"Jean Jaurès : non à la guerre" de Didier Daeninckx
L’histoire : Toujours votre société violente et chaotique même quand elle est en état d'apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l'orage. Messieurs, il n'y a qu'un moyen d'abolir enfin la guerre entre les peuples, c'est d'abolir la guerre entre les individus, c'est d'abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c'est de substituer à la lutte universelle sur les champs de bataille, un régime de concorde sociale et d'unité.
La critique de Mr K : Nouvelle incursion dans la collection jeunesse "Ils ont dit non" de chez Actes Sud Junior avec ce Jean Jaurès de Didier Daeninckx, un auteur qu’on ne présente plus et que nous aimons beaucoup au Capharnaüm éclairé. Cet écrivain engagé était fait pour raconter Jaurès tant il s’est fait écho à travers ses œuvres des luttes sociales et des combats contre l’injustice. Le résultat est très intéressant, bien écrit et assez pédagogique pour pouvoir accrocher de jeunes lecteurs en quête de connaissances sur ce grand homme disparu trop tôt.
Deux poilus français se retrouvent coincés en plein no man’s land et font connaissance en attendant la suite des événements. Très vite, on apprend que l’un d’entre eux est Louis Jaurès, le fils de Jean Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914 par un déséquilibré influencé par les appels aux meurtres édités régulièrement par des journaux d’extrême droite. Pour avoir défendu l’idée de la Paix, il passait pour un traître pour toute une partie de l’opinion, lui le défendeur des opprimés et le pourfendeur de l’injustice sous toutes ses formes. Le dialogue s’instaure donc entre les deux soldats qui nous parlent indirectement de leur guerre mais aussi de l’illustre homme, de son impact sur leurs existences respectives.
Louis Jaurès et Gaston Lallemand – sic – vivent l’enfer. Rien ne nous est épargné du fracas de la mitraille et des bombardements, des mutilations de guerre et de l’ambiance de fin du monde que vivent au quotidien les poilus dans leurs tranchées. Leur expérience illustre à merveille les propos tenus par Jaurès sur les horreurs de la guerre, le retour à l’état de brutes des humains et la destruction de la vie au sens large. La lecture de quelques courriers égarés lors d’une explosion donne à voir l’état d’esprit désastreux des troupes, littéralement sous le choc face à cette grande boucherie de 14 comme on l’a aussi surnommée.
Et puis, les deux hommes évoquent Jaurès. L’un le père, l’autre l’homme de conviction qui l’a parfois guidé de loin. On en apprend pas mal sur lui notamment sur ses engagements anti-guerre. Je connaissais bien l’aspect lutte sociale (Carmaux notamment) et l’aventure journalistique de l’Humanité, moins ses prises de positions en faveur de la paix mais aussi des arméniens et de tous les peuples opprimés dans le monde, ses voyages, ses rencontres, les menaces dont il a été victime avant sa mort. L’ensemble de ces faits sont malicieusement glissés à travers les discussions et échanges de Gaston et Louis.
L’écriture simple et accessible facilite l’évocation de ce grand homme, la rend vivante et profondément humaine. Tous ses combats sont toujours d’actualité notamment en ces temps plus que troubles, cet ouvrage est vraiment à conseiller pour éclairer nos jeunes sur certains mécanisme du monde et sur d’autres voies possibles. Un petit bijou à sa manière.
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Lumière noire
- Nazis dans le métro
- Métropolice
- Main courante et autres lieux
- La Prisonnière du Djebel
"George Sand : Non aux préjugés" d'Ysabelle Lacamp
L’histoire : Elle n’avait pas le goût du scandale mais celui de la liberté, chevillé au corps et à sa plume. George Sand a osé porter des costumes et un nom d’homme, mener la vie sentimentale, littéraire et politique de son choix. Un affront aux préjugés du XIXe siècle et un personnage incontournable pour évoquer l’émancipation des femmes.
