"Poutine : L’ascension d’un dictateur" de Darryl Cunningham
L’histoire : De ses origines de petit voyou dans les cours d’immeubles sales et infestées de rats de la Leningrad de l'après-guerre jusqu’à sa place actuelle parmi les hommes les plus puissants du monde, en passant par son ascension dans les rangs du KGB, voici l’histoire de Vladimir Poutine.
La critique de Mr K : En 2020, j’avais découvert tout le talent de Darryl Cunningham avec son épatante L’ère de l’égoïsme, une BD documentaire complète et accessible sur les relations délétères entre l’économie, la politique et les masses. On change de sujet ici (même si on y retrouve quelques thématiques communes) avec cette biographie sans concession du maître du Kremlin. Une fois de plus, on a affaire à une œuvre intelligente, parlante et éclairante... mais pas des plus rassurantes !
Cette édition empruntée au CDI est une réédition de début 2022, juste après le début de l’agression russe sur ses voisins ukrainiens. Un avant propos dessiné de l’auteur a été rajouté afin de contextualiser pour les lecteurs actuels. Darryl Cunningham lance ensuite les hostilités en revenant sur les origines du jeune Vladimir Vladimirovitch Poutine. J’avoue avoir été un peu déçu par cette partie de sa vie très vite traitée, en à peine huit pages on en a fait le tour. Sans doute les sources ne sont pas fiables ou peut-être tout simplement, a-t-on très peu de choses à en dire...
Puis c’est l’entrée au sein du KGB et le début de l’ascension. Même si à partir de là, il y avait énormément d’éléments que je pouvais connaître, l’ensemble est bien mené, rafraîchit la mémoire et surtout remet tout cela en perspective avec les soubresauts de l’Histoire, notamment le début de la fin pour l’URSS qui va marquer à jamais le futur dictateur. Très pédagogique, on revient notamment sur la politique de réforme de Gorbatchev qui va précipiter les événements et installer Eltsine au pouvoir, l’homme qui va véritablement lancer la carrière purement politique de Poutine.
Au delà de la volonté de restaurer la Grande Russie, Poutine est avant tout un homme qui s’est enrichi sur le dos de son peuple et de son pays. Il est d’ailleurs sans doute un des hommes les plus riches du monde avec un nombre incalculable de liens financiers et économiques, des années de corruption organisée calquée sur les méthodes mafieuses. Il dirige un monde où on n’hésite pas à dégommer les opposants et les gens trop curieux. On se rappelle encore des meurtres de journalistes, d’hommes et de femmes politiques opposés à lui, même de professionnels de la justice (rappelons que Poutine lui-même a suivi un cursus de droit). La liste est longue, égrainée au fil des pages... toutes ces disparitions servent le maître du Kremlin même si officiellement on ne peut relier ces morts à Poutine.
Au fil du récit, on prend conscience de l’ampleur du système mis en place et la faiblesse de l’occident face à cette montée en puissance. Bien évidemment on pense à Trump et sa bêtise abyssale qui a fait couler son pays, son copinage coupable qui a laissé les coudées franches au roi du kremlin. Mais l’Europe n’est pas en reste et pendant ce temps là, Poutine étend son emprise, intervient fortement et illégalement sans personne pour s’opposer à lui : Tchétchénie, Syrie, Géorgie, Ukraine... le tout en enfermant la Russie dans un carcan totalitaire où l’on vit dans la peur, baigné dans une propagande aliénante où la démocratie n’est plus qu’un leurre et où les malheureux qui veulent changer les choses sont tracassés, stigmatisés, emprisonnés voire pire... Quelle tristesse quand comme moi on aime la culture russe, notamment ces grands écrivains et artistes qui ont pu m’apporter tant de joies et d’émerveillements.
Le contenu est dense, magnifié par les dessins minimalistes mais précis et très évocateurs d’un Darryl Cunningham soucieux de vérité historique et engagé dans la défense de la démocratie au sens large. Cette lecture bien que rude remet bien les idées en place et expose sans fard la terreur poutinienne et les lâchetés occidentales. Un petit bijou que je vous invite à découvrir tant il paraît essentiel à la vue des événements actuels. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas après cette lecture...
"Les Orphelines du mont Luciole" d'Isabelle Rodriguez
L’histoire : Des champs sauvages, trois fermes, une école à classe unique à l’ombre d’un orphelinat abandonné. Au village, on dit que toutes ses pensionnaires y sont mortes d’un coup, fauchées par la grippe espagnole au lendemain de la Grande Guerre. On ne sait rien de plus. Une enfant refuse l’oubli. Les orphelines sont ses fées. Alors, quand des promoteurs débarquent pour construire un lotissement à l’endroit de leurs tombes, elle promet de revenir, adulte et conquérante. De sauver la colline et ses légendes.
La critique de Mr K : C’est un avis mitigé que je vais partager avec vous aujourd’hui avec ma chronique consacrée à l’ouvrage d’Isabelle Rodriguez, Les Orphelines du mont Luciole, sorti en tout début d’année dans la jeune maison d’édition Les Avrils que je découvrais par la même occasion. Il est ici question d’héritage, de souvenirs et d’identité. Tout pour me plaire en quelque sorte même si la sauce n’a pas pris chez moi...
