Back to Emmaüs !
Petit post acquisitions aujourd'hui pour vous parler de nos belles prises effectuées à notre Emmaüs chéri tout début septembre. La tentation est au rendez-vous une fois de plus et nous n'avons réussi que très partiellement à être raisonnables. Jugez plutôt...
De très belles pioches, non ? Comme d'habitude, je vais vous faire le détail des nouveaux arrivants qui vont venir grossir nos PAL respectives. Comme vous allez le voir, c'est très varié une fois de plus avec des trouvailles parfois inespérées et d'autres qui s'apparentent davantage à un coup de poker. On commence avec mes craquages qui comme souvent sont bien plus conséquents que ceux de ma douce !
(Policiers, thrillers et compagnie)
- Les Mille et une vies de Billy Milligan de Daniel Keyes. Impossible de dire non à l'auteur du cultissime Des Fleurs pour Algernon et je ne connaissais pas du tout ce titre dont la quatrième de couverture est diablement attirante. Daniel Keyes s'essaie ici au thriller avec cette histoire d'un homme aux multiples personnalités dont on va explorer la vie et la psyché. Connaissant la finesse d'écriture de cet auteur et adorant les personnages torturés, je pense que je vais prendre mon pied.
- Comme un coq en plâtre de Sylvie Granotier. Amateur forcené de la série du Poulpe, j'avais découvert avec plaisir un volume consacré à sa shampooineuse chérie lors d'une lecture en septembre de l'année dernière. Je vais pouvoir récidiver avec cette histoire où l'on nous annonce qu'on va croiser un chien susceptible, un garagiste irascible, des SDF refroidis, des coiffeuses échaudées et un cyclope amoureux. Moi perso, ça me donne très envie !
- Messe noire d'Olivier Barde-Cabuçon. C'est la couverture qui m'a directement scotché, le titre aussi d'ailleurs. Un meurtre a été commis et des indices laissent à penser à une résurgence des messes noires. Détail qui a son importance, nous sommes en 1759 dans un Paris sous tension en plein règne de Louis XV le mal-aimé. Un page turner historique, voila un genre que j'affectionne particulièrement et dont ce titre parait être un bon représentant. Je vais découvrir l'auteur par la même occasion.
- Preuves d'amour de Lisa Gardner. Un livre de l'une de mes auteures chouchou dans le genre thriller. Ce titre m'avait échappé jusque là. Le hasard fait vraiment bien les choses parfois. Lisa Gardner nous plonge une nouvelle fois dans une histoire pleine de suspens avec cette femme officier de police qui abat froidement de trois balles son mari violent. Cependant les apparences pourraient être trompeuses et l'enquêtrice D.D. Warren va devoir démêler le vrai du faux. On peut compter sur le talent de l'auteure pour bien nous mener en bateau.
- Un peu plus loin sur la droite de Fred Vargas. Là encore, c'est un gros coup de pot que cette trouvaille, il s'agit du dernier ouvrage qu'il me restait à lire de l'elle dans son triptyque des évangélistes. Un petit bout d'os humain découvert par inadvertance au milieu d'excréments canins va commencer à obséder le héros de cette histoire qui part en quête d'un cadavre et d'un assassin. J'ai hâte de me replonger dans l'écriture de Fred Vargas qui n'a pas son pareil pour faire surgir l’inattendu du quotidien. Et quel plaisir de retrouver Kehlweiler et les autres !
(De la SF, en veux-tu ? En voila !)
- Les Masques du temps de Robert Silverberg. Un voyageur du futur, un simple touriste lambda, va mettre le souk dans notre époque de manière bien involontaire. J'aime beaucoup Robert Silverberg, sa plume, sa sensibilité, son sens de la dérision parfois. Je ne me pose donc pas trop de questions quand il croise ma route et comme je ne connaissais pas ce titre et que la quatrième de couverture est alléchante... je n'ai pas pu résister !
- Le Berceau du chat de Kurt Vonnegut Jr. J'avais été enthousiasmé par ma lecture du roman culte Abattoir 5, une ouvre à part, engagée et superbement écrite. L'occasion se présente donc de lire autre chose de Kurt Vonnegut Jr et franchement à la lecture du résumé au dos du livre, c'est bien barré ! Disparition mystérieuse dans le milieu des "pères" de la bombe atomique, une île perdue au milieu des Caraïbes tenue d'une main de fer par un dictateur sadique, un prophète hors-la-loi, une femme fatale qui cache son jeu, un journaliste trop curieux et les enfants du disparu qui détiennent entre leurs mains le secret de la dernière invention de leur papa, une arme effroyable... Sacré cocktail en perspective !
- Killdozer, le viol cosmique de Théodore Sturgeon. Deux longs récits de Théodore Sturgeon réunis en un seul volume avec cet ouvrage mettant en scène deux luttes titanesques avec des créatures venues d'au-delà du néant. J'aime beaucoup cet auteur et cet opus manquait à ma bibliothèque. Le tort est désormais réparé, il ne me reste plus qu'à le lire !
- Dans le torrent des siècles de Clifford D. Simak. Un récit étrange d'homme du futur venu nous prévenir de l'imminence d'un désastre, le retour sur Terre d'un astronaute parti depuis 20 ans et dont on n'a plus de nouvelles. Il reviendrait avec un livre qui faudrait absolument empêcher d'être publié... Simak ne m'a jamais déçu, le pitch est très intrigant, allez hop dans ma PAL !
(Du contemporain et apparenté...)
- La Stratégie du choc de Naomi Klein. Voila un livre qui avait fait l'effet d'une bombe à sa sortie et que je voulais absolument lire. Le temps a passé et je l'avais oublié. Heureusement, notre excursion à Emmaüs m'a permis de mettre la main dessus. Essai polémique autour de la prise de contrôle de la planète par les tenants d'un ultralibéralisme tout-puissant, Naomi Klein revient sur 60 ans d'Histoire mondiale et l'éclaire à la lumière de données que beaucoup de médias / politiques écartent de leurs analyses. Il me tarde de le lire et de me faire ma propre idée.
- Barberousse de José Lenzini. Il s'agit d'un récit biographique qui part sur les traces de Barberousse, un héros de la Méditerranée que certains considèrent comme le premier fondateur de l'unité algérienne. Pirate, puis chef de flottille imposante et roi, il eut une vie riche et tumultueuse qui m'avait fasciné lorsqu'on l'avait abordé en fac d'Histoire. L'occasion m'est donnée de creuser un peu plus le sujet. Hâte d'y être !
- Le Valet de Sade de Nikolaj Frobenius. La vie et la mort du serviteur du marquis de Sade depuis sa naissance non désirée, la rencontre qui va changer sa vie et les actes dont il va se rendre complice quand il prendra son service. Une très belle couverture, un résumé plus que séduisant et l'atmosphère de souffre et de stupre autour de la figure de Sade m'ont convaincu d'adopter cet ouvrage. Qui lira, verra !
(Et enfin, la sélection de Nelfe !)
- Sankhara de Frédérique Deghelt. Une femme, jeune mère, avec un besoin viscéral de silence et de retraite pour se retrouver loin du tumulte d'un monde qui devient fou. On est en plein dans la problématique de maternité sur laquelle j'aime me pencher depuis quelques années maintenant. Je ne doute pas que l'écriture de Frédérique Deghelt fera mouche ici.
- Plateau de Franck Bouysse. Un roman aux accents de roman du terroir, en plein plateau de Millevaches, qui m'a surtout attiré par son auteur, Franck Bouysse, au talent immense. Hâte de découvrir celui-ci dont je n'avais jamais entendu parler auparavant.
