mercredi 22 mars 2023

"Je vous dépose quelque part ?" de Cécile-Marie Hadrien

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L’histoire : Gabriel et Apolline sont-ils des anges de la route ? Les voix des deux narrateurs alternent et se croisent tandis qu'ils pratiquent le covoiturage. Aux passagers de quelques heures embarqués avec leurs problèmes, leurs humeurs et confidences parfois envahissantes, ils offrent davantage que leur conduite expérimentée et l'habitacle confortable de leurs voitures respectives. L'impromptu s'invite à bord et les protagonistes goûtent alors aux extras de l'ordinaire.

La critique de Mr K : Retour aux éditions Quadrature aujourd’hui avec la chronique d’un très chouette recueil de nouvelles qui a réussi à m’émouvoir parfois jusqu’aux larmes. Je vous dépose quelque part? de Cécile-Marie Hadrien allie à la fois puissance évocatrice, petits récits inventifs tout en restant toujours au niveau des personnages qu’elle met en scène, dans une réalité à hauteur humaine où chacun d’entre nous peut se retrouver.

Les quinze nouvelles qui composent l’ouvrage suivent le même principe d’écriture : Apolline et Gabriel, les deux narrateurs, alternent leurs souvenirs dans les nouvelles et nous racontent une expérience de covoiturage, une rencontre avec quelqu’un ou quelques-uns qu’ils ne connaissent pas du tout. Le hasard, le contexte extérieur, la météo, la prédisposition mentale des uns et des autres va provoquer un événement ou des échanges sur eux, la vie voire la nature de la condition humaine.

Cela donne lieu à de belles rencontres avec des échanges riches en émotion. C’est parfois surprenant mais il faut dire que l’habitacle d’une voiture force la proximité et à l’occasion peut délier les langues. On aborde nombre de sujets qui nous touchent en plein cœur à commencer par l’amour et le rapport à l’autre qu’il soit charnel, spirituel ou simplement empathique. On décortique les mécanismes de la famille avec des pages pleines de bons sens, des souffrances aussi parfois à vif... Chaque passager apporte avec lui ses soucis, un sourire, une histoire qui va faire écho avec celle du conducteur bien souvent. Un lien d’ailleurs se crée entre le lecteur et Apolline et Gabriel. La dernière nouvelle clôt l’ensemble de manière magistrale.

Construction et déconstruction de soi, de nos habitudes, de nos certitudes... au fil des rencontres, ce sont des vies humaines dans toute leur complexité qui nous sont exposées avec simplicité, sans artifices stylistiques inutiles. La langue est ici belle, accessible, sereine je dirais même. L’auteure nous enveloppe dans un cocon et nous invite à partager ses rencontres tantôt poignantes, tantôt drôles, toujours marquantes en tout cas et éclairantes.

Un bien beau recueil que je vous invite à découvrir au plus vite si vous êtes amateur de nouvelles contemporaines. Vous ne serez pas déçus.

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vendredi 2 décembre 2022

"Passage à l'acte" d'Hélène Jousse

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L’histoire : Passer à l'acte se décide-t-il ? À trop longtemps attendre, osera-t-on encore ?

L'exigence et l'intransigeance des personnages de ces nouvelles font d'eux des héros. Se laisser vivre ne leur suffit pas. Ils cherchent dans leurs actes l'approbation de ce qu'ils sont. Ils attendent de leurs choix qu'ils les révèlent. Et plus ils doutent, plus ils espèrent que décider les libérera. Mais nos décisions sont-elles aussi capitales qu'on le croit au moment de franchir le pas ?

Ainsi, Marine, qui se prépare pour une soirée à laquelle son mari ne veut pas l'accompagner, ne se doute pas qu'elle vient de poser le pied sur un fil. Désormais funambule, elle oscille entre son désir de liberté et son engagement envers celui qu'elle a choisi d'aimer il y a longtemps déjà.

La critique de Mr K : Retour à la nouvelle avec ma chronique du jour, une sortie de chez Quadrature, une maison d’édition belge qui s’est spécialisée dans le texte court et qui me ravit à chaque lecture. Dans Passage à l’acte, Hélène Jousse, par ailleurs artiste plasticienne, nous propose un recueil de 15 courts textes mettant en scène des personnages qui vont prendre une décision qui va bouleverser leur existence d’une manière ou d’une autre. À part deux textes qui ne m’ont pas vraiment touché, je dois avouer que j’ai été conquis par nombre de ces destins contrariés qui nous sont livrés ici.

Les textes s’apparentent à des micro fictions tant leur longueur est limitée. Certains ne font que quatre pages à peine, la plus longue approche la vingtaine. Autant vous dire que c’est un sacré tour de force que de proposer un contenu aussi dense qu’explosif avec aussi peu de mots. Le pari est largement relevé grâce à une science précise de la caractérisation, rien n’est inutile ou futile, tout est au cordeau, pensé et réfléchi pour proposer une immersion totale dès le premier paragraphe. On se laisse prendre au jeu très vite, essayant de deviner le fameux tournant que va prendre le personnage au cours de son histoire. Je me suis bien fait avoir souvent pour mon plus grand plaisir, chaque texte proposant une expérience de lecture unique.