Divisé en deux parties, l’ouvrage raconté à la première personne met en scène une femme qui se souvient de la petite fille qu’elle était, qui a grandi dans le village de Sorcelin, lieu qu'elle continue d’adorer. Les relations familiales dans le milieu populaire dont elle est issue, les rues, les vieilles pierres, la nature... tout est prétexte à une douce nostalgie qui s’exprime tout au long de ces pages. Elle est tout particulièrement fascinée par un orphelinat abandonné où sont mortes des jeunes filles des suites de la grippe espagnole après la guerre de 14. Elle pense à elles, s’occupe de leurs tombes, leur parle même, entretient en quelque sorte leur mémoire. Et puis, c’est le retour des années plus tard avec la transformation du village, sa modernisation, ses changements qui modifient l’image qu’elle s’en est faite sans pour autant totalement la transformer.
L’auteure est plasticienne et cela se sent dans son écriture atypique avec une syntaxe différente de ce que l’on a coutume de lire, une langue innovante, très poétique, sensible. On est immergé dans cette rêverie solitaire, ce plaidoyer pour une sorte de mémoire qui a construit la personne qu’est devenue la jeune fille. Ce récit initiatique est d’une profondeur somme toute impressionnante... mais malheureusement je n’ai finalement jamais vraiment pu rentrer dedans. La faute sans doute à un style que j’ai trouvé au final étouffant, l’absence de dialogue plombe aussi le rythme... Peut-être n’était-ce tout simplement pas le bon moment pour moi de le lire ? Je n’ai donc pas accroché malgré tout le talent de l’auteure en terme d’écriture et la finesse psychologique des protagonistes évoqués, la portée du sous-texte...
Je pense que c’est vraiment à chacun de se faire son idée sur ce roman, les avis sur la toile sont plutôt très positifs. Des fois il y a des rencontres qui ne se passent pas bien. C’était le cas entre moi et ce livre en ce mois de janvier... N'hésitez pas à le découvrir à votre tour pour qu'on en discute dans les commentaires !
"Walking dead" intégrale de Kirkman, Adlard, Gaudiano et Rathburn
L’histoire : Rick est policier et sort du coma pour découvrir avec horreur un monde où les morts ne meurent plus.
Mais ils errent à la recherche des derniers humains pour s'en repaître. Il n'a alors plus qu'une idée en tête : retrouver sa femme et son fils, en espérant qu'ils soient rescapés de ce monde devenu fou. Un monde où plus rien ne sera jamais comme avant, et où une seule règle prévaut : survivre à tout prix.
La critique de Mr K : Lire une intégrale de 33 volumes c’est quelque chose ! Ça faisait un bail que je souhaitais découvrir cette saga comics de Kirkman, moi qui avait été déçu par le tournant pris par la série et qui l’avait arrêté en fin de saison 8. Heureusement l’ami Frank est toujours là pour les bons plans BD et il m’a prêté l’ensemble il y a trois mois. Ne voulant pas tomber dans la folie, la mono-manie, j’ai divisé ma lecture en quatre étapes et c’est la veille de mon anniversaire que je terminais cette saga vraiment géniale.
L’apocalypse zombie est là. Rick, un policier lambda se réveille d’un coma suite à une intervention musclée et découvre que le monde qu’il connaissait a définitivement disparu. Il retrouve en fin de premier tome sa femme et son fils. Avec un groupe de personnes rencontrées au fil du hasard, ils tentent par tous les moyens de survivre et de rester humains... mais comme ils vont l’apprendre très vite, les zombies ne sont peut-être pas la menace la plus dangereuse...
Niveau scénario, on est dans du classique du genre, les situations évoquées vous rappellerons sans doute à chaque fois des livres ou des films déjà lus et vus. Mais finalement peu importe, l’essentiel ici réside dans les personnages et les trajectoires qu’ils prennent. Ne vous attachez pas trop à eux, ça défouraille sévère, ça part régulièrement en vrille et en cela le comics est très réaliste car dans un apocalypse zombie on ne peut pas vraiment rester vivant (comme on l’entend au sens classique) très longtemps !
Tous les personnages sont donc très creusés. Rien ne nous est caché de leur passé - même si des fois il faut attendre pas mal de temps avant d’avoir LA révélation qui fracasse tout -, de leurs pensées les plus intimes et de leurs actes. Les frontières du bien et du mal sont régulièrement franchies sans vergogne et l’on ne sait vraiment pas sur quel pied danser avec les protagonistes qui tour à tour étonnent, surprennent, dégoûtent, rendent admiratifs. C’est très souvent thrash, beaucoup plus que dans la série d’ailleurs. On est dans du jusqu’au-boutiste, des choses sont traitées bien plus frontalement, ils se passent des événements impossibles à mettre en images dans une série télé US. Pour autant, on n'est pas dans la surenchère gratuite, tout s’inscrit dans la durée, la métamorphose d’êtres banals en de véritables machines à survivre qui doivent avancer bon gré mal gré, les coups du sort se multipliant, devant cependant tenir debouts.