- Damnés de Chuck Palahniuk. On attend forcément de Chuck Palahniuk une œuvre qui dépote ! Nous voici entre thriller et fantastique dans le voyage en enfer (au sens propre) d'une jeune fille de 13 ans à la recherche des raisons de sa propre mort. De quoi vivre de bonnes heures de lecture "endiablée" !
Si ça ce n'est pas une sélection riche en promesses, je ne m'y connais pas. Vous pouvez évidemment compter sur nous pour en reparler ici même au fil de nos lectures dans les semaines, mois et mêmes années à venir vu l'aspect gargantuesque de nos PAL respectives. Mais que voulez-vous ? Quand on aime on ne compte pas...
"Tu es une rivière" de Chi Li
L’histoire : Quand Lala devient veuve, elle a trente ans, sept enfants et en attend un huitième. Elle ne se remarie pas, souhaitant conserver le semblant de liberté que lui assure son nouveau statut. Mais nous sommes en 1964, les temps sont durs en Chine, et toute la famille doit se mettre au travail. Jusqu'à sa mort, vingt-cinq ans plus tard, cette femme simple mènera sa barque contre vents et marées.
A la fois cruel et douloureusement ironique, ce roman analyse avec finesse tant les rapports entre mère et enfants, que ceux qui règnent au sein même de la fratrie. Mais ces destins individuels sont aussi un prisme à travers lequel Chi Li nous propose la relecture d'un quart de siècle particulièrement mouvementé. La force fondatrice du lien familial se révèle ici en pleine lumière.
Car si le contexte politique pèse de tout son poids sur la vie de chacun, la place que les enfants occupent dans le cœur de leur mère n'influence pas moins leur comportement face aux événements. L'auteur parvient ainsi à relier magistralement la grande histoire et la petite, tout en soulevant des questions universelles sur les multiples façons d'échapper à l'amour maternel ou de le mendier.
La critique de Mr K : Retour à la littérature asiatique aujourd’hui avec Tu es une rivière de Li Chi, ouvrage chinois qui traînait déjà depuis un petit bout de temps dans ma PAL. Cet ouvrage s’apparente à une chronique familiale se déroulant sur 25 ans et croisant habilement l’histoire personnelle d’une famille avec la destinée d’un pays en plein bouleversement depuis l’accession au pouvoir de Mao Tsé Toung et la mise au pas du pays via une dictature marxiste. L’ensemble est prenant, l’immersion totale et procure un plaisir de lire absolu tout en éclairant le lecteur sur la réalité d’un pays à une époque bien marquante. Suivez le guide !
L’ouverture du roman est dramatique. Le mari de Lala meurt suite à un terrible accident, la voila seule pour s’occuper de ses sept enfants et du huitième déjà en route. D’un milieu modeste, la famille doit se prendre en main très rapidement, multiplier les petits travaux pour joindre les deux bouts malgré les circonstances et l’incertitude qui règne quant à l’avenir de chacun et même du pays. Malgré de nombreux obstacles, l’accumulation d’événements désastreux, les défaillances et coups de théâtre, Lala doit gérer les siens quitte à faire des erreurs et parfois se révéler injuste. Mais la nature humaine est ainsi faite et la vie est bien loin d’être un fleuve tranquille...
Cet ouvrage a un aspect réaliste très poussé. On se retrouve un peu dans un ouvrage à la Emile Zola version asiatique. Bien dosé dans ses effets, sans en faire trop, on partage au plus près le quotidien et les aspirations de Lala. Inutile de vous dire que sa vie est rude, chiche même. On doit se contenter de peu quand on vit dans ses conditions. Elle peut cependant s‘appuyer à l’occasion sur la solidarité du voisinage notamment lors d’événements malheureux (très beau passage dès le début de l’ouvrage avec la cérémonie d’adieu au mari disparu) mais globalement, elle est bien seule face à l’adversité et à la dureté de l’existence.
Il y a la survie d’un côté avec la quête régulière de moyens de subsistance en évitant absolument de mendier (pratique honteuse entre toute dans cette culture). Menus travaux artisanaux sur le filage de soie ou des tâches agricoles secondaires, trouver des maris à ses filles pour libérer de l’espace et enlever une bouche à nourrir, même vendre son sang (!!!) sont autant de stratégies mises en place pour augmenter un minimum son confort et au moins pouvoir manger. Constamment sur la corde raide, la tension est palpable mais on ne se plaint pas, ce n’est pas dans le caractère de la dame et dans la philosophie communiste.
D’un autre côté, il y a la vie de famille en elle-même qui occupe une part prégnante de l'ouvrage. Les rapports ne sont pas faciles avec cette mère finalement débordée qui n’avouera jamais ses faiblesses et gardera toujours la même ligne directrice assez exigeante et ne souffrant pas de contestation interne. Si cela marche avec certains des enfants, les autres nourrissent une forme de ressentiment à l’endroit de leur génitrice. Tout cela est remarquablement décortiqué à travers l’évolution des uns et des autres avec le rythme des années qui passent et les caractères qui se forgent. Cela donne lieu a de superbes scènes tout en symbole avec la chute des idoles parentales, l’émergence des jeunes mais aussi leurs échecs parfois. C’est puissant et intimiste à la fois, parfait !
Et puis, bien évidemment en filigrane, on suit aussi l’évolution de la société maoïste avec la mise en place de grands programmes nationaux sensés mener le peuple chinois vers la prospérité éternelle et égalitaire : le Grand Bond en avant (et les terribles famines qui s’en sont suivies), la révolution culturelle avec l’envoi au champ des intellectuels (manquerait plus qu’ils réfléchissent trop et provoquent des séditions), le mouvement des trois loyautés avec mise à l’écart des personnes qui ne rentrent pas dans le moule préconisé par les autorités, les comités de quartier et les gardes rouges (déjà cette obsession très chinoise de la surveillance généralisée)... Tout cela n’est pas abordé frontalement mais au fil des événements et l’apparition de personnages, de multitudes de notes additionnelles permettent de se remettre en mémoire des choses qu’on a pu oublier et en découvrir d’autres. C’est édifiant mais jamais indigeste et toujours réduit au nécessaire pour mieux se faire une idée du contexte. À noter que cet ouvrage ne se situe pas dans une ligne partisane ni d’un côté ni de l’autre, c’est avant tout une chronique familiale, un groupe d’individu brinquebalé par l’existence mais aussi les choix politiques opérés en haut lieu.
Le tout est servi dans une langue épurée mais non dénuée de nuances notamment dans la description des réactions de chacun. C’est fin, parfois ironique voire très cruel mais ainsi est faite une vie humaine après tout. Un très beau voyage entre ombre et lumière que je vous conseille très fortement d’initier si le sujet vous intéresse. Vous ne serez pas déçus.
"Belle mère" de Claude Pujade-Renaud
L’histoire : Comment Eudoxie, devenue veuve à l'issue de son remariage, se retrouve flanquée d'un encombrant beau-fils, avec lequel elle va, des années 1930 aux années 1980, se réinventer une vie de famille.
La critique de Mr K : Aujourd’hui, je vous présente un vrai et grand coup de cœur de lecteur. Il a d’autant plus de retentissement en moi que je ne m’y attendais pas, séduit uniquement au départ par une couverture très attirante qui me l’avait fait adopter lors d’un chinage. Belle mère de Claude Pujade-Renaud est une petite merveille, un splendide portrait de femme où les émotions sont livrées à fleur de mots touchant au plus profond un lecteur captif dès les premières pages.
