par la tête et tout ce qu'il vit à l'instant T. C'est particulier. Si on aime l'auteur, on est amusé par le procédé et ça nous permet de vivre quelque chose d'unique avec lui (parce que séjourner dans cette ville est loin d'être à la portée de tout le monde), autant on peut facilement tomber dans la facilité et se demander si là on se foutrait pas un peu de notre tronche.
En résumant, dans les grosses lignes, Férey se voit proposer par sa maison d'édition de découvrir Norilsk afin d'écrire par la suite un livre dessus. Il n'y a pas vraiment de cahier des charges, on lui fait confiance. On lui paye le billet, on lui donne carte blanche et au retour on lui permet de publier sa production. "Banco" se dit l'auteur. Autant dire que j'aurais fait la même chose (oui, même si le coin ne fait pas rêver sur le papier, si c'est pollué, si on se gèle... Toute expérience est bonne à prendre). C'est dans le même état d'esprit que part Caryl Férey, accompagné pour l'occasion de son ami La Bête. Un gars pas très fin, tête en l'air, je-m'en-foutiste qui lève bien le coude. Un pote quoi. Et nous voilà embarqué dans le voyage. Un voyage de potes.
Voilà.
Même si par moments on a des fulgurances d'informations, des touches très Férey, ça reste loin d'autres aventures du même style qu'ont pu vivre d'autres auteurs. Je pense tout de suite à Tesson et "Dans les forêts de Sibérie" auquel l'auteur fait référence ici aussi à plusieurs reprises. Cet ouvrage m'a fait véritablement vivre un truc, m'a fait réfléchir. Et puis quelle plume ! Quelle réflexion sur l'instant présent et le sens de la vie en général ! C'est un bouquin qui vous marque en tant que lecteur et en tant que voyageur, un bouquin qu'on n'oublie pas. Ici, ben... rien de tout cela. C'est facile, ça se lit vite mais pas de surprise. On a un portrait des gens qui vivent là-bas et on se rend compte qu'ils sont comme tout le monde (oh ?), qu'il y a des personnes de grand talent qui ne connaîtront jamais la lumière (oh bis ?), qui n'ont pas trop le choix en fait (oh ter ?) mais qui sont super heureux de faire de nouvelles connaissances et vivre avec des gens de passage un moment d'émotion et de partage vrai et bien arrosé (haaan !).
Voilà.
Pour résumer, "Norilsk" est un bouquin qui se lit très vite, une expérience sympa pour ceux qui aiment l'auteur et qui veulent découvrir un petit bout de la vie de cette ville par les yeux de Caryl Férey. Aussi vite oublié que lu, il laisse un goût d'inachevé, un sentiment de "Oh mais non gars ! On t'a payé le voyage pour que tu t'éclates avec ton pote à boire des coups dans des bars !?". A ce rythme là, mon voisin pilier de comptoir à ses heures perdues a, je suis sûre, des tas de choses à écrire sur ma commune bretonne... et de belles sorties philosophiques sur la vie en prime ! Par dessus la jambe ou génialement désinvolte, voyez ça comme vous voulez, pour moi ça manque de consistance et je préfère retourner aux thrillers du monsieur. Beaucoup plus ma came et bien plus marquants !
Puces de Doëlan 2017 (29)
Nous avons découvert les puces de Doëlan l'an dernier et depuis, nous nous sommes promis que si nous étions dans le coin fin juin, nous irions chaque année. Doëlan est un de mes lieux préférés près de chez nous mais nous ne connaissions pas du tout ses puces et chiner dans un tel cadre est absolument magique !
Pour ceux qui ne connaissent pas Doëlan, notez bien le nom de ce petit village pour une prochaine escale en Bretagne. C'est incontournable. Ici, point d'animations pour touristes ou de bals populaires tout l'été mais un petit port typique, de jolies maisons, une criée et la vie bretonne à l'état pur ! Eté comme hiver, je prends toujours beaucoup de plaisir à me promener le long de la Laita et du sentier côtier, sauvage et battu par les vents. A la limite Finistère Sud / Morbihan, sur la commune de Clohars-Carnoët, c'est ici qu'ont donc lieu chaque fin juin les puces du même nom.