C’est donc des situations très différentes qui nous sont données à lire. Tour à tour une femme suit un suiveur qui suit une femme, un homme vient parler de sa mère récemment disparue à la narratrice sculptrice, une vendeuse en bijouterie de luxe nous raconte une anecdote, un gamine de deux ans s’approche dangereusement d’un bol de lait bouillant, une femme et un homme se rencontrent dans un train, une petite fille veut s’acheter un Carambar dans une boulangerie tenue par une femme plus que désagréable, deux lecteurs se trouvent littéralement dans une rame de métro dans un futur glaçant, une femme règle son compte de manière littéraire avec le père de ses enfants, une recherche de maison se transforme en une quête plus intime, une jeune fille laide va se dépasser pour décrocher un RDV avec le plus beau gosse de la classe (la chute est terrible), une histoire d’amour se noue à travers des échanges épistolaires faussés, un petit anglais introverti va vivre un séjour douloureux chez son correspondant français, une femme vient en aide à un sdf d’origine roumaine, une femme se rend à une soirée sans son mari et va tester sa fidélité...

Le seul lien consiste donc en une bascule, une décision, un acte ou encore une prise de conscience qui va aiguiller la vie du personnage dans une autre direction. Parfois c’est ténu, limite imperceptible, des fois ça prend vraiment des proportions terribles avec des conséquences lourdes (la nouvelle éponyme est une de mes préférées dans ce domaine). Dans tous les cas (sauf vraiment deux textes qui m’ont "échappé" dirons-nous), c’est très fin, la psychologie des personnages est croquée de manière fort juste puis s’enchaîne la situation qui va l’amener vers un ailleurs parfois insoupçonnable. L’auteure est capable de nous faire partager pléthore de sentiments divers éprouvés par des personnages de toutes conditions, de tout âge. La variété est enrichissante, l’empathie fonctionne très souvent à plein et l’ouvrage se lit vraiment à vitesse grand V.

Un bon recueil de nouvelles vraiment dont certaines seront lues à haute voix devant mes élèves pour des moments de partage de lecture qui ne manqueront pas de les interroger sur les trames parfois distendues de l’existence. Les amateurs peuvent y aller, ils ne seront pas déçus.

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dimanche 5 juin 2022

"Le sens du vent" de Gilles Dienst

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L’histoire : Les vies ordinaires ont ceci d'extraordinaire qu’à tout moment elles peuvent le devenir.

Comment des personnages ni super-héros ni aventuriers peuvent-ils se retrouver, sans l'avoir prémédité, en train de ne pas oser, taire, mentir, tricher, voire plus ?

Avec une sobriété d’écriture revendiquée, Gilles Dienst raconte les moments qui vont les entraîner là où ils n’auraient pas imaginé aller.

On y rencontre Jérôme et ses cendres, Williams et sa fille, celui qui n’aime pas les barbecues, Vanessa et le chien, Evelyne la charcutière espagnole, Audrey l’amoureuse, et Jean-Luc sous une carcasse de bœuf.

Huit personnages sur la crête de la vague, cet instant très éphémère avant la bascule. Ça peut parfois mal finir...

La critique de Mr K : Un beau recueil de nouvelles à mon actif avec la chronique du jour : Le sens du vent de Gilles Dienst. Le dernier né des éditions Quadrature propose de croiser le destin de huit personnages à un moment clef de leur vie, un moment qui va les faire basculer et changer de trajectoire pour le meilleur ou pour le pire...

En peu de mots, l’auteur réussit à nous faire rentrer dans l’intimité de ses personnages. Que ce soit le protagoniste en lui-même ou la situation à laquelle il est confronté, la caractérisation est un modèle du genre. On se prend au jeu et l’on se demande bien où cela va nous mener, les chutes étant bien souvent surprenantes alternant logique et parfois sidération. On reste toujours dans le crédible, le réaliste, ces textes se révélant des miroirs fidèles à ce qu’une vie humaine peut réserver avec ses petits moments de lâcheté ou de lâcher prise qui peuvent bouleverser une vie.

Ces instantanés de vie sont disséqués avec finesse, l’auteur se concentrant sur des failles apparentes ou non qui finissent par exploser en plein visage et donnent à voir une humanité au bord du gouffre. Amour, amitié, travail, la famille, d’autres thèmes et différents sentiments forts et profonds sont évoqués et rappelleront à tous les lecteurs des choses vécues ou ressenties dans leur existence. Ces courts récits proposent donc une expérience de lecture fraîche et une source de réflexion bien souvent jubilatoire lorgnant parfois vers nos côtés sombres.