Femme dans la fleur de l’âge, courageuse et travailleuse, Eudoxie se remarie avec Armand et hérite au passage d’un beau-fils pour le moins spécial. Renfermé dans un passé qui l’oppresse et l’attire en même temps, Lucien vit en vase clos sans se soucier de quoi que ce soit. Rien ne semble pouvoir rapprocher ces deux là sauf que le père finit par mourir et la belle mère et le gendre vont devoir cohabiter. Peu à peu, Lucien va livrer ses secrets, s’ouvrir au fil des manœuvres habiles d’une Eudoxie qui se réinvente suite à ce coup du sort. Une relation très spéciale se noue dans la deuxième partie du roman pour finir en apothéose dans un dernier chapitre d’une rare intensité et qui m’a ému aux larmes. C’est suffisamment rare pour être souligné.
Ce livre m’a fait penser (tout en gardant sa propre identité) à deux ouvrages qui font partie de mes lectures cultes : Ensemble c’est tout d’Anna Gavalda et Toutes les couleurs du ciel de Melissa Da Costa. On retrouve un récit à l’humanité profonde et simple à la fois, une évidence narrative qui saute aux yeux et procure un plaisir de lire sans pareil avec l’exploration de deux personnages qui ne peuvent laisser indifférents. On est loin des clichés véhiculés par la figure de la belle-mère, tout ici est finesse et subtilité avec une valse des sentiments décrite de manière hardie et sans fioritures. Valse des hésitations, des blocages, des attirances contrariées mais aussi partage, chaleur et entraide se conjuguent en un bouquet littéraire d’une intensité incroyable. Au fil des années, des décennies qui se déroulent sous nos yeux, on partage ses existences quasiment en vase clos où avant tout deux êtres cherchent à s’apprivoiser.
Eudoxie la dure au mal, à l’abnégation sans faille est un modèle de vertu humaniste mais aussi d’empathie face à un Lucien en roue libre que beaucoup jugent fou alors qu’il souffre profondément. Cela donne des scènes souvent loufoques où l’on se prend à esquisser un sourire voire à rire franchement avec les lubies parfois bien branques de Lucien : ses séance de naturisme dans le jardin à un âge avancé, ses sorties bien directes qui font sourire sa belle-mère et lui offre finalement du bon temps, un peu de lâcher prise dans une existence finalement assez morne. Lucien c’est aussi un génie bridé qui est loin d’être aussi stupide et borné qu’il n'y paraît, cet homme se révélera surprenant à bien des égards entre l’inventeur du quotidien et même l’associé quand il faudra mettre la main à la pâte pour sortir la maisonnée de l’ornière financière. Une relation vraiment unique s’instaure entre eux faite de méfiance au départ puis de confiance, de profond respect et finalement de communion des âmes sans jamais tomber dans la facilité ou le scabreux.
Le tout se lit avec délice et quasiment d’une seule traite. On est pris dans le tourbillon de ces deux existences qui s’entrecroisent, la langue est une merveille de subtilité tout en s’inscrivant dans le quotidien. Rien à jeter dans cette œuvre qui m'a pris au dépourvu et m’a séduit au plus haut point. À lire absolument !
"Le Riz" de Shahnon Ahmad
L’histoire : Lahuma et sa femme Jeha sont paysans en Malaisie. Ils possèdent quelques arpents de terre et, pour subsister, n'ont qu'une ressource - la récolte de riz. C'est le riz qui ordonne leurs destins -, dicte ses exigences, impose jour après jour les mêmes obsessions. Et lorsque survient l'accident, lorsque Lahuma est blessé, c'est au tour de Jeha et de ses filles de descendre dans la rizière et d'affronter les sangsues, les crabes, les oiseaux, jusqu'à l'épuisement...
Pour raconter le prix d'une poignée de riz, Shahnon Ahmad - qui est né lui aussi en milieu rural - n'a eu sans doute qu'à observer et se remémorer. Son livre, en cela, est un précieux témoignage. Mais c'est d'abord un roman envoûtant, incantatoire, qui fait vibrer, sur un rythme de sourate, la force souveraine des grands cycles de la nature.
La critique de Mr K : Ce livre végétait depuis bien longtemps dans ma PAL et puis, sur un coup de tête, je me décidai à entamer la lecture, et j’ai bien fait ! Le Riz de Shahnon Ahmad est de ces ouvrages que l’on garde longtemps en mémoire, un récit en apparence simple qui vire à la parabole, présentant une histoire à la portée universelle où l’Homme et sa condition sont exposés de manière limpide et profonde. Suivez-moi dans cette découverte littéraire malaisienne au charme incroyable !
Ce court ouvrage de 250 pages nous raconte le quotidien d’une famille de paysans malais, le long d’un cycle de culture du riz. Avec moult détails et un rythme lent, calqué je trouve sur le style des griots ou encore des sourates du Coran, on suit les différentes étapes de cette culture très spécifique, exigeante et fragile. L’irruption du malheur n’est cependant jamais loin et plus que probable avec les risques liés aux parasites de toutes sortes (crabes, oiseaux) ou encore les intempéries qui peuvent réduire à néant en un instant les efforts consentis durant des semaines. Lahuma et les siens cependant résistent jusqu’au jour où un accident terrible va remettre tout en question, précipiter les événements et nécessiter une réorganisation totale de la cellule familiale. Le cycle doit continuer malgré tout, malgré les blessures, la souffrance, le mort et la folie car la Nature et le temps ne cessent d’exister alors que nous ne sommes que de passage.
Le Riz va au-delà de la chronique familiale, une description du travail de la terre par l’homme mais aussi de la terre sur l’homme. Ce cycle immuable, répétitif conditionne tout le rapport à l’autre, l’écoulement du temps et l’organisation des journées mais aussi les rapports de solidarité et hiérarchiques (au sein du village et même de la famille). On est bien souvent dans le domaine de la parabole, avec la culture du riz comme moteur de la condition humaine, l’épuisant et le relançant au gré des événements et des étapes de sa culture.
Les frontières sont floues dans cet ouvrage entre les catégories humaines, végétales, animales, tout est lié avec Allah comme grand ordonnateur de l’ensemble ainsi que des emprunts mystiques à certaines croyances et religions originelles. Chaque événement touchant les hommes a son pendant naturel, ils se répondent, se complètent et s’interpénètrent, donnant à lire un roman d’une grande mélancolie où finalement l’espoir est mince mais rentre dans un cycle encore et toujours naturel. Malgré ce fatum lourd qui s’impose peu à peu, la dislocation de l’équilibre fragile instauré par Lahuma et les siens, on est hypnotisé par cette écriture très simple, tirant parfois vers l’incantation et la répétition. Simplicité ne veut pas dire pour autant superficialité, bien au contraire, le contenu est ici profond et bouleversant, explorant les âmes et les chairs avec un luxe d’humanité et une empathie qui nourrit le lecteur dans ce qu’elle a de plus brute et donc de plus réelle. C’est le coeur serré que l’on quitte cette lecture qui donne le vrai prix d’une poignée de riz.
Très prenante, cette lecture prend à la gorge, on partage le quotidien monotone mais aussi toutes les émotions et sentiments ressentis par ces personnages si humains, ballottés par des éléments qui les dépassent. Tout y passe de l’amour à la folie, et c’est un condensé de vie humaine d’une rare justesse et sensibilité qui compose ce roman d’une grande force d’évocation tout au long des pages qui s’égrainent toutes seules. Une lecture à nulle autre pareille que je vous invite à découvrir !
Trois mois de craquages !
Revenons aujourd'hui sur les différentes acquisitions que nous avons pu faire Nelfe et moi ces derniers mois, entre échanges dans des boîtes à livres locales, passages dans des dépôts-ventes et autres trocs et puces du secteur. Heureusement que je suis resté sage et que je n'ai pas remis les pieds à notre Emmaüs, le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd ! Pour autant, notre récolte n'est pas ridicule, jugez plutôt !