La dimension psychologique est remarquablement mise en mots et en images. C’est très verbeux diront certains (qu’est-ce qu’ils peuvent se parler les américains, mêmes quand ils se connaissent très peu) mais franchement on ne s’en lasse pas. Cela donne une vraie profondeur aux protagonistes qui sont tout de même confrontés à de sacré horreurs entre zombies amateurs de chair fraîche et humains tarés, obsédés par le pouvoir et le contrôle. On nage dans la noirceur la plus totale et lorsque l’on se dit qu’on a vu / lu le pire, il se passe toujours quelque chose d’autre qui calme encore plus. Le background est très bien ficelé aussi et l’on s’y croirait vraiment.
Scénario et caractérisation des personnages sont bétons. Se rajoutent sur cela de superbes planches qui nous en mettent plein les mirettes entre scènes d’action effrénées, grandes planches descriptives qui scotchent et des personnages très charismatiques. Malgré son caractère complètement barré, ma préférence va vraiment vers Negan, un perso effrayant et attirant à la fois qui dans le comics me paraît encore mieux traité que dans la série (même si je suis fan de l’acteur). J’aime beaucoup Rick aussi, bien plus borderline que dans la série. Mais en fait, il y en a tout plein qu’on apprécie et de manière globale je les ai trouvé crédibles et vraiment très bien caractérisés. Ça fait tout drôle de devoir les quitter après le tome 32 (le tome 33 est purement anecdotique à mes yeux, son intérêt est vraiment mince).
Bon vous l’avez compris, cette intégrale est incroyable, prenante comme jamais et les amateurs du genre doivent foncer le lire. Dans le genre, on trouve vraiment difficilement mieux et une fois qu’on a mis le nez dedans, c’est impossible de décrocher. À bon entendeur !
"Spirale" intégrale de Junji Ito
L’histoire : De prime abord, Kurouzu ressemble à une banale petite ville de campagne. Mais, au-delà des apparences moroses, existe un mal profond, terrible et indicible qui plane au-dessus des habitants. Une pression hypnotique, un malaise poisseux qui corrompent les cœurs, les âmes et les esprits de victimes impuissantes.
La critique de Mr K: Je tiens à préciser qu’au départ je ne suis pas un grand amateur de mangas. Sorti de Ranma 1/2 (très fun), Dragon Ball (quand Sangoku est petit) et Akira (cultissime), je n’ai pas lu grand chose et souvent l’aspect esthétique des personnages me rebute, l’aspect trop théâtral aussi. Je découvrais, avec Spirale, l’auteur Junji Ito qui a une belle réputation dans le domaine de l’horreur et je dois avouer que j’ai été totalement conquis. Il propose un dessin dynamique et fouillé, pas caricatural et surtout un récit bien barré, complètement borderline même et une métaphore filée bien trouvée et jusqu’au-boutiste.
Il s’en passe des choses à Kurouzu, petite ville portuaire semblable à tant d’autres au Japon. À première vue, rien ne la distingue vraiment, la vie s’y écoule calmement, sans fioriture dans une banalité presque confondante. C’est sans compter l’apparition de phénomènes terrifiants. Tout commence par des disparitions, des coups de folie... Puis l’apparition d’êtres difformes, mutants, des phénomènes physiques et météorologiques inexpliqués. Une malédiction semble planer au dessus de la ville, une malédiction où le motif en spirale est omniprésent : vents tourbillonnants, drôles de courants apparaissant dans les caniveaux, un père mort dont le corps est transformé en spirale, des hommes se transformant en escargots, des cheveux se muant en spirales vivantes, des femmes enceintes en meurtrières, un couple d’amoureux transis qui va finir entrelacé au sens propre, une ville qui se transforme d’elle-même adoptant un plan spiralaire... Non vraiment quelque chose d’indicible se passe à Kurouzu et la vérité, quand elle éclatera, sera terrible.
Divisé en nombreux courts chapitres (à l’origine ce manga est sorti en trois volumes), on suit les événements à travers les yeux de Kirie, une jeune étudiante qui assiste quasi impuissante à la métamorphose funeste de sa ville natale. Ingénue comme on peut l’être à son âge, elle va devoir affronter une réalité qui la dépasse et la touche elle et ses proches. Ainsi, le récit alterne son quotidien à l’école, dans ses relations amicales et familiales avec des moments de terreur / horreur purs. Shuichi, son petit ami, est un jeune homme bizarre qui croit en la malédiction de la spirale. Particulièrement barré, paranoïaque, il est le contre-pied de l’héroïne. Les deux se complètent parfaitement et leur rôle sera essentiel dans la résolution du mystère surtout qu’il semble impossible de quitter la ville qui devient de plus en plus folle.
Les traits sont sombres, la noirceur tenace et poisseuse. Les tableaux sont saisissants, effrayants, la peur est vraiment palpable et il n’est pas rare d’être horrifié par ce qui nous est donné à voir et à lire. La fascination est totale, dérangeante par bien des aspects entre forme et fond, on vire même parfois dans le delirium le plus complet avec des passages vraiment allumés pour ne pas dire psychés. C’est très imaginatif, collé aux émotions les plus intimes des personnages et cela propose une Mythologie développée. Franchement, j’ai été emporté par le récit et ses réflexions sous-jacentes sur le Japon contemporain, la peur de l’Apocalypse (certaines cases font clairement penser à Hiroshima et Nagasaki), le harcèlement à l’école, le culte de l’apparence, la pauvreté galopante et la mainmise des puissants et du sacro-saint capitalisme (brillant essai reproduit en fin d’ouvrage) et d’autres références que je vous laisse découvrir.