Pléthore de thématiques sont abordées avec toujours un sens de la formule, de l’à propos et un intérêt indéniable pour tous les destins livrés ici. Un homme qui n’arrive pas à trouver la force de répandre les cendres d’un parent disparu, un autre vit dans une autre réalité tant la souffrance liée à la perte d’un proche l’a définitivement abîmé (la superbe nouvelle "Finir autrement"), un homme qui déteste les barbecues se rend à une réception donnée par une vieille connaissance contre qui il n’a que rancune et envie, la quête de l’âme sœur sur les réseaux de rencontre et les déceptions qu’elle peut engendrer, la rencontre improbable entre deux êtres et l’étrange alchimie qui peut naître entre elles, une histoire d’amour qui finit en passion destructrice, une autre rencontre qui transfigure l’un des protagonistes quitte à le faire aller loin dans ses mensonges... autant de récits courts et incisifs, efficaces et très plaisants à lire.

Aucune nouvelle n’est vraiment au dessus ou en dessous du lot, tout est parfaitement équilibré avec une maîtrise du récit impeccable et une langue qui touche en plein cœur, multipliant les émotions et proposant une lecture enthousiasmante. Un très bon recueil de nouvelles donc, qui ravira les amateurs.

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mercredi 23 mars 2022

"Le père que tu n'auras pas" de Luc Leens

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L’histoire : Des nouvelles écrites à hauteur d’hommes et de femmes. Une langue qui coule de source et emporte le lecteur. Douze récits où se mêlent émotion, humour et poésie. Des personnages qui, comme nous tous, ont appris en autodidactes à être parents, enfants, époux ou simplement eux-mêmes.

La critique de Mr K : Nouveau recueil de nouvelles contemporaines paru aux éditions Quadrature au programme de la chronique du jour et encore une belle expérience de lecture pour ma pomme avec Le père que tu n’auras pas de Luc Leens, un auteur belge fort talentueux qui évoque avec finesse et une écriture enlevée les drames et les joies qui peuvent émailler une vie humaine. Lu en un temps record, ces textes aussi divers que variés procurent un plaisir de lecture de tous les instants.

On croise des hommes et des femmes qui livrent ici encore des moments clefs de leurs existences, révélant des secrets de famille et des événements personnels qui ont pu faire basculer leur vie. Un premier amour qui a marqué irrémédiablement un parfumeur inspiré, un sommelier qui va découvrir l’identité du père qu’il n’a jamais connu, le quotidien machiste d’une jeune plombière qui va déboucher sur un acte terrible, un homme retranché chez lui pour faire face à un virus mystérieux, une femme d’un certain âge qui veut faire connaissance avec sa vieille voisine, la découverte d’une bague dans la machine à coudre d’une femme récemment décédée, le passé traumatisant d’une femme ayant séjourné en internat religieux, un enterrement qui va réveiller les souvenirs, une grand-mère qui fait connaissance avec sa petite fille sur le tard et lever le voile sur le passé... et d’autres personnages encore qui se révèlent tous attachants à leur manière.

Luc Leens est un très bon nouvelliste. Il a cette science aiguë de la caractérisation courte et dense à la fois. En quelques mots, paragraphes, il nous emmène à entrer de plein pied dans le quotidien et les pensées de gens à priori ordinaires qui vont se retrouver confrontés à des vérités parfois insoupçonnables. C’est rudement bien maîtrisé avec son lot de surprises et des émotions à fleur de mots qui touchent très souvent juste et fort. On se prend parfois à s’y reconnaître ou à penser à des moments vus, éprouvés et assimilés depuis longtemps. Comme le dit si bien Armel Job dans sa préface, la vie peut parfois se résumer à un assemblage de nouvelles, de fragments de vie pas forcément liés entre eux, sans logique apparente comme c’est souvent le cas dans le roman. L’auteur en fait ici la parfaite illustration avec talent et une profonde humanité.

Dès lors, cette lecture emporte le lecteur, le transporte dans ces vies qui emmènent évasion, réflexion et empathie saisissante. Un très bon recueil que je ne peux que conseiller à tous les amateurs du genre.

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mercredi 12 janvier 2022

"Même pas mal" de Brice Gautier

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L’histoire : Un mari toxique, une grossesse non désirée, l’amour qui s’en va, la perte d’êtres chers, un corps malade qui n’obéit plus, chaque personnage de ce recueil doit faire face à la souffrance. Certains l’apprivoiseront comme un animal sauvage, d’autres la retourneront à leur avantage, tous parviendront d’une manière ou d’une autre à l’empêcher d’envahir leur existence.

La critique de Mr K : Chronique de ma dernière lecture de nouvelles en 2021 avec un autre recueil de chez Quadrature, Même pas mal de Brice Gautier. Douze textes, pour douze destins liés à la notion de souffrance qu’elle soit physique et mentale. Malgré un fil directeur qui n’inspire pas la joie, cette lecture est loin d’être plombante. Au contraire, elle recèle beaucoup de morceaux d’espoir et se révèle être source d’émotions multiples.