Une fois de plus, je dépasse allégremment Nelfe en terme de nouveaux titres. Au Capharnaüm Éclairé, on se partage les rôles : elle est la Raison, je suis la Tentation qu'on ne peut repousser. Le butin en tout cas vaut le détour, varié et ambitieux. Il y en a pour tout le monde et tous les genres, certains ne resteront d'ailleurs pas très longtemps dans nos PAL respectives. Allez, c'est parti pour une présentation des petits nouveaux !
- Le Voyage de l'éléphant de José Saramago. De lui, j'ai lu et adoré Caïn qui m'avait laissé KO à l'époque par la force de son écriture et son érudition ludique. C'est donc avec un plaisir non feint que je tombais inopinément sur ce titre qui promet beaucoup avec les déambulations de Salomon, un éléphant d'Asie qui va traverser l'Europe au gré des caprices de son royal possesseur. Avec José Saramago, on peut s'attendre à beaucoup d'émotions et de sagesse. Hâte de le découvrir !
- Le Mystère de la crypte ensorcelée d'Eduardo Mendoza. Cet ouvrage sera le premier que je lis d'Edouardo Mendoza dont on m'a vanté à plusieurs reprises son don de conteur hors pair. Il est ici question d'une enquête se déroulant dans un collège religieux où des rites sanglants pourraient bien être la cause de la disparition de deux jeunes filles bien sous tous rapports (du moins en apparence...). Un policier véreux, une nonne délirante et un délinquant fou sont les protagonistes principaux d'un ouvrage présenté comme un roman policier parodique au ton impitoyable. Impossible de résister !
- Les Roses d'Atacama de Luis Sepulveda. Le genre d'auteur dont j'accueille de nouveaux titres dans ma PAL sans même regarder la quatrième de couverture. Sepulveda est un vrai ravissement pour l'amoureux des mots que je suis, sa poésie et son engagement sont un modèle pour moi et le plaisir de lire est toujours aussi puissant à chaque nouvelle lecture. Ici, il s'agit d'un recueil de nouvelles humanistes où l'auteur nous propose de découvrir des hommes de l'ombre qui à leur manière sont des héros du quotidien. Prometteur !
- L'Enfant de l'étranger d'Alan Hollinghurst. Quelle joie de tomber sur cet ouvrage ! J'avais adoré La Piscine-bibliothèque d'Alan Hollinghurst lors de sa lecture en 2015, un livre qui combinait une écriture merveilleuse, une histoire puissante et des personnages charismatiques. Dans ce livre, l'auteur peint une fresque se déroulant sur tout le XXème siècle avec au centre de l'histoire un pacte signé entre trois jeunes gens. Ce gros pavé de 765 pages a de plus reçu le Prix du meilleur livre étranger en 2013, de quoi nourrir de riches promesses de lecture, non ?
- Le Pendule de Foucault d'Umberto Eco. On ne présente plus ce maître de la littérature italienne dont j'avais dévoré notamment Le Nom de la rose ou encore L'Ile du jour d'avant (lus avant la création du blog). Avec cet ouvrage, l'auteur nous invite à nouveau dans un thriller historique, romanesque et érudit dont il a le secret avec ici ses passionnés d'ésotérisme, ses théories du complot et une menace sourde surgie des âges. Purée, ça donne vraiment envie, ce pourrait être une de mes lectures de Noël !
- Histoires ou Contes du temps passé de Charles Perrault. Impossible de passer à côté de cet ouvrage sans l'adopter ! Depuis ma prime enfance, je suis un grand amateur de contes, j'aimais beaucoup que l'on me raconte des histoires et Perrault fait partie des auteurs qui ont accompagné mes premiers émerveillements d'auditeur (Big up à ma Mémé de la neige trop tôt disparue). Rien de tel que de replonger dans ces histoires dans leur version originale pour réveiller les souvenirs et humer l'odeur si séduisante d'une Madeleine de Proust trop longtemps délaissée.
- Belle mère de Claude Pujade-Renaud. Prix Goncourt des lycéens en 1994, cet ouvrage m'a séduit par sa quatrième de couverture intrigante présentant deux personnes qui vont cohabiter en banlieue à la suite de leurs veuvages respectifs : une belle-mère et son beau-fils. Je m'attends à une histoire très touchante, réaliste et rude... comme la vie quoi !
- Ad Vitam Aeternam de Thierry Jonquet. Je vais me répéter j'en ai peur, mais il faut lire Jonquet ! Je commence à avoir lu pas mal de ses ouvrage et à chaque fois c'est la claque ! J'ai donc adopté celui-ci sans réfléchir ni vraiment lire son résumé. Dans ce roman qui promet d'être très noir, il est question de vengeance et de vieux secrets enfouis qui n'attendent que d'être révélés. On peut compter sur l'auteur pour nous procurer un suspens intense et une fin tétanisante. Il ne fera pas de vieux os dans ma PAL !
- Pars vite et reviens tard de Fred Vargas. Voila une aventure du commissaire Adamsberg que je n'avais toujours pas lu. Vous parlez d'une aubaine que de tomber sur cet ouvrage de Fred Vargas dans un bac d'occasion ! Je n'ai pas hésité une seconde surtout qu'il est en version brochée et dans un état impeccable. J'ai vraiment hâte de retrouver ce héros lunaire et toute sa bande de collègues plus charismatiques les uns que les autres à la poursuite de l'auteur de mystérieux signes peints sur les portes d'un immeuble du 18ème arrondissement. Un polar qui ira sans doute au delà du genre comme à chaque fois qu'on lit cette auteure.
- Les Anges meurent de nos blessures de Yasmina Khadra. On ne dit pas non à un Yasmina Khadra. Il est à la fois un remarquable conteur d'histoire et un formidable observateur de son temps. Dans ce roman, il met en scène le parcours d'un jeune prodige de la boxe adulé par la foule, grand amoureux devant l'Éternel et fidèle à ses principes, dépassé par son destin dans l'Algérie de l'entre deux guerre. M'est avis que cet ouvrage ne restera lui non plus pas très longtemps dans ma PAL...
- Les Fontaines du paradis d'Arthur C. Clarke. L'auteur de 2001, l'Odyssée de l'espace aime conjuguer SF, science authentique et dilemme moraux. Dans ce roman, un homme a conçu une machine révolutionnaire qui permettrait de transporter hommes et marchandises hors de l'atmosphère terrestre. Problème, sur Terre un seul endroit conviendrait pour son édification et c'est une terre sacrée protégée par des moines... Je m'attends à quelque chose de bien sombre et de poignant, il va me falloir avoir le coeur bien accroché pour cette lecture je pense.
- Matilda de Roald Dahl. Retour en enfance avec cette acquisition d'un auteur que j'ai lu et relu maintes fois étant bien plus jeune. J'ai vu le film qui a été tiré de cet ouvrage lors de sa sortie (1996), il est temps maintenant de me frotter à la matière littéraire originelle avec la lutte de cette petite fille lectrice précoce contre un environnement de beaufitude absolue. Ce sera l'occasion de replonger dans une écriture qui a bercé mon enfance. Nostalgie quand tu nous tiens !
Enfin pour terminer, les trois acquisitions de Nelfe !
- Vertige de Franck Thilliez. Nelfe était bien contente de tomber sur cet ouvrage d'un auteur qu'elle affectionne beaucoup. L'histoire fait penser au principe de la série de films Saw avec trois hommes enfermés sans raison apparente dans un lieu inconnu, enchaînés et menacés par une mort imminente et effroyable. Nul doute que Thilliez apportera à ma douce sa dose de frissons avec ce thriller très bien côté chez ses fidèles !