Vous l’avez compris cette intégrale "Spirale" est une petite perle de noirceur que je vous invite à découvrir au plus vite. C’est sans complexe, extrême et profond. Les amateurs ne doivent pas passer à côté !
"Suzette ou le grand amour" de Fabien Toulmé
L’histoire : Veuve depuis peu, Suzette repense à Francesco, son premier amour, perdu de vue il y a 60 ans. Sa petite-fille Noémie l'invite alors à partir à sa recherche. Sur la route de l'Italie, les deux femmes vont, du haut de leurs générations et de leurs expériences respectives, échanger sur la vie de couple, l'engagement et les histoires qui durent... Et s'il n'y avait pas d'âge pour vivre le grand amour ?
La critique de Mr K : Après le superbe triptyque de L’Odyssée d’Hakim, il me tardait de recroiser la route de Fabien Toulmé, un auteur au trait épuré et au discours qui me parle dans ses engagements et ses prises de position. Avec Suzette ou le grand amour, il propose un récit plus intimiste, une histoire touchante au possible qui m’a littéralement conquis avec un focus sur l’amour, ses raisons et déraisons, l’âge et la famille. Une vraie et grande réussite dont je vais maintenant vous parler plus en détail.
Suzette vient donc de perdre son mari après des décennies de mariage. Elle a 80 ans, sa vie est plus derrière elle mais pourtant elle reste dynamique et volontaire surtout qu’elle entretient un lien privilégié avec sa petite fille Noémie. Suite à la disparition du grand-père, ce lien se développe encore davantage et Suzette se laisse aller aux confidences. Noémie se rend compte qu’elle n’avait qu’une vision et connaissance parcellaire de la vie de sa grand-mère. Ainsi, son mariage était plus de raison que d’amour, son pépé était du genre volage et finalement Suzette n’en était pas vraiment amoureuse. Mais voila, autre époque, autres mœurs, on ne ne sépare pas quand on est marié, on doit regarder ailleurs, serrer les dents, c’est dans l’ordre des choses.
Puis vient le moment où elle confie à sa petite fille qu’elle a connu un véritable grand amour quand elle était très jeune, à peine majeure et qu’elle avait été engagée le temps d’un été comme jeune fille au pair dans une famille d’aristocrates italiens vivant dans une belle villa à la campagne. Véritable coup de foudre partagé avec Francesco, le hasard s’est voulu cruel (comme bien souvent) et les deux tourtereaux ont été séparés à jamais. Noémie y voit un signe que ce souvenir ressurgisse après la mort du mari de Suzette et décide de l’entraîner dans une quête d’un amour perdu. Elles partent toutes les deux en Italie sur les traces de Francesco, l’occasion de vivre une expérience unique et d’approfondir encore leur relation.
Cela ne vous étonnera pas vu ce léger résumé, ce récit est rempli d‘émotions contradictoires et complexes à l’image d’une vie humaine. Le personnage de Suzette émeut profondément. Elle se dévoile avec pudeur au fil de ses entrevues avec Noémie. Les débuts sont plutôt banals, Suzette reste sur la défensive, le poids de sa vie est lourd, les habitudes tenaces. On ne se livre pas facilement quand on a vécu dans le déni voir le mensonge toute sa vie. L’alchimie est parfaite entre elle et sa petite fille, ces deux-là se complètent très bien, se comprennent et donnent à lire de purs moments de bonheur et de partage, avec un soupçon d’humour, de nostalgie et de tristesse par moment.
On se plaît aussi à les suivre ensuite dans leur périple transalpin avec les affreux doutes qui assaillent Suzette, ses angoisses à l’idée de revoir Francesco et les films qu’elle se monte toute seule sur son futur ressenti, son physique. La montée en tension est palpable, jouant sur plusieurs tableaux émotionnels et procure un plaisir de lecture qui prolonge idéalement le portrait à rallonge proposé avant. Le récit va s’emballer et proposer une fin des plus plaisantes et s’inscrivant totalement dans la logique des faits et ressentis abordés jusque là. En parallèle c’est l’occasion pour Noémie d’éprouver son amour avec son compagnon avec qui elle vient de s’installer et avec lequel il y a un peu de friture sur la ligne. On fait donc le va et vient entre ce que vit sa grand-mère et elle, les réflexions de l’une faisant écho sur l’autre, lui faisant prendre conscience de certaines choses et la faisant évoluer à son tour. L’échange est parfois rude, les révélation difficiles à admettre mais l’évolution de chacun est à ce prix.
Feuilleter l’ouvrage est aussi un vrai plaisir pour les yeux, le style de Fabien Toulmé fait merveille et est en totale adéquation avec son sujet. La simplicité des traits n’empêche pas, bien au contraire, l’expression de sentiments, des temps morts, des incompréhensions. On se laisse donc délicatement porté par les planches, le rythme lent et les échanges verbaux bien souvent délectables. Un très beau moment d’humanité que je vous invite à découvrir au plus vite si ce n’est déjà fait.