Ici, les habitants ouvrent leur garage, sortent les tables de jardin, les parasols, et vendent ce qui ne les intéressent plus. Vous connaissez le principe des puces...
On trouve aussi quelques stands de professionnels mais de façon très marginale. Ici, c'est encore du vide-grenier pur jus, avec les bonnes affaires et la bonne ambiance qui va avec ! Il fait beau, vendeurs comme acheteurs ont le sourire !
Et puis, comme je le disais, on profite du cadre. On chemine le long de la Laita, on admire les bateaux. C'est l'été, les parterres sont fleuris, l'eau est bleue, la vie est belle !
Ici, il y a de tout et de rien sur les étals des brocanteurs d'un jour. De vieilles nappes, des objets que l'on retrouve également chez nos grands-parents, de jolies "vintageries" et du kitsch. Tout le monde y trouve son compte.
Place maintenant à nos petites trouvailles. Bon... Vous nous connaissez... On a un détecteur à bacs de bouquins au bout du nez alors forcément on a pas mal fureté de ce côté là. Mais pas que ! Voyez plutôt :
Côté bouquins :
- "L'Enjomineur 1792" de Pierre Bordage que Mr K est plus que ravi d'avoir trouvé dans son édition de chez L'Atalante. Bordage est un ses auteurs favoris et cette trilogie qui débute avec ce tome ci n'était pas encore dans sa PAL. C'est maintenant chose faite !
- "Le Gardien de phare" de Camilla Läckberg que je suis ravie d'avoir trouvé dans son édition Actes Sud / Noirs pour compléter ma collection ! J'ai commencé cette série littéraire il y a quelques années et tout cela est fort classieux dans une bibliothèque (huhu).
- "Impératrice" de Shan Sa. Mr K avait lu "La Joueuse de go" et l'avait adoré. Et hop, dans le panier !
- "Haka" de Caryl Férey parce que j'adore cet auteur tout simplement !
- "Les Justes" d'Albert Camus pour le plaisir de tomber sur cet ouvrage après en avoir justement parlé avec ses collègues la veille...
Côté thé :
Et oui parce que chez nous, nous sommes aussi de gros consommateurs de thé, nous sommes tombés en amour devant ce petit service en porcelaine anglaise. Petites subtilités de la chose, il sera détourné de sa fonction première. J'adore utiliser les théière en pot de fleurs sur ma terrasse (et oui !). Du coup, après une légère custumisation, la théière ira rejoindre ses copines dehors, le pot de lait et la tasse rejoindront quant à eux la cuisine. Je vous montrerai sans doute tout ça sur IG !
Tout ça pour 7€, franchement, on n'allait pas se priver... Autosatisfaction à son comble !
"Zulu" de Caryl Férey
L'histoire : Enfant, Ali Neuman a fui pour échapper aux milices de l'Inkatha en guerre contre l'ANC. Même sa mère, seule rescapée de la famille, ne sait pas ce qu'il a enduré... Devenu chef de la police criminelle de Cape Town, vitrine de l'Afrique du Sud, Neuman doit composer avec la violence et le sida. Les choses dérapent lorsqu'on retrouve le cadavre d'une fille blanche massacrée après avoir absorbé une nouvelle drogue aux pouvoirs effrayants. Les townships - misère totale en bordure de plages idylliques - perdent leurs repères sous la pression de nouveaux arrivants. Neuman, dont la mère a été agressée, envoie en aveugle son bras droit sur une piste plus que dangeureuse... Si l'apartheid a disparu, de vieux ennemis agissent toujours dans l'ombre...