- Le Jardin de bronze de Gustavo Malajovich. Ma chère et tendre ne peut résister aux appels de cette collection qui à chaque lecture lui apporte moult bienfaits. C'est la quatrième de couverture qui l'a convaincue d'adopter celui-ci avec cette histoire d'un homme perclu de douleurs et de peine après la disparition de sa petite fille. Véritable tragédie intime avec au fil des ans la perte de son mariage et de son ancienne vie, il sombre peu à peu mais finira par se confronter à une vérité bien douloureuse. Un auteur argentin qui va lui plaire j'en suis sûr !
- Erik le viking de Terry Jones (avec illustrations de Boulet). Un ouvrage qur lequel Nelfe a craqué en grande partie à cause de la présence de Boulet aux illustrations, un dessinateur qu'elle suit depuis plus de quinze ans sur son blog BD. L'histoire n'est pas mal non plus avec ce voyage exploratoire teinté de fantastique, bourré d'humour (on n'en attend pas moins d'un ex membre des Monty Python) et de références aux sagas islandaises et aux contes norvégiens. Je pense que je le lui piquerai quand elle l'aura lu (ou même avant d'ailleurs...).
De très belles pioches donc que ces ouvrages rencontrés aux hasards et que le destin a mis sur nos pas. On a abandonné depuis longtemps l'idée de domestiquer nos PAL car même en se limitant, on trouve toujours de belles affaires. Le pire est à venir avec laLlittle K à venir à qui nous allons inoculer le virus de la lecture... Ce sera une troisième PAL à gérer... mais ce sera une autre histoire. En attendant ce défi hors du commun - sic -, comptez sur nous pour vous faire (re)découvrir les titres présentés aujourd'hui à travers nos futurs articles.
Incartade recyclage !
À l'occasion d'une après-midi soldes pour occuper une journée de mauvais temps (la seule depuis des semaines, yes !), Nelfe et moi nous sommes arrêtés zieuter à la recyclerie de Lorient. L'occasion pour nous de partir en quête de verres à pied que j'ai l'indélicatesse de régulièrement casser et qu'il faut donc renouveler. Nous sommes revenus broucouille à ce niveau là... Par contre, une fois de plus, le rayon livre s'est révélé fourni et quelques titres m'ont fait tellement de charme que je n'ai pas pu résister ! Jugez plutôt...
- Histoires d'ici et d'ailleurs de Luis Sepulveda. Il m'est tout bonnement impossible de résister à cet auteur et comme ce recueil m'avait échappé jusque là... Sepulveda nous raconte le Chili à travers 25 courts contes, celui de l'après Pinochet que l'auteur redécouvre lors de son retour d'exil. Je m'attends à une belle claque entre humanisme, dénonciation de la dictature et regard naturaliste sur le pays natal.
- Le Riz de Shahnon Ahmad. Dur dur de résister à un ouvrage de chez Babel surtout que celui-ci a très bonne réputation. Chronique familiale sur la paysannerie asiatique, ce roman à valeur presque documentaire selon l'éditeur met le riz au centre de tout et quand les nuages de mauvais augures s'amoncèlent, on fait bloc pour survivre et continuer sa culture. On nous promet un roman haletant et envoûtant, faisant la part belle au cycle de la nature. J'ai bien hâte de m'y mettre !
- L'Heure des fauves d'Andrew Klavan. Voici le plaisir coupable de mon craquage, un roman de la collection Terreur de chez Pocket. L'histoire est bien étrange avec une femme qui disparait du monde au sens littéral, elle existe physiquement mais plus personne ne la connaît. D'ailleurs, il semblerait qu'un double ait pris sa place... Ubiquité ? Assassin ? Victime ? C'est un sacré mystère qui semble entourer l'héroïne. Il me tarde de démêler le vrai du faux.
- Le Soleil de minuit de Pierre Benoît. Récit d'un amour perdu puis retrouvé, je ne connais pas ce court roman d'un auteur que j'ai lu il y a longtemps et que j'ai à chaque fois apprécié (notamment le toujours très bon L'Atlantide). Le héros réussira-t-il dans ce roman à résister à la passion qui l'anime quand il revoit la belle princesse Armide ? Où va-t-il laisser tout tomber (famille, travail) pour succomber à la tentation ? Wait and read.
- La Maison des hommes vivants de Claude Farrère. Auteur méconnu mais talentueux, à cheval sur deux siècles, Claude Farrère a écrit nombre de bons récits fantastiques. Celui-ci est un des plus connus, je n'ai pas raté l'occasion de m'en porter acquéreur. Le personnage principal navigue entre rêve et réalité, suite à une randonnée en pleine landes où les éléments semblent ligués contre lui, le voila prisonnier d'une étrange demeure où il ne semble plus maître ni de sa vie ni de sa mort ! Bizarre, bizarre... Le résumé vaut la peine de se pencher sur la question, non ?
- Chopin - Valses aux éditions Choudens. Vous n'êtes pas sans savoir que ma très chère Nelfe est pianiste depuis son plus jeune âge, quel ne fut pas son bonheur de tomber sur ces partitions d'un de ses compositeur préférés ! Bon, certains morceaux font doublon avec d'autres partoches déjà en sa possession mais voici une belle édition qui va venir enrichir sa petite collection !
Petit craquage donc mais de belles promesses dans les lectures à venir. J'aime aider au recyclage et cela donne bonne conscience... du moins si on ne regarde pas trop sa PAL qui grandit inexorablement !
"Les Autres" d'Alice Ferney
L’histoire : Théo fête ce soir ses vingt ans et rien ne devrait troubler ce moment de convivialité et de réjouissance. Rien sinon le jeu de société que son frère lui offre, qui révélera à chaque participant la façon dont les autres le perçoivent, menaçant de remettre en cause l’idée qu’il se faisait de lui-même et des sentiments réciproques l’attachant à ses proches. Au fil de la partie, le jeu devient le révélateur de secrets de famille jusque-là soigneusement occultés par la honte, la déception ou la souffrance... et nul ne sortira indemne de la soirée.
La critique de Mr K : Chronique d’un ouvrage étrange et marquant aujourd’hui avec ma troisième lecture d’un roman d’Alice Ferney après deux belles découvertes qui ont ravi mon cœur de lecteur par le passé (voir les liens vers les chroniques précédentes en fin de chronique). Dans Les Autres, elle s’attelle à un sujet de poids : la famille et ce qu’elle peut parfois cacher en terme de non-dits et de dissimulations importantes dans le cadre d’un huis clos grinçant et déstabilisant. Par le biais d’une narration singulière qui prend toute son importance au fil du déroulé, je me suis retrouvé pris dans les filets de cette romancière décidément très douée et qui à chaque fois réussit le tour de force de nous immerger totalement dans son récit. Accrochez-vous, ça dépote !
Théo a vingt ans et à l’occasion d’une soirée, il s’entoure des êtres qui sont le plus cher à ses yeux : sa fiancée Estelle parfaite sur tous les points, Moussia sa mère aimante et attentionnée, Niels son grand frère vaniteux et égocentrique, Marina son amie d’enfance mère célibataire d’un petit garçon, Claude le meilleur ami de Niels et sa fiancée Fleur qui débarque à la soirée sans connaître personne. Seule Nina la grand-mère ne peut assister à la célébration, elle s’est retirée dans sa chambre car elle est très fatiguée (elle est centenaire tout de même !). Après un dîner enjoué, Niels propose de jouer au jeu de société qu’il vient d’offrir à son cadet, un jeu basé sur le caractère des personnes et sur une série de questions qui permettent à chacun de confronter l’image qu’il pense renvoyer avec ce que pensent vraiment les autres de soi. Bien évidemment, la partie va virer au vinaigre, déraper joyeusement puis totalement basculer dans la dispute organisée et la révélation de très lourds secrets. La petite bande n’en sortira pas indemne...