"Showman killer" de Jorodowsky et Fructus
L’histoire : Mercenaire de l'espace, le Showman est un super-assassin né de l'imagination démoniaque d'un généticien. Dénué de toute émotion, formé à l'art des combats, il a été conçu pour tuer et seul l'or ou les joies simples propres à la mécanique de destruction lui procurent du plaisir. Pourtant, le destin de l'implacable Showman prend une nouvelle tournure quand il croise, lors d'une mission, la fascinante Ibis...
La critique de Mr K : Très bon et beau triptyque de bande dessinée SF prêté une fois de plus par l’ami Franck avec les trois tomes de Showman killer de Jodorowsky et Fructus. Space opera dantesque qui s’inscrit je trouve dans la lignées de La Caste des Métabarons et des Technopères que j’avais dévoré. Un empire en pleine déréliction, une menace venue d’un autre monde, un antihéros apathique qui ne pense qu’au fric sont au programme d’une œuvre qui dépote, régale les rétines et scénarisée de main de maître par un Jodorowsky une fois de plus en pleine forme.
Showman killer est une création ex nihilo d’un généticien fou qui cherche à obtenir l’assassin parfait, à savoir un être doué de pouvoirs uniques sans aucune once de conscience. On se garde bien de toute morale élémentaire dans ce type de quête et la naissance, puis l’apprentissage de Showman killer est terrible dans son genre. Très vite, la créature va se retourner contre son créateur et se mettre à son compte. Seul l’argent l’intéresse, dorénavant il se vendra au plus offrant. En parallèle, on suit l’omnimonarque, empereur d’un empire galactique puissant qui est tombé dans une sinistrose totale suite à la perte de sa femme qu’il aimait plus que tout. Il confie les rênes à une intrigante aux pouvoirs défiant toute imagination et qui poursuit d’obscurs desseins : la supra-hiérophante.
Tout cela passe bien au dessus de notre héros qui se contente d’amasser richesses sur richesses. Tout va changer quand une femme fascinante lui apparaît et va finir par lui confier un bambin que tout le monde recherche, à commencer par la régente démoniaque. Commence alors une profonde mutation chez Showman killer, lui qui est imperméable aux sentiments voit son armure se fendre, il n’agit plus seulement pour lui et prend conscience qu’il est bien davantage qu’un tueur sans âme. On s’oriente alors vers un affrontement titanesque qui livrera ses conclusions dans un dernier tome fulgurant.
Dès les premières planches, on est scotché par la beauté des dessins qui s’inscrivent dans la grande famille des dessinateurs cultes que sont Druillet, Caza et Moebius. Fourmillant de détails, colorés, animés, explosant les codes et les cases traditionnelles, on en prend plein les mirettes et l'ensemble donne à voir un univers gigantesque, bariolé, varié où technologie futuriste côtoie mysticisme et puissances spirituelles puissantes. Ça part loin dans le délire, on plane littéralement et l’on est vraiment transporté ailleurs sans que l’on puisse vraiment s’échapper.
On retrouve les questionnements de Jodorowsky sur le pouvoir et ses errances, la famille et ses déviances (on va très loin parfois ici), la religion et les croyances, la confrontation des cultures. En soi, ce n’est pas novateur si on le pratique déjà depuis un petit bout de temps mais c’est efficace, très bien huilé et le background est vraiment fouillé et cohérent. On voyage beaucoup de monde en monde, on alterne espace sidéral et mondes inconnus totalement dépaysants avec leurs propres règles et lois physiques. Génial !
La trame bien que classique est passionnante et les personnages charismatiques. À commencer par la supra-hiérophante qui est vraiment effrayante, machiavélique et en roue libre quand elle sent que les choses lui échappent. On croise aussi des créatures étranges, des dieux et déesses oubliés et à l’origine de tout un curieux personnage auquel au départ on donnerait le bon dieu sans confession. Le personnage principal gagne en épaisseur et lui qui m’indifférait quelque peu prend de l’ampleur et devient intéressant. Son second est quand à lui excellent de drôlerie, le parfait fait-valoir qui montrera une utilité des plus appréciables à certains moments clefs de l’aventure.
Univers foisonnant, explorations de l’immensité sidérale et du soi dans des moments psychédéliques, lutte de pouvoir intense, actes immoraux et grands quêtes initiatiques font de cette BD une pure expérience qui laisse bouche bée. Les amateurs ne doivent pas passer à côté !
"Le Septième homme et autres récits" de Haruki Murakami, Jean-Christophe Deveney et PMGL
L’histoire : Les histoires de Murakami ont une saveur unique, que ses millions de lecteurs dans le monde reconnaissent instantanément... entre réalisme social et romantisme fantastique, dans les interstices du Japon contemporain. Un crapaud géant décide de sauver Tokyo d'un tremblement de terre avec l'aide d'un banal salaryman, une jeune serveuse de vingt ans peut exaucer un seul et unique vœu...
La critique de Mr K : Chronique d’un très beau cadeau d’anniversaire de l’ami Franck aujourd’hui avec Le Septième homme et autres récits de Haruki Murakami, Jean Christophe Deveney et PMGL. Je suis un grand amateur de cet écrivain japonais dont j’ai lu et adoré une bonne partie de la bibliographie. J’aime son écriture poétique, son évocation douce et profonde de l’existence humaine, sa culture musicale et filmographique ainsi que son côté "barré" mêlant quotidien et éléments fantastiques. Vous comprenez donc ma légère appréhension à l’idée de le découvrir adapté en BD. C’est un peu la mode en ce moment et je ne suis pas forcément un amateur du procédé... Finalement, cet ouvrage ne m’a pas déçu bien au contraire ! Il m’a beaucoup plu et j’ai trouvé textes et dessins en complète adéquation.