La critique de Mr K : Avec cet ouvrage d’Ysabelle Lacamp, je découvrais mon premier titre de la collection Ils ont dit Non des éditions Actes Sud junior. Emprunté au CDI de mon bahut en compagnie d’un autre titre dont je vous parlerai plus tard, j’ai passé un bon moment de lecture, redécouvert George Sand et apprécié la mise en évidence de son combat contre la conformité et pour la liberté.
L’auteure remonte donc le temps et nous raconte Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil alias la future George Sand via des moments clefs de sa vie. Son enfance avec déjà un caractère bien trempé, l’admiration qu’elle voue à sa grand-mère (une femme libre déjà à sa façon de réagir et de faire) puis son mariage avec ses espérances et très vite des désillusions. La position de la femme est un carcan à ses yeux, l’amour s’effiloche vite entre elle et son Casimir de mari, impossible pour autant de divorcer à l’époque. Un accord va être trouvé et voila la jeune femme libre de rejoindre la capitale pour enfin vivre l’existence qu’elle souhaite : écrire, publier, fréquenter les milieux artistiques et bohèmes, aimer et être aimée selon son bon plaisir.
En 70 pages à peine, Ysabelle Lacamp nous peint toute une existence dans sa complexité tout en réussissant à contextualiser comme il faut de manière abordable et plaisante. Les préjugés ont pignon sur rue et sont même des règles morales acceptées par le plus grand nombre. Porter le pantalon et des vêtements d’homme, fumer le cigare, vivre de sa plume loin de tout contrôle patriarcal, multiplier les conquêtes masculines voire féminines... autant d’actes qui choquent la bonne morale de l’époque mais dont notre héroïne n’a cure, vivant comme une épicurienne et surtout comme une femme libre.
Mais ce dont on ne se rappelle pas souvent et qui est aussi mis en exergue dans ce court ouvrage, c’est l’artiste essentiel que fut George Sand qui a écrit 70 romans, 40 pièces de théâtre, 40 000 lettres, des centaines d’articles et d’essais politiques. Elle a connu beaucoup de succès, a fréquenté les plus grands, s’est même révélée être l’égérie de la révolution de 1848 trop tôt torpillée par le retour des Bonaparte au pouvoir. Une incontournable figure donc que l’on ne fréquente pas assez dans nos lectures, moi le premier.
Malgré des débuts un peu nébuleux en terme stylistique, l’ouvrage prend toute sa valeur dès les vingt premières pages passées. L’ensemble se lit vite, bien et avec un plaisir certain. George Sand nous apparaît comme vivante, brillante et rebelle comme ses biographies plus poussées nous l’ont déjà fait connaître. Ce livre est donc très intéressant et à conseiller aux jeunes lecteurs pour leur faire découvrir une figure à part de notre patrimonial culturel et leur mettre un peu de plomb dans la tête tant les préjugés combattus par George Sand ont encore la vie dure.
"Un endroit pour vivre" de Jean-Philippe Blondel
L’histoire : C'est à cause du nouveau proviseur - M. Langlois (...). De ses discours autoritaires. De sa façon d'insister sur tous les mots négatifs qu'il emploie : ne pas, interdit, plus jamais, personne. De la manière dont ils le regardaient tous - comme des moutons -, les yeux mouillés, un regard glissé par en dessous, obéissants, jugulés. Ça m'a bouffé.
Caméscope au poing, l'adolescent décide de filmer ses camarades et de raconter son lycée pour ce qu'il est aussi : un lieu de vie, d'amitié, de haine comme d'amour.
La critique de Mr K : Très sympathique lecture d’une vingtaine de minutes que ce court ouvrage de la très bonne collection D’une seule voix de chez Actes sud junior. Dans Un endroit pour vivre, Jean-Philippe Blondel nous parle fort justement de la prise de conscience d’un jeune face à l’injustice et sa réplique poétique pour lutter contre l’arbitraire. Incisif, politique et solaire, ce roman est un petit bijou d’intelligence et d’émotion.