La construction du roman est particulière. Divisé en trois grandes parties, tour à tour la soirée nous est décrite sous trois points de vue différents : les choses pensées par chacun des personnages, les choses dites par les mêmes protagonistes et enfin les choses rapportées par un narrateur omniscient. La lecture en elle-même s’apparente vraiment à la dégustation d’un mille-feuille car chaque partie vient compléter la précédente, apporter des éléments nouveaux et des réflexions nouvelles. Ainsi, la première phase finie, certains éléments manquent, les ellipses sont nombreuses et l’on se demande bien comment certaines choses ont pu être révélées, quelle logique suit cette soirée qui part à vau-l’eau. Et puis les dialogues viennent en rajouter une couche et même si l’auteure nous raconte exactement les mêmes choses, on se prend à redécouvrir certains personnages, certaines pensées et paroles. Étonnant, voir brillant, le procédé donne une densité incroyable à ce qui est au départ finalement un simple récit de soirée familiale qui déborde et livre à nu les sentiments et actes passés de chacun. L’apothéose est atteinte avec les éléments supplémentaires que rajoute le narrateur omniscient qui rentre dans les consciences et le passé de chacun livre un tableau exhaustif et révélateur des forces en présence.
Car la partie vire très vite à la bataille rangée, ressurgissent au détour d’une remarque et d’une réaction des sentiments enfouis depuis longtemps, des rancœurs que l’on croyait enterrées et des rapports depuis très longtemps figés dans l’habitude et le quotidien. La mayonnaise monte lentement, très lentement mais l’on sent très vite que l’on va atteindre des sommets de finesse dans la description de la psyché des personnages et de leur façon de fonctionner. Au fil des couches, on change régulièrement d’avis sur chacun d‘entre eux, ils s’avèrent complexes et leurs motivations changeantes. Drôle d’impression donc pour le lecteur qui ne sait plus vraiment à quel saint se vouer, sur quoi s’appuyer tant tout élément semble pouvoir s’autodétruire dans la version suivante. Le tout est maîtrisé de main de maître et l’on ne se lasse pas de ce jeu de la vérité qui met à mal les certitudes et met profondément à l’épreuve des personnages vite dépassés par les révélations.
Le début peut paraître un peu abscons, il faut se donner les moyens de rentrer dans l’histoire. On assiste à un chant polyphonique de pensées intérieures qui vont très vite s’enrichir les unes les autres pour mener à un récit plus classiques des événements. Le feu d’artifice destructeur peut alors débuter et l’on se régale. L’écriture y est pour beaucoup, on retrouve les qualités hors norme de cet écrivain qui aime à peindre des personnages pour mieux les malmener par la suite. Jamais exagéré, avec le ton et le style qu’il faut, Les Autres m’a enchanté et totalement embarqué malgré une ambiance pesante et des sujets graves que je ne dévoilerai pas ici pour ne pas spoiler. Un excellent ouvrage que je ne peux que vous conseiller.
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Grâce et dénuement
- Dans la guerre
"Hôtel iris" de Yôko Ogawa
L’histoire : Mari est réceptionniste dans un hôtel appartenant à sa mère. Un soir, le calme des lieux est troublé par des éclats de voix : une femme sort de sa chambre en insultant le vieillard élégant et distingué qui l'accompagne, l'accusant des pires déviances. Fascinée par le personnage, Mari le retrouve quelques jours plus tard, le suit et lui offre bientôt son innocente et dangereuse beauté.
La critique de Mr K : Petit voyage au Japon avec ma chronique du jour où je retrouve avec un bonheur non-feint la plume si fascinante et dérangeante de Yôko Ogawa, une auteure qui m’a déjà soufflé deux fois par le passé avec à chaque fois un univers décalé, une plume splendide et une belle exploration de l’esprit humain dans sa complexité. Après La Petite pièce hexagonale et Les Tendres plaintes, je m’attaquais avec Hôtel Iris à l’un de ses titres les plus sulfureux qui relate entre autre la relation sadomasochiste entre une jeune fille et un homme beaucoup plus âgé. Autant vous prévenir de suite, si vous êtes une âme très sensible et / ou une personne très prude, passez de suite votre chemin, ce livre n’est pas pour vous.
Mari travaille dans l’hôtel miteux de sa mère dans une station balnéaire japonaise. Cette jeune fille plutôt banale ne va plus à l’école et se coltine une génitrice assez tyrannique dans son genre, qui l’emploie comme réceptionniste et bonne à tout faire dans l’affaire familiale. L’atmosphère est étouffante pour Mari qui ne se voit autoriser quasiment aucune distraction. Elle a peu l’occasion de se mêler aux jeunes de son âge et se distraire. Suite à une violente altercation entre une prostituée et son client, le hasard va remettre sur la route de Mari ce client indélicat mais au charme trouble. Fascinée par les manières très polies, maniérées et pleine d’empathie du vieil homme à son égard, elle va se laisser séduire et rentrer dans une relation étrange, faite d’attirance et de répulsion, de plaisir et de souffrance...
Au centre de l’ouvrage donc, cette relation ambiguë qui se tisse petit à petit entre Mari et ce mystérieux traducteur de russe qui vit isolé sur une île au large. Sans réelle personnalité propre, la jeune fille candide et naïve se voit transformée par sa relation. Emportée par sa passion, peu à peu elle ne se limite plus, s’échappe des griffes de sa mère et adopte un comportement obsessionnel. Toute passion se vit pleinement mais entraîne des conséquences parfois redoutables. Mari n’y échappera pas. Le vieux traducteur est lui aussi bizarre dans son genre car à l’extérieur et en société, il emprunte les traits d’un homme courtois et bien éduqués. Il n’en est pas de même quand les deux amants se retrouvent dans le privé, il cède la place à un tyran autoritaire adepte de la soumission de sa partenaire. Belle dichotomie du personnage qui intrigue et dérange énormément le lecteur dans ses certitudes.
Ce couple atypique est très bien décrit par l’auteure qui soigne toujours énormément la caractérisation de ses personnages. Caractères, émotions, fêlures sont disséqués d’une plume habile par une Yôko Ogawa toujours aussi précise et amoureuse de ses personnages. Ne vous attendez pas à une débauche de scènes crues dans cet ouvrage, quelques passages sont olé olé mais rien de bien thrash si ce n’est dans certaines idées véhiculées et les rapports tortueux qui gèrent cette relation tumultueuse. J’ai lu ici ou là des critiques outrées sur le web, je pense que ces personnes n’ont tout simplement pas choisi la bonne lecture et beaucoup appuyaient leur argumentation sur des aspects moraux et souvent simplistes voir réactionnaires. Ce livre interpelle forcément un peu mais il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat, cette fiction va d’ailleurs bien au-delà qu’une histoire de fesses, de bondage (oui, le traducteur russe aime entraver ses conquêtes) et de rapport dominé-dominant.
C’est avant tout la chronique d’une pré-adulte qui se cherche et va se confronter à une passion amoureuse pour la première fois de sa vie avec son lot d’incompréhensions, d’expériences malheureuses et de questionnements intérieurs. C’est aussi une belle réflexion sur le rapport à l’âge, au temps qui passe et inévitablement à la mort qui hante le récit à travers des personnages disparus dans des conditions troubles, un être cher qui vous manque et vous transforme, le rapport que l’on entretient aussi avec le concept de mort et son application à soi. On alterne dans ce récit des scènes vives (principalement celles où les deux protagonistes sont en présence) et rythme plus lent, très "japonais" dans les passages plus descriptifs qui donnent à voir le quotidien de la jeune fille, la vie qui défile dans cette ville de bord de mer (animations du quartier, les flots touristiques, le mauvais temps qui impacte les chiffres d’affaire) et la nature qui se retrouve magnifiée à chaque phrase ou paragraphe la mettant en scène. D’ailleurs les éléments font bien souvent écho à l’état d’âme des personnages et leurs actions, le lien est ici indubitable et apporte un souffle puissant à un récit dont on sait dès le début qu'il se terminera mal.