Jean-Christophe Deveney et PMGL s’attaquent donc dans ce recueil à neuf nouvelles du maître dont une bonne moitié que je connaissais déjà via ma lecture des œuvres originelles. Je ne reviendrai pas sur le résumé de chacune, vous vous ferez votre idée en feuilletant l’ouvrage. Sachez qu’on retrouve toutes les obsessions et thématiques chères à l’auteur avec le don d’ubiquité, les perceptions mouvantes et évolutives de chacun et du moment de la journée, les habitudes ancrées qui rythment le quotidien et qui une fois modifiées bouleversent l’existence irrémédiablement, la force des rêves et des espérances qui peuvent faire basculer une vie, brouillent les limites entre le rêve et la vie bien réelle que nous passons sur Terre.
L’onirisme est donc de mise, la mise en abîme, l’exploration des tenants et aboutissants d’une existence humaine à travers des portraits finalement très réalistes (à part l’histoire du crapaud géant qui est un peu hors norme) avec des protagonistes crédibles, souvent proches de nous, auxquels on peut s’identifier. Rien ne nous est épargné en terme de condition humaine dans ses joies et ses peines, cette quête de soi et de sa place dans la société. Ce sont des vies saisies au vol qui virent souvent à l’étrange, à l’irrationnel voire au fantastique / au fantasme sur un ou deux récits qui mettent à mal les éléments communément acceptés de tous. On s’attache très fortement à ces personnages qui se révèlent complexes, jamais d’une seule teinte. Il y a de la beauté et de la laideur chez chacun d’entre eux et cela leur donne une densité, un charisme de tous les instants. On s’interroge sur l’âme humaine, ses aspirations mais on se laisse prendre, emporter par la langue, le graphisme et l’univers si particulier d’un auteur qui trouve un bon prolongement dans ce volume.
Les choix esthétiques divisent la toile, j’ai tout lu sur les dessins et les couleurs. C’est sûr qu’au premier abord, ce ne sont pas les belles planches de BD que j’ai pu lire. C’est sombre, parfois géométrique (en tout cas très anguleux), assez brut. Mais au fil de la lecture, on se rend compte que cela convient parfaitement au dessein poursuivi par les auteurs : dessiner du Murakami tout en respectant son univers et sa poésie. L’étrangeté des traits et de la technique employée traduit merveilleusement bien l’esprit Murakami, les chemins de traverses, les tromperies sensuelles, les corps déglingués ou du moins sujets au temps qui passe et les surprises nombreuses que nous réservent ces récits hypnotiques et existentiels.
Cet ouvrage présente donc de très belles adaptations de nouvelles de Murakami. Le défi était de taille mais la singularité et la poésie du maître sont très bien retranscrites. Les amateurs ne doivent pas passer à côté, on est transporté et littéralement envoûté. On en redemanderait presque.
"Monstres" de Barry Windsor-Smith
L’histoire : Windsor Smith fait remonter la personnalité complexe de ce monstre iconique à une enfance maltraitée, doublée d'expérimentations scientifiques menées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à partir d'essais scientifiques nazis. Autrement dit : comment la société américaine des années 1950 a engendré un monstre à partir d'autres monstres.
La critique de Mr K: Belle claque encore que ce prêt de l’ami Franck. Monstres de Barry Windsor-Smith est un comics noir et blanc à la fois sublime dans sa forme que profond dans son propos. Via une histoire se rapprochant du mythe de Frankenstein, l’auteur nous offre un portrait touchant et une critique féroce de la société américaine de l’époque. Passionnant et édifiant à la fois !
1964, Bobby jeune américain qui étouffe dans le carcan familial (et notamment sous la houlette d’un père plus qu’autoritaire) se rend dans un bureau de recrutement de l’armée américaine. Perturbé, naïf et prêt à tout pour changer de vie, il se retrouve bien malgré lui dans un programme expérimental secret du gouvernement américain qui poursuit des recherches génétiques entamées par les nazis juste avant la fin du conflit. Transformé en monstre repoussant, destiné à être une arme au service de l’Amérique, il finira par s’échapper dans la nature et tentera de rejoindre les lieux de son enfance car au fond de lui, il reste l’être esseulé et malheureux qu’il a toujours été.
Il est donc question de monstres dans cet ouvrage mais les pires ne sont évidemment pas ceux que l’on remarque le plus. Pourtant, il a de quoi faire flipper le néo Bobby, montagne de muscles muette qui semble incontrôlable. Mais derrière cette brute épaisse, se cache un être dépossédé de lui-même, perdu et victime de l’arbitraire. Le monstre ici est avant tout un père revenu de la guerre irrémédiablement changé, violent et misogyne faisant régner un ordre martial dans la maison. De nombreuses planches reviennent sur cette figure paternelle tellement espérée et finalement décevante et castratrice. Lors d’un long flashback, l’auteur reviendra sur son expérience militaire et des explications vont étayer le personnage, lui donner une dimension supplémentaire.