Le narrateur est un môme réservé et rêveur. Souvent dans la lune, pas très sociable sans être pour autant asocial, cet amateur de lecture vit un peu dans son monde (ce qui agace sa tatillonne de mère) et il n’a pas tendance à donner son avis sur ce qui se passe autour de lui. Plutôt bon élève, il ne fait pas de vagues et ne se connaît qu’un seul ami : Yvan, le fils de la CPE dont il va devenir le sous-délégué lors d’une élection qui marquera son entrée dans la lumière. Cet être banal, ordinaire se livre alors avec beaucoup de force, surtout qu’un événement va tout changer.
Depuis septembre, un nouveau proviseur a été nommé au lycée et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a décidé de mettre tout le monde au pas. Autoritaire et rigoriste, il multiplie les interdits et les décrets liberticides car à ses yeux le lycée est avant tout un lieu de travail et non un lieu de vie (d’où le titre du livre). Face à l’évolution de la situation, l’aspect "mouton" de la plupart de ses condisciples, le narrateur décide de réagir en prenant la caméra de son paternel et de filmer certains de ses camarades, de partager sa vision du lycée qui cristallise des vies faites de hauts et de bas, de sentiments divers et surtout d’énergie.
L’ensemble se lit avec grand plaisir. Les personnages sont crédibles et sensibles (sauf peut-être le proviseur qui est vraiment un affreux bonhomme), on a l’impression d’être de retour au lycée. Le personnage principal m’a beaucoup touché, j’y ai retrouvé une bonne partie de moi-même à son âge. Il se raconte de manière frontale, sans jamais rien éluder avec une concision efficace et évocatrice. À partir du moment où il commence son projet de mise en image, l’ouvrage se fait beaucoup plus poétique avec des envolées parfois bien barrées, des pensées qui s’entremêlent, des impressions et sentiments qui s’entrechoquent. Les pensées couchées sur le papier rendent bien compte du processus de création qui est en cours dans cet esprit encore jeune et en formation. Cette épreuve et cette opposition à l’injustice sera fondateur et mènera à un dernier acte hautement symbolique.
J’ai relevé quelques défauts mais c’est l’âge qui parle. Le proviseur caricatural par exemple (dans la réalité la moitié des nouvelles règles édictées sont illégales) ou encore la grande cohésion de groupe des élèves, ici tout le monde est beau et gentil ou presque... Dans la réalité que je peux vivre, malheureusement les voies de l’individualisme et du narcissisme (liés pour beaucoup aux écrans et autres réseaux sociaux en surdosage) prennent souvent le pas sur l’engagement détaché de tout intérêt. Ce n’est pas grave pour autant car le propos ici est autre, la symbolique forte et propose un voyage au bout de l’engagement d’un jeune lambda.
Une chouette lecture vraiment qui prend encore plus de force quand on la lit à voix haute. Avis aux amateurs !
"Esperluette" de Anne Vantal
L’histoire : Après être retournée sur le lieu d'un funeste accident resté non-dit, la narratrice ressent brusquement le besoin d'écrire à Jordan pour parler de leur passé. Il lui aura fallu des années pour trouver les mots de leur histoire, celle de gamins escrocs, pervers et aventuriers, inséparables et complices des mauvais coups.
La critique de Mr K : Nouvelle incursion dans la collection D’une seule voix de chez Actes Sud junior avec Esperluette d’Anne Vantal. Encore une belle découverte tirée du CDI de mon établissement avec le monologue d’une jeune fille sous la forme d’une lettre adressée à son copain Jordan. L’ensemble se lit d’une traite avec beaucoup de plaisir.
Dès le début, on sait que la jeune fille va revenir sur un drame qui a bouleversé sa vie. Elle revient dans ces lignes sur sa vie et plus particulièrement sa relation suivie avec Jordan. La narratrice est une jeune lambda qui vit seule avec sa mère malade dans un quartier populaire. Intelligente et douée, elle fait la rencontre de Jordan avec qui elle tisse un lien fort.
Le temps passe et ces deux là ne se quittent pas. Elle l’aide beaucoup à l’école puis au collège, il la déride, l’amuse et bientôt l’entraîne avec son consentement dans des coups pendables. Cela commence par des farces sans grandes conséquences, on s’amuse, on est jeune, on profite. La trajectoire est très bien décrite avec une économie de mots qui va à l’essentiel, ne ménageant pas les jeunes lecteurs et permettant de s’insinuer dans ces deux esprits que la jeunesse porte et va malheureusement briser par l’inconséquence d’un acte terrible.