Cette lecture fut très riche en émotions. Souvent contradictoires, elles résonnent encore en mon esprit à l’heure où j’écris ces quelques lignes. J’ai très vite été emporté par la magie des mots, le cadre et ce rapport très ambigu entre Mari et son vieux soupirant. Difficile de reposer cet ouvrage avant la toute fin tant il est subtilement écrit et composé. Le plaisir de lire est vraiment optimum et les amateurs de sensations fortes, de relations déviantes et hypnotisantes seraient bien inspirés de tenter l’aventure. Un petit bijou dans son genre.
Noël avant l'heure...
Dernier post d'acquisitions de l'année au Capharnaüm éclairé avec un énième séjour fructueux à notre centre Emmaüs préféré. Nous n'avons plus trop le moral depuis la disparition de notre très chère Tesfa, on essaie donc de se consoler comme on peut et quoi de mieux qu'un gros craquage pour oublier un temps la peine qui nous étreint le coeur. Comme vous allez pouvoir le constater, nous n'y sommes pas allés avec le dos de cuillère, y compris ma Nelfe adorée !
(Oui, oui tout cela ! On assume !)
17 petits nouveaux pour exploser nos PAL pourtant déjà bien portantes ! IRRÉCUPÉRABLES ? Pas seulement... Je pense qu'on est désormais dans le cas d'une pathologie grave et malheureusement incurable. Mais je vous connais... Ça vous plaît bien de nous voir nous enfoncer dans ce mal pernicieux du matérialisme littéraire à outrance ! Je vous pardonne bien volontiers et vous convie à me suivre pour la présentation des ouvrages nouvellement acquis.
(Actes Sud et compagnie, je vous aime !)
- "La Double vie d'Anna Song" de Minh Tran Huy. En tant que fervent adepte de littérature asiatique et de la maison d'édition Actes Sud, je n'ai pas résisté longtemps face à ce titre qui me tendait les bras. Suite à la disparition de la pianiste célèbre qui donne son nom à l'ouvrage, un scandale éclate sur la réalité de son travail artistique. Jeu de miroirs fascinant faisant à priori la part belle à la trahison et l'imposture, ce livre ne garnira sans doute pas très longtemps les étagères de ma PAL.
- "L'Accompagnatrice" de Nina Berberova. On reste dans le milieu musical avec les relations tortueuses entre une soprano issue de la haute société et sa jeune accompagnatrice bâtarde et pauvre relatées par une auteure russe que je vais découvrir avec ce roman. Antagonisme sournois des classes sociales et envoûtement de la musique sont au programme. Ca n'a pas l'air mal du tout !
- "Photo de groupe au bord du fleuve" d'Emmanuel Dongala. Ce roman raconte la révolte de casseuses de cailloux dans un pays de l'Afrique contemporaine contre la pauvreté, la guerre, l'oppression au travail, les violences sexuelles et domestiques. Un jour, elles décident de vendre le sac de gravier plus cher. La journée et les suivantes pourraient bien bouleverser leur existence à toutes, à défaut de changer le monde. Féminisme, portrait réaliste d'une Afrique loin d'être exotique et humour de bon aloi ont permis à l'auteur d'obtenir de nombreux prix pour ce titre, hâte de voir ce que cela donne !
- "Le Moine" de Matthew G. Lewis. Un des premiers romans gothiques qui fit scandale lors de sa sortie (1796 !) et qui fut interdit un moment car soit-disant licencieux. Un moine vertueux entre tous et apprécié de la bonne société de son époque va devoir confronter sa foi à ses désirs les plus sombres. On nous promet beaucoup dans le domaine des vicissitudes et une écriture à tomber par terre. Il n'en fallait pas moins pour que je me laisse tenter !
(Quand l'Histoire rencontre les histoires...)
- "Journal" d'Anne Frank. Un classique qu'on ne présente plus et dont j'ai utilisé des extraits il y a peu avec mes élèves de 3ème PEP lors d'une incursion dans la seconde guerre mondiale. Désirant le relire (ma lecture remonte au collège, c'est dire !), je me suis rappelé que je l'avais alors emprunté au CDI et que je n'en avais jamais fait l'acquisition (la honte, je sais !). L'occasion faisant le larron, c'est tout naturellement qu'il s'est présenté à moi lors de notre dernier passage chez l'abbé. Un futur re-reading entre Devoir de mémoire et émotion que j'entreprendrai très bientôt entre deux SP de janvier.
- "À l'ouest rien de nouveau" de Erich-Maria Remarque. La Guerre 14-18 entre à nouveau dans ma PAL, c'est une de mes marottes régulières en littérature historique avec ici le témoignage d'un soldat allemand sur le conflit pour un roman pacifique et réaliste dont j'ai beaucoup entendu parlé. Gros succès mondial lors de sa parution en 1929, je ne doute pas un instant que la lecture de ce roman sera bouleversante.
- "Le Café de l'Excelsior" de Philippe Claudel. J'aime les histoires tendres et souvent pleines d'émotions de Philippe Claudel, c'est donc tout naturellement que j'acquiers automatiquement tous les ouvrages d'occasion qui me tombent entre les mains. Ici un petit garçon ayant perdu ses parents va habiter avec son grand-père qui tient un bar, lieu d'oubli et assommoir pour les êtres qui le fréquentent mais aussi un petit paradis vu à travers les yeux d'un enfant. Très prometteur !
- "Ce que le jour doit à la nuit" de Yasmina Khadra. Typiquement le genre d'acquisition pulsionnelle et maso que je pratique régulièrement, avec ce choix un auteur adoré pour un sujet difficile : la guerre d'Algérie. Je suis sûr d'avance que je vais adorer cet ouvrage malgré les horreurs qu'il va me décrire car Yasmina Khadra n'a pas son pareil pour décrire les splendeurs et décadences de notre espèce. Une lecture redoutée donc...
(Du thriller en veux-tu ? En voila !)
- "Cadres noirs" de Pierre Lemaitre. Dans cette course à la sélection, un cadre de 57 ans au chômage depuis quatre ans ne reculera devant rien pour être choisi. Cependant, quelle réaction pourrait-il bien avoir s'il se rendait compte que les dés étaient pipés depuis le départ ? On peut compter sur Pierre Le Maître (un auteur que j'aime par dessus tout) pour explorer les abysses de l'esprit humain et lâcher les chevaux. M'est avis que celui-ci aussi ne restera pas bien longtemps dans ma PAL !
- "Derniers adieux" de Lisa Gardner. Une agent du FBI enceinte travaille sur les disparitions mystérieuses de plusieurs prostituées. Peu à peu émerge l'idée d'un serial-killer qui frapperait déjà depuis de nombreuses années, un piège invisible semble alors se refermer inexorablement autour de l'héroïne. Je n'ai pas réfléchi plus de deux minutes, j'adore Lisa Gardner et une lecture d'un de ses ouvrages promet forcément un suspens haletant et un plaisir de lecture durable. Hâte d'y être !