La critique Nelfesque : "Zulu" était dans ma PAL depuis 5 ans (!!!) et en surfant sur le net mi-janvier, j'appris que l'auteur, Caryl Férey, venait faire une rencontre avec ses lecteurs à la librairie "Au Vent des mots" à Lorient 10 jours plus tard. L'occasion est trop belle pour enfin lire ce roman et aller discuter avec l'auteur ensuite si l'ouvrage m'a plu !
Et le moins que l'on puisse dire c'est que ce fut le cas ! Un mot pour décrire cet ouvrage et l'écriture de Férey : incisif ! L'auteur n'hésite pas à aller là où ça fait mal, à malmener ses personnages, à surprendre ses lecteurs et ça vraiment j'adore. Les happy ends, très peu pour lui. On est ici dans du thriller noir à l'ambiance glauque et poisseuse. Si vous n'aimez pas les romans qui laissent peu d'espoir, passez votre chemin. Si par contre, comme moi, vous aimez être bousculé, foncez !
J'ai bien conscience d'arriver 3 ans après la bataille avec ce présent roman. Caryl Férey a une bibliographie longue comme le bras (une vingtaine de romans à son actif) mais je me réjouis d'avance de toute les belles découvertes que je vais pouvoir faire en piochant dedans sans vergogne... C'est ça la magie de la littérature !
"Zulu" a son histoire ancrée à Cap Town (aussi appelée Le Cap) considérée comme la cité mère d'Afrique du Sud et ville la plus australe du continent africain à 50km du Cap de Bonne-Espérance. Par la plume de Caryl Férey, on ressent la chaleur, la moiteur, l'ambiance des townships (quartiers pauvres en périphérie de la ville), la violence, le coeur de l'Afrique et ses croyances. Je ne pense pas que ce roman donne vraiment envie de découvrir cette ville (euphémisme) ou l'Afrique du Sud en général tant un sentiment d'insécurité se dégage de ces pages mais l'ensemble est bouillonnant et invite le lecteur avide de sensations fortes à poursuivre sa lecture avec toujours plus d'intérêt et de rage.
Caryl Férey ne nous laisse pas une minute de repos dans son histoire somme toute classique mais enlevée par une écriture rythmée et un sens de l'à-propos juste et maîtrisé. Le lecteur suit ici Neuman, un chef de la police criminelle black avec une histoire personnelle forte et une passion pour son travail. Neuman en est là aujourd'hui parce qu'il a bossé pour. Il est réglo, acharné et respecté par ses pairs. Il veille également sur sa mère, âgée et handicapée, un personnage atypique au caractère bien trempé. Dans un contexte post apartheid lourd et des frontières encore floues, un cadavre de jeune fille blanche est retrouvée dans un parc. Un cadavre mutilé pouvant être en lien avec une nouvelle drogue en pleine expansion. Entre stupéfiants, sexe, vaudou, croyances ancestrales et haine de l'autre, Caryl Férey nous entraîne dans une course contre la montre palpitante et effrénée.
N'hésitant pas à trancher dans le vif, l'auteur nous sert ici un roman bouillonnant et explosif. Un excellent ouvrage noir qui ravira tous les mordus de thriller qui attendent plus qu'une simple histoire bien construite. Surprises, psychologie, intensité, contextualisation : tout est là et c'est du tout bon ! Une expérience vivifiante qui fait du bien à tout amateur de polar qui se respecte !
Ce roman a été adapté au cinéma par Jérôme Salle avec Forest Whitaker et Orlando Bloom dans les rôles principaux. La bande-annonce punchy retranscrit bien l'énergie du roman, un film que je visionnerai sans doute à l'occasion.
Pour la petite histoire, je n'ai malheureusement pas pu rencontrer l'auteur puisque la date initialement prévue a été décalée et que mon agenda ne me permettait plus de m'y rendre. Je suis déçue mais j'espère pouvoir lui dire un jour tout le bien que j'ai pensé de son roman (et sans doute en découvrir d'autres entre temps !).