Les protagonistes de chacune des nouvelles ont donc en commun que la vie ne leur fait pas de cadeaux, qu’à un moment donné ou sur le long terme, l’existence s’est révélée être une garce et qu’il a fallu qu’ils composent avec. Le champ couvert est immense et aborde nombre de difficultés que chacun d’entre nous peut ou pourra rencontrer lui-même : le deuil d’un proche, le divorce et la nécessité de s’en remettre par quelque moyen que ce soit, la tromperie et le jeu de dupe qui peut en découler, le handicap et le changement de perception, des vérités anciennes qui ressurgissent et bouleversent le présent et les certitudes établies, la maladie qui corrompt le corps et l’esprit, les violences conjugales et leur impact psychologique, le désir d’enfant et ses contradictions ou encore le machisme ambiant qui castre un homme plus sensible que ce que les codes sociaux conçoivent.

Chacune de ces nouvelles est un enchantement, une évocation fine et juste de l’humanité dans sa fragilité, sa souffrance mais aussi ses capacités à rebondir, à se créer une parenthèse dorée lorsque le quotidien peut devenir insupportable. L’auteur excelle à détourner les attendus du lecteur qui s’imagine bien des choses, semble suivre des pistes toutes tracées mais nous nous trompons à chaque hypothèse car Brice Gautier déborde d’imagination et propose des chutes surprenantes à souhait. À noter que l’auteur a un don certain dans la caractérisation des personnages, notamment des femmes, ce qui donne lieu à de magnifiques portraits de personnes en déroute ou déboussolées mais qui à chaque fois réussiront à s’en sortir d’une façon ou d’une autre. Et pas toujours de façon très académique ou morale...

L’écriture subtile et exigeante reste accessible à chaque texte, propose des vies décrites avec sensibilité, délicatesse mais avec parfois un soupçon de dérision, d’humour qui relève l’ensemble. On prend donc un grand plaisir dans cette lecture qui propose à la fois des histoires d’une banalité confondante mais à la teneur profonde qui éclairent nos vies et nos possibles réactions. Un recueil à ne pas louper si vous êtes amateur du genre.

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jeudi 18 novembre 2021

"Grenailles errantes" de Bruno Marée

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L’histoire : Elles sont bringuebalées par les hasards de la vie, par des rencontres improbables, par des doutes salutaires, par le souffle d’un vent inattendu, redouté ou inespéré. Elles roulent sur leur chemin, se bousculent parfois, s’incrustent ou s’envolent ou se perdent dans les fossés des bas-côtés. Elles s’agitent souvent et laissent apparaître leurs hésitations, leurs forces et leurs faiblesses. Un jour ou l’autre, nous sommes tous des "grenailles errantes"...

La critique de Mr K : Des nouvelles en veux-tu ? En voila ! Paru chez Quadrature à l’occasion de la rentrée littéraire, Grenailles errantes de Bruno Marée est un petit bijou du genre. Ce recueil conjugue de nombreuses qualités qui le place haut la main en tête de liste de mes lectures de nouvelles de l’année. Douze nouvelles comme autant de récits percutants, émouvants et révélateurs de l’humain dans sa diversité et ses points communs. Suivez le guide !

Une salle d’attente par temps orageux où se joue un théâtre d’ombre d’impatiences exacerbées, une femme qui s'offre une échappée belle loin de son quotidien morne, la théorie et l’exemple autour de la notion de souvenir, un vieux qui sort sans autorisation de son logement et ressasse ses récriminations, une femme qui se réfugie dans la nature quand elle n’en peut plus et qui va sauver quelqu’un d’une mort terrible, une femme rebelle partie acheter des chocolats au supermarché et qui s’y retrouve coincée pour la nuit, les souvenirs d’expéditions de montagne d’un alpiniste qui se rappelle de la personnalité hors du commun du premier de cordée, une partie de pêche qui tourne mal (mais alors vraiment mal), un couple de pharmaciens à la retraite qui s’achète la maison de campagne de leurs rêves, un magasin de souvenirs tenu par deux vieilles filles qui va accueillir un charmant nouveau vendeur, une infirmière saboteuse qui lutte pour la survie de la forêt ou encore le journal quotidien d’un gardien de musée qui observe ses contemporains... voila les différents sujets abordés dans des récits courts et incisifs dont aucun ne se révèle commun ou inférieur aux autres.