- "Seul à savoir" de Patrick Bauwen. Facebook comme révélateur d'un passé qu'on ne veut pas oublier pour l'héroïne, Patrick Bauwen explore avec ce roman les arcanes de la recherche médicale de pointe, le circuit de l'argent sale et les nouvelles technologies. Ayant déjà pratiqué avec bonheur cet auteur, je me suis laissé tenté. Wait and read !
(Non, vous ne rêvez pas, Nelfe tient ici son record de craquage même si elle ne me dépasse pas... faut pas rêver non plus !)
- "Puzzle" de Franck Thilliez. Amatrice forcenée (et il faut bien l'avouer sadique, elle me fait peur parfois) de thriller, Nelfe était toute contente de tomber sur cette pièce de choix de Franck Thilliez, un auteur qu'elle apprécie beaucoup. Deux spécialistes des chasses au trésor vont participer au jeu ultime Paranoïa qu'ils souhaitaient intégrer depuis longtemps. À priori, ils ne seront pas déçus...
- "Am Stram Gram" de M. J. Arlidge. Là encore une heureuse trouvaille pour une Nelfe qui avait inscrit cet ouvarge dans sa wish list. Des paires de victimes sont enlevées, emprisonnées et confrontées à un terrible choix : tuer ou être tué. Gasp... le genre de choix impossible que l'auteur va prendre un malin plaisir à exposer à ses lecteurs. De la bonne perversité au programme, tout pour plaire à ma douce et tendre. Je commence à grave flipper moi là...
- "Amelia" de Kimberly McCreight. Une mère d'adolescente apprend que sa fille a sauté du toit de son établissement scolaire. Ce suicide était totalement imprévisible à ses yeux et un mystérieux message anonyme envoyé plus tard semble sous entendre qu'il s'agirait d'un meurtre... Aie aie aie, ça va chauffé dur et les appétits de Nelfe en matière de récits tortueux vont être sans doute mis à rude épreuve. Purée, il faut que je prenne mes précautions et que je retouche mon testament moi...
- "Dans le silence du vent" de Louise Erdrich. À la fin des années 80, une femme amérindienne est agressée, battue et violée. La vie de son fils de treize ans s'en voit bouleversée et devant la lenteur de la police à tenter de résoudre ce crime, il va mener l'enquête avec ses potes. Un roman qui promet d'être déchirant avec un ado confronté à la violence et à l'injustice. sans doute un ouvarge que je repiquerai à Nelfe après sa lecture.
- "Rendez-vous à Crawfish Creek" de Nickolas Butler. Dix nouvelles, dix balades le long des routes du midwest. Un choix logique et sans doute imparable quand on sait que Nelfe et moi sommes fans de la collection Terres d'Amérique de chez Albin Michel. Ici les destins se croisent entre réalisme et poésie pour nous livrer des portraits sans fards d'âmes du Wisconsin. Aaaarg, je le lui piquerais bien aussi !
- "À moi pour toujours" de Laura Kasischke. Une professeur d'université reçoit un billet doux d'un mystérieux admirateur. Ce qui s'annonce tout d'abord comme une lumière brillante dans une vie morne va en fait totalement désorganiser sa vie et la faire chavirer. Au Capharnaüm éclairé, on adore Laura Kasischke, impossible donc de résister à la tentation que représente un livre de cette poétesse des temps modernes qui n'a pas son pareil pour dépeindre les femmes, leurs tentations et leurs désirs.
Au final, une sacrée bonne sélection qui va intégrer les anciens volumes de nos PAL respectives. Dur dur de résister face à des auteurs adorés ou des quatrièmes de couverture attrayantes. Reste maintenir à lire tout cela et à en juger la qualité à travers les chroniques à venir dans les semaines, mois et années à venir. Y'a du boulot !
"Bord de mer" de Véronique Olmi
L'histoire : Elle vit seule avec ses deux petits garçons et pour la première fois les emmène en vacances. Cette escapade doit être une fête, elle le veut, elle le dit, elle essaie de le dire.
Ensemble ils vont donc prendre le car, en pleine nuit, sous la pluie. Les enfants sont inquiets : partir en période scolaire, partir en pleine semaine, partir en hiver à la mer les dérange. Et se taire, et se taire, surtout ne pas pleurer, surtout ne pas se faire remarquer, emporter toute ses affaires pour se rassurer, juste pour se rassurer, pour ne plus avoir peur de la nuit. Car demain tout ira bien, demain ils seront heureux. Au soleil, ils iront voir la mer.
La critique de Mr K : Attention, sacré claque ! Je suis ressorti tout chamboulé de cette lecture. Derrière une histoire toute simple, se cache une redoutable autopsie d'une vie ratée, d'un destin contrarié et cette fuite en avant de quelques jours dans une ville de bord de mer ne vous laissera pas indemne, je vous le dis !
Une mère célibataire décide de tout plaquer et de partir avec ses deux fils (Kevin 5 ans et Stan 9 ans) pour la mer. Cette escapade hors de leur réalité quotidienne doit leur permettre de faire un break, de penser à autre chose et pour les enfants de découvrir la grande bleue. Mais le temps n'est pas de la partie, l'angoisse monte chez la mère et les enfants, et l'on sent bien que quelque chose cloche, qu'un espèce de fatum sombre plane au dessus de la petite famille...
Quelle montée en pression mes amis ! Racontée à travers le point de vue de la mère, l'immersion est immédiate et plutôt classique au départ. C'est plutôt fun de partir à l'aventure sans vraiment prévoir le lendemain, les enfants d'ailleurs bien que surpris suivent leur mère avec des rêves et des espérances plein la tête (surtout le plus jeune). Mais très vite, on sent une certaine distance entre l’aîné et la mère. Stan ne voit pas d'un bon œil cette décision précipitée et commence à se rebeller. La mère totalement dépassée par sa vie égrainée au compte goutte au fil de légers flashback et de ses impressions nage en eau trouble, perd pied et commence à sévèrement chavirer de la cafetière.
Très vite l'ambiance devient glaciale, la génitrice s'éloigne inexorablement de la réalité (les passages se déroulant au contact de tierces personnes sont très parlants), l'atmosphère lourde contribue à un climat angoissant qui provoque suées et appréhension chez le lecteur pris au piège et hypnotisé par ce texte qui lorgne vers le morbide et la désespérance. Rajoutez à cela un aîné de plus en plus déconcerté par l'attitude de sa mère, un plus jeune souffrant d'être loin de chez lui et vous obtenez une mécanique infernale qui voit trois personnages pourtant unis par des liens très forts qui ne se comprennent plus.
Tout cela ne peut qu'aboutir à une fin éprouvante et dans le domaine, on fait ici très fort d'autant plus qu'on pense forcément à ce qu'on peut malheureusement lire parfois dans les journaux. Cet ultra-réalisme de tous les instants contribue à faire de ce livre un authentique bijou et un reflet très fidèle de la souffrance que l'on peut éprouver quand la vie ne nous fait pas de cadeau. D'une pureté mortifère, le destin de cette mère est à la fois émouvant, effrayant et totalement humain. En cela, on termine le roman sur les genoux entre horreur, tristesse et incompréhension. J'aime être bousculé et pour le coup, j'ai été servi au delà de mes espérances.
L'écriture est une merveille, l'auteur retranscrivant parfaitement l'état d'esprit de la mère. C'est brut de décoffrage, délirant parfois et emprunt d'une grande mélancolie. Touché en plein cœur, on ne peut lâcher l'ouvrage avant la toute fin et sa fulgurance (120 pages environ) contribue à sa force et sa portée. Certes l'expérience est éprouvante mais quelle puissance et quelle maestria ! Bord de mer est une lecture difficile à oublier et que l'on ne peut que conseiller malgré un fond extrêmement sombre. Avis aux amateurs !