Horrible aussi, la machinerie d’état, l’armée et la recherche qui ne reculent devant rien pour récupérer des travaux prometteurs en terme de développement militaire mais plus que limite au niveau moral. Très mystérieux au départ, la lumière est faite peu à peu sur le protocole appliqué et sur la personne à l’origine de tout cela (dans le genre fou furieux, il se pose là !). Rien ne nous est épargné sur les origines de cette découverte qui fait froid dans le dos et ensuite, lors de la chasse au cobaye, on retrouve les thématiques de la Raison d’état qui supplée les libertés individuelles et le droit naturel de chaque être humain de vivre. On retrouve vraiment cette ambiance du roman de Shelley avec une créature qui échappe à ses créateurs, symbole d’innocence bafouée et naviguant entre sursaut dans la réalité et folie galopante.
Le rythme est très lent, nous avons affaire à un comics qui mise avant tout sur le développement de ses personnages, leur psychologie est donc disséquée dans toutes leurs ramifications, y compris pour le personnages secondaires. Cela donne une ampleur impressionnante au récit et un cachet certain à cette histoire certes classique mais développée avec brio, montant en pression tout du long de ses pages. Par le biais d’allers-retours présent / passé, on fait le point sur les principaux protagonistes de l’histoire pour mieux cerner leur nature, leur motivations. Le voyage est renversant, profond et jubilatoire.
La mise en image est aussi sublime que le propos est profond. Respectant les codes du comics, le noir et blanc contrasté sied très bien à l’histoire. Le trait et la technique déployés magnifient la trame, se révèlent dynamiques, fins et décollent bien souvent les rétines. Vraiment une sacrée expérience pour un ouvrage qui rentre directement dans mes classiques du genre. À découvrir absolument si vous êtes amateurs.
"La Malédiction du pétrole" de Jean-Pierre Pécau et Fred Blanchard
L’histoire : Jusqu'à une date récente, autour de 2013, le chiffre d'affaires de l'industrie des pétroles était dix fois supérieure à celui de toute autre industrie. L'or noir, depuis un siècle et demi, a été le moteur de la croissance et la source des plus grands profits, il a aussi été la cause des plus grande malheurs pour les pays qui en ont trouvé dans leur sous-sol. Combien de temps cet état va-t-il durer ? Aucune idée.
Depuis dix ans, on repousse sans cesse le moment où on ne trouvera plus de pétrole sur Terre. Ce sera pour 2040 ? 2060 ? En tout cas, bien après que la catastrophe écologique du réchauffement climatique, dernière et ultime malédiction, nous ait obligés à nous en passer. C'est cette histoire à la fois longue et terriblement courte, cette histoire qui va de pair avec la révolution industrielle et qui se termine en ce moment même sous nos yeux, que nous allons vous raconter...
Il était une fois, le samedi 27 Août 1859, un faux colonel de l'armée américaine qui creusait un puits au bord d'une petite rivière de Pennsylvanie...
La critique de Mr K : Nouvelle lecture très enthousiasmante avec cette bande-dessinée documentaire empruntée pour l’été au CDI de mon bahut et qui s’est avérée aussi enrichissante que flippante. La Malédiction du pétrole de Jean-Pierre Pécau et Fred Blanchard, en plus d’être un bel objet talentueusement illustré, est une mine d’informations entre Histoire, Géopolitique, aventure humaine et lente destruction de notre belle planète bleue. Le grand mérite est de rassembler et relier nombre d’informations connues pour donner à l’ensemble une cohérence et une force incroyable.
Les deux auteurs nous proposent donc de remonter le temps et d’embrasser la thématique sous toutes ses formes. La découverte première, les problèmes d’extraction, de transport, de transformation, la capitalisation, les liens géopolitiques qui se créent et se délient. Bien sûr, on en apprend beaucoup sur l’or noir en lui-même, sa localisation et ses origines, les diverses utilisations que l’on va en faire et l’évolution de sa place / sa valeur dans le monde. Mais à travers ce prisme, il est aussi et surtout beaucoup question de l’humain et de sa propension à en vouloir toujours plus. À travers le phénomène des "sept sœurs", on assiste à la naissance du capitalisme moderne qui suit directement la révolution industrielle où dans le domaine pétrolier les frères Nobel (si si !) s’avèrent être des pionniers... Très vite, on se rend compte que l’Histoire du pétrole suit, accompagne et forge l’histoire humaine avec des focus très intéressants sur les deux conflits mondiaux et les derniers développements de l’actualité.
Le contenu est très dense et s’entremêle avec une logique implacable. Didactique sans être pesant, l’ouvrage détonne et permet une mise en relation des éléments de réflexion de manière fluide et gouleyante. Même si le propos est technique et bien souvent écœurant (les logiques en œuvre sont bien souvent épouvantables et défient toute morale élémentaire), l’ouvrage se lit tout seul et d’une seule traite. Très bien documenté, attisant la curiosité, on se plaît à poursuivre sa lecture par des recherches personnelles sur le web. L’éclairage est précieux et explique bien des choses que parfois l’on ne fait que percevoir. On est bien loin des portes ouvertes et clichés véhiculés bien trop souvent par nos responsables politiques ou les pseudos journalistes qui fonctionnent au buzz et / ou selon leur étiquette politique.