Je découvrais Bruno Marée avec cette lecture et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce fut une vraie révélation. Son style est vraiment à part, mélangeant finesse et saillies bien fun, mêlant ironie, auto-dérision et parfois passages plus poétiques. Impossible de lâcher sa lecture tant on est pris par ce style qui magnifie les histoires qui nous sont proposées. Celles-ci sont drôlement bien troussées avec des personnages croqués avec justesse et des destins tortueux qui bien souvent nous parlent. Dans les choix qui s’opèrent, les questionnements et incertitudes évoquées, Bruno Marée nous parle à cœur ouvert de ce qui fait une vie humaine. J’ai adoré cet écho qui a résonné plus d’une fois en moi et qui m'a touché. J’ai rarement été aussi ému avec certains textes que je me permettrai de partager avec mes jeunes pousses dans le cadre de lectures à voix haute voire d’études plus littéraires tant ils pourraient se révéler éclairants et inspirants pour développer l'empathie et l'ouverture.

Grenailles errantes est donc un excellent recueil de nouvelles contemporaines avec une écriture ciselée et pleine de facétie que j’ai pu lire et que je vous conseille très fortement. Les amateurs ne doivent pas passer à côté !

mercredi 26 mai 2021

"Le Bruit du rêve contre la vitre" d'Axel Sénéquier

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L’histoire : Sandra doit arriver d’une minute à l’autre. Il faut qu’elle se dépêche car derrière la vitre, il y a le soleil bleu, la mer jaune et les étoiles violettes qui s’impatientent, il y a cette vie bourdonnante qui attend qu’on la libère, il y a ces rêves qui frappent au carreau et craignent de mourir emprisonnés. Alors épuisé mais heureux, je désigne la fenêtre. L’infirmière comprend et me sourit. Lorsqu’elle tourne la poignée, le vent impatient s’engouffre dans cette chambre close et renverse les fleurs. Le vase explose sur le sol. Et dans les morceaux épars répandus aux quatre coins de la chambre, la lumière du soir se réfléchit et nous fait plisser les yeux.

Douze nouvelles sur le confinement, le Covid-19 et cette époque trop sûre d’elle-même qu’un virus a balayée.

La critique de Mr K : Joli et émouvant recueil de nouvelles que celui d’Axel Sénéquier paru en avril chez Quadrature, un ouvrage réunissant douze nouvelles se déroulant pendant le premier confinement. Le Bruit du rêve contre la vitre (superbe titre soit dit en passant) propose de suivre des destinées contrariées en pleine pandémie, souvent seules face à elles-même dans un espace réduit. C’est rudement bien mené et efficace avec bien souvent des textes qui touchent fort et juste.

Texte après texte, on replonge dans des thématiques et des types de personnages qui ont marqué à leur manière cette période si particulière. Le confinement a révélé beaucoup de choses sur notre société, notre rapport aux autres mais aussi nous a bien souvent forcé à effectuer notre introspection et la remise en cause de certaines valeurs, de rapports familiaux ou amicaux ou encore à bouleverser nos styles de vie. Avec une finesse assez confondante et en peu de mots (les textes sont vraiment courts et vont à l’essentiel) l’auteur parvient à saisir cette époque hors norme dans laquelle nous continuons à vivre bien malgré nous parfois.

Au fil des textes, on croise une femme battue par son compagnon, un artiste se sentant inutile qui va s’engager pour travailler dans une Ehpad, un père soumis au calvaire de l’école à la maison, des parisiens en fuite vers leur résidence secondaire en province, une nana imbuvable qui découvre les joies du télétravail avec des possibilités de vengeance assez terribles, un homme qui veut changer de vie et retrouve ses racines familiales, un homme dans le coma qui rêve et délire, une SDF ensauvagée qui redécouvre la nature dans le jardin des plantes de Montpellier, un vieux retraité qui devient un poète des banderoles aux fenêtres, une femme qui va prendre un bain pendant que sa famille végète devant la télé ou au lit (nouvelle au retournement de situation le plus poignant), un homosexuel largué juste avant le confinement et qui se met à faire du pain et s’en servira pour se venger (hilarant et touchant à la fois) ou encore un apéro zoom entre amis où l’héroïne va littéralement péter un plomb pour le plus grand bonheur du lecteur. Oui, toutes ces situations vous disent quelque chose, vous parlent, elles représentent la somme des phénomènes sociétaux et comportementaux qu’on a pu découvrir et malheureusement pour certaines, mettre en lumière à la faveur du confinement.

On est finalement constamment sur la corde raide avec ces différentes histoires qui parlent de rupture, de bouleversement intérieur qui remet en cause les choses établies. Qu'elles soient personnelles et intimes, professionnelles ou sociales, ces interrogations nous touchent car c’est une belle métaphore de la vie, des existences qui peuvent être déviées de leur trajectoire et qui se sont retrouvées bouleversées par le phénomène COVID. On éprouve nombre de sentiments, d’émotions diverses avec cette lecture, on rit à l’occasion mais c’est la tonalité grave voire mélancolique qui l’emporte avec des situations qui ébranlent et font réfléchir à la fois. L’amour et ce que l’on peut supporter en son nom, la vieillesse et l’oubli, l’aliénation de sa personnalité, les peurs qui nous habitent ou encore notre place dans la société sont questionnés à tour de rôle ou se mêlent les uns les autres dans des histoires toujours très bien construites où protagonistes et situations sont remarquablement caractérisés dans une langue accessible et nuancée.