En soi, il n’y a pas beaucoup d’originalité dans le scénario, on voit les choses venir mais tout est parfaitement calibré et mené de main de maître par une auteure soucieuse de clarté et de pédagogie mais avec un esprit non dénué de malice et de volonté de briser certains tabous. J’en veux la preuve le parcours de l’héroïne qui loin d‘être exemplaire va l’amener à une fin de récit finalement pas si moralement acceptable. Mais c’est ça aussi la vie, faire des choix, souvent discutables et parfois malheureusement irréparables. On baigne ici dans le quotidien, les errances de personnages encore bien jeunes qui n’estiment par la portée de leurs actes sur les autres mais surtout sur eux-même.
Très bonne lecture donc qui conviendra sans nul doute à tous les lecteurs, y compris les plus récalcitrants. On est d’emblée happé par ce récit intimiste et accessible. Une belle petite claque.
"La Piscine était vide" de Gilles Abier
L’histoire : J’ai envie de crier, de crier et de pleurer. De pleurer de joie. Mais je ne peux pas. Entre mes larmes, je vais sourire. Et sa mère est là qui me regarde. Ses yeux ne m’ont pas quittée de tout le procès. (…) J’ai seize ans et j’étais accusée d’avoir tué Alex. Son fils. Mon mec.
Le bonheur et la honte après l'annonce de l'acquittement. Mais pour Célia, c'est de sa vie qu'il s'agit. Une vie sans Alex, et pourtant une vie à vivre.
La critique de Mr K : Petite lecture sympathique à défaut d’être transcendante aujourd’hui au programme de la chronique du jour au Capharnaüm éclairé. La Piscine était vide de Gilles Abier fait partie de la collection D’une seule voix de chez Actes sud junior, une série de livres que je découvre depuis plusieurs semaines via mes emprunts au CDI de mon établissement. D’une lecture aisée et rapide (25 min à peine pour moi), dans ce titre, on suit le long monologue d’une jeune fille qui vient d’être acquittée du meurtre de son copain. Partagée entre soulagement et tristesse, elle se livre sans filtre sur une soixantaine de pages.
Très vite, elle revient sur leur rencontre improbable, le coup de foudre qui s’ensuit et le début de leur relation. Classique et efficace, la partie romance fait sourire l’adulte que je suis. À travers ces mots bruts, lâchés tels quels sur ces pages, on entrevoit cette passion soudaine et la puissance qui l’accompagne. Au passage, la jeune fille dessine un portrait cru d’elle-même, fashion victime qui souhaiterait plus tard travailler dans la mode. Cela ne plaît pas à tout le monde, notamment la maman de son mec qui la voit comme une coquille vide indigne d’intérêt.
La narratrice-héroïne revient aussi plus précisément sur la fameuse journée où son copain meurt stupidement en tombant dans la piscine qui donne son nom à l’ouvrage. Par petites touches, au fil du livre, elle apporte des éclairages différents, des détails qui permettent au lecteur de se faire une idée plus précise des faits et la chute (sans mauvais jeu de mot -sic-) viendra cueillir les moins expérimentés des lecteurs, beaucoup moins les autres... Pistes et fausses pistes sont employées de manière conventionnelles mais efficace, sans plus je dirais...
Les personnages par contre sont bien caractérisés, en peu de mots et de pages, on a tout de même affaire à des êtres de chair et de sang qui poursuivent leurs buts respectifs et se révèlent crédibles (mention spéciale à la mère éplorée). Certes ce n’est pas original mais c’est relativement fin et l’ensemble est assez dense. Reste qu’au final, quand on a refermé ce livre, on a l’impression d‘avoir lu un récit certes vif mais un peu creux, commun. À voix haute devant un auditoire, il prendra sans doute plus de densité...
