samedi 22 janvier 2022

"Rampants des villes" de Léo Betti

leobetti

L’histoire : Bonjour,
Écriture juste. Juste l’écriture. Sèche. Brute. Logorrhée libre, tendue, inéluctable. Poignante. Sombre. Une poigne qui vous happe.
Juste dans l’observation sociale. Une dureté, une violence dans la description du monde et des gens qui fait du bien à lire. Un rythme, une musicalité qui coupent le souffle.
Écriture juste, dense. Juste dense. Écriture hypnotique. Pas d’artifice mais du feu. Pas de truc. Aride pour dire le mal-être. Une introspection sans fard. Pensées en boucle. On pourrait presque supprimer les points.
"Le dedans c’est à soi. Rien qu’à soi. Ça ne regarde personne le dedans. Dans les livres si peut-être, mais pas dans les toilettes."
L’émotion vient des mots jetés. Un déversoir à pensées. Ne pas s’arrêter pour ne pas penser qu’on n’a rien à penser. "Seulement un vide à raconter. Rien d’autre." L’emprise est là, poignante. Sans même être évoquée.
Voilà.

(Lettre à Léo Betti suite à l’envoi de son manuscrit)

La critique de Mr K : Je vais vous présenter aujourd’hui une lecture à part, un roman qui marque au fer rouge, une œuvre à la fois jubilatoire et effrayante, un ouvrage qu’on ne peut pas oublier et qui ne laissera personne indifférent si l'on tente l’aventure. Rampants des villes de Léo Betti est un brûlot incandescent qui met un sacré uppercut à la littérature proprette ou bien pensante en racontant l’introspection d’un antihéros pour le moins torturé.

Le narrateur n’est pas des plus attirants au premier abord. 21 ans et déjà aigri et cynique, il porte sur le monde un regard noir et plein de reproches. Tout y passe et rien ne semble trouver grâce à ses yeux : l’autorité qu’elle soit parentale, scolaire ou étatique, les mœurs de ses contemporains qu’ils trouvent pour la plupart inintéressants ou risibles. C’est un solitaire qui remet systématiquement en cause l’ordre établi et la morale élémentaire partagée par le plus grand nombre. On se doute bien que cela cache quelque chose, un mal-être, une mélancolie qui se mue en colère et haine viscérale.

Décidé à briser l’étreinte familiale qu’il trouve étouffante, il part dans une formation pour adulte à l’autre bout de la France : Bézier. Son cursus l’indiffère, il vit reclus dans le logement dédié aux apprenants, s’ennuyant ferme et buvant beaucoup (vraiment beaucoup). Tout bascule quand il rencontre X qui de suite le fascine et va l’entraîner dans son sillage. Autant X est beau, fort en gueule, grand séducteur (il est très fier de ses conquêtes, de ses plans culs et de son membre viril) autant le narrateur se ressent comme insignifiant : roux, blanc comme un cachet d’aspirine, d’un physique quelconque et totalement fauché. Rien ne semble au départ rapprocher ces deux là et pourtant l’alchimie semble fonctionner. X exerce un pouvoir de fascination déroutant et devient son ami, du moins le croit-il...

Car au fil du récit, des soirées arrosées et autres plaisir artificiels (de sacrées descriptions de virées bien barrées), les rapports se tendent : attirance / répulsion, communions spirituelles et violentes altercations se succèdent bientôt. Le narrateur poursuit son introspection mais les repères se brouillent, la métaphysique de soi ressort et l’acte final révélera bien des choses dans une explosion de violence assez foudroyante. J’en ai d’ailleurs été totalement retourné. Je ne suis pas une petite nature, j’ai l’habitude de lire et de voir des choses dérangeantes, borderlines (j’avoue j’adore ça) mais ici on touche au sublime dans la noirceur. On ne peut s’empêcher de penser à une chrysalide qui éveille un nouveau moi, une affirmation qui ne va pas sans nous entraîner dans les méandres de la folie.

Le glissement se fait petit à petit au gré d’une écriture incroyable et trop rarement mise en avant dans la littérature. Léo Betti navigue dans le milieu théâtral et ça se sent. On retrouve une vivacité dans le style, une immédiateté qui se joue des règles de grammaire, de la norme narrative et de la construction du récit. On est ici dans du but de décoffrage, des mots jetés à la suite, sans ordre apparent, du moins le pense-t-on au départ. Ça claque, ça s’entrechoque, ça touche juste et l’on sourit, on s’émeut, on est parfois dégoûté mais on reste toujours emprisonné dans les rets d’une écriture tout en subtilité et en sensation. Moi qui aime être surpris, dérangé dans mes certitudes, ça m’a drôlement plu et à l’heure de refermer l’ouvrage je me suis dit que j’avais lu tout simplement une grande œuvre.

Thrash, poétique, sensible, Rampants des villes c'est un peu tout ça à la fois et tellement plus... Un gros coup cœur que je vous invite à découvrir à votre tour tout en sachant qu’on en ressort fortement ébranlé et totalement conquis pour ma part.

Posté par Mr K à 14:36 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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