"Le Bruit du rêve contre la vitre" d'Axel Sénéquier est un pur bonheur de lecture qui ravira les amateurs de nouvelles contemporaines, de récits qui prennent aux tripes, nous émeuvent et à la fois nous font réfléchir.

vendredi 5 mars 2021

"Lorsque la vie déraille" de Frank Andriat

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L’histoire : Son train était prévu à 7h46 vers Bruxelles-Nord d’où il monterait dans le 8h06 vers Liège et Eupen. À 9h22, il descendrait à Verviers-Central. Elle l’attendrait sur le quai, "au pied des escaliers", avait-elle précisé. Il se sentait un peu fou, comme le soir de leur première rencontre parisienne, quand il s’était retrouvé seul, sans elle, avec pourtant la certitude qu’elle était la femme de sa vie.

Des voyages, des instantanés de vie surpris dans les trains. L’existence s’y conjugue, au fil des rencontres, à toutes les personnes du singulier et du pluriel. Des nouvelles comme des huis clos où l’être humain se retrouve face à ses fragilités, à ses drames mais aussi à sa faculté de résilience. Des nouvelles d’amour et de vie où chacun peut se reconnaître.

La critique de Mr K : Retour à la nouvelle contemporaine aujourd’hui avec le dernier né des recueils édités par Quadrature, une maison d’édition spécialisée dans le genre. Dans Lorsque la vie déraille de Frank Andriat, l’auteur nous invite à croiser l’ensemble de ses protagonistes lors d’un voyage en train à des moments qui vont se révéler cruciaux dans leur existence. En six textes, nous faisons un tour d’horizon de l’humanité dans ses travers, ses forces et ses aspirations avec un plaisir renouvelé nourri par la langue subtile et douce d’un écrivain que je découvrais avec cet ouvrage.

On débute cette lecture très fort avec Un Grand homme, une nouvelle qui prend place dans une rame du TGV où un groupe d’hommes discute ou du moins où un auteur célèbre s’écoute parler devant trois écrivains en devenir. L’homme est particulièrement désagréable, imbu de lui-même et il attire l’attention des autres passagers et notamment passagères par ses propos sexistes où il narre ses aventures érotiques sans aucune gène. La pression monte vite et une révélation finale va ébranler quelque peu le lecteur. Cette première nouvelle donne le ton, personnages fins et complexes, une tension maîtrisée et une chute qui vient à point nommé happent le lecteur et ne lui laisse aucune chance de s’échapper. Dans Crains les trains, un homme essaie à tout prix d’empêcher son écrivaine de femme de prendre le train pour aller à la rencontre d’élèves de collèges avec qui elle a travaillé à distance. Obsessionnelle, son attitude interroge, on frôle la folie et un souvenir traumatisant vient nous cueillir en toute fin de récit. Très efficace, là encore, on a affaire à un texte tendu et prenant à souhait.

La nouvelle éponyme, Lorsque la vie déraille ne m’a pour le coup pas convaincu. Cette histoire de deux personnes qui s’aiment, se séparent, se retrouvent et espèrent ensemble a manqué de souffle à mes yeux. J’ai vite décroché alors qu’il y avait tous les éléments pour que ça fonctionne. Il arrive parfois que les protagonistes nous touchent moins, ça a été le cas ici. Avec des sourires et de la paix est par contre une des meilleures histoires du recueil. On suit un groupe de jeunes qui prend le train pour aller au lycée. Ils vont croiser lors de ce voyage Nadir et cette rencontre va bousculer leurs habitudes, révéler les failles de leur amitié et la bêtise ordinaire de l’humanité. J’ai beaucoup aimé la narratrice peu sûre d’elle qui réussit finalement à s’affranchir du groupe et à affirmer son identité et ses positions. Une nouvelle qui touche en plein cœur et qui est malheureusement toujours d’actualité.

Dans La notification, un homme part rejoindre sa maîtresse au Luxembourg en partant de Bordeaux. Ce macho pépère stresse beaucoup entre retard pris par les trains, changement à effectuer à Paris et réflexions personnelles sur les deux femme de sa vie que tout oppose. La nouvelle prend le temps de poser les choses entre aléas du voyage et flashback bien sentis qui caractérisent bien les forces en présence. La fin logique vient nous cueillir avec un cynisme du plus bel effet ! On termine en beauté avec Une histoire d’amour, qui met en scène un couple de personnes âgées que lie un amour indéfectible. Ces deux-là s’aiment et cela se voit, se sent, se vit. Pour autant, une ombre plane sur eux. Ce voyage en train vers un ailleurs juste nommé cache une vérité, quelque chose d’extrêmement douloureux et qui à la fin de voyage va prendre une autre direction. Cette nouvelle est magistrale, emprunte d’humanité et de résilience à un niveau inégalé dans cet ouvrage. J’ai adoré cette mise en abîme finale qui remet en cause l’intégralité du texte. Ce récit est un bijou de construction et de style, rien que pour lui, l’ouvrage vaut le détour.