"Une fille de ...'' de Jo Witek
L’histoire : Courir pour me sentir unique sur terre. Courir pour exister. Me forger un moral de championne, un corps solide, musclé, entraîné. Un corps qu'on ne piétine pas. Qu'on n'avilit pas. Courir pour que mon corps n'appartienne qu'à moi. Que mes désirs n'appartiennent qu'à moi. Courir pour marcher librement sans me souder du regard des autres, et surtout pas de celui des hommes. Tel était mon salut.
Le long de la ligne verte, Hanna avale les kilomètres de chemin quatre fois par semaine. Dans ces moments de solitude, elle se sent libre, forte, protégée du regard des autres. Hanna est la fille d'Olga, prostituée ukrainienne. Ailleurs, en ville comme en cours, c'est plus difficile. Par amour pour sa mère, elle décide un jour de ne plus avoir honte. De relever la tête et de raconter son histoire, au rythme de ses foulées.
La critique de Mr K : Dans le cadre du travail, avec la professeur documentaliste de l’établissement, nous allons instaurer des heures de lecture à voix haute pour travailler l’appétence envers les livres et développer l’empathie. En effet, la nouvelle génération peut parfois se révéler complètement apathique et zombifiée par les écrans... La collection D’une seule voix de chez Actes sud Junior propose une série de titres aux thématiques intéressantes qui s’adressent directement à nos adolescents et le CDI s’est porté acquéreur de toute la série. J’avais beaucoup aimé Un clandestin au Paradis de Vincent Karle chroniqué il y a quelques temps. J’ai emprunté quelques titres supplémentaires pour mon mois de décembre et Une fille de… de Jo Witek m’a littéralement embarqué et convaincu.
L’insulte éponyme est monnaie courante dans les classes, en dehors et même sur les réseaux sociaux. L’auteure s’intéresse ici à une jeune fille dont la mère ukrainienne est prostituée, l’idée est très intéressante et fera écho sans nul doute chez nos jeunes. Hanna dans un long monologue où se croisent des époques de sa vie (de quatre ans à seize ans) nous parle d’elle, de sa mère et des retentissements que cela peut avoir. De la première révélation sous forme de sensations diffuses lors d’une visite dans un magasin aux confrontations avec ses pairs, elle nous parle de sa prise de conscience, de ses souffrances et finalement de son acceptation.
Il y a beaucoup d’amour dans cet ouvrage, celui inconditionnel d’une mère envers sa fille et vice et versa. Les mots sont pudiques, plein de sous entendus et les scènes égrainées d’une force rare. La découverte se fait petit à petit avec des sensations, des sentiments contradictoires et un parcours intime disséqué avec tendresse et justesse. Les tourments de l’adolescence sont notamment décrits avec un réalisme et une authenticité vertigineux. Certains passages d’ailleurs nous renvoient à notre propre jeunesse. Jo Witek est fine psychologue et par son don pour l’écriture renvoie une image vraie et salvatrice de cet âge si difficile mais aussi plein de promesses.
Au fil des épreuves qu’elle traverse, Hanna va se construire, développer la personnalité d’adulte qui sera sienne. Pour ne pas sombrer, se reprendre et aller de l’avant, elle se met à courir. La métaphore filée est belle, pleine de sens et en s’amplifiant prend une dimension métaphysique. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, le boulet qu’elle semble traîner et la perturbe va se transformer peu à peu en quelque chose d’autre. Le rapport à sa mère, aux autres, aux garçons changent, elle va apprendre le détachement et toucher du doigt l’épanouissement personnel.
L’ouvrage est beau, se lit d’une traite et s’adresse à tous dans un langage simple mais plein de nuances. Belle claque que cette lecture que je ne peux que vous conseiller et que je testerai donc auprès de mes jeunes pousses dans un avenir proche.
"Un clandestin au paradis" de Vincent Karle
L’histoire : Les Paradis est un quartier plutôt paisible jusqu’à ce que la brigade des stups débarque dans le lycée, armes à la main. Matéo est arrêté en possession de cannabis. Mais c’est son copain Zaher, réfugié afghan, qui est accusé de trafic avant d’être expulsé. Du jour au lendemain, humilié, révolté, Matéo se sent lui aussi un clandestin.