Pour tous les amateurs de quête de lucidité et de vérité, voila un ouvrage qui se pose là, magnifiquement illustré. Certaines planches sont de véritables tableaux. Le choix du noir et blanc est judicieux et renforce le charisme et l’aspect magnétique de cette lecture. Rajoutez une touche d’ésotérisme avec des représentations symboliques qui frappent là où ça fait mal avec des références bibliques de bon aloi et vous obtenez un ouvrage essentiel que je vous invite à découvrir au plus vite !
"Algues vertes : l'histoire interdite" d'Inès Léraud et Pierre Van Hove
Le contenu : Des échantillons qui disparaissent dans les laboratoires, des corps enterrés avant d'être autopsiés, des jeux d'influence, des pressions et un silence de plomb. L'intrigue a pour décor le littoral breton et elle se joue depuis des dizaines d'années. Inès Léraud et Pierre van Hove proposent une enquête sans précédent, faisant intervenir lanceurs d'alerte, scientifiques, agriculteurs et politiques.
La critique de Mr K : Aujourd’hui, je vous propose de découvrir une BD documentaire comme on les classifie au CDI de mon lycée. Vous l’avez compris cet ouvrage fait partie du lot que j’avais emprunté pour ces vacances d’été et c’est une véritable claque. Algues vertes : l’histoire interdite de la journaliste d’investigation Inès Léraud et de l’illustrateur Pierre Van Hove est un bijou d’engagement et de rigueur journalistique. On tombe de Charybde en Scylla durant toute notre lecture qui lève le voile sur des pratiques honteuses et antidémocratiques qui ont toujours cours au moment où vous lisez ce texte. J’avais beau connaître quelque peu le dossier, cette lecture m’a beaucoup appris et enrichi, et j’ai beau adorer ma région, je ne peux qu’être écœuré...
Tout le monde où presque a entendu parler du phénomène des algues vertes qui touchent certaines côtes bretonnes. La journaliste revient d’abord sur les premières constatations qui à elles seules auraient mérité que la force publique s’empare dignement du dossier. Pensez donc ? Des animaux sauvages retrouvés morts, un cheval décédant sous son cavalier en moins de cinq minutes et bientôt, même des victimes humaines ! La situation est plus qu’alarmante et pourtant au fil de l’enquête de l’auteure, on se rend compte que le bien commun n’est pas la priorité des autorités. Des documents clefs disparaissent, des conclusions sont éludées et certains milieux d’affaires et politiques sont protégés grâce à un lobbying et l’accord tacite de hauts responsables. Dans ces conditions, le phénomène ne pouvait que prendre de l’ampleur...
Au fil du déroulé, les auteurs font des points bien précis et très documentés sur les forces en jeu. On se rend bien compte qu’un mort est bien peu de chose face à la puissance économique, financière et politique. Ainsi, on explore les montages des puissants avec des marques, des compagnies qui régissent à distance l’agriculture et pousse à la consommation de pesticides, directement responsables de la prolifération des algues vertes. Les syndicats majoritaires agricoles ont beau dire que c’est aussi la résultante des rejets des déchets ménagers, nous ne sommes pas dupes. Et pourtant, les responsables politiques de l’époque (dont certains sont aujourd’hui ministre de Micron Ier, vous savez cet homme qui dit avoir fait plus que tout autre pour l’écologie), le Baron de la Bretagne (aujourd’hui aux Affaires Étrangères) ont fermé les yeux ou fait les innocents, en jetant en pâture les militants écologistes bretons qualifiés d’empêcheurs de produire en rond voire de terroristes jetant l’anathème sur toute une profession.
Plus on avance dans notre lecture, plus l’effroi nous gagne. Le système est pourri jusqu’à la moelle, les hauts fonctionnaires sont aux ordres et suivent les directives d’en haut sans broncher, laissant le drame s’étendre. Bien sûr, une pseudo prise de conscience aura finalement lieu, un plan anti algues vertes mis en place avec un succès somme toute très relatif. Le mal est fait, les terres et eaux bretonnes souillées pour longtemps et au final en 2021, la crise écologique n’a jamais été aussi forte. L’ouvrage est un focus vraiment intéressant sur les rouages de l’ultra-libéralisme, du capitalisme sauvage dans le milieu agricole et agro-alimentaire qui ne lésine pas sur les moyens et les coups foireux pour pouvoir nourrir tout le monde. Triste monde tragique !
Pour lever le doute sur les données énumérée, éviter les procès en sorcellerie (rappelons que l’auteure a été intimidée plus d’une fois) et étayer les propos, un annexe présente des documents clefs reproduits, retranscrit la chronologie des affaires en lien et présente quelques clichés devenus pour certains emblématiques. Je pense au cheval mort sur l’estran des causes de l’inhalation d’hydrogène sulfurisé, gaz mortel émanant des dites algues. On retrouve donc une démarche journalistique rigoureuse de bout en bout avec une once d’ironie parfois vu la gravité des faits et les exactions de certains.
Voici une BD documentaire vraiment essentielle, à partager et discuter autour de soi pour espérer peut-être un jour mettre un terme à ce genre d’agissements aux conséquences critiques. Un must dans son genre que je vous recommande chaudement.