Ces six nouvelles rassemblent les mêmes qualités à mes yeux (hormis pour une qui n’a pas réussi à me capter) : des personnages intéressants dans leur banalité et leur humanité (littéralement épluchés par l’auteur de façon brève et précise), et une écriture souple et bien souvent envoûtante. Complexes parfois contradictoires, les protagonistes dans leurs pensées et leurs actes donnent à voir des instants de vie qui peuvent résonner en nous, libérer des souvenirs ou faire penser à des choses vues ou même vécues. C’est très brillamment mené par un sens de la narration très précis, maîtrisé et menant bien souvent à une pirouette finale pleine de sens et de réflexion. Les amateurs de nouvelles peuvent foncer, ils ne seront pas déçus.

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mercredi 30 décembre 2020

"Fenêtre ou couloir" de Claire Blanchard-Thomasset

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L’Histoire : Elle avait déjà décidé, c’est là qu’elle s’installerait. Elle avait retrouvé la vue, elle avait un horizon. Tout à coup, elle respirait mieux. L’air d’ici, elle le sentait, serait vivifiant. Elle serait bien dans cet appartement. De son cinquième étage, elle surplomberait les tracas, regarderait de haut ses chagrins.

Fenêtre ou couloir ? Contrairement à ce que proposent les compagnies ferroviaires, les choix sont nombreux, changeants et nuancés. Les personnages des dix-neuf nouvelles de ce recueil vivent tous des situations qui questionnent leur place, au sein du couple, de la famille, au travail, ou vis-à-vis d’eux-mêmes : place à trouver, à retrouver, à conquérir, à garder, à ajuster, à accepter ou à quitter.

La critique de Mr K : Nouvelle incursion chez Quadrature, un des éditeurs de textes courts que je préfère. Dans Fenêtre ou couloir de Claire Blanchard-Thomasset, l’auteure nous invite à découvrir 19 personnages à la croisée des chemins, à des moments clefs de leur existence où ils réfléchissent à leur place que ce soit dans l’intimité, la famille élargie, le monde du travail ou la société de manière générale. J’ai littéralement dévoré ce volume que j’ai trouvé épatant et très juste, il rentre directement dans mon top trois des meilleurs recueils de nouvelles de cette maison d’édition.

Récits d’introspections, les dix-neuf nouvelles nous présentent de multiples personnages très différents les uns des autres. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, solitaires et sociables, ils ont en commun le fait qu’ils s’interrogent sur un aspect de leur vie qui les interpelle à un moment donné de leur existence. Prise de conscience, prise de décision ou simple évocation / observation se suivent et se lisent avec délice. C’est parfois cruel, le constat peut se révéler lourd mais c’est aussi souvent le temps du bilan, de regarder devant soi et de cesser de vivre sous le poids d’un passé parfois très pesant.

La famille et ses ramifications complexes (rapport parents-enfants notamment), le deuil et son dépassement, l’amour vécu et l’amour rêvé, le mariage et les liens noués ou dénoués, le dépassement de soi, l’aventure lointaine ou le quotidien, les crises existentielles que l’on peut traverser, les rapports humains dans l’entreprise avec son lot de solidarités mais aussi de jalousies destructrices sont quelques-uns des thèmes qui sont traités de manière brillante à travers de très courts textes qui n’excèdent jamais la dizaine de pages.

Pour autant cette brièveté et économie de mot proposent à chaque fois un personnage fort, délicatement ciselé pour qui l’empathie fonctionne immédiatement. On reconnaît certaines situations, on peut même s’y identifier. Ainsi, deux / trois récits m’ont particulièrement marqués et ont fait profondément écho à ma propre existence, ce qui est toujours très troublant lors d’une lecture. Rarement à chute, ces nouvelles s’apparentent à des tranches de vie croquées avec justesse et qui offrent une belle illustration des affres d’une vie humaine entre espoirs et désespoirs, surprises du quotidien, retournements de situations mais aussi parfois de belles révélations. On multiplie les montées émotionnelles dans toute la palette possible des sentiments humains avec à chaque fois un sourire fixé sur les lèvres quand on aborde la fin d'un récit. En toute honnêteté, aucun texte me semble vraiment inférieur aux autres, j’ai adoré toutes les destinées qui m’ont été données à lire ici, ce qui est plutôt rare dans ce type de recueil.