La critique de Mr K : Très belle lecture que cet ouvrage qui m’a été conseillé par une collègue du bahut où j’officie. Un clandestin aux paradis de Vincent Karle est typiquement le genre d'ouvrage fait pour les petits lecteurs, ces jeunes qui n’ont jamais trouvé LE livre qui leur ferait voir la lecture autrement et prendre du plaisir à rentrer dans un univers proche et lointain à la fois. Écrit sous la forme d’un long monologue intérieur, ce court roman de 90 pages est un coup de poing salutaire, une dénonciation sans fard de l’injustice et un roman d’apprentissage où le jeune héros va réellement prendre conscience de qui il est et ce qu’il veut faire plus tard. Se lisant en une heure maximum, voici un ouvrage qui mérite vraiment qu’on s’y attarde.
Quand Zaher, un réfugié afghan ayant fui les talibans avec toute sa famille arrive au lycée, Matéo ne l’aime pas trop. Non pas qu’il soit raciste mais il ne le connaît pas et n’a pas envie forcément de faire le premier pas. Il y a aussi un peu de jalousie car Zaher est charismatique, doué et se révèle être un bon camarade. Puis peu à peu, ils se rapprochent tous les deux et deviennent bons potes. Ils partagent les mêmes délires et parfois les mêmes idées. Tout bascule quand les flics débarquent au lycée pour une opération anti-drogue. Des chiens, des armes, une fouille quasiment à nu, des vexations et des policiers vindicatifs qui finissent par découvrir une petite boulette de shit dans le pantalon de Matéo. Les forces de l’ordre l’arrêtent lui et son copain réfugié et c’est ce dernier qui va être accusé de détention et trafic. Il sera renvoyé dans son pays dans les jours qui suivent malgré les dénégations de Matéo qui reste seul avec les souvenirs de son ami et une rage qui ne fait que monter.
Ce livre est bouleversant à plus d’un titre, à commencer par le parcours de Zaher, un être épris de liberté, qui n’a qu’un seul désir : recommencer sa vie et réussir. Ils forment avec Matéo un sacré duo car même s’ils sont très différents, beaucoup de choses les rapprochent. Ce tandem qui détonne charme immédiatement le lecteur, j’ai notamment adoré la découverte de la langue afghane par de jeunes français ouverts d’esprit et l’étonnement de Zaher face à certaines pratiques ou habitudes de chez nous. L’osmose est là, on retrouve des impressions oubliées de nos jeunes années, cet âge où l’insouciance se conjugue aussi avec la fidélité en amitié. C’est frais, très bien rendu et pas ringard du tout. C’est toujours difficile d’être fidèle à la jeunesse quand on sait à la vitesse avec laquelle changent modes, langages et habitudes de nos enfants.
Très vite, on vire en plein cauchemar cependant. La France, terre de liberté ? Rien n’est moins sûr depuis très longtemps. Depuis l’avènement du Tsar Cozy notamment et le durcissement des règles d’asiles qui n’ont jamais été allégée sous ses successeurs voire durcies sous Micron Ier. Collusion mentale entre musulmans, arabes, terroristes ; une Police Nationale gangrenée par la violence et le racisme (et la fatigue du métier qui s’ajoute par dessus), la disparition de parcelles d’humanité au nom de la sacro-sainte sécurité font naître souffrance et injustice. Là encore, la plume est juste et mesurée. On est bien loin des tableaux binaires et faussés qu’on nous sert jusqu’à l’écœurement dans les médias et plus grave, dans les professions de foi et diverses interventions des prétendants au trône en 2022.
La voix de Matéo résonne longuement dans notre esprit après cette lecture. Le jeune héros est transformé à jamais et gageons que cet ouvrage fasse prendre conscience à nos jeunes qu’il faut s‘engager dans des causes justes, que la démocratie et nos belles valeurs sont toujours en péril. D’un accès simple mais pas simpliste au niveau de la langue, "Un clandestin au paradis" nous parle, nous interroge et finalement nous touche au plus profond. Un coup de cœur que je vous invite à découvrir à votre tour.