L’écriture simple accroche le cœur du lecteur et provoque une émotion brute, forte et très réaliste. L’addiction est là dès le début et ne vous lâchera pas durant l’ensemble d’un ouvrage plus que recommandable pour tout amateur de recueil de nouvelles contemporaines. On a affaire ici à du tout premier choix !

mercredi 2 décembre 2020

"Face à la mer" de Pierre Montbrand

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Le contenu : Un jeune étudiant amoureux de sa professeure d’anglais, un commandant de ferry voulant à tout prix retrouver une baigneuse aperçue de sa passerelle, un critique de cinéma à la recherche du passé d’Ingmar Bergman et de Harriet Andersson sur l’ile d’Ornö, un professeur d’université désargenté jouant les reporters sur les routes du Mississippi... Tous ont en commun la quête de l’éternel féminin, mystérieux et insaisissable.

La critique de Mr K : Petite incartade au pays de la nouvelle avec ce nouveau recueil paru chez Quadrature, une maison d’édition qui a l’art de proposer de très bons formats courts qui ne manquent pas de toucher leur cible à chaque lecture que j’ai pu faire. Dans Face à la mer de Pierre Montbrand (qui n’est pas le pseudo de Calogero, je vous vois venir petits coquins !), l’auteur nous propose à travers six récits d’explorer la figure féminine à travers des récits intimes masculins où l’amour sous toutes ses formes prend beaucoup de place. Six textes pour six expériences très différentes mais qui se relient entre elles par un fil ténu mais bel et bien là.

Dans Photo de classe, le narrateur apprend la mort de sa prof de français de lycée avec qui il avait noué une relation interdite et passionnée. Pendant le trajet qui le mènera au lieu de l’inhumation, il repense à cette période si particulière de sa vie qui l’a forgé. On commence très fort avec un récit poignant et éclairant sur la notion de passé, de construction de soi et d’amour fou. J’ai lu cette nouvelle d’une seule traite, déjà captivé par un style aussi simple que profond. Sacré démarrage ! On enchaîne ensuite avec Droits de succession qui voit une femme retourner dans la propriété de son défunt père, un artiste plasticien qui vient de passer l’arme à gauche et dont elle doit régler les affaires. Partie depuis longtemps de la maison, elle est froide, distante et les gens de la commune cancanent dans son dos... mais ils sont à mille lieux de savoir ce qui s’est déroulé dans cet endroit et ce à quoi doit se confronter l’héroïne dans ce retour aux origines. Sans doute, la nouvelle la plus bouleversante du recueil, on se fait cueillir par la trajectoire évoquée, la révélation finale et le rythme lent mais redoutablement efficace de l’auteur pour emmener le lecteur vers des rivages insoupçonnés. Franchement bravo !

Clair de lune nous conte quant à lui les réminiscences d’un homme lors d’une réunion de famille où il croise une personne qu'il n'a pas revu depuis des années mais avec qui il a eu une brève aventure que la morale réprouve. Très courte, allant à l’essentiel, l’émotion est ici à fleur de mot, la gradation rudement bien menée et le lecteur se fait embarquer là encore très facilement. Dans Face à la mer, la nouvelle éponyme, un capitaine de navire ferry tombe sous le charme mystérieux et sauvage d’une baigneuse au charme certain. Il va partir à sa recherche, retrouver sa trace et discuter avec un de ses proches qui livrera quelques vérités sur cette sirène des temps modernes. Le charme agit toujours autant sur le lecteur avec un personnage central des plus attachants et une chute brusque et saisissante, j’ai beaucoup aimé aussi.

Mon été 52 voit un critique de cinéma partir en Suède sans sa femme à la recherche d’un lieu mythique de tournage de Bergman. Il s’y logera un temps et fera la connaissance d’une femme fort charmante. On mélange ici fantasme et réalité, le cinéma et son aura ainsi que les lieux sur lesquels l’empreinte du septième art est parfois palpable. On brouille les pistes pour mieux revenir à l’esprit humain et ses contradictions. Il m'a fallu plus de temps pour rentrer dans ce récit mais au final, la chute est intéressante et la nouvelle plutôt réussie. Enfin, On dirait le sud, clôture ce recueil de manière plutôt banale avec l’histoire d’un universitaire en pleine déprime qui part sur les routes avec une de ses étudiantes. Je n’ai pas vraiment été convaincu par les personnages et l’objectif poursuivi, ce texte m’a paru vraiment un ton en dessous des autres. Un coup dans l’eau.

On passe cependant un très bon moment avec ce recueil qui fait la part belle aux souvenirs, aux choses qui nous habitent et guident nos pas tout le long de notre vie. C’est beau et cruel à la fois, triste et drôle, plein de contrastes en fait comme une existence humaine. Pierre Montbrand est très bon pour ce qui est d’explorer les affres de l’amour, de l’attirance / répulsion, des fêlures familiales et amoureuses qui peuvent marquer une personne à jamais. On n’est jamais dans la démesure ou les effets de manche superficiels, tout ici est d’une justesse fort à propos avec un style très accessible sachant se contenter d’aller à l’essentiel, essence même du genre de la nouvelle. À part un dernier acte légèrement hors sujet à mes yeux, le reste s’apparente à de la très bonnes nouvelles contemporaines et les amateurs ne s’y tromperont pas !